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Quelles sont les ressources pour les parents démunis face à la criminalité de leurs enfants ?
Une centaine de résidents, d’élus et d’acteurs communautaires sont réunis dans la grande bibliothèque de Saint-Léonard pour la deuxième édition du Forum Citoyen, organisé par Concertation Saint-Léonard. Crédit Photo : Concertation Saint-Léonard.
12/3/2025

Quelles sont les ressources pour les parents démunis face à la criminalité de leurs enfants ?

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5 Minutes
Initiative de journalisme local
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COURRIEL
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Note de transparence

En 2024, trois jeunes de Saint-Léonard sont morts dans un contexte de violence armée. Mehdi Moussaoui et un adolescent de 16 ans ont perdu la vie dans un accident de voiture après avoir tiré sur deux automobilistes. En septembre dernier, Mohamed-Yanis Seghouani, 14 ans, a été retrouvé mort à Frampton, près du repaire d’un club-école des Hells Angels. Pour de nombreux parents, la crainte domine : comment éviter que leur enfant en arrive là ? L’angoisse est plus grande encore chez les familles immigrantes, qui ont tout quitté dans l’espoir d’un avenir meilleur pour leurs enfants. Mais face à l’isolement, aux difficultés d’intégration et au manque de repères, certains jeunes deviennent des proies pour les recruteurs de gangs, qui leur font miroiter de l’argent « facile ». Quelles sont les ressources pour prévenir ces dérives ? Que faire quand la prévention ne suffit plus ? Reportage.

Samedi 22 février 2025, 9 h 40. Dans la grande bibliothèque de Saint-Léonard, une centaine de résidents, élus et acteurs communautaires sont attablés pour la seconde édition du Forum Citoyen, organisé par Concertation Saint-Léonard. L’objectif est de discuter, de comprendre et de trouver des solutions face à la montée de la violence armée. La diversité des participants témoigne de la gravité de l’enjeu : la sécurité urbaine concerne toutes les générations et toutes les communautés. 

« Il faut sortir de l’isolement, aller chercher de l’aide »

Samira*, la cinquantaine, est visiblement émue lorsqu’elle s’installe devant le public. Elle se présente comme une mère et une ancienne avocate à la cour dans son pays d’origine. Touchée par la violence armée au sein de sa famille, elle est venue offrir son témoignage. Sa voix tremble, mais elle tient à parler.

« Nous sommes arrivés au Canada il y a cinq ans. Mon mari et moi avons fait le choix de venir ici pour l’avenir de nos enfants, mais la réalité de l’installation dans ce nouveau pays nous a submergés, souffle Samira. Nous sommes demandeurs d’asile, donc nous avons été confrontés à une paperasse interminable. Mon mari, lui, travaillait sans relâche, et au même moment, nous avons découvert que ma fille était atteinte d’une tumeur au cerveau. Pendant ce temps, mon fils de 15 ans s’est retrouvé seul, mais aussi on se moquait de lui à l’école. »

Son regard balaie la salle. « Certains parents interdisent à leurs enfants de fréquenter les nouveaux arrivants, sous prétexte que nous sommes synonymes de problèmes, regrette Samira. Mon fils, exclu, est alors devenu une proie facile pour les recruteurs des gangs. Et je ne l’ai pas vu venir… » confie la mère de famille avec une pointe de culpabilité dans la voix.

Quelque mois plus tard, l’adolescent est arrêté pour un braquage dans un dépanneur avec d’autres jeunes de son âge. « On dit que ce sont les nouveaux arrivants qui sèment le trouble, mais tous les autres jeunes avec qui il était sont des Québécois », souligne-t-elle.

« Encore aujourd’hui, je peine à croire qu’il ait pu faire ça. Je n’avais jamais imaginé qu’il puisse se retrouver dans ce genre de situation, c’est peut-être là le véritable problème… croire que nos enfants ne sont pas capables du pire. » Un silence pesant s’abat sur la salle. Une centaine de personnes l’écoutent, sans un bruit.

