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11/11/2024

Recrutement de jeunes par des groupes criminalisés – des parents et des intervenants sonnent l’alarme et réclament des mesures du gouvernement

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
Sonia Ekiyor-Katimi
COURRIEL
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Note de transparence

La tension est palpable à Montréal. Des parents désemparés, des intervenants débordés, des services de police sollicités : depuis quelques années, de plus en plus de mineurs font les manchettes. Qu’ils soient victimes, contrevenants, impliqués ou non, les adolescents servent de chair à canon pour des criminels plus vieux, plus endurcis dans le milieu interlope. 

Souvent comparés à des « enfants soldats », ces adolescents, qui sont de plus en plus jeunes, sont séduits par des promesses d’argent facile et rapide. C’est ce que des parents comme Hocine*, qui a perdu son fils dans un contexte de violence armée, redoutent le plus : que leur progéniture ne se perde, attirée par l’appât du gain. Il partage aussi sa peur : celle que des jeunes, comme son fils, deviennent des victimes collatérales d’un phénomène d’une troublante ampleur.

Lui, ainsi que plusieurs autres parents, demandent des solutions : jusqu’où les autorités laisseront-elles ce calvaire continuer ? Doit-il y avoir d’autres histoires comme celle de Yanis Seghouani, ce jeune de 14 ans à peine mort en septembre dernier alors qu’il allait provoquer un local de motards en Beauce ; de Mehdi Moussaoui, mort également à 14 ans au volant d’une voiture au beau milieu de la nuit ; ou de Meriem Boundaoui, tuée par une balle perdue à bord d’un véhicule ? La Converse s’est penchée sur la question.

« J’ai prié pour que mon fils soit le dernier sur la liste »

Hocine* arrive au Canada en 2007. Quelque temps auparavant, il quitte la ville d’Alger avec sa femme et son premier enfant, un garçon en bas âge. Les parents abandonnent leur emploi – lui est juriste, et elle, médecin spécialiste – afin d’offrir un avenir meilleur à leur fils et à leurs filles, qui naîtront à Montréal. 

« Nous vivions dans un petit coin de paradis », se rappelle le sexagénaire. Quelques années après que la famille se fut installée au Québec, tout allait pour le mieux : la petite entreprise médicale d’Hocine marchait comme sur des roulettes, sa femme avait trouvé un emploi dans l’industrie pharmaceutique et son fils s’apprêtait à entamer des études universitaires. Tout allait bien, jusqu’à la mort de ce dernier.

Alors âgé de 19 ans, le fils aîné de Hocine est tué dans une fusillade en 2019. Il n’était pas visé. « Je ne veux pas ressasser le passé et parler de la mort de mon fils encore une fois, mais je veux que les gens sachent la douleur que j’ai ressentie et qu’elle n’a pas été apaisée le moindrement par les autorités, souffle-t-il. Mon fils a été lâchement assassiné parce qu’il était au mauvais endroit, au mauvais moment. »

Il a fallu un an pour que les enquêteurs responsables du dossier concluent que le jeune adulte n’avait pas d’histoires et avait vraisemblablement été la victime collatérale d’une tentative de meurtre. « Un an pour nettoyer le nom de mon fils, s’indigne Hocine en réarrangeant ses lunettes sur son nez. Un an pour qu’on considère que sa mort était grave. »

Aujourd’hui, Hocine est frustré. « J’ai toujours prié pour que mon fils soit le dernier d’une liste déjà longue. Malheureusement, il y a encore plus de victimes en lien avec la violence chez les jeunes », dit-il, désarçonné. La disparition de son fils a fini par lui faire réaliser que le système dans lequel il vit n’a pas pu lui procurer la sécurité à laquelle il a droit, juge-t-il. « Je suis un citoyen à part entière. Je paie mes impôts comme tout le monde ; j’ai aussi droit à la sécurité qu’on me promet. Et tous les parents qui ont perdu leurs enfants dans ces circonstances ont également ce droit. Le système a failli, le système nous a laissé tomber », affirme-t-il brutalement.

