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Hausse des fugues dans les centres jeunesse : des employées dénoncent un « système brisé »
Illustration : Sonia Ekiyor-Katimi
5/3/2025

Hausse des fugues dans les centres jeunesse : des employées dénoncent un « système brisé »

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
ILLUSTRATEUR:
Sonia Ekiyor-Katimi
COURRIEL
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Note de transparence

Fatiguées d’être montrées du doigt, usées par un système qu’elles jugent défaillant, frustrées de ne pas avoir les moyens de mener à bien leur mission de protection de la jeunesse, une intervenante sociale, une enseignante en centre jeunesse, et une employée de la DPJ prennent la parole. Après le témoignage de Shayna et la montée du mot-clic #SurvivantedeCentreJeunesse, elles dénoncent à leur tour les dérives de ces établissements que reconnaît également la directrice de la Protection de la jeunesse, Lesley Hill.

Depuis près d’un an, les fugues s’enchaînent au Centre jeunesse de Laval. Selon le CISSS concerné, 298 jeunes ont fugué au cours des 10 derniers mois. C’est le nombre le plus élevé depuis 2020. « On observe une augmentation encore plus importante des fugues chez les filles ces dernières années », note Lesley Hill, directrice nationale de la Protection de la jeunesse.

Ni les rapports ni la Commission Laurent ne semblent avoir suffi à endiguer ce phénomène. Si les raisons de ces fugues sont multifactorielles, les conditions de vie dans les centres jeunesse poussent certains à s’enfuir, comme nous l’ont confié, dans la première partie de cette enquête, plusieurs jeunes femmes passées par le Centre jeunesse de Laval. 

Elles ne sont pas seules à prendre la parole. Malgré l’interdiction de communiquer avec les médias, des professionnelles de la protection de la jeunesse livrent leurs témoignages. Comme les jeunes, elles en appellent à une prise de conscience et à des changements rapides. 

Interrogée par La Converse, Leysley Hill, nommée l’automne dernier, ne nie pas les problèmes qui existent au sein de l’institution. Convaincu que cette situation qui perdure depuis des décennies est « inacceptable », elle promet de faire changer les choses.

Centre jeunesse : « C’est vraiment le dernier recours »

La Converse s’est entretenue avec une employée de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) que l’on nommera Florence* pour préserver son anonymat. Comme beaucoup d’internautes, elle découvre Shayna par l’intermédiaire de la vidéo que la jeune fille publie le 7 février sur TikTok. « Ça m’a fait beaucoup de peine, mais j’étais vraiment contente que ça soit exposé là. » 

Elle salue le courage de l’adolescente, qui a pris la parole devant la caméra pour dénoncer ce qu’elle vit au Centre jeunesse de Laval. « Elle a le droit de s’exprimer ! Je pense que les jeunes doivent parler de ce qu’ils vivent à l’intérieur du système et qu’un travailleur social qui fait bien son travail ne devrait pas s’en inquiéter », renchérit-elle.

Le « système », Florence le connaît de l’intérieur puisqu’elle fait partie de ceux qui doivent gérer les signalements faits à la DPJ et décider du sort de ces jeunes. Elle s’efforce d’ailleurs toujours d’éviter de placer des jeunes en centre jeunesse. Selon elle, certains enfants placés dans ces établissements n’y ont pas leur place. 

Ces centres regroupent en effet des adolescents qui ont commis des délits ; des enfants victimes de négligence parentale, de violences physiques ou d’abus sexuels ; ou encore des enfants qui n’ont plus de parents pour prendre soin d’eux. « Si t’es placé en centre à 15 ans parce que tu subis des abus de ton père et que ta mère ne te croit pas, tu as besoin qu’on prenne soin de toi ! Imaginez la colère que ça crée, de se sentir seul à ce moment-là, de voir des intervenants qui n’aident pas… Tu ne peux pas avoir l’impression que tu es là pour qu’on prenne soin de toi si ta chambre ressemble à une cellule de prison ! » déplore Florence. D’après l’employée de la DPJ, la culture coercitive des centres jeunesse envoie le mauvais message aux jeunes qui y sont placés. « Ces jeunes-là, ils intègrent beaucoup l’idée qu’on veut les punir en les mettant là et, honnêtement, je ne vais pas argumenter que ça a l’air d’une grosse punition aussi ! » confie Florence, exaspérée.

