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Kemba Mitchell au cours d’une formation contre le racisme anti-noir dans une école primaire de Montréal. Courtoisie de Kemba Mitchell.
23/8/2024

Racisme anti-noir dans les écoles montréalaises : « Parfois il est banalisé, parfois il est flagrant »

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Kemba Mitchell, consultante en racisme anti-noir, propose depuis 2020 des ateliers destinés aux professeurs et aux élèves. La Converse a rencontré cette consultante en stratégie antiraciste, mais aussi un enseignant, une élève et un parent d’élève pour mieux comprendre la nécessité de cette démarche.

À l’approche de la rentrée, certains savourent leurs derniers jours de vacances, alors que d’autres s’empressent de préparer leurs fournitures scolaires. Mais pour certains élèves, des élèves noirs, c’est l’angoisse qui monte. L’école reste en effet un lieu où ils subissent des discriminations. 

Ces discriminations, Sarah*, une adolescente noire de 17 ans aux cheveux bouclés, les a toutes vécues. Ancienne élève du programme d’éducation intermédiaire et minoritaire, elle rapporte ce qui suit : « Je ne dirais pas que mes professeurs étaient ouvertement ou consciemment racistes, mais étant seulement 4 élèves noirs sur 60 dans mon programme, nous ressentions une différence de traitement attribuable à certains préjugés », explique-t-elle. Notamment le préjugé selon lequel les personnes noires sont bruyantes et dérangeantes. Dès qu’il y avait du bruit dans la classe, nous étions toujours les premiers à être montrés du doigt par les professeurs, comme si nous étions le problème. 

Les enseignants avaient tendance, ajoute-t-elle, à élever la voix plus facilement avec les élèves noirs qu’avec le reste de leurs camarades de classe, qu’ils aient été blancs ou racisés. 

L’adolescente a attendu plusieurs années avant d’oser aborder ce sujet avec les professeurs concernés. Et le retour n’a pas été celui qu’elle escomptait. « On ne considérait pas mes sentiments lorsque j’expliquais à mes professeurs que je percevais une distinction dans la manière dont ils agissaient avec moi et avec mes camarades. » Elle poursuit : « Lors des chicanes avec d’autres élèves, les élèves blanches s’en sortaient facilement, tandis que moi, je faisais face à des sanctions beaucoup plus sévères ; on n’hésitait pas à m’exclure rapidement. »

Mépris des enseignants face aux violences racistes entre élèves

Shana*, maman de Leslie*, une fillette de 11 ans, nous rencontre à la Place Ville Marie en pleine période estivale. Le soleil brille, les fleurs colorent la ville, mais le visage de Shana, lui, est marqué par la tristesse, alors qu’elle nous fait part du témoignage de sa fille. 

« On l’a poussée et violentée parce qu’elle a la peau noire », commence-t-elle, touchant nerveusement son poignet pour contenir ses émotions. Leslie vient de terminer sa dernière année de primaire dans une école où elle représentait la minorité. Malgré un nouveau départ en perspective au secondaire, le souvenir de cette année scolaire est lourd à porter pour cette pré-adolescente.

Shana poursuit, les larmes aux yeux : « Les élèves lui disaient des trucs comme : “T’es un singe, retourne chez toi.” Ils la poussaient devant tout le monde, c’était de l’humiliation, encore et encore. » La maman a tenté d’intervenir en communiquant avec l’école pour que la situation soit examinée et que les enfants responsables soient identifiés. 

« Au début, le directeur m’a dit que l’école allait s’en occuper, qu’il était désolé », explique-t-elle. Mais les intimidations n’ont pas cessé. « D’autres élèves se sont mis à dire des choses horribles, comme “Va te faire tuer, t’es moche.” Les insultes s’aggravaient de jour en jour, et l’école ne faisait rien. J’appelais, je posais des questions, mais il n’y avait jamais de suivi. C’était un silence total. »

Désespérée, la mère de Leslie finit par porter plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse en février 2024. « C’était trop. Ça devenait dangereux pour ma fille. Elle avait même commencé à s’arracher la peau », confie-t-elle avec émotion. 