Le sexagénaire pense qu’il n’y aura pas de changements tant que les autorités ne prendront pas de réelles mesures. « Les parents ne sont pas les fautifs, les organismes communautaires ne peuvent pas tout faire, les policiers ne peuvent pas constamment surveiller nos jeunes », conclut-il. Selon lui, sonner l’alarme pour prévenir les élus qui, eux, ont un réel pouvoir d’action sur le plan législatif, est le seul moyen de modifier la dangereuse trajectoire que prennent certains jeunes.

Des peines plus sévères pour ceux qui exploitent les jeunes ? 

Lorsque la mort tragique du jeune Yanis a été rendue publique, l’alarme a sonné pour plusieurs parents et intervenants. « Reprenons nos jeunes » – tel est le slogan qu’ils ont trouvé pour le rassemblement organisé à Saint-Léonard par quelques organismes communautaires le 28 septembre dernier. 

De deux à trois cents parents de la communauté maghrébine, très présente dans l’arrondissement, se réunissent ce jour-là autour d’une immense préoccupation : le recrutement des jeunes par des groupes criminalisés.

Sur place, plusieurs intervenants, parents et jeunes vont prendre la parole pour lancer un message clair. « Il faut des actions concrètes de la part du gouvernement », déclare d’emblée Me Nazar Saty, avocat bénévole pour l’Association de la sépulture musulmane au Québec, qui a participé à l’organisation du rassemblement. Ce dernier lance un appel urgent à la « révision des lois contrant la pratique de recrutement de jeunes vulnérables par des groupes criminels ». « Il faut punir plus sévèrement les contrevenants qui, ajoute-t-il, profitent de la vulnérabilité des jeunes et l’exploitent. »

Cette demande, faite par Me Saty, est ensuite reprise par Andrés Fontecilla, de Québec solidaire (QS). Député de la circonscription de Laurier-Dorion, située dans l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, M. Fontecilla est le porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière de sécurité publique à l’Assemblée nationale. 

Au parc Wilfrid-Bastien, il est de ceux qui prennent la parole pour dénoncer la situation. « Ça n’a pas de bon sens qu’un jeune de 14 ans soit envoyé à l’abattoir par des criminels pour faire leur sale boulot », déclare-t-il au micro, faisant référence à la fin tragique du jeune Yanis. 

Le député montréalais est conscient de la détresse qui règne chez beaucoup de parents et d’intervenants. « On voit des jeunes ordinaires dériver vers la délinquance, être manipulés pour commettre des crimes très graves, ajoute-t-il. Ce qu’on demande d’abord et avant tout au ministère de la Sécurité publique, c’est de faire une consultation publique sur les enjeux qui préoccupent tout le monde en lien avec ce phénomène. On doit être capable de faire un diagnostic de la situation, un diagnostic fondé sur la parole des gens concernés – parents, enfants et intervenants. Il faut qu’on entende leur voix. »

« Le gouvernement se met la tête dans le sable »

« Il y a une volonté de mieux comprendre la situation de la part des parents », continue-t-il. « C’est pour cela qu’il faut répondre à la demande des parents. Il faut que le gouvernement ait cette même volonté », poursuit l’homme politique. Au cours des derniers mois, le porte-parole de QS en matière de sécurité publique a consulté plusieurs organismes qui travaillent dans sa circonscription, mais aussi ailleurs à Montréal. « Certains intervenants que j’ai rencontrés réclament une commission d’enquête sur la violence armée, plus particulièrement sur le recrutement des jeunes par des groupes criminalisés. D’autres, comme Me Saty, demandent des peines plus lourdes pour les criminels qui manipulent les jeunes », explique-t-il. 

M. Fontecilla n’est toutefois pas totalement convaincu par cette approche. « On peut considérer l’augmentation des peines pour les perpétrateurs, mais je ne pense pas que ça va solutionner le problème. Même si on alourdit les peines, il y aura toujours des crimes. Les jeunes ne penseront pas à ça, estime-t-il. On va peut-être avoir des résultats, mais à très long terme. » Il est aussi conscient qu’une bonne partie des criminels qui envoient les commandes aux plus jeunes sont déjà derrière les barreaux.

