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Mélenchon et Ghazal : une gauche en quête d’union pour « battre les droites »
Ruba Ghazal avec Jean-Luc Mélenchon mercredi soir. Photo : Loubna Chlaikhy
18/4/2025

Mélenchon et Ghazal : une gauche en quête d’union pour « battre les droites »

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5 Minutes
Initiative de journalisme local
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COURRIEL
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Note de transparence

Alors que le débat des chefs et le match du Canadien ont monopolisé les écrans mercredi soir, plus de 400 personnes ont fait un autre choix : assister à une conférence conjointe de Ruba Ghazal et de Jean-Luc Mélenchon au cœur de Montréal. Une soirée tenue à guichets fermés à La Maison Théâtre et placée sous un mot d’ordre : « Battre les droites ». Reportage.

« Ne vous étonnez pas, si vous abandonnez vos idées à la porte du bureau de vote, de ne pas les retrouver dans l’urne », a lancé Jean-Luc Mélenchon devant une salle comble à La Maison Théâtre. Le dernier passage du chef de La France Insoumise (LFI) au Québec remontait à 2016. Neuf ans après sa dernière visite à Montréal, le politicien français revient en force dans un contexte marqué par des élections fédérales.

Dès 17 h, la file s’étire dans le Quartier des spectacles. Plus de 1 000 personnes se sont inscrites, selon Québec solidaire. Dans la foule : des étudiants, des retraités, des militants, des électeurs indécis… et des curieux. Tous sont venus pour voir une figure politique qui ne laisse personne indifférent : Jean-Luc Mélenchon. Ici, personne n’a hésité à répondre à l’appel conjoint de Québec solidaire et de La France Insoumise, malgré le programme chargé de la soirée. 

« Honnêtement, le hockey, je ne suis pas vraiment ça ; et le débat des chefs, c’est plate ; donc je ne l’aurais pas regardé, même si je n’avais rien eu d’autre de prévu. On sait très bien ce qui va y être dit, c’est-à-dire pas grand-chose », déclare Imane, une trentenaire qui travaille dans les communications. Fred, elle, sort tout juste d’un examen de trois heures. « C’est l’occasion d’entendre Mélenchon en vrai. Je veux savoir ce qu’ils vont dire sur le vote stratégique. Je suis un peu embêtée… à savoir si je dois faire un vote stratégique ou si j’y vais avec mes valeurs et je vote pour le NPD », confie l’étudiante en sexologie. Elle hésite en effet à donner son vote au Parti libéral pour contrer le Parti conservateur.

Ce dilemme entre vote de conviction et vote utile revient dans plusieurs conversations. Denis, un ancien militant de longue date, en a gros sur le cœur : « Québec solidaire s’est éloigné de la base. Avant, ils écoutaient les gens, maintenant ils ont un comportement électoraliste », tranche-t-il. Le retraité de 69 ans espère voir émerger une gauche québécoise plus forte et plus radicale, à l’image de l’invité de la conférence. En attendant, Denis votera NPD, même s’il pense que le parti n’est pas en mesure de gagner les élections.

La file pour l'événement. Photo : Loubna Chlaikhy

Même désenchantement chez Rayan, 20 ans, Québécois dont les parents ont émigré d’Algérie : « Le problème de Québec solidaire et de la gauche ici, c’est qu’il y a plein de conflits au sein même du parti, et les gens ont de moins en moins confiance en eux. En France, LFI me paraît plus soudée. Et Mélenchon me donne de l’espoir », dit le jeune homme, le regard tourné vers son fond d’écran de téléphone… à l’image du politicien français. Il a découvert Jean-Luc Mélenchon il y a quatre ans en s’intéressant à la politique française et a eu « un coup de cœur ». Ravi de sa présence à Montréal, il ne voulait pas rater l’occasion de l’entendre.

