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Célébrer le fait d’être Noir et résister autrement
Les deux cofondatrices de Black Joy MTL : Claire-Anse Saint-Éloi, à gauche, et Diane Gistal, à droite. Crédit : Manoucheka Lachérie
2/28/2025

Célébrer le fait d’être Noir et résister autrement

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Note de transparence

La 34e édition du Mois de l’histoire des Noirs touche à sa fin. Son thème, cette année, était « Tout ce que nous sommes ». Un mois pour célébrer, honorer, mais aussi rappeler les luttes passées et présentes. Février marque tout cela et, symboliquement aussi, l’assassinat de Malcolm X.

Mais, depuis 1965, comment la résistance des communautés noires s’est-elle réinventée ? Parmi ses formes, il y en a une, singulière : la joie noire. À Montréal, elle s’impose dans l’espace public grâce au collectif Black Joy MTL. Un mouvement qui n’appelle pas à la révolte, mais qui résiste autrement. Car revendiquer la joie est aussi un acte militant. L’objectif du collectif ? Permettre aux personnes noires de se réapproprier leur histoire, de se voir à travers le prisme de la célébration, et non plus uniquement de la lutte.

2020 a été un tournant. C’est en plein cœur des bouleversements mondiaux provoqués par la mort de George Floyd et de Breonna Taylor que Claire-Anse Saint-Éloi et Diane Gistal décident de créer Black Joy MTL.

« C’était étouffant. On avait besoin de respirer, de voir autre chose que la douleur et la colère », raconte Diane Gistal. « On était vraiment dans un espace très négatif, épuisées », ajoute Claire-Anse Saint-Éloi.

Toutes deux se rappellent avoir ressenti une fatigue profonde face à la représentation omniprésente de la violence contre les corps noirs dans l’espace public et médiatique. « Tu as cette colère qui te consume, qu’il faut transformer. Et nous, on s’est dit que la résistance peut aussi passer par la joie », précise Diane.

La joie noire comme acte intentionnel

Pour les cofondatrices, la joie noire réside dans les plaisirs simples de la vie : la famille, la communauté, la guérison. Tout commence avec un projet photo et un pique-nique au parc La Fontaine, à Montréal. L’idée est simple : rassembler des femmes noires pour un moment de célébration, sans autre prétexte que celui d’être ensemble.

Crédit : Manoucheka Lachérie

« Voir une dizaine de femmes noires, toutes en jaune et orange, rire et partager un moment, c’était inhabituel. On a ressenti cette joie, mais aussi l’effet que cela avait sur les autres », se souvient Claire-Anse. Ce moment en apparence anodin devient un symbole puissant : celui de la capacité à exister en dehors des récits de douleur.

« Malheureusement, souvent, quand on se réunit, c’est pour revendiquer quelque chose. Se retrouver sans avoir à parler de notre identité, mais simplement pour la célébrer, ça nous a fait du bien », souligne-t-elle.

La joie noire est donc, pour elle, un acte intentionnel. « Cette intentionnalité de se retrouver, de faire communauté. Je pense que c’est comme ça qu’elle se manifeste, cette joie noire », poursuit-elle.

C’est aussi ce que pense Joyce, étudiante au Collège de Maisonneuve, même si elle ne connaissait pas le mouvement de la joie noire en tant que tel. « Je suis beaucoup dans la réconciliation, dit-elle. Le passé était affreux, mais vivre dans le passé, c’est comme se renfermer. » Pour elle, bien qu’il y ait du racisme systémique au Canada, la joie noire a tout de même sa place pour exister.

Beryl, étudiante en ingénierie, partage ce point de vue, mais elle aussi ne connaissait pas le mouvement de la joie noire. Après avoir appris ce que c’était, elle affirme privilégier la joie noire au quotidien, tout en soulignant le manque de représentativité des communautés noires dans son domaine d’études.

Changer de paradigme : la célébration avant tout

Black Joy MTL a fait le choix de ne pas centrer ses activités sur les enjeux de racisme et de discrimination. L’objectif premier est de créer des espaces où les membres des communautés noires, peu importe leur âge, peuvent se retrouver et célébrer leurs cultures dans le cadre de diverses activités.

Une femme et une fillette lors de Porte tes couleurs avec fierté, un événement organisé par le collectif Black Joy MTL. Crédit : Kiskeya

« Un jour, un jeune est venu me voir et m’a dit : "Pourquoi y a-t-il autant d’enfants noirs ici ? Je trouve ça bien, ça ne m’arrive pas souvent” », raconte Claire-Anse. Cet épisode, loin d’être isolé, souligne l’importance d’espaces consacrés à la joie noire, qui nourrissent le sentiment d’appartenance.

Claire-Anse met par ailleurs en avant la complexité d’être une personne noire dans des espaces où on doit souvent se surveiller. « Je dois surveiller la façon dont je parle, la fougue, le ton avec lequel je peux parler. Donc, pour moi, se retrouver dans cet espace, pouvoir faire communauté, ça me permet de préserver mes forces aussi et de pouvoir avoir des espaces sécuritaires où je peux simplement être moi, sans condition. Et c’est rare, parce que partout, je dois être dans la performance, malheureusement. »

Avoir un effet durable

Pour la suite, Claire-Anse espère que Black Joy MTL continuera à créer ces espaces de réflexion et de célébration, tout en ayant un effet durable pour les communautés noires. « Nos identités sont en mutation. Avoir ces lieux pour en discuter, c’est essentiel. J’ai foi en l’avenir. J’espère qu’on pourra encore investir plus d’espaces et rejoindre plus de monde. »

Le collectif est actuellement à un moment charnière. « On se pose la question : est-ce qu’on devient un organisme ? Quels sont les prochains projets qu’on va porter ? » explique Diane. Avec Claire-Anse, elles souhaitent structurer davantage leur approche, en réfléchissant aux valeurs, à la mission et au mandat de Black Joy MTL.

Dans ce processus, elles constatent que la demande pour leurs événements demeure forte. « On nous contacte régulièrement pour savoir quand auront lieu nos prochaines activités. On sent qu’il y a un besoin », conclut Claire-Anse. Toutefois, les cofondatrices veulent s’assurer de bien faire les choses, en sécurisant des partenariats et des financements qui garantiront l’accessibilité de leurs initiatives. « Notre dernier projet a pu être gratuit grâce à un partenaire majeur qui nous a permis de couvrir des frais d’accessibilité, comme le transport des enfants », rapporte Diane.

Elles réfléchissent aussi à la mise en place d’un comité pour éviter de parler en leur seul nom. « On nous demande parfois d’avoir une parole qui représente l’ensemble de la communauté, mais nous, on veut vraiment créer un dialogue intergénérationnel et interculturel. Il y a des cultures au sein des cultures noires, et on veut être intentionnelles dans tout ce qu’on fait », conclut-elle.

Black Joy MTL rappelle qu’il existe mille façons d’honorer l’héritage des communautés noires. En choisissant la joie comme acte de résistance, le collectif redéfinit les espaces de mémoire et d’identité, affirmant ainsi que célébrer est aussi un moyen de transmettre. Par leurs événements, Claire-Anse et Diane ouvrent un chemin où être Noir se vit pleinement, sans justification ni combat. Une manière d’ancrer, bien au-delà du Mois de l’histoire des Noirs, la joie noire dans le paysage collectif.

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