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Les voix s’élèvent à la suite de la mort de Raphaël Napa André
Des fleurs ont déposées au coin de la rue Milton et de l'avenue du Parc, où Raphaël Napa André a été retrouvé sans vie dimanche dernier. Photo: Cara Fox
22/1/2021

Les voix s’élèvent à la suite de la mort de Raphaël Napa André

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5 Minutes
Initiative de journalisme local
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COURRIEL
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Note de transparence

Dans le refuge Open Door, un mur commémoratif honore la mémoire des membres de la communauté itinérante qui fréquentaient le refuge et qui sont décédés. « Ils sont tous morts depuis le début de la pandémie », témoigne le coordonnateur John Tessier en désignant les six dernières photos, soit celles de Diana Matte, Kitty Kakernerk, Philip Magwa Haymond, Billy, Maurice Mooshoom et Mustafa Muhammed. « Il y en aura maintenant sept, puisqu’il va falloir ajouter celle de Raphaël », dit-il.

Raphaël Napa André a été retrouvé sans vie dimanche matin à l’angle de la rue Milton et de l’avenue du Parc, à moins d’un pâté de maisons de la porte du refuge. Il est le troisième itinérant autochtone à mourir depuis le début de la pandémie au coin de ces rues, un endroit où se rassemblent de nombreux sans-abri autochtones.

Dimanche matin, à notre arrivée, le corps gelé de Raphaël André repose, recouvert d’une bâche jaune, à côté d’une toilette chimique. La rue Milton est fermée avec du ruban orange entre l’avenue du Parc et la rue Jeanne-Mance.  

« La porte était verrouillée », raconte Lizzie Akpahatak en décrivant comment elle a trouvé son ami quelques heures plus tôt. « Je suis revenue, peut-être une heure plus tard, et la porte était ouverte... Je l’ai vu, et je leur ai dit : “Je pense qu’il y a un homme mort dans les toilettes.” »

Lizzie est assise, en compagnie de quelques autres personnes, sur les marches d’une boutique vide de l’avenue du Parc. Elle pointe les gyrophares des voitures de police et des véhicules des médias. « La police est finalement arrivée ce matin ; ils sont toujours là », dit-elle.  

En 24 heures, la nouvelle de la mort de Raphaël a suscité de vives inquiétudes à propos des itinérants, des restrictions sanitaires liées à la COVID-19 dans les refuges et du couvre-feu provincial qui vient d’être instauré. Les débats se sont multipliés. La colère monte. Près d’une semaine après cette tragédie, alors qu’on cherche encore à comprendre ce qui est arrivé à Raphaël André, d’autres sans-abri se demandent s’ils seront les prochains.

« J’espère que la vérité finira par sortir », déclare son ami Dany Charlish, qui est également Innu. « Quelqu’un était là, il y avait des personnes sur place. Les gens croient qu’Open Door a fermé à 9 h 30 et que Napa est allé directement dans la toilette à 9 h 35 pour s’y asseoir ? Non, non, il ne s’y est pas rendu à 9 h 35 pour s’asseoir là. Il était dans les environs...  Il était avec des gens... et puis on l’a retrouvé tout seul. Où sont ces gens ? demande-t-il. Il y a beaucoup de vendeurs de crack dans les environs de Milton et du Parc. C’est la triste vérité dont personne ne parle. Mes amis, mes amis inuit, mes amis autochtones subissent beaucoup de pression, dit-il. Ils sont la proie de ces dealers. Ils s’en prennent à nous. »

Malgré les divers rapports établis, la cause de la mort de Raphaël demeure inconnue. Certains pensent qu’il s’est assis dans la toilette où on l’a retrouvé parce qu’il cherchait un abri pour se protéger du froid. D’autres pensent qu’il se cachait de la police ou qu’il avait été agressé par des trafiquants de drogue pour de l’argent. Les amis de Raphaël jugent néanmoins que les circonstances de sa mort sont suspectes. De son côté, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a ouvert une enquête en attendant les résultats du rapport du coroner.

Absurdité et chaos administratif

« Pourquoi fermer Open Door à 9 h 30 ? » demande Nakuset, dont le Refuge pour femmes autochtones de Montréal reste ouvert après le couvre-feu. Réal McKenzie, le chef de la communauté innue de Matimekush-Lac John, d’où venait le défunt, se pose la même question. De nombreuses personnes estiment qu’exempter les sans-abri des contraintes du couvre-feu et ouvrir davantage de refuges auraient permis d’éviter la mort tragique de Raphaël André. À la suite de ce drame et du tollé qu’il a provoqué, François Legault a annoncé l’ouverture de deux autres refuges jeudi dernier. Entre-temps, nous avons tenté de comprendre ce qui avait entraîné la fermeture prématurée d’Open Door.

Le 17 décembre, ce refuge a dû cesser ses activités après que quatre cas de COVID-19 y ont été confirmés et qu’un problème de plomberie y a été constaté. Les sans-abri ont été temporairement transférés à l’hôtel Chrome, tandis que des travaux ont eu lieu au refuge. L’endroit a également été désinfecté, et de nouvelles mesures de sécurité y ont été mises en place.