Salle comble et public conquis

À l’ouverture des portes à 18 h, l’effervescence se transforme en élan. La salle de 400 places est vite remplie. Certains s’installent sur les marches. L’ambiance est électrique. La directrice de QS, Myriam Fortin, ouvre la soirée. « Ça me fait chaud au cœur de voir autant de gens avoir envie de parler de la gauche et de comment battre les droites », lance la Charlevoisienne avant d’accueillir Ruba Ghazal. 

La co-porte-parole entre en scène, accueillie par une ovation. « Vous avez vu l’affiche « Battre les droites » avec Ruba Ghazal et Jean-Luc Mélenchon, et là, vous vous êtes dit : “Où est-ce que je m’inscris ? Je dois entendre Ruba Ghazal !” C’est pour ça qu’il y a autant de monde, bien sûr ! » s’amuse-t-elle avec humilité, consciente que la majorité des personnes présentes ont fait le déplacement pour entendre son homologue français.

Pendant une trentaine de minutes, elle déploie une lecture sans détour du paysage politique québécois et canadien. « La montée des droites a plusieurs visages, elle prend plusieurs formes, mais il ne faut pas s’y tromper, prévient l’élue. Elle adopte toujours le même langage : le langage de l’exclusion, de la haine des immigrants, du rejet du progrès social, du repli sur soi et la loi du plus fort ! » déclare Ruba Ghazal. Elle cite tour à tour Poutine, Trump, Poilièvre et sa « droite réactionnaire, populiste et conservatrice », et Legault, qu’elle accuse d’ériger une vision « étriquée » du peuple québécois. 

Sous les applaudissements nourris d’un public acquis à sa cause, elle martèle les valeurs que la gauche doit défendre sans concession face au péril que représenteraient les politiques des droites : l’environnement, le droit des femmes auquel ces droites livreraient « une guerre », les droits des Autochtones, le logement, la santé… 

« Les constats que je pose ici pour le Québec, Jean-Luc les a vus venir bien avant, il y a plusieurs années en France. Or, on voit aujourd’hui où est rendue la politique française. On n’est pas là au Québec », lance Ruba Ghazal avant d’enjoindre tout un chacun à se mobiliser en faisant un don au parti, en y adhérant ou en militant. Elle cède  ensuite la place au « clou du spectacle ».

« En tant que Français, nous soutenons le Canada et le Québec »

Vêtu d’un costume noir agrémenté d’une cravate rouge, couleur de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon entre sur scène comme une rock star. Le public, chauffé par une Ruba Ghazal en grande forme, ovationne l’homme politique français. Un sourire se dessine sur le visage de celui qui sait qu’il jouit d’une certaine popularité auprès des Québécois. « Je me trouve ici parce que c’est un meeting de Québec solidaire, et que la France Insoumise est liée à Québec solidaire, bon an mal an, dans le respect mutuel, dans l’amitié et dans la fraternité du combat », assure-t-il en ouverture. 

Puis, il se lance dans un exercice inattendu en adressant un message au président américain en anglais, lui qui juge cette langue « pauvre » et ne « permettant pas une réflexion approfondie ». Malgré une prononciation parfois hésitante, il déroule un monologue à la fois fort de messages politiques et drôle. « Vous avez dit que le Canada devrait devenir un État américain. Tous les dirigeants canadiens vous ont dit qu’ils s’y opposent. Ils ont dit “non”. Et “non”, ça veut dire “non”, en anglais comme en français ! » explique M. Mélenchon comme s’il s’adressait à un enfant.

Il enchaîne, faussement sérieux : « En tant que Français, nous soutenons le Canada et le Québec. Et je peux vous le dire, la plupart des Européens pensent la même chose. En ce moment, nous soutenons l’Ukraine, qui a été envahie par la Russie. Nous soutiendrions également le Canada et le Québec s’ils étaient envahis. Les États-Unis aussi d’ailleurs. Heureusement, personne ne vous menace. » Une espièglerie qui provoque les rires et les applaudissements de l’audience. 