C’est ce qu’a vécu Laurie*, qui est aujourd’hui âgée de 27 ans. Adolescente, Laurie est placée dans un centre jeunesse pour une fugue faite à la suite du décès de sa mère. Dans son unité, elle découvre des règles quasi carcérales. Elle n’a pas le droit de parler avec les autres jeunes sans la présence d’un intervenant social. « Je venais de perdre ma mère et je n’ai eu aucun soutien pour ça, aucun suivi, aucun soin. » Elle affirme avoir été témoin d’actes de maltraitance de la part d’employés du centre. « On entend souvent des cris là-bas… Je me souviens d’une fille qui ne voulait pas être conduite en salle d’isolement. Puis, il y a eu des cris de douleur très forts, et quand je l’ai vue revenir plusieurs heures plus tard, elle avait des bleus sur les bras », assure Laurie. Malgré ses demandes répétées de placement dans un autre établissement, Laurie reste quatre longues années en centre jeunesse. Elle en sort à sa majorité. « J’ai passé quatre années là, et on n’a rien fait pour moi », regrette-t-elle.

Des jeunes filles négligées

Florence, elle, ne mâche pas ses mots en parlant du peu d’attention accordée, au Québec, aux résidentes des centres jeunesse : « Est-ce qu’on s’en fout des jeunes ? On s’en fout vraiment ! Les gens s’en foutent ! » s’exclame-t-elle. 

« L’exploitation sexuelle, c’est invisible, alors qu’un gars qui tire sur un autre gars dans la rue, on va le voir et on va en entendre parler ! Un cadavre, c’est concret, mais l’exploitation sexuelle se fait dans le silence… poursuit-elle. Il faut comprendre que ce sont des adolescentes en détresse et qu’il y a un gars parfait qui arrive et leur offre tout ce qu’elles veulent… Certaines embarquent. Des fois, on les retrouve ; des fois, c’est le cercle vicieux : elles fuguent de nouveau et ainsi de suite… D’autres fuient à l’autre bout du Canada, où on ne les retrouve jamais, et finissent par avoir 18 ans, font leur vie dans la drogue ou deviennent travailleuses du sexe. » 

Sans modèle, sans schéma affectif sain dans leur entourage, ces jeunes filles n’ont pas les repères nécessaires pour se construire. « La plupart voudraient devenir architectes ou avocates, mais tout autour d’elles est déjà trop détruit pour qu’elles puissent développer assez de confiance et d’estime d’elles-mêmes, témoigne la travailleuse. Le système contribue à ça, avec le fait que les intervenants changent tout le temps et que tes parents ne sont pas capables de prendre soin de toi. Donc, tu es pris là avec des jeunes qui sont toujours en crise parce que tu n’es pas capable de t’apaiser, tu tombes dans une espèce de cercle vicieux, tu deviens fou… »

Ces jeunes filles ont besoin d’un encadrement particulier, mais celui-ci ne leur serait pas toujours offert. « Un travailleur social débutant, c’est juste un laissez-passer pour qu’elles fuguent, ou pour réagir plus fort parce qu’elles se sentent incomprises », explique la professionnelle de la DPJ. « Il y a quelque chose d’extrêmement frustrant de parler de ta situation avec quelqu’un qui te regarde avec des yeux de poisson. Ces jeunes-là ont besoin d’intervenants très expérimentés. »

Florence l’affirme, le problème des centres jeunesse est systémique et commence dès le recrutement du personnel. En premier lieu parce que les critères de sélection ne seraient pas suffisamment élevés. « Il faudrait faire passer des tests de compétences et des entrevues plus étoffées pour s’assurer qu’on ait des employés qui soient capables de prendre soin des jeunes. » 

Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre qualifiée, l’accompagnement psycho-social que Florence appelle de ses vœux n’est que rarement réalité. « Ce n’est pas un milieu où les travailleurs sociaux ont le temps de faire des interventions douces, même si les enfants en ont besoin », explique-t-elle. « C’est un système qui est brisé », lâche-t-elle. 

