Migrations
Un plan national d’accueil des réfugiés pourrait réduire l’itinérance
5/4/24
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Un groupe qui représente plus de 200 organismes travaillant auprès des demandeurs d’asile et des réfugiés s’est rendu à Ottawa pour demander un plan national d'accueil des demandeurs d’asile. Et éviter ainsi des tragédies comme celle survenue en Ontario, où deux demandeurs d’asile sont morts par manque de logement adéquat. 

« La seule crise qu’il y a, ce n’est pas celle de l’arrivée de demandeurs d’asile, c’est celle du manque de planification, lance Gauri Sreenivasan, directrice du Conseil canadien pour les réfugiés. Le système déborde parce qu’il n’y a pas de plan. » 

L’alliance des défenseurs des droits des demandeurs d’asile propose de créer des centres d’accueil pour demandeurs d’asile, de subventionner des logements temporaires pour qu’ils y vivent, d’élargir leur admissibilité aux services, de leur donner accès à l’aide juridique et de simplifier le processus qu’ils doivent traverser.

Mme Sreenivasan estime que la question du nombre et du volume d’arrivées est uniquement un problème parce qu’il n’y a pas de coordination à l’échelle du Canada. La codirectrice du Conseil canadien pour les réfugiés somme donc le fédéral de changer la donne dans une conférence de presse tenue à Ottawa.

« On sait que nous avons le personnel pour recevoir ces gens, mais le manque de planification nous mène à l’échec », croit-elle. 

Les organisateurs évoquent leur exaspération parce que les solutions existent, à leur avis. 

« Les droits des demandeurs d’asile ne sont pas encore respectés au Canada, affirme Gauri Sreenivasan. Il n’y a aucun système en place pour les héberger correctement [...] et les politiciens qualifient faussement de “crise” [leur présence]. »

Cette journée célèbre la reconnaissance du statut de réfugié par la Cour suprême du Canada, le 4 avril 1985. Depuis, certains organismes croient que le Canada échoue à bien recevoir ces personnes qui fuient guerres, conflits ou persécutions dans leur pays d’origine. 

Sachant que plus de 70 % des demandeurs d’asile sont acceptés comme réfugiés, il est important de bien accueillir ceux qui finiront par rester au pays, croit le Conseil canadien pour les réfugiés. En 2023, plus de 140 000 demandes d’asile ont été déposées au Canada, dont 65 000 au Québec. 

Jointe par téléphone à Ottawa, Lauren Lallemand, co-directrice générale du Conseil canadien pour les réfugiés, estime que le temps presse. 

« Si ces gens ont beaucoup de difficultés les premières années après leur arrivée au Canada, il y a des répercussions très sévères au cours des années suivantes, affirme-t-elle. Et si on sait que les gens vont arriver à la frontière ou à l’aéroport pour demander l’asile, on sait qu’on doit avoir un système en place pour les accueillir. »

Jenny Jeanes, directrice par intérim d’Action Réfugiés Montréal, tente d’illustrer d’un exemple ces idées : « Avec les réfugiés ukrainiens, nous avions un plan en place » – ce qui a permis d’accueillir sans trop de tracas des milliers de personnes qui fuyaient la guerre. 

Cinq idées pour changer les choses

Mieux loger les demandeurs d’asile, leur donner accès à l’aide juridique et leur permettre de recevoir une série de services qui existent déjà pour les réfugiés sont autant d’étapes qui allégeraient leur situation au Canada, selon les responsables du Conseil canadiens pour les réfugiés.

« Nous faisons des représentations auprès du gouvernement pour avoir un plan de ce genre depuis plusieurs années », rappelle Mme Lallemand. 

Environ 35 organismes au pays offrent d’héberger les demandeurs d’asile sur une période plus ou moins longue afin de les stabiliser à trouver du logement.
Photo : Gracieuseté de la Matthew House d’Ottawa

Les hôtels du fédéral, une fausse bonne idée

L’un des enjeux les plus pressants liés à l’accueil des demandeurs d’asile est la question du logement. « La société civile dispose, un peu partout au pays, d’un réseau de 35 centres qui offrent de l’hébergement d’urgence à court terme aux demandeurs d’asile », ajoute Mme Lallemand. Elle évalue que cela coûte une fraction du prix que paie actuellement Ottawa pour loger des demandeurs d’asile dans des hôtels.

