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25/4/2025

Élections fédérales 2025 : Paroles queers à l’approche du scrutin

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Local Journalism Initiative
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Note de transparence

Villeray. Au Café Velours, plusieurs clients prennent un café ou un thé et étudient, lisent un livre ou discutent à voix basse. L’endroit est paisible et assez rempli. Le contexte est propice à la discussion. Nous les abordons avec une question : comment on se sent en temps que personne queer en cette période électorale ?

Un désintérêt global est manifeste chez toutes les personnes interrogées. Tous et toutes semblent avoir accepté le fait que leurs voix ne sont et ne seront probablement pas entendues dans cette campagne. Tous et toutes évoquent un détachement face aux partis en lice. Sans surprise, ils ne s’identifient pas ou très peu aux discours des politiciens. Malgré tout, la plupart iront voter le 28 avril. 

ALLISON : « Les enjeux qui touchent la communauté queer sont les mêmes que ceux qui touchent la classe moyenne »

Allison est co-propriétaire du Café Velours. À notre arrivée, elle est en train de discuter avec une habituée sur la terrasse extérieure. Manteau à capuche rouge sur le dos et casquette sur la tête, elle répond à nos questions de manière énergique.

C’est la première à dénoncer le manque de représentation au sein de la politique fédérale, sujet qui reviendra à chaque nouvelle entrevue. « Je trouve qu’il manque de politiciens, qu’ils soient queers ou non, qui traitent de sujets comme l’accès au logement, l’accès aux soins de santé ou encore l’accès aux services généraux pour la communauté LGBTQ+ », indique-t-elle.

Dans son ton, on sent une implication citoyenne forte. Elle évoque le génocide palestinien comme étant sa principale source de préoccupation politique. C’est ce qu’elle a regardé en premier sur les différentes plateformes électorales. Ensuite, c’est tout ce qui est lié à la vie quotidienne qui passe sous sa loupe.

« Les enjeux qui touchent la communauté queer sont les mêmes que ceux qui touchent la classe moyenne, la classe ouvrière. On parle de logement, de santé, de sécurité, d’emploi, explique-t-elle. Les restrictions de liberté qui affectent les personnes queers sont souvent les mêmes que celles qui affectent les femmes, les personnes en situation de handicap et bien d’autres. »

Quand on lui parle du sentiment de sécurité globale au Canada, elle répond qu’elle se sait en situation de privilège. La situation politique chez nos voisins du sud l’inquiète grandement. « Je vois à quel point on se bat corps et âme pour les droits des femmes, des personnes immigrées, des personnes queers, et qu’on pourrait tout perdre du jour au lendemain, indique Allison. On voit le fascisme américain grandir et prendre de l’ampleur. On ne veut pas ça pour nous. »

FRANKIEB : « J’ai l’impression que la majorité des actions qui sont posées sont de l’ordre de la performance »

FrankieB s’installe sur un divan au Café Velours, où nous lui avons donné rendez-vous. FrankieB est vêtu de noir, a des lunettes au cadre imposant, ses ongles sont vernis et plusieurs piercings sont visibles sur son visage. FrankieB l’assure : dans la rue, on se retourne sur son passage. 

Se sentant privilégié de pouvoir exercer son droit de vote, mais n’ayant pas l’impression que son vote changera grand-chose, FrankieB hésite à voter. Militant et impliqué dans la communauté queer, iel pense que ses actions bénévoles ont plus d’impact que le fait de se rendre aux urnes le 28 avril. « Je trouve qu’en général, la politique n’est pas accessible. Cet univers manque de vulgarisation. Je trouve ça compliqué de suivre la campagne et de déterminer comment les décisions des partis vont affecter mon avenir. »

Encore une fois, FrankieB ne se sent pas concerné par cette campagne : « Je trouve que nos voix ne sont pas tellement écoutées et, quand elles le sont, c’est de façon tokenized*. J’ai l’impression que la majorité des actions qui sont posées sont de l’ordre de la performance. » 

Iel évoque ensuite l’absence de candidat ouvertement et visiblement trans, ce qui l’empêche de se reconnaître dans l’univers de la politique fédérale. 

Estimant que vivre à Montréal est un privilège, FrankieB pense souvent à la montée du fascisme et de l’extrême droite aux États-Unis et aux droits des Américains qui régressent un peu plus chaque jour : « Maintenant, au Canada, nous pouvons changer nos marqueurs de genre et nos noms légalement. Mais à quoi ça sert d’être plus visible si on n’a pas la protection qui va avec ? »

Pour FrankieB, le changement doit se construire autrement : « Je suis d’avis qu’on n’a pas nécessairement besoin d’un parti politique pour nous représenter. Il y a tellement d’organismes qui font un travail extraordinaire sur le terrain, au sein de la population. Il faudrait donner plus de moyens et de ressources à ceux qui connaissent le mieux les besoins des personnes queers. »

FLO : « Je sens une montée du fascisme et ça me fait peur »

Flo est non binaire. Barista au Café Velours, Flo se joint à nous sur la terrasse extérieure. Lorsqu’on lui demande son opinion sur cette période électorale, un léger soupir s’échappe d’abord de sa bouche : « Je pense qu’on a tous peur, surtout avec tout ce qui se passe au sud. Je sens chez moi un léger désengagement par rapport à tout ce qu’il se passe. Je sens une montée du fascisme et ça me fait peur. »

Pour le barista, les partis en lice ne font pas l’effort d’écouter les voix de la communauté LGBTQ+, le contexte de guerre commerciale prend toute la place. Sensible aux intentions du député de sa circonscription – Alexandre Boulerice du Nouveau Parti démocratique –, Flo ira voter. Le NPD est le parti le plus proche de ses convictions, compte tenu de sa position sur le génocide palestinien.