Selon le CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Open Door a été autorisé à rouvrir le 11 janvier, mais seulement comme refuge de jour. Le CIUSSS a déclaré avoir émis 13 recommandations pour permettre sa réouverture 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et attendre toujours la mise en place de ces mesures.  

« Ce n’est pas vrai », s’insurge John Tessier, qui affirme qu’Open Door n’a jamais reçu de liste de recommandations, malgré les nombreuses tentatives du refuge de communiquer avec le CIUSSS. Il insiste également sur le fait qu’il est difficile de comprendre pourquoi, si de telles mesures de sécurité étaient si nécessaires, le CIUSSS aurait permis au refuge de reprendre ses activités. « S’il y a 13 recommandations censées assurer notre sécurité, et qu’elles n’ont pas été appliquées, eh bien... pourquoi sommes-nous ouverts en ce moment ? » demande-t-il, exaspéré.

Open Door affirme que son seul objectif, aujourd’hui, est d’avoir dès que possible un refuge accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. « Les gens ont besoin d’un endroit pour dormir et se reposer, un endroit où ils sont en sécurité et ne sont pas obligés de se prostituer ou de se faire violer à l’hôtel plein de crack du coin, dit M. Tessier. Ce serait bien de pouvoir aider les gens toute l’année. »

Isabelle Sawyer a été l’une des dernières personnes à voir Raphaël vivant. Elle lui a en effet remis un sac de couchage à sa sortie du refuge, dans la nuit de samedi à dimanche. Plus tard, elle a écrit un message qui a été diffusé sur le site web du Comité Citoyen de Milton Parc (CCMP). « En tant que société, on laisse tomber les plus vulnérables en perdant un temps fou à se blâmer les uns les autres et à "faire notre part" ; bien que chacun des services financés du système essaie d’être efficace et irréprochable, les gens ne reçoivent pas les services dont ils ont besoin », écrit-elle.

Les problèmes découlant des restrictions liées à la COVID-19 ne s’arrêtent pas là. Il y a aussi la question floue de savoir qui est responsable de leur application. Dans une déclaration faite au Journal de Montréal, la Direction régionale de santé publique (DRSP) a dit qu’elle n’avait pas le pouvoir de fermer le refuge Open Door. Par conséquent, même si le centre devait demeurer ouvert, on ignore si cela enfreindrait la loi ou si cela constituerait un motif justifiant sa fermeture. On ignore même d’où proviendraient ces directives.

La Converse a communiqué avec le service des relations avec les médias du SPVM pour savoir si la police comptait faire respecter les recommandations soumises aux établissements par les instances de santé publique. Le SPVM n’a émis aucun commentaire à ce sujet. Le Service indique que la tâche n’est pas de son ressort, bien qu’il ait le pouvoir de faire respecter le port du masque, la distanciation physique et le couvre-feu provincial.

Qui était Raphaël André ?

Raphaël André et Dany Charlish. Photo: courteoisie de Kaianuet Meloatam

À en juger par l’effet qu’a eu sa mort, Raphaël entretenait des liens étroits avec la communauté autochtone urbaine montréalaise, dont il faisait partie. Aux dires de ses amis, il fréquentait le Centre d’amitié autochtone de Montréal et Projets Autochtones du Québec (PAQ), où on le décrit comme un homme sympathique, une bonne personne et quelqu’un de très drôle. De nombreux membres de la communauté ont été choqués d’apprendre les circonstances tragiques de sa mort.

« Je l’ai reçu chez moi à Noël, raconte Gloria André, la cousine de Raphaël et l’un des seuls membres de sa famille vivant à Montréal. Il semblait un peu déprimé, comme s’il ne savait pas où aller. »

Chez PAQ, Gloria écoute de la musique avec un groupe d’amis. « Pourquoi voulez-vous connaître son histoire ? » demande-t-elle derrière un masque chirurgical. Une profonde tristesse envahit ses yeux sombres. « Ça fait remonter beaucoup d’émotions », dit-elle, incapable d’en dire plus.

À ses côtés se trouve Dany Charlish, un ami de Raphaël de Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean. Il confie que Raphaël avait fait la navette entre Montréal et Québec à plusieurs reprises au cours des dernières années, mais qu’en septembre, il se portait bien et avait un endroit où vivre. « Napa allait bien l’été dernier, raconte-t-il. Il allait bien. Il ne fumait pas de cannabis, il ne buvait pas... Je ne sais pas ce qui s’est passé depuis septembre. Il avait un endroit, et maintenant, il n’avait nulle part où aller. »  

Dany dit avoir vu son ami mercredi dernier. Ils ont pris une photo, où figure désormais la mention RIP sur Facebook. « Il voulait aller fumer une cigarette, se souvient-il. J’ai refusé parce que j’avais la COVID-19. Je me sens mal à cause de ça maintenant... C’est la dernière fois que je l’ai vu. »

