Vous les avez sûrement aperçues en vous baladant dans votre quartier : des affiches électorales sont placardées dans les rues partout au pays. Les partis y présentent leurs députés dans chaque circonscription. Parmi elles, celles du Bloc québécois ont attiré notre attention. Le parti mise notamment sur la promotion des valeurs qu’il considère comme étant importantes en matière d’identité québécoise : la promotion de la langue française et de la laïcité. Mais sur les réseaux sociaux, certains citoyens expriment leur malaise : est-ce que cette vision du Québec reflète vraiment la diversité de la province ?
« À Montréal, une pancarte du Bloc affiche qu’ils ont choisi la laïcité ?!?! C’est vraiment un grand projet pour nous… » – telle est la publication qu’on peut lire sur la page Facebook de Carmen Chouinard au sujet des affiches du Bloc québécois. « On sait que depuis des années les racistes [...] de tout acabit se cachent derrière ce mot qui a perdu tout son sens », poursuit-elle.
Pour cette doctorante en sciences des religions de l’Université de Montréal, maintenant à la retraite, ces affiches sont une véritable provocation… alors même qu’elle a déjà voté pour le Bloc par le passé.
« Si je ne vote plus pour le Bloc, c’est parce qu’ils sont devenus des nationaleux, plutôt que des nationalistes. C’est-à-dire ceux qui ont la bonne fibre tricolore, ceux qui sont restés ancrés sur de vieilles traditions et qui oublient que le Québec a changé », explique-t-elle.
Convertie à l’islam il y a près de 25 ans, Carmen porte le foulard. Elle se sent de moins en moins appuyée par les politiciens qui disent vouloir représenter le Québec. Pour elle, la plateforme électorale du Bloc québécois évolue vers une sorte de « racisme insidieux ».
« Depuis l’adoption de la loi 21, je ne suis plus protégée. Je n’ai jamais enseigné au primaire ou au secondaire, mais si je voulais le faire, si je voulais faire du remplacement dans l’école secondaire de mon quartier, je ne pourrais pas parce que j’ai un foulard sur la tête. Et pourtant, j’ai un doctorat ! » s’indigne l’ex-chargée de cours.
Elle sent une véritable déconnexion de la part du chef du Bloc, qui, à son avis, ne se penche pas assez sur les enjeux qui ont une réelle incidence sur le quotidien de la population. « Nous traversons une crise. Le système d’éducation est à vau-l’eau, le système de santé est à vau-l’eau. Je suis une baby-boomer, j’ai connu un système qui fonctionnait. La question que je me pose, c’est : “Qu’est-ce qui s’est passé entre-temps ?” »
Pour la retraitée, le Bloc se tourne de plus en plus vers le conservatisme et penche de plus en plus à droite. « On ne travaille pas à la justice sociale, ni à la reconnaissance sociale de tous les individus, ni au mieux-être de la société. Je pense qu’il est là le souci », regrette Carmen Chouinard.
Une stratégie politique en réponse à un contexte difficile
Dans sa plateforme politique, le Bloc propose des projets de loi pour « exclure le Québec du multiculturalisme canadien afin que le Québec choisisse son propre modèle d’intégration des nouveaux arrivants » et puisse « s’opposer fermement à la contestation fédérale de la loi 21 du Québec ». Pour mieux comprendre cette démarche, nous avons parlé à Catherine Ouellet, professeure en sciences politiques à l’Université de Montréal.
Selon elle, la conjoncture politique joue un rôle majeur dans les décisions du Bloc québécois.
« Depuis l’élection de Mark Carney à la tête du Parti libéral, le Bloc a dégringolé dans les sondages au Québec, note-t-elle. Selon l’agrégateur de sondages Canada 338, s’il y avait des élections aujourd’hui, le Bloc passerait de 32 à 16 sièges. »
Ce recul place le parti dans une position délicate. D’autant plus que l’enjeu central de cette élection semble clair : qui, des libéraux ou des conservateurs, sera le mieux placé pour faire face au retour de Donald Trump à la présidence américaine ?
« Le Bloc québécois se retrouve, de facto, sorti de l’équation, analyse la professeure. Il ne peut pas être celui qui va tenir tête à M. Trump. »
Se replier sur sa base
Ce contexte pousse le parti à adopter une posture plus défensive, explique la chercheuse. Plutôt que de chercher à élargir son électorat, il mise sur la fidélité de sa base. « Le Bloc consolide les appuis qu’il a toujours eus, précise Catherine Ouellet. Sa base partisane est, en grande majorité, composée de fervents défenseurs de la loi 96, de la loi 21, de la laïcité. »
Ces thèmes, profondément ancrés dans l’identité du parti depuis sa création en 1991, servent aujourd’hui de piliers à sa stratégie électorale.

Mais cette approche soulève une question de fond : en mettant autant l’accent sur une certaine vision de l’identité québécoise, le Bloc ne risque-t-il pas d’exclure une partie de la population, notamment les Québécois issus des communautés marginalisées ou racisées ?
« On en fait quoi, des langues autochtones ? »
Simon Goulet-Tinaoui, étudiant au doctorat en psychologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) vient d’une famille québéco-libanaise. Ces slogans placardés dans les rues de son quartier lui font parfois peur. Il se soucie surtout de la manière dont le Bloc représente le Québec à l’échelle du Canada. Il ne se reconnaît pas du tout dans ces discours, lui qui est pourtant souverainiste.
« Ça m’amène à me poser plein de questions. Ce n’est pas tout noir ou tout blanc. Les discours très tranchants comme ceux-là m’énervent, explique Simon. Dire “Je choisis le Québec” ou “Je choisis le français”, c’est comme dire que, si tu ne choisis pas le Québec comme nous, tu es contre nous ? »

Pour l’étudiant, la campagne électorale est une occasion de débattre et de comparer la manière dont le Bloc représente le Québec, que ce soit à l’époque de ses parents et aujourd’hui. Lui qui a reçu une éducation où l’engagement politique était très important s’interroge : « Je peux comprendre que, quand on se sent menacé, quand on sent que notre identité est menacée, on a cette volonté d’être fort, de défendre la fierté québécoise. Mais il ne faut pas toujours fonder son identité en allant contre l’autre. »
« Il y a aussi toute la question de la place des communautés autochtones dans ces discours. On n’en parle même pas. On en fait quoi, des langues autochtones ? » demande Simon. Il remarque que le parti se prononce beaucoup sur l’immigration ou encore sur les communautés musulmanes du Québec, mais manifeste, selon lui, peu d’intérêt pour les Premières Nations.
D’une certaine manière, il se réjouit du peu d’influence qu’aura le parti à l’échelle du pays.
Une fin de campagne qui approche à grands pas
Comme le rappelle Catherine Ouellet : « Les choses peuvent encore changer dans les prochaines semaines. Mais c’est difficile de voir comment autre chose que la guerre tarifaire et Donald Trump va pouvoir prendre de la place. »
Alors que le débat public s’intensifie et que les partis peaufinent leurs derniers arguments, il reste à voir si d’autres enjeux parviendront à faire surface dans cette campagne dominée par la question des tarifs douaniers et des relations canado-américaines.
Nous avons sollicité le Bloc québécois à plusieurs reprises, mais n’avons pas eu de réponse à nos questions.