S’il tente de convaincre le gouvernement d’explorer les options que les citoyens réclament, il croit tout de même qu’il faut travailler en amont avec les forces de l’ordre, déjà présentes sur le terrain. « La police fait partie intégrante de la solution », n’hésite-t-il pas à dire. « Mais il ne faut pas oublier que son rôle, c’est la répression du crime. Il faut enfermer les contrevenants. Toutefois, je doute que l’augmentation des effectifs policiers réglera le problème », ajoute-t-il. « Il faut travailler en amont avec les agents de la paix. Il faut que tous les acteurs qui entourent les jeunes qui sont sur la voie de la criminalité collaborent pour bien encadrer ces derniers », pense-t-il.

Plus que tout, il croit que le gouvernement « s’entête et ferme les yeux sur une situation qui est alarmante », dénonce-t-il.

Il est persuadé que, pour éviter que des jeunes prennent la route de la délinquance, l’intervention sur le terrain est l’une des solutions clés. « Au-delà des mesures qui doivent être prises par le gouvernement, il faut construire une communauté qui entoure les jeunes, expose-t-il. Ça se fait par les parents à la maison, les employés de l’école, les intervenants et les policiers dans la rue, etc. Il faut créer une toile autour du jeune », conclut-il.

À Québec, la communication se fait mal

Dans un long courriel envoyé à La Converse, le ministère de la Sécurité publique (MSP) se dit « très préoccupé par la violence armée chez les jeunes ». « Il surveille l’évolution de la criminalité, identifie les facteurs de vulnérabilité et de protection et anticipe les nouvelles tendances criminelles », y assure la relationniste du MSP.

Afin d’assurer l’établissement d’un portrait concret de la situation, il dit prendre les mesures nécessaires. « La stratégie québécoise de lutte contre la violence armée (appelée CENTAURE) cible notamment les gangs. Elle regroupe des initiatives du gouvernement pour prévenir et contrer les violences armées. » Parmi ces initiatives, il y a la création de la Chaire de recherche sur la violence armée à Montréal, de PRÉVARM, un laboratoire vivant pour la prévention de la violence armée, ou encore la formation du Comité stratégique en sécurité urbaine de Montréal. «De plus, le MSP et le ministère de l’Éducation soutiennent financièrement le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence afin qu’il puisse offrir le service de la ligne RENFORT, une ligne d’écoute et de référencement destinée aux personnes qui sont préoccupées par la violence armée commise ou subie par les jeunes », précise la relationniste. 

Le MSP explique que les objectifs de la stratégie CENTAURE sont la prévention, la répression et le développement de connaissances, et que 40 % des fonds de cette stratégie sont dédiés à des initiatives de prévention pour la jeunesse. 

« En 2023-2024, 40,5 M$ ont été investis pour soutenir 300 initiatives, principalement destinés aux organismes communautaires pour embaucher des intervenants et mettre en œuvre des mesures d’accompagnement pour les jeunes à risque », y est-il par ailleurs mentionné. 

Lorsque nous avons demandé si le ministère explorait des options excluant l’intervention de la police, le MSP s’est contenté de dresser la liste des programmes existants.

Le MSP « encourage les parents à rester attentifs aux comportements de leurs enfants et à demander de l’aide si nécessaire », est-il écrit en fin de lettre. Le ministère rappelle l’existence de la ligne RENFORT et des autres ressources offertes pour soutenir les familles. 

*Prénom fictif utilisé pour assurer l’anonymat du témoin et protéger sa famille. 

La ligne RENFORT s’adresse aux personnes préoccupées par la violence armée, commise ou subie par les jeunes. Confidentielle, cette ligne est l’une des ressources mises en place par le gouvernement pour mieux outiller ceux et celles qui souhaitent obtenir de l’aide ou du soutien. 

À Montréal : 514 653-6363

À l’extérieur de Montréal : 1 833 863-6363

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