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Montée des discours transphobes : comment va la communauté trans et non binaire ?
Lanzz dans son bureau. Photo : