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« Nos quartiers, nos voix » – Dialogue entre intervenants face à la montée des crimes violents chez les jeunes
De gauche à droite, rangée du haut: Andrew Joseph, Abdellah Azzouz, et Salim El Asri. Rangée du bas: Mohamed Mimoun, Myriam Coppry, et Riguerre Antoine. Photo: Aude Simon
30/10/2024

« Nos quartiers, nos voix » – Dialogue entre intervenants face à la montée des crimes violents chez les jeunes

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5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Lorsque des intervenants ont cogné à la porte de La Converse, il y a de cela quelques semaines, nous avons vite compris l’urgence de la situation qui les poussait à venir vers nous. « Il faut trouver une solution, il faut créer un dialogue », nous ont-ils dit, presque à l’unisson. Le sujet préoccupant ? La violence qui prend de plus en plus de place dans la vie d’un certain nombre d’adolescents à Montréal. Une violence qui est encouragée par des gangs et qui touche les communautés racisées plus que les autres. 

Par une chaude soirée d’automne, Andrew Joseph, Salim El Asri, Myriam Coppry, Riguerre Antoine, Abdellah Azzouz et Mohamed Mimoun, tous intervenants auprès des jeunes, et des parents se sont échangé le micro dans nos bureaux. Le temps d’un dialogue, ils nous ont parlé et ont tenté d’expliquer les différentes facettes du phénomène de la violence armée qui emporte de plus en plus de jeunes. 

Trop de « Repose en paix »

Au cours des dernières années, si on vit à Montréal ou dans ses environs, il est difficile d’être passé à côté d’un phénomène préoccupant : celui des jeunes victimes d’une violence qui sévit de plus en plus dans les rues de la métropole.

7 février 2021. Difficile d’oublier Meriem Boundaoui, 15 ans, tuée par une balle perdue alors qu’elle se trouvait dans un véhicule en pleine journée dans l’arrondissement de Saint-Léonard.

14 novembre 2021. Quelques mois plus tard, c’est Thomas Trudel qui meurt à 16 ans, assassiné alors qu’il rentrait chez lui dans Saint-Michel.

13 janvier 2022. En fin de soirée, Amir Benayad, qui a 17 ans, est tué par balle dans un parc du Plateau-Mont-Royal.

28 mars 2024. Mehdi Moussaoui, 14 ans, et Marley St-Surin, 16 ans, succombent à leurs blessures à la suite d’un accident à bord d’une voiture au petit matin, après qu’ils eurent tiré sur des passants. 

17 septembre 2024. Mohamed-Yanis Seghouani, jeune Montréalais de 14 ans, est retrouvé mort près d’un repaire d’un groupe de motards criminalisés en Beauce. Il était armé.

Ce ne sont là qu’un petit nombre des dizaines de jeunes qui ont perdu la vie dans un contexte de violence armée à Montréal au cours des dernières années. Qu’est-il arrivé aux jeunes ? Et dans quel contexte un environnement aussi inquiétant s’est-il installé – surtout auprès des adolescents et des jeunes adultes issus de la diversité ? Des experts et des intervenants en discutent.

Que se passe-t-il à Montréal ?

« C’est complexe », répond Andrew Joseph. L’intervenant d’Équipe RDP, un OSBL créé en 1990 à Rivière-des-Prairies pour contrer la délinquance juvénile, travaille auprès des jeunes de son quartier et sait donc bien ce qu’ils vivent chaque jour. Il entraîne également des équipes sportives composées d’élèves du secondaire à Montréal-Nord. Pour lui, les jeunes subissent énormément de pression, tant sur le plan personnel que social. « Les adolescents vivent des vies différentes des nôtres. Ils sont une toute nouvelle génération qui fait face à des défis différents », estime-t-il. 

Pour comprendre les jeunes, il faut jeter un regard sur la société dans laquelle ils grandissent, enchaîne l’intervenant. « Aujourd’hui, ils survivent plus qu’ils ne passent de temps à vivre », poursuit-il. « Ce qu’on [leur] fait miroiter, c’est souvent bien différent de ce qu’ils expérimentent. Par exemple, ils apprennent durant leur enfance qu’à l’âge adulte, ils trouveront du travail et n’auront pas de problème s’ils suivent les règles. Puis, quand ils arrivent à 16, 17, 18 ans, personne ne les engage, et ils se sentent souvent exclus », résume-t-il. Il précise qu’il s’agit souvent d’une problématique à laquelle font face les jeunes racisés. 