Elle nous raconte ses débuts difficiles à la DPJ, qui lui ont demandé de s’adapter rapidement au fonctionnement particulier de cette institution. « Quand j’ai commencé à travailler à la DPJ, j’avais souvent du mal avec les choses que j’entendais, les choses que mes collègues disaient. Ils n’avaient pas conscience de leurs biais et de ce qu’ils allaient infliger aux familles en raison de leur manque d’éducation », confie Florence. Et elle est catégorique : le système doit changer. « J’aimerais qu’on vienne shaker ça et que le gouvernement n’ait plus le choix d’agir pour faire passer des tests de compétences et des entrevues étoffées pour s’assurer qu’on ait des employés capables de prendre soin des jeunes. » 

Lorsqu’on lui demande à quoi pourraient ressembler de meilleurs centres jeunesse, Florence ferme les yeux et décrit un lieu de rassemblement convivial : « Ça devrait être une grosse maison, ça ne devrait pas ressembler à une prison. Ça devrait être comme un manoir, un milieu de vie. Même si les [meubles] sont fixés au sol, il y a une façon de rendre ça beau, de personnaliser l’endroit. » 

Bas salaires, manque de moyens, violence – des emplois en centre jeunesse peu attractifs

Une employée d’un centre jeunesse, que nous nommerons Hélène*, a accepté de nous parler de ses conditions de travail, malgré la crainte des répercussions sur sa carrière. À 14 ans, Hélène aussi a été placée en centre jeunesse. Elle se rappelle avoir été mise en isolement et confinée dans sa chambre pendant plusieurs jours d’affilée. Certaines conséquences étaient plus sévères. « J’ai passé quatre mois sans pouvoir quitter le bâtiment. C’était une prison, et les enfants n’ont pas d’affaires là », dit-elle. Selon elle, les choses ont changé depuis l’époque où elle était sous la tutelle de l’État. « Mais ç’a aussi apporté une forme de structure dans ma vie à un moment où j’en avais besoin. J’avais un mauvais entourage, j’aurais pu finir dans le trafic humain si je n’avais pas été placée en centre. »

C’est pour mieux aider les jeunes qui se retrouvent en centre qu’Hélène a décidé d’y retourner à titre d’employée. Mais elle estime que même les enseignantes et les travailleuses sociales les plus dévouées ne peuvent pas exercer correctement leur métier, tant la charge de travail est lourde.

« Quand on est une travailleuse sociale et qu’on a la responsabilité de 200 dossiers au lieu de 60, on ne peut jamais être réellement présente pour les enfants », explique la professionnelle. 

Dans un contexte où il faut sans cesse pallier au plus urgent, aucune intervention sociale douce ne serait possible. « On cesse de les voir comme des personnes, on se concentre sur la nécessité de les gérer le plus rapidement possible pour passer au suivant, admet-elle avec amertume. Ces jeunes ont besoin d’amour et d’attention. Mais, dans trop de cas, ils sont traités comme des numéros. »

La surcharge de travail, les salaires peu attractifs, l’exposition à la violence et l’impossibilité de mener à bien leur mission de protection de la jeunesse pousseraient de nombreux travailleurs de centre jeunesse à abandonner. D’autres tentent l’expérience avant de lancer la serviette, incapables de supporter ce quotidien. C’est le cas de Marie*, qui a travaillé comme enseignante dans des centres jeunesse pendant des années avant de quitter le secteur en 2015. 

Selon elle, les coupes budgétaires et le roulement élevé de personnel mettent en danger les jeunes et les adultes chargés de leur bien-être. En 2013, alors qu’elle travaillait dans un centre jeunesse de la région de Montréal, le nombre d’agents de sécurité de son unité a été réduit. Le lendemain, un des jeunes lui a donné un coup de poing au visage.

Les accidents de travail aggravent les absences d’un personnel déjà limité et créent un climat d’instabilité qui n’est pas propice pour les enfants, souligne l’ex-enseignante. « Sur une semaine de cinq jours, il arrivait qu’il y ait un enseignant remplaçant pendant trois jours, témoigne Marie. Les jeunes ne connaissent pas cette personne, ils ne lui font pas confiance ; on leur impose constamment cette incertitude à un moment où ils ont désespérément besoin de stabilité. »

Durant son passage dans les centres jeunesse, elle a constaté une baisse marquée de la qualité de la nourriture et une obsession pour les coupes budgétaires, laquelle est allée jusqu’à la réduction de la qualité du plastique utilisé pour les compte-gouttes servant à administrer les médicaments aux jeunes.