Jennifer Brazeau, présidente du CA de Montréal Autochtone et directrice générale du Centre d’amitié autochtone de Lanaudière, a beaucoup travaillé pour les communautés autochtones urbaines au fil de sa carrière. Raphaël André était connu de son entourage, note-t-elle, avant d’ajouter que la communauté autochtone à Montréal est nombreuse, mais tissée serrée. « Ça vient nous chercher d’une façon ou d’une autre, même si on est peut-être 10 000 à Montréal. On est tous liés d’une manière ou d’une autre. C’est comme une grosse famille à Montréal. On a perdu nos frères. »

Dans la ville natale de Raphaël, Matimekush-Lac John, le chef Réal McKenzie attend le rapatriement du corps du défunt. « Tout le monde est en deuil dans la grande famille des Innus de Matimekush-Lac John », nous dit-il au bout du fil. Il reste perplexe face à la mort tragique de Raphaël, qui gardait un contact quotidien avec sa mère. « Est-ce qu’on aurait pu le sauver d’une manière ou d’une autre ? Je ne sais pas... Quelque part oui... À Montréal, il y a quand même du monde », soutient-il, ajoutant qu’il n’arrive pas à comprendre les circonstances de son décès.

Racisme systémique

Si la mort de Raphaël André a suscité un tollé dans l'opinion publique, les membres de la communauté ne veulent pas que son histoire se perde dans le cycle des nouvelles. Dany Charlish dit ignorer ce qui s'est passé ou la façon dont Raphaël s'est retrouvé dans la rue, mais que c'est une expérience courante pour les Autochtones en milieu urbain.

Melissa Mollen Dupuis, activiste de la Nation innue ayant souvent sensibilisé les gens aux réalités autochtones, a été l’une des nombreuses personnes qui ont exprimé leurs préoccupations sur les médias sociaux à la suite de la parution des articles rapportant la mort de Raphaël.

« C’est vrai qu’il y a une situation liée à notre culture, un communautarisme qui fait que, quand je suis à Mingan, je sais que je n’aurai jamais faim, je sais que j’aurai une place où coucher », dit-elle. « Le problème, c’est que ma communauté n’a pas les ressources pour faire ça indéfiniment », ajoute-t-elle pour expliquer le déplacement des Autochtones en milieu urbain.

« Parfois aussi, la communauté que tu vas retrouver en ville, elle est déjà dans la rue. Elle fait partie d’un struggle. Tu as l’impression que c’est ta place. Mais c’est aussi que, nous, on a l’impression qu’on a notre place dans nos réserves et que, quand on arrive en ville, on est déplacés », note-t-elle.

La mort de Raphaël André est-elle un symptôme d’un système malade ? lui demande-t-on. La cofondatrice de Idle No More Québec répond en posant des pistes de réflexion.

« Est-ce que Raphaël a vu le policier comme quelqu’un qui pouvait l’aider ou comme quelqu’un qui allait l’ostraciser ? demande-t-elle. Pourquoi est-ce qu’il n’a pas pu le voir comme quelqu’un qui pouvait l’aider ? Pourquoi est-ce que Joyce, nos mères, nos grand-mères, nos tantes, nos oncles vont dans des hôpitaux, puis voient quelqu’un qu’ils ne sont pas sûrs qu’il va les aider ? »

Des solutions pour tenter de résoudre la crise

Pas moins de 192 personnes itinérantes ont été déclarées positives à la COVID-19 à Montréal depuis décembre, d’après la Direction de la santé publique de Montréal. Alors que les intervenants de première ligne se font de plus en plus rares et que les refuges peinent à rester ouverts, plusieurs personnes en situation d’itinérance disent craindre pour leur vie depuis le début de la pandémie. Face à cette situation, Jennifer Brazeau pense qu’il faudrait que les gouvernements prennent en considération les recommandations des travailleurs de première ligne. « Plutôt que de fermer des refuges et des haltes-chaleurs, il faudrait investir pour que ces endroits deviennent des espaces sécurisés. Ce serait l’un des premiers moyens de sauver la vie des membres d’une communauté assez vulnérable à cette maladie », propose-t-elle.  

La famille de Raphaël « Napa » André prépare ses funérailles à Matimekush. Celles-ci auront lieu le 29 janvier prochain. Le chef Réal McKenzie dira une prière à la radio communautaire en ayant « une pensée très profonde pour lui, sa famille et la communauté en général ». Sur les lieux de son décès, une rose blanche gelée repose pour souligner la mémoire de l’homme de 51 ans. À partir du 25 janvier, les gens pourront présenter leurs respects à l’intersection de la rue Milton et de l’avenue du Parc.

 À Montréal, une initiative citoyenne invite les gens à faire un don à un refuge. En guise de vigile, on demande aux Montréalais de porter du bleu clair, d’allumer une bougie et d’observer un moment de silence à 11h le jour de ses obsèques.

L’actualité à travers le dialogue.
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