« Mais moi, j’ai refusé de l’abandonner, reprend-elle. J’ai cherché de l’aide. Souvent, dans nos communautés, on préfère se taire par peur du jugement. Mais il faut réaliser que ce qui va se dire ce n’est pas le plus important, c’est notre enfant qu’il faut aider ! » 

Face à cette situation, elle se tourne vers la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) pour trouver de l’aide. « En six mois, ils ont fait un travail remarquable. Vraiment, je leur en suis reconnaissante du fond du cœur, insiste Samira. Aujourd’hui, mon fils a 20 ans, il attend son procès, il va assumer ses erreurs – et moi, je le soutiens. Il doit être un bon citoyen maintenant. Il reste un être humain, il peut faire le mauvais tout comme le bon. »

Des mains se lèvent dans la salle, plusieurs formant le geste de shaka en guise de soutien. Puis, une salve d’applaudissements retentit. Robenson, un intervenant de la DPJ, observe la scène, les yeux écarquillés. « C’est la première fois que j’entends un parent dire que la DPJ a fait du bon travail. Je veux presque aller lui faire un câlin ! » dit-il en riant, ému.

Le forum ne fait que commencer. Après les témoignages, un panel d’intervenants, incluant la police et le milieu communautaire, prend la parole. Parmi eux, on trouve Dolis Rodriguez, responsable des ateliers Espace-Parents à l’Accueil aux immigrants de l’est de Montréal (AIEM).

Elle insiste : « Les parents en contexte d’immigration ont besoin d’accompagnement pour comprendre les défis de leurs enfants et s’adapter au contexte québécois. »

Être parent en contexte d’immigration

Des parents témoignent de leur reconnaissance envers les ateliers Espace-Parents sur des post-it. Courtoisie : Dolis Rodriguez

Pour en apprendre davantage sur les ateliers Espace-Parents, La Converse retrouve Dolis Rodriguez quelques jours plus tard dans un bureau lumineux de l’AIEM. Elle nous accueille avec un sourire chaleureux, ses cheveux bruns relevés en demi-queue. 

« Les parents arrivent ici avec l’espoir d’un avenir meilleur pour leurs enfants. Mais l’intégration est un choc. Ils se retrouvent sans repères, sans savoir où chercher du soutien », commence la responsable. Le travail, la langue, les différences culturelles, la peur du jugement sont différents facteurs qui empêchent par ailleurs certains parents de demander cette aide. « Ils pensent être les seuls à traverser autant de difficultés. Mais quand ils se joignent à un groupe et réalisent que d’autres familles vivent la même chose, tout change. Ils voient qu’ils ne sont pas seuls, qu’il est normal d’avoir des défis », explique Dolis Rodriguez, qui était psychologue avant d’émigrer de Cuba. 

C’est justement pour briser l’isolement des adultes que l’accompagnement Espace-Parents a été conçu. Le programme propose huit ateliers thématiques, divisés en deux grands modules : le premier pour comprendre les répercussions de l’immigration sur la famille et présenter les ressources disponibles. Le second, intitulé « Au cœur de mon enfant », aide les parents à accompagner leur enfant dans son intégration.

L’intervenante l’assure : « Au Québec, demander de l’aide n’est pas mal vu. Au contraire. Beaucoup de parents pensent qu’ils doivent tout gérer seuls, qu’accepter de l’aide signifie échouer dans leur rôle. Ils se disent : “C’est mon enfant, je devrais être capable de m’en occuper seul.” » « Mais quand on ignore un petit problème, celui-ci s’aggrave. Et quand on finit par chercher de l’aide, il est parfois trop tard », laisse-t-elle tomber. 

Les codes sociaux changent, les relations aussi

Apprendre le français ou trouver un nouvel emploi n’est pas suffisant pour se sentir appartenir à sa terre d’accueil. « Cela passe aussi par la compréhension des codes sociaux, qui sont parfois en contradiction avec ce que l’on connaît déjà », reprend M​​me Rodriguez. Un choc culturel qui peut redéfinir pour le pire les relations au sein des familles. 