Marie est toujours en contact avec d’anciens collègues, qui lui disent que la situation n’a fait qu’empirer. « Notre filet social s’effondre, déplore-t-elle. Les jeunes sont poussés à leurs limites. On les retire de leur foyer, on les place dans un environnement mal organisé, limite chaotique, et il est évident pour eux que leur bien-être n’est pas une priorité. »

La nouvelle directrice nationale de la DPJ admet des problèmes systémiques

Entrée en poste l’automne dernier, la directrice nationale de la Direction de la protection de la jeunesse, Lesley Hill, est consciente d’avoir hérité d’un réseau empêtré dans les difficultés. Celle qui a fait carrière dans le social, a dirigé plusieurs centres de réadaptation et a siégé à la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, connaît bien la maison et ses fissures. 

Dès le départ, Lesley Hill reconnaît l’existence de « beaucoup de témoignages et de beaucoup d’enjeux » liés aux centres jeunesse ainsi qu’une augmentation du nombre de jeunes filles fugueuses au cours des dernières années. La directrice nationale de la DPJ assure qu’elle compte changer les choses en profondeur. « Ça ne devrait pas exister au Québec, des jeunes institutionnalisés… Aucun jeune ne devrait vivre son adolescence dans un centre de réadaptation. Juste le mot “réadaptation”, ça veut dire : c’est temporaire, tu t’en vas là, tu es réadapté entre guillemets, et tu pars », lance-t-elle.

La directrice rappelle que « les mesures de contrôle devraient être exceptionnelles, pas régulières », et qu’elles sont « balisées par la loi ». L’usage de ces mesures est en effet réglementé. L’article 118.1 de la Loi sur la protection de la jeunesse indique ce qui suit : « La force, l’isolement, tout moyen mécanique ou toute substance chimique ne peuvent être utilisés, comme mesure de contrôle d’une personne dans une installation maintenue par un établissement, que pour l’empêcher de s’infliger ou d’infliger à autrui des lésions. L’utilisation d’une telle mesure doit être minimale et exceptionnelle et doit tenir compte de l’état physique et mental de la personne. »

Pourtant plusieurs témoignages décrivent des mises à l’isolement durant de nombreuses heures – 12 heures dans le cas de notre témoin Shayna – pour des motifs qui relèvent davantage de la sanction que de la mise en sécurité. « Je suis absolument contre ce type de pratiques là. (...) Une heure, c’est le maximum souhaité, ou toléré, pour une ado. (...) C’est inacceptable pour moi. S’il y a des jeunes filles qui sont encore là, qui disent des choses comme ça, il faut qu’elles portent plainte, ou bien je vais demander à mon accompagnatrice qui est déjà là, à Laval, de les rencontrer là-bas », s’engage Lesley Hill. « Ce n’est pas conforme. Après une fugue, quand une jeune revient au centre, elle devrait être accueillie convenablement : voir si elle a froid, lui donner une soupe, quelque chose à manger, lui demander pourquoi elle a fugué, qu’est-ce qu’il lui est arrivé, etc. Donc, ce qui est clair, c’est que ce n’est pas une salle d’isolement que ça prend ! »

Selon la directrice de la DPJ, la stratégie de répression dans les centres jeunesse doit être remplacée par une stratégie de prévention et de réparation. « Je pense que les gens sont tellement en train d’essayer de gérer le risque qu’ils tombent des fois dans des méthodes qui sont vraiment trop contrôlantes. Ils sont pognés avec cette gestion de risque. Mais moi, je préfère qu’on gère moins le risque, quitte à avoir plus de fugues, et qu’on fasse plus de retours auprès des jeunes », explique celle qui pense que cette approche, tout en provoquant des craintes chez certains parents, permettrait un meilleur accompagnement à long terme.

Une institution paralysée

Depuis la vague de fugues de 2016, peu de choses semblent avoir changé, à en croire les multiples témoignages de jeunes et de professionnels. 

À propos du Centre jeunesse de Laval, Lesley Hill assure que les choses vont changer. Reste à savoir quand. « Je pense que le leadership de Laval sait qu’il faut que ça change. Ils sont en action et ils bougent pour vrai. Mais tu n’amènes pas un changement de culture en criant “ciseau”. Ce n’est pas rapide, un changement de culture », indique Mme Hill. 

