Demandeurs d’asile, travailleurs temporaires, étudiants internationaux, résidents permanents… autant de mots qui sont revenus régulièrement au cours de cette campagne électorale fédérale dont on connaîtra l’issue ce lundi 28 avril. Mais que proposent réellement les principaux partis politiques en lice en matière d’immigration ? La Converse fait le point.
Face à la crise du logement, de la santé, ou encore à l’inflation que subissent les Canadiens, l’immigration est pointée du doigt dans cette course aux élections fédérales. Bien que les experts soulignent qu’ils sont loin d’en être la seule ou même la principale cause, les étrangers sont souvent désignés comme boucs émissaires. Un discours amplifié par certains politiciens et commentateurs.
Dès son arrivée au pouvoir en 2015, Justin Trudeau a mis en place une politique d'immigration plus ouverte. Après la pandémie du covid, le premier ministre a considérablement augmenté les seuils d'immigration afin de stimuler le marché du travail et d'éviter une récession.
Mais à l’automne dernier, le gouvernement fédéral referme les robinets alors que le pays a enregistré un nombre record de nouveaux arrivants en 2024, avec 483 390 nouveaux résidents permanents selon Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Justin Trudeau dévoile alors un nouveau plan d’immigration pour 2025-2027, avec une réduction progressive du nombre de nouveaux résidents permanents de 18,5% dès 2025. Objectif : atteindre une croissance démographique de 0,2 % sur deux ans. En parallèle, Ottawa a également réduit le nombre de permis d’études internationaux et suspendu certains programmes destinés aux travailleurs étrangers.
Après près d’une décennie, l’ère Trudeau a pris fin et les élections fédérales déclenchées par son successeur sont tout naturellement marquées par la question migratoire. La Converse a épluché les plateformes électorales des cinq principaux partis politiques : le Parti Libéral, le Parti Conservateur, le Nouveau Parti Démocratique (NPD), le Parti Vert et le Bloc Québécois.
Parti Conservateur : Pierre Poilièvre veut « couper l’immigration »
Le Parti Conservateur, avec Pierre Poilièvre à sa tête, a longtemps laissé planer le flou mais a finalement fait entendre sa vision anti-immigration tout au long de cette courte campagne électorale. Les conservateurs se présentent en opposition totale à la politique portée par les gouvernements libéraux ces dernières années et portent une stratégie de rupture.
- « Une formule mathématique »
« Nous rétablirons l'intégrité de notre système en luttant contre la fraude, en réduisant considérablement le nombre de travailleurs étrangers temporaires et en limitant l'immigration permanente à un taux durable proche des niveaux enregistrés sous le gouvernement Harper », peut-on lire dans le plan électoral de Pierre Poilièvre. Le Parti conservateur s'engage à maintenir une croissance démographique inférieure « au taux de croissance du logement, de l'emploi et de l'accessibilité aux soins de santé », sans donner de propositions concrètes pour y parvenir. Pierre Poilièvre assure simplement avoir « une formule mathématique » lui permettant de calculer quel serait le taux d’immigration acceptable. Pierre Poilièvre souhaite que les syndicats soient consultés avant l'embauche de travailleurs étrangers temporaires.
- Frontière sous haute surveillance
Dans son programme électoral, le Parti conservateur s'engage à renforcer la sécurité aux frontières canadiennes avec une série de mesures stratégiques. Pierre Poilièvre propose de déployer immédiatement des hélicoptères militaires et des moyens de surveillance pour détecter et intercepter « les menaces potentielles ». Il envisage également d’élargir les pouvoirs des agents frontaliers de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) pour qu’ils puissent patrouiller en dehors des points de passage officiels et d’embaucher 2 000 nouveaux agents pour lutter contre les activités criminelles, telles que le trafic de drogue et d’armes. De plus, Pierre Poilièvre souhaite installer des scanners de haute technologie dans tous les principaux points de passage pour détecter les contenus illégaux dans les véhicules et les conteneurs. Enfin, le programme prévoit la construction de tours de surveillance et l’utilisation de drones montés sur des camions pour améliorer la surveillance et la réactivité aux incursions le long de la frontière.