Pour les enfants, l’école est évidemment un lieu d’apprentissage… mais aussi un lieu de remise en question des valeurs familiales. « À l’école, on encourage le jeune à exprimer son opinion, à poser des questions. À la maison, suivant certaines traditions, le respect passe par le silence, il faut se taire ; et si tu poses des questions, c’est que tu deviens rebelle… Et là, malheureusement, les parents deviennent plus durs avec l’enfant, ils se disent : “Oh, qu’est-ce qu’il se passe depuis que mon enfant est ici, il devient mal élevé.” Le jeune, lui, est perdu. »

Mais ce constat peut également être fait du côté des institutions, nuance-t-elle. « J’ai vu des parents être convoqués à l’école parce que leur enfant ne regardait pas son enseignant dans les yeux. Ici, c’est perçu comme un manque de respect. Mais dans leur culture, c’est tout l’inverse : baisser le regard devant un adulte est un signe de respect. »

Au-delà des différences culturelles, un autre enjeu majeur complique la relation parents-enfants : la peur du rejet de la première culture. « Les parents veulent transmettre leur culture, mais ils veulent aussi que leurs enfants réussissent ici. Comment trouver l’équilibre ? »

Dans ses ateliers, l’intervenante insiste sur un point essentiel : un enfant ne devrait pas avoir à choisir entre sa nouvelle identité québécoise et ses racines. « On leur donne des outils pour valoriser la langue maternelle sans l’imposer, pour partager des moments autour des traditions sans les rendre oppressantes. L’important, c’est que l’enfant aime son héritage, pas qu’il le subisse. »

Le lien familial est crucial, insiste Dolis Rodriguez. « Un jeune qui ne se sent ni compris chez lui ni accepté dehors devient vulnérable. Il cherchera un groupe auquel appartenir. Si ce n’est pas la famille, ce sera ailleurs. Avant, dans le pays d’origine, un enfant en conflit avec ses parents pouvait se tourner vers la famille élargie : cousins, tantes, grands-parents… Ici, s’il est en rupture avec ses parents, il n’a plus personne à qui parler. Cet isolement total est dangereux. »

C’est pour éviter ce type de fracture qu’Espace-Parents existe : ces ateliers donnent aux familles les moyens de demeurer un ancrage solide dans la vie de leurs enfants. Pour terminer, l’initiative Espace-Parents propose également une présentation de la DPJ.

« Mythes et réalités de la DPJ »

« Dans certaines communautés, la simple évocation de la DPJ suffit à provoquer l’angoisse », reprend M​​me Rodriguez. Ces appréhensions, souvent nourries par des idées reçues, freinent alors de nombreux parents qui aimeraient pourtant demander de l’aide.

C’est donc pour démystifier la DPJ qu’Espace-Parents propose une activité intitulée « Mythes et réalités de la DPJ ». L’objectif est de déconstruire les préjugés et de permettre aux familles de mieux comprendre le rôle de cette institution.

Une des méthodes qui s’avèrent efficaces consiste à inviter des intervenants de la DPJ à rencontrer les parents dans le cadre d’ateliers, explique l’intervenante. « Cette simple rencontre change souvent la perception des participants. » Les réactions des parents sont souvent les mêmes. « Une maman m’a déjà dit : “Oh, mais finalement, ce sont des gens normaux !” rapporte la jeune femme sur un ton amusé. Je ne sais pas à quoi ils s’attendaient ; oui, effectivement, ce sont des gens normaux. » En outre, les parents constatent que certains intervenants de la DPJ viennent eux-mêmes de communautés multiculturelles, ce qui leur semble être un gage de compréhension à leur égard.

« Dans leur pays d’origine, les autorités sont souvent perçues comme des agents de répression. Alors, rencontrer des intervenants de la DPJ ayant une approche plus douce les rassure », ajoute Dolis Rodriguez. 