« Je suis en intervention au centre de Laval avec l’accompagnatrice (en décembre, Manon St-Maurice a été mandatée en tant qu’accompagnatrice-experte externe; NDLR) pour revoir toute la façon dont Laval utilise ce qu’on appelle les mesures de contrôle : l’isolement, la contention (...) À Laval, ce milieu de vie carcérale, si j’avais une baguette magique, je jetterais tout ça sur la paille, puis je reconstruirais autre chose…. La direction a un plan de reconstruction et je trouve que leur vision est la bonne vision. » Le projet prévoit la construction de petites unités, mais n’est ni entériné ni financé. Il faudra donc de nombreuses années avant que le Centre jeunesse de Laval connaisse une seconde vie.

De façon plus globale, la directrice veut réaliser des modifications importantes. Dans les centres jeunesse, les jeunes sont placés dans des unités : les unités dites « ouvertes », là où ils ont le plus de liberté, les unités « fermées », avec un encadrement plus strict, et les unités « sécuritaires », aussi appelées « dynamique élevée », avec un contrôle total de leurs faits et gestes. Depuis 30 ans, ces unités font débat. La Commission Laurent a plusieurs fois remis en question leur légalité. 

« Je ne suis pas en train de dire que je vais tout démolir ou tout enlever demain, mais les enfants en bas de 12 ans, à terme, je ne voudrais plus en voir du tout dans les centres de réadaptation », déclare Lesley Hill. Elle espère créer des centres « beaucoup plus ouverts sur la communauté » : « Oui, des jeunes risquent de fuguer et ils peuvent se planter, mais il faut qu’on soit là pour les ramasser, les soutenir et les accompagner. Je veux vraiment que notre réseau revienne aux valeurs de base de nos professions, qui sont beaucoup plus humanistes. »

À cet égard, Mme Hill reconnaît que le recrutement du personnel fait partie des points à améliorer. « Oui, les intervenants sont jeunes, et oui, il y a des affaires qui dérapent. Donc, chaque fois qu’il y a des affaires qui dérapent, je m’attends à ce qu’on fasse un bilan de la situation au sein de l’établissement pour comprendre, et pour essayer d’améliorer », dit-elle sans davantage de précisions. 

Tout en rappelant que de nombreux jeunes parlent de l’aide apportée par certains éducateurs ou intervenants dévoués, elle admet que plus de vérifications des antécédents et davantage de filtrage des candidats sont nécessaires avant toute embauche. Mais l’institution est-elle réellement prête à un changement en profondeur de ses méthodes ? 

Des agresseurs au sein de l’institution

Les problèmes de recrutement liés à la pénurie de main d'œuvre, au manque d’attractivité des métiers du social, et à des lacunes de vérification des antécédents peuvent parfois conduire à des situations dramatiques. Certains cas d’agressions et d’abus sexuels ont marqué les dernières années.

Le 19 octobre 2023, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a ouvert une enquête à la suite de deux signalements d’abus sexuels perpétrés en 2021 par une éducatrice spécialisée stagiaire sur des adolescents hébergés au Centre jeunesse de Laval. Mardi dernier, la Commission a publié ses conclusions : « La Commission a des raisons de croire que les droits de l’enfant (...) ont été lésés par la DPJ du CISSS de Laval. »

Après plusieurs mois d’enquête, la Commission estime que la DPJ a failli à son devoir « de prioriser l’intérêt de l’enfant et d’assurer sa protection ». Elle lui reproche également une « analyse incomplète et erronée de la situation d’abus sexuel », son manque de diligence, le non-respect de certains processus, ou encore un manquement à son « obligation de communiquer régulièrement avec l’enfant et de lui offrir ainsi un suivi social adéquat ».

Plusieurs recommandations sont formulées, à commencer par une formation continue des équipes en matière d’intervention dans des situations d’abus sexuels, la révision des pratiques d’intervention, la création d’outils d’évaluation pour les équipes. 

Ce cas n’est pas isolé. En 2019, Benoit Cardinal, qui a assassiné sa conjointe Jaël Cantin l’année suivante, aurait usé de sa position d’éducateur pour agresser sexuellement neuf adolescentes du Centre jeunesse de Laval, âgées de 13 à 17 ans. Six jours avant le meurtre, il avait démissionné de son poste pour des « comportements inappropriés ». Ces allégations n’ont pas été présentées lors de son procès pour le meurtre de Jaël Cantin, la mère de ses six enfants, pour lequel il a été condamné en appel à la prison à vie en 2021.

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