Ces organismes, comme Kinbrace, dont certains représentants ont été rencontrés par La Converse à Vancouver, ou la Matthew House, à Ottawa, ont l’expertise nécessaire pour bien accueillir et guider les demandeurs d’asile. « Avec une bonification des fonds du fédéral, ces structures déjà en place feraient beaucoup de bien », estime la co-directrice générale du Conseil canadien pour les réfugiés. 

Pour Allan Reesor McDowell, directeur général de la Matthew House, il en coûte 35 $ par personne par jour, soit environ 1 000 $ par mois, pour accueillir des demandeurs d’asile dans sa maison d’hébergement. 

« Pour cette somme, nous offrons de la nourriture, un lit, l’accès à des avocats, des services adaptés, de l’aide pour obtenir un permis de travail et un service de recherche d’emploi », énumère-t-il, avant d’ajouter que ce genre d’initiative permet aussi à des gens qui ont fuient des réalités souvent difficiles de se recréer une communauté. 

Selon les chiffres avancés par la Matthew House, les hôtels du fédéral coûtent de 5 000 $ à 6 000 $ par mois par personne.

Et des centres consacrés aux demandeurs d’asile feraient en sorte que ces derniers ne fréquenteraient pas les refuges d’urgence destinés aux personnes sans-abri ou ne risqueraient pas de devenir eux-mêmes itinérants. 

« En date du 11 mars 2024, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) dispose de plus de 4 000 chambres d’hôtel dans 6 provinces – dont 2 499 chambres dans 16 hôtels en Ontario et 1 317 dans 13 hôtels au Québec – pour fournir un hébergement temporaire aux demandeurs d’asile, nous apprend un porte-parole du ministère. Ces logements sont offerts jusqu’à ce que les demandeurs d’asile soient en mesure de trouver un logement à plus long terme. »

« C’est une dépense d’argent, juge Loly Rico, fondatrice de FCJ Refugee Centre en Ontario. Les hôtels sont des compagnies privées et il vaudrait la peine d’avoir des centres dédiés et gérés par le fédéral. » 

Jenny Jeanes, d’Action Réfugiés Montréal, rappelle pour sa part que plusieurs demandeurs d’asile restent plus longtemps qu’il le faut dans les hôtels payés par Ottawa parce qu’ils ne trouvent pas de logement. 

« Perdus » dans un système complexe 

Le manque de coordination a des conséquences réelles, croient les militants, qui rappellent que deux demandeurs d’asile sont morts le mois dernier dans la grande région de Toronto par manque de soutien. « Les demandeurs d’asile se retrouvent perdus dans un système complexe », estime Mme Sreenivasan. 

« Bien des gens ne se rendent pas compte de la complexité d’une demande d’asile », ajoute Mme Jeanes, qui insiste sur les difficultés auxquelles font face ceux qui viennent d’arriver au pays pour y demander la protection de l’État canadien. 

C’est pourquoi le Conseil canadien pour les réfugiés souhaite que l’aide juridique soit adaptée et offerte à ces personnes. « Il y a une pénurie pour les services d’aide juridique partout au pays, indique Mme Jeanes. Il est essentiel que les demandeurs d’asile bénéficient de services juridiques pour être bien représentés devant le Tribunal pour réfugiés. »

Les mesures répressives à la frontière, depuis le raffermissement en 2023 de l’Entente sur les tiers pays sûrs, qui a mené à la fermeture du chemin Roxham, ont elles aussi coûté la vie à des demandeurs d’asile. 

Rappelons que, selon l’Entente sur les tiers pays sûrs, signée en 2002 par les États-Unis et le Canada, les demandeurs d’asile doivent déposer leur demande dans le premier pays où ils arrivent. Pourquoi ? Parce que les deux pays nord-américains se considèrent mutuellement comme étant sécuritaires. 

Il suffit cependant de penser à Fritznel Richard, ressortissant haïtien mort en traversant la frontière, à Ana Karen Vasquez-Flores, ressortissante mexicaine enceinte de cinq mois décédée dans les mêmes circonstances, aux huit membres de la famille Iordache et Chaudhary et, plus récemment, à Ndogo Sarry et Abdoulaye Ndoye, tous deux originaires du Sénégal, pour relativiser cette sûreté. 

« Il est grand temps de changer les choses », conclut Mme Sreenivasan.

L’actualité à travers le dialogue.
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