Des dizaines de gens, étudiants ou non, font un die-in devant l’université en solidarité avec les grévistes de la faim. Photo: Adrien Gaertner
Justice sociale
La grève de la faim pour faire pression
30/3/24
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5 Minutes

Depuis maintenant plus d’un mois, certains étudiants de l’Université McGill ne mangent plus rien. C’est leur manière de faire pression sur l’administration de leur établissement scolaire. Leurs demandes sont simples, nous dit l’un des grévistes : « Désinvestissement et dissociation des compagnies et des universités sionistes. »

Nous sommes à la mi-mars. Malgré les quelques jours chauds dont a profité Montréal au cours des dernières semaines, il fait plutôt froid aujourd’hui. Cela n’empêche toutefois pas les étudiants de se chauffer au soleil à l’extérieur, sur le campus. C’est ici que La Converse rencontre Chadi, l’un des étudiants qui poursuivent une grève de la fin à durée indéterminée. « Ça fait maintenant 29 jours que je ne mange plus rien. Je ne bois que de l’eau, des électrolytes et du bouillon », commence l’étudiant, une canne au bout de la main.

Au début, Chadi menait sa grève de la faim avec Rania, une autre étudiante engagée. Mais la fin de semaine dernière, au bout de son 34e jour de grève, Rania a dû interrompre son jeûne en raison d’une hospitalisation rendue nécessaire par une sévère déshydratation.

En passant les portes emblématiques de l’université sur la rue Sherbrooke, nul ne peut ignorer les voitures de police stationnées à l’entrée. « Ils sont toujours là, me confie Chadi. Depuis qu’on a organisé quelques sit-in étudiants il y a quelques semaines, il y a souvent de la police ici. »

Que veulent les grévistes ?

« Dès que les attaques d’octobre sont survenues près de Gaza, j’ai été extrêmement mal à l’aise de voir comment l’université gérait ça. Les étudiants recevaient constamment des courriels de l’administration sur la situation tendue sur le campus, mais je trouvais que les informations partagées étaient très biaisées », raconte-t-il. Dans ces courriels, l’administration demandait notamment aux étudiants de « rester respectueux et de manifester de façon pacifique. [Nous] sommes ici dans une université, lieu d’apprentissage et d’avancement du savoir. Notre communauté a toujours été notre force. »

Au début de sa scolarité, Chadi, Montréalais d’origine libanaise, s’est lié d’amitié avec plusieurs étudiants qui partagent la même frustration que lui. Causée par le silence de l’université face aux violences perpétrées à Gaza, cette frustration s’est amplifiée au fil des semaines, puis des mois. « On a commencé à envoyer des courriels à l’administration, à participer à des walk-out étudiants, à des manifestations. On a même organisé du piquetage pour bloquer l’entrée à l’école, énumère le militant. Finalement, après avoir vu que cela ne changeait rien, on est arrivés à un point où il fallait qu’on trouve un moyen plus extrême pour que les responsables de l’université nous écoutent enfin. »

Le 28 mars à 13 h tapant, des dizaines d’étudiants se sont réunis devant le pavillon des arts de l’établissement, tout près de la rue Sherbrooke, et ont protesté en effectuant un die-in en solidarité avec les gens qui, comme Chadi, ont cessé de manger pour faire réagir leurs responsables.

C’est comme cela que Chadi et d’autres étudiants engagés se sont organisés pour entamer une grève de la faim. Leur requête est simple : l’établissement doit rendre des comptes, car il n’a pas adopté la « politique contre le génocide en Palestine » qui a été votée par 78 % des étudiants de premier cycle. Cette politique demande notamment le désinvestissement dans des entreprises jugées complices de génocide et de vente d’armes à l’État d’Israël, ainsi que la rupture des relations inter-universitaires entre McGill et des organisations qui sont auxiliaires des politiques, jugées répressives, de l’État hébreu (Lockheed Martin et Safran).

« Une administration qui ignore ce qu’une majorité de ses étudiants de premier cycle souhaitent, c’est assez bizarre », ajoute avec ironie Chadi.

Votée l’automne dernier, cette politique, intitulée « Politique contre le génocide en Palestine » a été adoptée lors d’une assemblée générale de l’Association étudiante de l’Université McGill (AEUM). Cette dernière exigeait que l’établissement rompe tout lien avec des entreprises et institutions accusées d’être « complices du colonialisme de peuplement, de l’apartheid ou du nettoyage ethnique à l’encontre des Palestiniens ». Aujourd’hui, cette politique est en suspens, car l’AEUM a reçu une demande d’injonction provisoire et interlocutoire, déposée contre cette politique par un étudiant qui jugeait qu’elle faisait la promotion de l’antisémitisme.