La foule à l'événement. Photo : Loubna Chlaikhy

L’Insoumis conclut cette parenthèse en assurant que, si les chefs européens « ont peur » de Trump, il est quant à lui prêt à lui répéter cela « en face » s’il le souhaite. Jean-Luc Mélenchon prend en effet la direction de New York ce jeudi 17 avril dans le cadre de la tournée promotionnelle de son nouveau livre, Faites mieux ! Vers la révolution citoyenne, qui a été traduit en anglais.

Le politicien de 73 ans, dont l’énergie ne semble pas décliner avec les années, reprend ensuite sa démonstration sur la nécessité d’un retour aux fondements de la gauche.

La gauche doit « accepter d’être clivante »

« Être de gauche nécessite une forme d’intransigeance. Pas tellement pour les autres, mais pour soi-même », estime celui qui est souvent au cœur des polémiques pour ses prises de position. Mais selon M. Mélenchon, c’est la fidélité à ses valeurs, quoi qu’en disent les commentateurs, qui explique le succès grandissant de LFI en France.

Durant 45 minutes, celui dont les talents d’orateur ne sont plus à démontrer, adresse un message clair à son auditoire : la gauche doit « s’assumer », « accepter d’être clivante », « ne faire aucune concession ». À plusieurs reprises, Jean-Luc Mélenchon cite Kamala Harris comme exemple de ce que ne doit pas être la gauche, estimant que ce sont les concessions répétées qui ont affaibli la confiance des électeurs envers sa capacité politique à offrir une solution de rechange, et conduit à la réélection de Donald Trump.

Il enjoint les Canadiens de gauche, tout en se défendant de vouloir faire de l’ingérence, à rester fidèles à leurs convictions. Sans jamais prononcer le mot, il dénonce clairement le vote utile, qu’il juge contre-productif : « Si vous abandonnez vos idées à la porte du bureau de vote, ne vous étonnez pas de ne pas les retrouver dans l’urne, ne soyez pas surpris », scande celui qui n’a pas encore confirmé son intention de se présenter aux prochaines élections présidentielles en France. 

Pour clôturer la soirée, Ruba Ghazal rejoint Jean-Luc Mélenchon sur scène et lui pose quelques questions dans le cadre d’une discussion teintée de complicité. Il explique pourquoi la francophonie et les médias sociaux doivent être investis afin de permettre une union internationale des forces de gauche, unique moyen, selon lui, de faire front face à la montée de l’extrême droite. Cependant, aucune proposition concrète pour rendre possible cette union n’a été clairement formulée au cours de la soirée.

Depuis plusieurs années, plusieurs députés de La France insoumise se sont en effet transformés en véritables Youtubeurs et cumulent plusieurs millions de vues. « Cela ne nous empêche pas d’aller dans les médias traditionnels, mais ça nous permet de nous adresser directement aux électeurs, et on voit que ça fonctionne », assure-t-il. Selon M. Mélenchon, on peut critiquer Elon Musk tout en restant sur X, car « il faut être où les gens sont, sinon on ne peut plus leur parler ». 

Des conseils qui ont rapidement germé dans l’esprit de Ruba Ghazal : « Alors les députés, vous allez lancer vos chaînes YouTube ? » demande-t-elle aux élus présents dans la salle avant de clôturer la soirée. Le public, visiblement conquis par la prestation de deux figures politiques qui ont beaucoup en commun, lui offre une dernière ovation.

Dans le hall de La Maison Théâtre, la soirée se prolonge autour de stands. Québec solidaire profite en effet de l’événement pour solliciter des dons et attirer de nouveaux adhérents, alors que La France insoumise propose le livre de Jean-Luc Mélenchon à tarif préférentiel. Une stratégie payante. 

Tania, 29 ans, passe à l’action : « J’étais sympathisante, mais ce soir, j’adhère. On râle beaucoup, mais on agit peu. Moi, ce soir, j’ai décidé de m’engager. » Mission accomplie pour Ghazal et Mélenchon : un souffle d’espoir pour une gauche qui se cherche, mais ne se rend pas.

L’actualité à travers le dialogue.
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