« À partir de ce moment-là, c’est très facile pour un jeune de se tourner vers autre chose. Inconsciemment, il sent qu’il n’arrive pas à s’intégrer, en trouvant un travail par exemple. Il va alors voir comment se procurer certaines choses, comment remplir ses temps libres ; et là, il devient vulnérable et influençable », ajoute-t-il d’une traite. L’argent facile devient alors une option pour certains, qui sont attirés par l’appât du gain. 

Abdellah Azzouz, intervenant au Forum Jeunesse de Saint-Michel, est du même avis. Il tient toutefois à nuancer certains propos de son collègue de Rivière-des-Prairies : « Il se passe beaucoup de choses chez les jeunes. On peut tenter d’expliquer d’où provient le négatif, comme l’a fait Andrew, mais on peut aussi voir qu’il y a du positif et tenter de l’expliquer pour le répandre », dit-il sur un ton optimiste. 

D’origine algérienne et âgé de 25 ans, celui que l’on appelle par son nom de famille est bien connu des jeunes de son quartier, en majorité Maghrébins. Il partage certains des sentiments que les ados ressentent, comme la frustration, la colère, l’exclusion, ayant lui aussi grandi dans un quartier stigmatisé. Il souhaite toutefois miser sur les ados, car il reconnaît leur potentiel. « On arrive à voir des jeunes qui changent et qui deviennent d’autres personnes. Des jeunes qui proposent des idées et qui souhaitent que les autorités les écoutent au lieu de parler d’eux », précise-t-il. 

Les jeunes qui commettent des crimes ne le font pas tous pour la même raison, souligne-t-il. « Dans l’immédiat, certains le font pour l’argent. La plupart ne le font pourtant pas pour l’argent, mais pour se faire reconnaître par leur entourage et augmenter le sentiment d’appartenance qu’ils n’ont peut-être pas ailleurs », analyse-t-il. 

Responsabiliser les parents sans les accuser

Myriam Coppry est coach pour les parents issus de la diversité. Elle travaille depuis quelques années auprès de parents qui, souvent laissés à eux-mêmes, se retrouvent dans un état de grand découragement lorsqu’ils doivent faire face à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). 

« S’il y a une chose que je dénonce, c’est qu’on ne laisse que très peu ou pas de place aux parents lorsqu’on parle d’intervenir auprès des jeunes », s’empresse-t-elle de dire. Elle ne comprend pas comment l’isolement des parents pourrait aider leurs enfants. Elle sait en revanche que cela empire la situation. « On fait face à des parents délaissés par le système, qui ne savent pas quoi faire pour remédier à la situation, et qui même, parfois, ne savent même pas quelle est la situation ! » s’exclame-t-elle. 

Pour la coach, il est inadmissible que des parents ne soient pas mis au courant des plans d’intervention qui sont préparés pour leur progéniture. « On ne peut pas régler un problème si on brise le lien. Il faut toujours garder le lien – entre les parents et les enfants, entre les parents et le système », affirme-t-elle en replaçant ses lunettes sur son nez. 

« Depuis quelques mois, j’entends dire partout : “Où sont les parents ? Comment ont-ils fait pour ne pas savoir que leurs enfants étaient embourbés dans des histoires de crime ? C’est aux parents de bien s’occuper de leurs jeunes afin que ça ne se reproduise plus.” » Cette accusation portée contre les parents ne fait que jeter de l’huile sur le feu, estime-t-elle. « On ne peut pas [leur] en vouloir quand le mal est fait, et les écarter quand il est temps de trouver une solution. C’est de l’hypocrisie, affirme-t-elle avec fermeté. Il faut apprendre à responsabiliser les parents sans les accuser. »

C’est au tour de Mohamed Mimoun de prendre la parole. Le coordonnateur du Forum Jeunesse de Saint-Michel n’en n’est pas à sa première prise de parole : à Montréal, il est un véritable pilier, et ce, autant pour les jeunes que pour les parents maghrébins qui font face à ce phénomène de violence juvénile. 