Rompre avec la peur du signalement

« ”On a signalé mon enfant à la DPJ ; donc, je vais perdre mes enfants !” C’est souvent ce que pensent les parents, ils préfèrent alors cacher des éléments importants », poursuit l’intervenante, qui encourage les parents à être totalement transparents avec les intervenants de la DPJ. « Si un intervenant se rend compte qu’un parent a caché des éléments, l’évaluation de la situation devient plus compliquée. Non, un signalement ne signifie pas qu’on va enlever l’enfant à la famille. Parfois, les parents ont simplement besoin de ressources que la DPJ peut communiquer, mais cacher des éléments, prévient-elle encore une fois, risque de rendre l’évaluation plus complexe. » 

Dolis Rodriguez, elle, affirme n’avoir jamais eu recours à un signalement. 

Au cours de cette même activité où M​​me Rodriguez présente les « mythes et réalités » de la DPJ, on explique qu’un autre « mythe » répandu est que tous les enfants placés en centre jeunesse deviennent des délinquants. L’intervenante le rappelle : « Si un enfant est placé en centre jeunesse, c’est parce que l’évaluation a montré que le jeune ne pouvait pas rester dans sa famille. Mais l’objectif ultime n’est pas de séparer l’enfant de ses parents, c’est toujours le dernier recours… » Cependant, dans un article publié dans Le Devoir, le centre jeunesse de la Cité-des-Prairies a été présenté comme un reflet des violences armées où la sécurité des jeunes est encore plus menacée. 

La DPJ est-elle alors réellement le dernier filet de sécurité ?

La DPJ, le dernier recours ?

René-André Brisebois, intervenant et chercheur à l’Institut universitaire Jeunes en difficulté du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, répond : « Effectivement, la DPJ peut être une ressource, bien qu’elle ne soit pas la première porte d’entrée vers l’aide. L’idéal, c’est d’intervenir dès l’apparition des premières difficultés, en s’appuyant sur les ressources communautaires existantes. »

Toutefois, lorsque les comportements à risque s’intensifient et qu’un adolescent s’enfonce dans la spirale de la violence, certaines interventions deviennent inévitables. « Ce ne sont pas toujours des solutions agréables, mais elles sont parfois nécessaires pour mettre un terme à la situation et amorcer un véritable travail d’accompagnement », précise-t-il.

Mais quelles sont, concrètement, les étapes de la prise en charge d’un jeune impliqué dans un gang de rue ou dans des violences armées ? Comment l’aider à couper les ponts avec cet environnement ? Au moment d’écrire ces lignes, la DPJ n’avait pas répondu à nos demandes d’entrevue sur ces questions.

Ce qui est certain, c’est que l’accès aux ressources demeure un enjeu majeur. « Les familles qui ont le plus besoin d’aide sont souvent celles qui n’en demandent pas. Elles se retrouvent isolées, prises au piège dans des situations de plus en plus complexes, ce qui accentue leur vulnérabilité », souligne M. Brisebois.

Et plus elles tardent à recevoir du soutien, plus la situation s’aggrave. « L’accompagnement doit être proactif. On doit aller vers ces familles, avant qu’il ne soit trop tard », conclut-il.

Mais alors, comment rejoindre ces familles, tout particulièrement les nouveaux arrivants, qui peuvent ne pas connaître les ressources à leur disposition ? Au Forum Citoyen de Saint-Léonard, des initiatives ont été évoquées, notamment la formation de membres issus des communautés immigrantes pour accompagner les nouveaux arrivants, appelés « Femme-Relais » ou « Homme-Relais ». La Converse explorera cette initiative dans un prochain article. 

*Prénom fictif utilisé pour assurer l’anonymat du témoin et protéger sa famille. 

La ligne RENFORT s’adresse aux personnes préoccupées par la violence armée, commise ou subie par les jeunes. Confidentielle, cette ligne est l’une des ressources mises en place par le gouvernement pour mieux outiller ceux et celles qui souhaitent obtenir de l’aide ou du soutien. 

À Montréal : 514 653-6363

À l’extérieur de Montréal : 1 833 863-6363

L’actualité à travers le dialogue.
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