À ce jour, elle attend toujours la décision de la Commission. Pourtant, Shana estime que les répercussions de ce harcèlement vont au-delà des murs de l’école. La maman se souvient du jour où sa fille et elle étaient invitées à une activité culinaire chez des amis. Leslie, en voyant des enfants blancs, a refusé de retirer son manteau, malgré la chaleur. « Elle avait tellement peur qu’ils se moquent de sa peau, qu’ils la traitent de sale », raconte Shana, la voix brisée. 

« Elle nous a demandé : “Pourquoi les Noirs subissent toutes ces atrocités ?” » raconte Shana en reprenant son souffle. « Ce que je ne comprends pas, c’est qu’on a grandi en Irlande, entourées de diversité. Mais ici, à Montréal, ce racisme ordinaire et les violences l’ont marquée au point qu’elle s’isole maintenant et se méfie des autres enfants », confie-t-elle, le regard tourné vers le sol.

Combattre le racisme anti-noir sans parler d’antiracisme ? 

C’est pour éviter que des enfants comme Leslie et Sarah ne subissent le même sort que Kemba Mitchell s’est lancée, en 2020, dans la consultation de stratégie antiraciste dans les écoles. 

« Le racisme anti-noir affecte de plusieurs façons nos enfants à l’école : par la manière dont les enseignants leur parlent en raison de leurs préjugés implicites, par des suspensions et des expulsions disproportionnées, et par l’absence de modèles dans les écoles », commence Kemba Mitchell. La circulation de fin de journée nous a empêchés de la rencontrer en personne. C’est donc sur un écran que nous découvrons son visage : un sourire éclatant, souligné par une assurance qui se ressent. 

Depuis 2008, l’approche Équité, diversité et inclusion (EDI) a suscité quelques réformes dont le milieu éducatif, notamment en remplaçant les cours de catéchisme et de protestantisme par le cours « Éthique et culture religieuse » ; l’objectif est d’éradiquer toute forme de discrimination dans les écoles grâce à ce cours. Mais selon Kemba Mitchell, le changement demeure superficiel, car il ne permet pas d’aborder pleinement la nature du racisme. 

« Je n’interviens pas dans les écoles pour réaliser des ateliers sur l’EDI. Je m’attaque au problème de front et me concentre plus particulièrement sur le racisme anti-noir », reprend la consultante. 

Sa mission ? Montrer aux enseignants, puis aux élèves comment les biais inconscients envers les communautés noires se perpétuent dans le milieu scolaire. Pour cela, la consultante en stratégie antiraciste utilise des études de cas inspirées de faits réels ou d’histoires fictives pour aider les professeurs et les élèves à prendre conscience de leurs privilèges. 

« Dans mon travail, j’aborde la question de la race en expliquant son histoire, sa construction en Amérique du Nord. Lorsque j’explique que la race a été créée pour diviser, justifier l’esclavage des Africains et légitimer la colonisation et les meurtres des peuples autochtones, j’explique également comment aujourd’hui nous, nous sommes tous des victimes du racisme. Certains d’entre nous sont du côté du privilège injustifié, et certains ne le sont pas », résume-t-elle. Mon objectif n’est pas de montrer du doigt les professeurs en leur disant : « Oui, toi tu es raciste ! », mais plutôt de montrer les biais inconscients que peuvent avoir certains professeurs. » 

« J’ai lancé cette initiative pour répondre aux besoins que j’avais observés »

Après 17 ans de soutien à la clientèle et de gestion de projet, Kemba Mitchell voit depuis quatre ans sa carrière prendre un nouveau tournant. C’est en 2020, lorsqu’elle postule pour le poste d’agente de développement communautaire à l’école secondaire où étudie Sarah que Kemba prend conscience de l’urgence d’éduquer jeunes et moins jeunes au racisme anti-noir. 