Chadi, étudiant au baccalauréat en psychologie à l’Université McGill.
Photo: Melissa Haouari

Rêve brisé

En septembre dernier, Chadi a entamé un baccalauréat en psychologie. « J’avais très hâte de commencer mes études à McGill », avoue-t-il, enthousiaste. « J’ai fait toute ma scolarité en français, continue le montréalais, mais j’ai choisi McGill, car je voulais avoir une éducation exemplaire, celle d’une des meilleures universités. »

« Je ne savais pas combien cette école allait devenir déprimante pour moi. » Cette déception, confie-t-il, vient du fait qu’il ne s’attendait pas à ce que l’université qu’il avait choisie s’inscrive autant dans une « logique coloniale ».

Un mouvement qui ne cesse de prendre de l’ampleur

Au moment d’écrire ces lignes, Chadi est le seul étudiant à poursuivre sa grève de la faim à durée indéterminée. Il est conscient qu’une déclaration comme celle-là peut porter à confusion. C’est pourquoi il prend le temps d’expliquer comment lui et les autres exercent leur militantisme.

« On a un système un peu particulier. On a des grévistes indéfinis – comme moi, par exemple –, des grévistes en rotation et des gens qui aident avec les autres aspects, explique-t-il. Certains jeûnent pendant une période de trois ou quatre jours, puis d’autres prennent le relais. C’est leur façon d’être solidaires avec la cause. »

Pour ce qui est de l’alimentation, les choses sont simples : « Dans notre situation, on prend de l’eau, du bouillon et des électrolytes. Et par bouillon, je parle de boire l’eau d’une casserole dans laquelle on a fait bouillir quelque chose. J’appelle ça une sorte de “thé de nourriture” », dit-il en rigolant. « Le thé et le café sont autorisés, mais de toute façon, ce n’est pas nutritif », ajoute-t-il.

Le 15 mars dernier, une lettre ouverte rédigée par des diplômés de l’université a été adressée au personnel administratif et exécutif de l’établissement. Cette lettre ouverte a recueilli à ce jour plus de 1 200 signatures d’anciens étudiants, de professeurs et de membres du personnel, qui affichent publiquement leur soutien aux grévistes de la faim ainsi qu’à leurs requêtes. Elle présente les liens actuels de l’université avec certaines organisations et cite le cas de plusieurs universités dans le monde qui ont coupé toute relation avec des universités israéliennes jugées « complices d’un génocide ».

Cette lettre rappelle également le rôle de McGill dans l’histoire, cet établissement d’enseignement ayant été la première université canadienne à se défaire de ses avoirs liés au régime d’apartheid sud-africain à la suite de la demande et des pressions du corps étudiant.

Le jeu de la patate chaude

Ce qui frustre Chadi, c’est que malgré la vitesse à laquelle ce mouvement croît et l’appui qu’il suscite, il reste tout de même presque invisible aux yeux de ceux qu’il souhaite faire réagir. L’administration de l’université n’a ainsi toujours pas accédé aux demandes des grévistes – ni à celles d’organiser une rencontre dans les conditions où ces derniers le souhaitent.

Après un échange de courriels entre les militants et certains membres de l’administration, la situation reste aujourd’hui au point mort, alors que le temps s’écoule. Des captures d’écran partagées sur la page Instagram du mouvement des grévistes de la faim de McGill montrent que les responsables de l’université n’ont pas tenu parole en offrant un espace et une rencontre avec les principaux intéressés, dans les conditions que ceux-ci demandaient. Les captures d’écran montrent qu’une demande de rencontre publique a été faite entre les étudiants et l’administration dans un délai raisonnable afin d’accommoder ceux et celles qui souhaiteraient y participer. Plus tard, l’université propose une rencontre à huis clos entre la doyenne et les militants, à tenir le plus rapidement possible, par « souci pour la santé et la sécurité des grévistes », proposition que ces derniers refusent en raison du non-respect de la demande d’une rencontre publique.

Il est à noter qu’au moment d’écrire ces lignes, l’université est silencieuse et demeure sourde aux demandes des grévistes depuis 10 jours.

« Pourquoi est-ce que l’administration se soucie de notre santé, mais ne fait rien pour répondre à nos demandes ? s’interroge le citoyen. Je trouve ça ridicule. » Se disant trahi, il souhaite que l’« hypocrisie » de ceux qu’il montre du doigt ne passe pas inaperçue.

Nous tenons à préciser qu’au moment où nous publions cet article, personne au sein de l’administration n’a accepté de nous accorder d’entrevue. Seule une déclaration a été publiée : « Nous respectons le droit des étudiants à poursuivre des objectifs politiques et à exprimer des convictions politiques. Notre priorité reste la santé et le bien-être des étudiants qui participent à la grève de la faim. [...] McGill a clairement indiqué qu’elle ne couperait pas ses liens avec les universités et les institutions de recherche israéliennes. Nous avons rappelé aux étudiants participant à la grève de la faim qu’il existe un processus permettant d’exprimer leurs préoccupations concernant tout investissement de l’université. »

L’actualité à travers le dialogue.
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