Lorsqu’on est jeune, grandir à Saint-Léonard dans le Montréal d’aujourd’hui peut être un défi, surtout si on est membre d’une communauté visible. Il devient plus facile de s’en sortir lorsqu’on a des modèles de réussite du « hood », des modèles comme Freakey!.
Ayant vécu à Saint-Léonard depuis aussi longtemps qu’il s’en souvienne, Freakey! est un producteur et compositeur de musique qui collabore avec des artistes d’Europe et des États-Unis. S’il s’appelle ainsi, c’est parce qu’il se considère comme étant « un peu bizarre, un peu différent, et que [sa] musique, à son image, l’est aussi ». Plus de six ans après son premier succès musical, il n’a pas quitté le quartier qui l’a vu grandir.
« J’ai développé l’amour de la musique à 12 ans. J’ai commencé à prendre ça au sérieux vers 14 ans », explique-t-il. Cet intérêt pour cet univers a créé une sorte de « bulle » protectrice autour de lui. « En m’entourant de bonnes personnes, j’ai réussi à concrétiser un rêve que j’avais depuis l’adolescence, déclare le Montréalais. Quand j’étais ado, faire de la musique, c’était une échappatoire aux problèmes que j’avais. »
Si l’entourage et les fréquentations jouent un rôle capital à ses yeux, il s’estime aussi chanceux d’avoir grandi dans un environnement où ses proches n’ont jamais cessé de l’encourager. « J’ai une très bonne relation avec ma famille. Quelque part, c’est grâce à mes parents si j’en suis là où je suis aujourd’hui. »
Lorsqu’il entre dans l’adolescence, ses passe-temps tournent souvent autour de la musique. « À une époque, je ne demandais que des choses en lien avec la musique. Mes parents se sont tannés. Puis, ils se sont rendu compte que, si je restais à la maison et que je me donnais à fond dans ça, ça m’évitait de traîner dehors et de développer de mauvaises habitudes. Dans ma musique, j’étais dans mon monde. »
Au début, ses parents avaient des réserves. « Ils n’étaient pas trop chauds à l’idée. Quand je leur disais que je voulais faire de la musique, ils le voyaient plus comme un passe-temps que comme une carrière, se souvient l’artiste. Avec le temps, ils ont vu que j’étais vraiment impliqué et que je prenais ça au sérieux. Ils se sont dit qu’en m’aidant dans cette voie, ça pourrait me tenir loin du mauvais chemin, que ça m’occupait et me gardait à la maison. »
D’Haïti à Saint-Léonard
Né à Montréal, le producteur ne cache pas l’amour qu’il éprouve pour sa culture d’origine. « J’ai toujours été très fier d’être Haïtien. Cette culture apporte quelque chose de nouveau, de frais à Montréal. Et je suis fier d’y contribuer avec ce que je fais », lance-t-il. « Je suis vraiment content lorsque je vois que la communauté haïtienne a step outside et est venue enrichir la culture de Montréal », continue-t-il.
« Ma culture d’origine a toujours occupé une grosse place dans ma vie. » Son héritage culturel a d’ailleurs beaucoup influencé sa carrière. « Depuis que je suis tout petit, on écoute de la musique à la maison. J’ai commencé à m’intéresser à ça super jeune et, aussi loin que je puisse me rappeler, j’ai développé un certain amour pour ça au premier contact. » Il affirme que « la culture haïtienne amène quelque chose de savoureux, non seulement dans [sa] vie, mais aussi dans tout ce qu’elle touche musicalement et culturellement. »
Le producteur de musique montréalais a toujours vécu dans le même quartier. « Toute ma vie est à Saint-Léonard », répétera-t-il d’ailleurs à plusieurs reprises. Ce sentiment d’appartenance s’explique par son enfance passée dans le quartier et tous les souvenirs qui y sont associés. « J’allais à l’école primaire là-bas, je sortais toujours plus jeune. J’ai grandi là-bas, j’ai évolué là-bas – et j’y évolue encore aujourd’hui. C’est une partie de moi », continue-t-il.
Plus jeune, il n’a pas eu beaucoup de modèles issus du quartier – encore moins dans le domaine de la production musicale. « Quand j’ai commencé, je m’inspirais de gens comme Southside, Young Chop. Ils viennent tous des États-Unis. Le fait de venir de Saint-Léonard et d’avoir mon propre son, ma propre musique, c’est important. Je souhaite influencer les plus jeunes de la même manière que Southside et Young Chop m’ont influencé », explique-t-il.