« La sécurité, c’est un enjeu qui concerne tout le monde. Mais quand on parle de la lutte contre la violence, ce qui me préoccupe, c’est comment cette sécurité devient un outil entre les mains de certains », commence-t-il. Même s’il parle doucement, le père de famille a un certain sérieux dans la voix qui force le respect. « Actuellement, des parents ont peur de demander de l’aide pour leurs jeunes parce qu’ils craignent qu’on leur retire leurs enfants », témoigne-t-il, indigné. 

Certains parents avec qui il travaille se méfient de la police et des institutions en général, raconte-t-il. « C’est peut-être un détail pour certains, mais pour d’autres, ça peut être la cause de la perte d’un enfant », souligne-t-il amèrement.

Il n’y a pas de solution miracle, mais… 

Riguerre Antoine prend finalement la parole. Intervenant de rue depuis 1997 à Rivière-des-Prairies, il est considéré comme un pionnier de l’intervention auprès des jeunes dans son quartier. « Quand on accepte le terme “marginalisé”, c’est qu’on accepte de vivre en marge de la société. Je refuse cela, et je pense que nos jeunes doivent encore moins l’accepter, surtout quand on sait que, pour beaucoup, ils sont nés et ont grandi à Montréal », déclare-t-il avec vigueur. 

Contrairement à M. Mimoun, qui a pris la parole juste avant, la voix de M. Antoine gronde dans les studios de La Converse. Et alors que certains jeunes dans le public commençaient à être distraits au fil des interventions, c’est comme si Riguerre avait recentré leur attention. « Ce qu’il se passe à Montréal, ça ne se passe pas seulement ici. Il y a des jeunes qui commettent des crimes partout dans le monde depuis la nuit des temps, expose-t-il. Il ne faut pas penser que, parce qu’on vient de Montréal, qu’on appartient à une communauté racisée et qu’on est surreprésenté dans les faits divers, c’est une condamnation », dit-il. 

« Je veux rappeler aux jeunes qu’ils sont ici chez eux. Il ne faut pas penser qu’on n’appartient pas à cette société, même si parfois, c’est facile de le croire, poursuit-il. Nos jeunes ne doivent pas vivre dans la marginalité, ils font partie intégrante de la société. » Il renchérit en relevant les épaules : « Il n’y a peut-être pas de solution miracle, mais il y a de l’espoir et un avenir meilleur, c’est certain. »

Avant même que quelqu’un d’autre ne prenne la parole, une vague d’applaudissements résonne dans les locaux. Intervenants, jeunes, parents et public semblent accueillir les mots du pionnier d’Équipe RDP avec joie. « La solution miracle n’existe pas, reprend d’ailleurs Salim El Asri, alors qu’on entend le bruit des derniers applaudissements, mais il existe des pistes pour mieux prévenir les drames. »

Coordonnateur du travail de rue et de la prévention à Prévention Pointe-de-l’Île, un organisme de l’est de la ville, il reprend un peu toutes les thématiques que ses interlocuteurs ont abordées au cours de la dernière heure. « Incompréhension du système de la part des jeunes et des familles et énorme décalage entre la société et les jeunes : c’est ce qui préoccupe nos jeunes, affirme-t-il. Je ne sors pas ces informations de mon chapeau, ce sont eux-mêmes qui nous le disent », assure-t-il. 

Les jeunes ne sont pas assez écoutés, valorisés, pris en considération : c’est ça, la racine du problème, pense-t-il. « L’exclusion, de tous les côtés, vient isoler les jeunes, et le message qu’on leur lance, c’est qu’ils n’ont pas leur place ici. Aidons-les et soyons là pour eux », lance-t-il comme message avec une pointe d’émotion dans la voix. 

Fort de ses 13 ans d’expérience en intervention, Salim en a vu de toutes les couleurs. Le travailleur de Pointe-aux-Trembles reste tout de même sûr et certain d’une chose : « On aime les jeunes, et ils doivent le savoir. On pense qu’ils le savent à travers les gestes qu’on fait, mais on doit le leur dire clairement », affirme-t-il avec passion. 

La soirée tire à sa fin. La fatigue commence à se faire sentir parmi les jeunes, présents depuis le début de la discussion. Si nos invités ont tous évoqué des aspects différents en ce qui concerne la recrudescence des crimes violents chez les adolescents, ils sont toutefois unanimes sur un point : même si les motivations qui poussent les jeunes à la délinquance sont multiples, « les conséquences sont les mêmes », rappelle Salim. Et c’est cela qu’on doit garder en tête, ajoute-t-il. 

L’actualité à travers le dialogue.
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