« Dans cette école secondaire, il n’y avait aucune figure d’autorité noire, excepté moi, reprend Kemba. Donc, le simple fait que je sois présente a permis aux quelques élèves noirs qui y étaient d’éprouver un sentiment de sécurité et d’avoir finalement une représentation. Ils se sentaient à l’aise avec moi et s’ouvraient plus facilement sur leurs expériences à l’école. Je relayais ensuite ce qu’ils me partageaient au directeur pour lui faire comprendre qu’il y avait des mesures à prendre. »

Durant ces premières années en tant qu’agente de développement communautaire, Kemba rejoint également le groupe de travail sur l’équité, la diversité et l’inclusion de l’établissement.« Nous avons travaillé pendant environ un an pour formuler des recommandations à la commission scolaire qui les a approuvées. Mais jusqu’à maintenant elles ne sont pas encore mises en œuvre dans les écoles », laisse-t-elle tomber, visiblement agacée. La raison de ce retard? Elle l’ignore. 

Face à ce qu’elle considère comme un manque de réactivité, elle prend les choses en main, et se lance à son compte dans des consultations en stratégie contre le racisme anti-noir en parallèle de son poste d’agente communautaire. « J’ai lancé cette initiative en réponse aux besoins que j’avais observés », martèle-t-elle, déterminée. 

Aujourd’hui, Kemba est invitée de manière régulière dans les écoles du grand Montréal pour ces interventions « On m’appelle souvent après des incidents verbalement violents dans les écoles. Jusqu’à présent, le bouche-à-oreille a été très efficace », nous confie-t-elle fièrement. 

L’approche antiraciste : un moyen d’éduquer élèves et professeurs

Daniel*, qui est d’origine latino-québécoise, est professeur d’Histoire-géographe et d’Éthique et culture religieuse à Côte Saint-Luc. À son école secondaire, les professeurs racisés sont nombreux et diversifiés. Pourtant, il observe des disparités dans le traitement des élèves noirs.

« Ce que je constate, c’est que, si tu es Noir, tu auras plus de problèmes à l’école pour diverses raisons, car nous évoluons dans un système majoritairement blanc. Un élève québécois blanc doit vraiment en faire beaucoup, contrairement à un élève noir, pour être suspendu ou exclu, par exemple. Il y a beaucoup de biais inconscients, et bien que je sois moi-même mixte, j’ai aussi eu certains préjugés », admet-il. 

Malgré huit ans d’expérience en tant que professeur dans plusieurs écoles, Daniel avoue n’avoir jamais suivi de formation sur l’approche EDI. « C’est un peu la jungle ; chaque professeur est livré à lui-même à propos de l’EDI. Chacun en parle comme il veut… ou pas », laisse-t-il tomber. Puis, il reprend : « Il n’y a pas de suivi, personne ne vérifie si les concepts discutés en début d’année ont été mis en application ou non. » 

« Honnêtement, je ne sais pas si la priorité présentement dans l’éducation, c’est de faire des formations là-dessus. On est plus sur les notes d’entrée, les absences, les plans d’intervention, mais côté Équité, diversité, inclusion, ça attend toujours... » 

Alors, pour aborder la question du racisme, Daniel se base sur ses connaissances personnelles ainsi que sur ses expériences. « Je suis mixte, donc c’est plus facile d’enseigner quand tu connais un peu la diversité, mais ce n’est pas le cas de tous », reconnaît le professeur. 

Selon lui, une formation sur l’antiracisme serait la bienvenue dans les écoles : « Beaucoup d’enseignants ont de la misère à parler des choses qui sont taboues, par peur de se faire juger ou de ne pas se faire comprendre, ou d’être mal interprétés. Les élèves, qu’ils subissent le racisme ou qu’ils le commettent, savent que le racisme est omniprésent. Ils ne savent simplement pas comment l’expliquer, le voir ou le comprendre. Parfois, le racisme est banalisé, parfois il est flagrant. Des clarifications les aideraient. » 

Bien que la diversité soit désormais bien enracinée dans le paysage scolaire de certains quartiers de Montréal, Daniel estime que l’école n’est toujours pas un lieu d’inclusion. Pour lui, la question du racisme dans le système éducatif ne se résume pas à l’attitude de certains enseignants, mais s’étend également aux programmes scolaires.