Pour Flo aussi, le changement doit se faire au niveau municipal. C’est l’endroit où les actions concrètes se produisent, où l’on peut se sentir à l’aise de s’impliquer. « J’ai peu d’attente à l’égard des changements qui peuvent survenir au niveau fédéral. »

JUNO : « Comme on tombe dans un contexte d’austérité économique, c’est souvent les communautés marginalisées qui se retrouvent encore plus marginalisées »

Nous croisons Juno sur la rue Sainte-Catherine, dans le Village. Avec sa moustache et son grand sourire, il commente avec intérêt la situation politique actuelle. Il se sent bien en cette période électorale. Il apprécie la division qui se crée entre les différents partis en lice. Pour lui, c’est peut-être signe que le parti au pouvoir sera minoritaire. 

« Pour moi, ce serait l’occasion d’avoir plus de “démocratie”. Je pense que c’est une bonne chose qu’il y ait plusieurs points qui se fassent entendre en ce moment, et aussi fort les uns que les autres », explique-t-il. 

Il réfléchit encore au parti pour lequel il va voter. Son premier choix est le Parti vert, mais il hésite encore et se demande s’il ne donnera pas son vote au NPD ou au Bloc québécois. Il émet tout de même quelques réserves.

« Peu importe qui sera élu, je pense que les minorités seront un peu plus en danger qu’elles l’auront été par le passé. Comme on tombe dans un contexte d’austérité économique, c’est souvent les communautés marginalisées qui se retrouvent encore plus marginalisées. J’ai peur que ce soit un cycle qui se reproduise », confie-t-il.

Lui aussi se dit plus préoccupé par les enjeux qui touchent sa vie quotidienne : « En ce moment, ce qui me touche le plus, c’est l’accès au logement, la pénurie de main-d’œuvre, la hausse fulgurante des prix des produits d’épicerie. Tout ce qui touche principalement la classe moyenne. »

MARIAM : « Je ne suis pas seulement queer, je suis racisée. Je vis une réalité où je peux facilement être prise pour cible »

Mariam est l’autre co-propriétaire du Café Velours. Canadienne d’origine tunisienne, elle est établie au Canada depuis une vingtaine d’années. 

« Quand je suis arrivée ici, j’avais une idée de ce qu’étaient les valeurs du Canada en tant que pays. Vingt ans plus tard, je me rends compte que c’est seulement du “bien-paraître”, le fond de ces valeurs n’est pas une réalité du quotidien », dit-elle avec une moue de dégoût. 

Comme nombre de personnes à qui nous avons parlé, elle ressent un désintérêt et un désengagement total face au contexte politique actuel. Mariam ne sait pas encore pour qui elle va voter. Elle compte consulter les sondages à la dernière minute et prendre sa décision à ce moment-là. « Je suis mitigée. Il n’y a aucune représentation claire. J’ai l’impression que toutes les plateformes que j’ai consultées sont désuètes, qu’elles sont mises en place pour bien paraître, le fond ne m’interpelle pas », déclare-t-elle en soulignant la possibilité d’un vote stratégique.

Les enjeux qui concernent la co-gestionnaire du café sont multiples : « Je ne suis pas seulement queer, je suis queer racisée. Je vis une réalité où je peux facilement être prise pour cible. Mais je n’ai aucune réponse à mes questions. » 

Elle lève les yeux au ciel : « Je ne me suis jamais sentie aussi peu en sécurité. J’ai l’impression que le système politique y contribue. Il n’y a aucun renforcement des liens communautaires, des liens citoyens pour qu’on s’épaule et qu’on se sente en sécurité. Je sens davantage une séparation, une fragmentation. » 

À quelques jours des élections, les électeurs et électrices que nous avons consultés ont conscience de l’importance de se rendre aux urnes. Cependant, ils et elles iront sans grande conviction. La déconnexion entre leur réalité et l’univers politique fédéral ainsi que le manque de représentation en sont les principales raisons. Tous et toutes soutiennent que le changement doit venir d’un milieu plus proche du leur, le milieu communautaire, où ils et elles s’impliquent déjà. 

*FrankieB fait référence au tokenisme, une pratique qui consiste à inclure de manière symbolique, plutôt que sincère ou réelle, des membres de communautés marginalisées dans des discours, des espaces de travail ou des organisations.

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