- Moins d’étudiants internationaux
Le Parti conservateur souhaite réduire le nombre d’étudiants internationaux et que les antécédents criminels des détenteurs de permis d'études soient systématiquement vérifiés.
- Surveillance des demandes d’asile
De plus, les conservateurs souhaitent un traitement plus rapide des demandes d'asile et une surveillance accrue des visas pour éviter les dépassements de séjour, sans dire comment il procéderait. Par ailleurs, toute personne commettant un acte criminel pendant son séjour au Canada serait immédiatement expulsée. Pierre Poilièvre fait une distinction entre les « vrais » et les « faux » demandeurs d’asile. « Si [la personne] peut prouver qu’elle est un véritable demandeur d’asile, sans antécédent criminel, et qu’elle peut contribuer à notre pays, elle devrait pouvoir rester ici », a-t-il affirmé lors de son passage à Edmonton le 8 avril. En parallèle, le chef conservateur considère que la crise du logement, de l’emploi ou encore de la santé est liéé à une hypothétique « fraude massive concernant les étudiants internationaux, les travailleurs étrangers et les faux demandeurs d’asile ».
Une sortie qui a suscité la polémique lorsque certains médias ont révélé que l’oncle d’Anaida Poilievre, l’épouse du chef conservateur, a traversé deux fois la frontière canadienne à pied – en 2004, puis en 2018 par le chemin Roxham, après que sa demande d’asile eût été refusée en 2005.
Parti Libéral : Mark Carney ne veut pas plus de 5% de travailleurs et d’étudiants étrangers
Pointé du doigt pour la politique favorable à l’immigration que le gouvernement libéral a mis en place durant l’ère Trudeau, le parti effectue un virage stratégique. Le nouveau chef des libéraux, Mark Carney, porte en effet des promesses électorales de réduction de l’immigration.
- Réduire l’immigration et augmenter la proportion de francophones
« Depuis la pandémie, le gouvernement fédéral précédent a laissé les niveaux d’immigration augmenter à un rythme trop rapide et insoutenable, alors que nos logements et nos infrastructures sociales peinent à répondre aux besoins de tous les nouveaux arrivants », confesse le Parti Libéral, au pouvoir durant cette période.
Un aveu qui introduit le plan de réduction de l’immigration de Mark Carney à « des niveaux soutenables ». Il promet de plafonner le nombre de travailleurs temporaires et d’étudiants étrangers à moins de 5 % de la population du Canada d’ici la fin 2027 et de stabiliser les admissions de résidents permanents à moins de 1 % de la population canadienne chaque année. Il assure cependant qu’il permettra la réunification familiale et l’accueil de réfugiés.
Il mise sur une stratégie en matière de compétences mondiales pour privilégier l’immigration de talents étrangers qui participeraient à la croissance de l’économie canadienne. Mark Carney veut également faciliter le renvoi des demandeurs étrangers refusés et établir une cible de « 12 % d’immigrants francophones à l’extérieur du Québec d’ici 2029 », soit 20% d’augmentation.
- Toujours plus d’investissements aux frontières
Le gouvernement libéral, actuellement au pouvoir, a lancé un plan de 1,3 G$ pour renforcer la sécurité à la frontière à la fin de 2024. Mark Carney promet ainsi de lutter contre l’immigration irrégulière, le trafic de drogue, les armes illégales et les sorties clandestines de voitures volées.
Pour cela, 1 000 nouveaux agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) seront embauchés, des drones et détecteurs supplémentaires seront installés à la frontière, ainsi que des brigades canines.
- Pas de remise en question de l’Entente sur les tiers pays sûrs pour les demandes d’asile
Si on ne trouve rien de précis à ce sujet sur la plateforme du Parti Libéral, Mark Carney a indiqué qu’il continuerait de renvoyer les demandeurs aux États-Unis, en accord avec l'Entente sur les tiers pays sûrs. « Ce n'est pas acceptable que les États-Unis nous donnent tous leurs demandeurs d'Haïti », a lancé le chef libéral en conférence de presse mardi.