« C’est clairement l’histoire blanche qu’on enseigne » 

Dès septembre, le cours d’Éthique et de culture religieuse sera remplacé par un nouveau programme intitulé Culture et citoyenneté québécoise, un titre qui fait doucement rire le professeur. « Ce cours va retirer la religion du programme. Mais dans un contexte où il y a beaucoup d’immigrants, cela va tout simplement à l’encontre de l’inclusion. Ici, le but est uniquement de renforcer l’identité québécoise », laisse-t-il tomber. Mais de manière générale, je pourrais dire que le programme d’histoire ou encore de géographie est raciste, car c’est clairement l’histoire blanche qu’on enseigne. »

Kemba Mitchell est du même avis. « Les enseignants ne propagent pas la haine, mais les cours qui mettent l’accent sur l’Europe envoient le message aux personnes qui ne correspondent pas au profil européen qu’elles ne sont pas importantes ou incluses – et cela à des répercussions sur leur estime de soi. Ce qui explique aussi pourquoi les élèves noirs échouent plus souvent que les autres », lâche-t-elle dans un soupir. Puis, elle poursuit : « Et s’ils ont certaines aspirations, les préjugés implicites des éducateurs font qu’ils peuvent être orientés dans une autre direction. »

Des ateliers par les Noirs, pour les Noirs, pour l’équité de tous 

Cette observation a notamment poussé la consultante en antiracisme noir à offrir des webinaires aux élèves noirs, qu’elle estime moins informés que le reste des élèves. « Ce n’est pas qu’on ne leur communique pas certaines informations, mais ils sont moins informés sur les perspectives d’avenir parce que, souvent, de manière inconsciente, ils ne se sentent pas concernés. Soit parce qu’ils n’ont pas eu de modèles, soit parce qu’on les a réduits à autre chose. »

Parmi les consultations que propose Kemba, certains webinaires sont offerts gratuitement à la communauté noire pour « combler certains manques dans le système éducatif », explique-t-elle. Elle organise notamment des webinaires sur les bourses scolaires. 

« Je sais qu’il y a des conseillers d’orientation, mais ils se contentent un peu de dire : “Voici nos bourses, postulez.” Mais en raison de ce qui se passe dans les écoles, souvent, les élèves noirs ne se sentent pas concernés. Ils ne prennent même pas rendez-vous avec les conseillers d’orientation. Que ce soit parce qu’ils pensent qu’ils ne peuvent pas obtenir ces bourses ou parce qu’ils trouvent que c’est trop de travail, ces élèves ont chacun leurs raisons de ne pas même essayer. Mais ne pas essayer, c’est inacceptable », laisse-t-elle tomber de manière tranchante. 

Elle rappelle que les bourses ne sont pas seulement un soutien financier, mais aussi un tremplin vers des possibilités plus vastes : « Certaines offrent des possibilités qui permettent de voyager à l’étranger ou dans une autre province. Elles peuvent offrir des occasions de réseauter avec différentes entreprises ou communautés. Donc, ce n’est pas seulement une question d’argent, c’est aussi l’occasion d’écrire des lettres de motivation vraiment créatives et uniques. »

La consultante se concentre également sur d’autres aspects pratiques, comme la rédaction d’un bon CV et la construction de relations avec les enseignants. « Une démarche essentielle pour obtenir des références », souligne-t-elle. 

Dans ses consultations en stratégie antiraciste et ses webinaires, Kemba Mitchell s’efforce de combler le manque de ressources et de soutien auquel sont confrontés les élèves noirs à Montréal. Une initiative qui gagne peu à peu en popularité. « Cet automne, plusieurs écoles souhaitent que je revienne, et de nouvelles me demandent déjà de leur rendre visite », nous confie-t-elle fièrement avant de nous quitter.

* Les interviews de Kemba Mitchell et Sarah ont été traduites de l’anglais. 

** Pour des raisons de sécurité et afin de protéger leur anonymat, les noms de Sarah, Shana, Leslie et Daniel ont été modifiés.

L’actualité à travers le dialogue.
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