Sa carrière se développe doucement jusqu’à l’âge de 19 ans où, du jour au lendemain, son destin bascule. « Un ami avait commencé à rapper. C’était aussi un gars de Saint-Léonard ; on se connaît depuis qu’on est tout jeunes. Je travaillais beaucoup avec lui, et il commençait à devenir plus connu en Europe, raconte-t-il. Puis, un jour, par hasard et sur le coup, j’ai envoyé un message sur Instagram à un rappeur extrêmement connu en Europe – Hamza, un rappeur belge – avec une production que j’avais préparée. Le lendemain, j’ai été abasourdi : il m’avait répondu et m’avait même renvoyé une chanson avec ce que je lui avais envoyé. Il a aimé ce que j’avais concocté, et après cette chanson, ma vie et ma carrière ont changé de manière considérable. »
Des bâtons dans les roues
Si le producteur a su se concentrer sur sa passion, il n’a pas toujours été facile pour lui de trouver sa place. Il a fréquenté une école secondaire spécialisée destinée aux jeunes ayant des troubles comportementaux. L’établissement se trouve dans Rosemont–La Petite-Patrie, quelques kilomètres plus loin.
« Je n’étais pas bon à l’école », affirme-t-il en laissant échapper un petit rire. « Du point de vue académique, c’était catastrophique. On m’a mis dans une classe pour les jeunes ayant des troubles de comportement, et ça m’a donné l’impression que j’étais mauvais et différent. » Aujourd’hui, il estime qu’il avait davantage des problèmes de concentration que de comportement. Malgré tout, il considère être « heureux de la façon dont les choses se sont déroulées pour lui ». Farceur et sociable de nature, Freakey! se rappelle, en rigolant, qu’il était « niaiseux » en classe et avec ses amis.
Lorsqu’il commence à s’investir à fond dans sa production, aux alentours de 18 ans, son principal obstacle est son manque de ressources économiques. « J’ai tout mis dans ma musique. Je voyais des gars faire de l’argent facile autour de moi, d’autres qui travaillaient honnêtement à temps partiel ou à temps plein ; moi, je travaillais à mon compte. C’était difficile. Je devais croire en moi et en ce que je voulais, car j’étais dépendant, je n’avais pas les moyens d’échouer », expose-t-il.
« J’ai eu de la chance, je me suis entouré d’un bon groupe de personnes. Ça m’a beaucoup aidé, car même si ce n’était pas le cas au début, les proches qui ont cru en moi m’ont aidé à ne pas abandonner et à continuer. » Il esquisse un petit sourire avant d’ajouter : « Quand t’es un musicien ou un artiste, tu n’as pas le choix : tu dois rester concentré et discipliné. Ça peut être dur au début, mais quand tu réussis, tu deviens quelqu’un de plus fort. »
Alors qu’il commence à se faire connaître de l’industrie, le décès de sa grand-mère le marque profondément. « L’année où elle nous a quittés, ç’a été très difficile. J’étais super proche d’elle. Quand je faisais de la musique, je ne m’attendais pas forcément à ce qu’elle m’encourage, j’appréciais simplement sa présence près de moi. Elle me motivait, me poussait. Lorsque je l’ai perdue, j’ai pris du recul et j’ai eu besoin de temps pour reprendre mon art », raconte-t-il.
Conseil aux plus jeunes
Freakey! encourage les jeunes à s’engager dans la production musicale, un domaine où il devient davantage envisageable de se bâtir une carrière, et qui offre aussi une échappatoire aux problèmes liés à la violence dans les quartiers plus défavorisés. « Je veux que les jeunes puissent me voir et se dire qu’il faut prendre un bon chemin dans la vie. Je veux donner aux plus jeunes qui me regardent la force et la motivation de réaliser tout ce qu’ils souhaitent en faisant les bons choix, en évitant les pièges ainsi que la violence qui est liée aux problèmes de la rue », continue-t-il.
Il revient à plusieurs reprises sur la question de la persévérance. « Si tu veux vivre de ta musique, c’est possible. Il faut juste miser à fond sur soi et être capable de se discipliner. C’est juste ça. »
Selon lui, il est capital de se vouer entièrement à sa passion. « Si j’ai un message à adresser à la jeunesse, ce serait de ne pas hésiter à faire des sacrifices pour ce qu’on veut vraiment. Rester enfermé avec mes équipements de musique au lieu de traîner dehors, couper de mauvaises fréquentations, allouer du temps – des nuits et des jours entiers ! – à ma passion, voilà des sacrifices qui paraissent énormes lorsqu’on est jeune. Mais au final, lorsqu’on est inspiré, c’est le plus beau cadeau qu’on puisse se faire », ajoute-t-il, rêveur.
Aujourd’hui encore, lorsque Freakey! apparaît sur scène aux côtés d’autres artistes, on le reconnaît à la singularité de son personnage : difficile de passer à côté de son look excentrique et de son énergie, qu’il qualifie de « bizarre ». Si on se penche sur la culture musicale, notamment hip-hop, de la métropole, il est impossible de passer à côté de ce producteur. Ce dernier souhaite que les plus jeunes puissent croire en leurs ambitions sans que leurs conditions de vie ne viennent interférer avec l’accomplissement de leurs rêves. Et pour cela, « il faut plus de personnes du hood qui réussissent et qui puissent redonner à leurs quartiers. Plus le temps avance, plus il faut se dire aussi qu’on est condamnés à l’excellence », conclut-il.