Nouveau Parti Démocrate : l’étrange silence de Jagmeet Singh au sujet de l’immigration
Étonnamment, la plateforme électorale du Nouveau Parti démocratique (NPD) n’évoque que très brièvement la question de l’immigration mais estime, comme les autres, que les niveaux d’immigration doivent être établis en fonction des besoins du marché du travail et de la capacité d’accueil du Canada.
Lors du débat des chefs en français, le chef néo-démocrate Jagmeet Singh a souligné que le pays a besoin d’immigrant·es et dénoncé les discours qui les rendent responsables de problèmes structurels.
- 100 millions de dollars par an pour le Québec
Le NPD promet d’octroyer 100 millions de dollars par année au gouvernement du Québec de façon permanente pour sa gestion de l’immigration. Il s’engage également à ce que le fédéral rembourse en totalité la province pour les coûts qu’a engendrés l’augmentation des demandeurs d’asile au cours des dernières années.
Jagmeet Singh se prononce également en faveur de la création de davantage de programmes de francisation pour les nouveaux arrivants, « afin qu'ils et elles puissent s’épanouir pleinement ici, au Québec ».
- Fin de l’Entente sur les pays tiers sûrs
Le chef néo-démocrate a appelé à la suspension de l'Entente lors du débat des chefs en français. « C'est une question d'humanité, de compassion », a répondu le candidat qui souligne son inquiétude face aux décisions politiques de l’administration Trump.
Bloc Québécois : Yves-François Blanchet créera un ministère des frontières
Le Bloc Québécois est connu pour sa position en matière d'immigration, axée sur la défense des intérêts de la province. Le Québec accueille 54 % des demandeurs d'asile présents au Canada, 19 % des travailleurs étrangers temporaires, et 11 % d' étudiants internationaux, selon les chiffres de 2024 de l’Institut de la statistique du Québec.
Questionné au sujet des enjeux d’immigration, Yves-François Blanchet met en avant la préservation de la langue française, l'intégration des nouveaux arrivants et la limitation de la capacité d'accueil du Québec.
- Transfert de pouvoir vers le Québec
« Le Bloc Québécois exige le transfert au Québec de tous les pouvoirs en matière d'immigration, incluant le programme de mobilité internationale », peut-on lire sur la plateforme électorale. Le parti réclame par ailleurs que le fédéral consulte la province pour fixer les cibles annuelles d’immigration, et que le Québec puisse conditionner l’attribution d’une résidence permanente à l’établissement en région des personnes qui l’obtiennent.
- Un ministre des frontières
La proposition phare du Bloc Québécois est de créer un ministère des frontières « directement responsable des services frontaliers et 100 % imputable ». Yves-François Blanchet souhaite par ailleurs renforcer les mesures déjà annoncées par Ottawa. Pour cela, il compte durcir les peines judiciaires pour les passeurs, du renfort à la GRC, ou encore autoriser les agents des services frontaliers à intervenir le long de la frontière.
- Suppression de l’exception des 14 jours pour les demandeurs d’asile
« Le Bloc Québécois déposera un projet de loi pour mieux encadrer les demandes d’asile, qui inclura l’obligation de traiter rapidement les dossiers, des pouvoirs d’exception pour le ministre afin d'éviter les abus, un resserrement des critères de recevabilité et la fin des demandes faites 14 jours après avoir franchi irrégulièrement la frontière », indique la plateforme électorale du parti. Yves-François Blanchet propose la création d’un volet d’urgence au ministère de l’Immigration pour accélérer l’accueil de réfugiés lors de crises majeures, sans définir les critères qui permettent d’évaluer la gravité d’une crise. Il vise par ailleurs une « répartition équitable et proportionnelle des demandeurs d’asile entre le Québec et les provinces ».
- Une réforme des permis de travail pour les étrangers
Enfin, le Bloc Québécois souhaite la mise en place de catégories de permis de travail liés à certains secteurs et régions pour les travailleurs étrangers temporaires. Concrètement, une personne pourrait avoir un permis de travail qui l’autorise à travailler uniquement dans le domaine agricole de la Montérégie par exemple.
Parti Vert : Jonathan Pedneault mettra fin aux permis de travail fermés
Le Parti Vert promet « une politique d’immigration à la fois humaine et tournée vers l’avenir », mais celle-ci « doit cependant être planifiée et responsable ». Il se démarque des autres partis fédéraux, en proposant une réforme du système canadien, en mettant l’accent sur la responsabilité et la transparence. Leur plateforme inclut en effet la création d’une Commission civile d’examen et de traitement des plaintes contre l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), une instance qui serait indépendante afin de garantir un traitement équitable pour les immigrants. Le parti souhaite également renforcer les sanctions contre les consultants en immigration malhonnêtes, et restaurer automatiquement la citoyenneté des « Canadiens perdus » – les personnes nées à l’étranger de parents canadiens eux-mêmes nés à l’étranger.
- Travailleurs étrangers : en finir avec les permis de travail liés à l’employeur
Jonathan Pedneault s’engage à éliminer progressivement les permis de travail liés à un seul employeur dans les secteurs non agricoles – aussi appelés permis fermés et dont le mécanisme est souvent critiqué pour favoriser l’exploitation –, au profit de voies d’accès à la résidence permanente. L’objectif : réduire la précarité et favoriser une intégration durable des travailleurs immigrants.
Afin de faciliter l’accès à la résidence permanente, le parti écologiste propose de dédier un financement annuel pour réduire les délais de traitement des dossiers – neuf mois en moyenne actuellement. Il veut également créer des exemptions de frais de dossiers en fonction des revenus pour les demandes de résidence permanente et de citoyenneté. Enfin, le Parti Vert s’engage à créer « une voie limitée vers la résidence permanente » pour les étudiants internationaux qui souhaitent travailler dans un secteur en pénurie de main-d’œuvre tels que celui de la santé.
- Étudiants internationaux : durcissement des critères d’accueil
Dans le domaine de l’éducation internationale, les Verts appellent à la signature de la Déclaration de Londres pour encadrer le recrutement d’étudiants étrangers et demandent plus de transparence financière de la part des établissements d’enseignement en matière de frais de scolarité. Concernant les étudiants étrangers, Jonathan Pedneault souhaite durcir les critères d’accueil avec : un doublement de l’exigence actuelle en matière de preuve de fonds à 20 000 $ ( plus 8 000 $ pour le premier membre de la famille accompagnant et 6 000 $ pour chaque membre de la famille supplémentaire) ; l’obligation de présenter une preuve de « soutien financier suffisant » périodiquement, l’interdiction de travailler hors campus au-delà de 20 heures par semaine, ou encore la limitation des visas aux établissements où 15% ou plus des étudiants internationaux n’effectuent pas le cursus prévu.
- Retrait de l’Entente sur les tiers pays sûrs pour les demandes d’asile
Comme le NPD, le Parti Vert s’engage à mettre fin à l’Entente sur les tiers pays sûrs avec les États-Unis afin « que les demandeurs d’asile ne soient pas contraints de rester dans un pays qui contrevient aux protections internationales des réfugiés ». Il veut également faciliter l’accès à l’asile des personnes LGBTQI+ qui subissent des persécutions dans leur pays, et s’engage à statuer sur toutes les demandes d’asiles dans un délai maximum d’une année. Jonathan Pedneault promet enfin de s’assurer que les demandeurs d’asile « bénéficient d’un logement, d’une formation linguistique et d’un soutien à l’emploi », sans dire par quels moyens concrets il souhaite tenir cet engagement.
- Plus de moyens aux frontières
Comme beaucoup d’autres partis, le Vert prévoit une surveillance accrue des frontières avec « davantage de drones, de capteurs thermiques et de capacités de surveillance pour contrôler les passages irréguliers et les trafics illégaux ». En conclusion, les propositions des cinq principaux partis sur l'immigration mettent en lumière des approches variées et parfois contradictoires face à un défi commun. Au-delà des chiffres, c’est un modèle de société que les Canadiens devront choisir au moment de faire entendre leur voix dans l’isoloir.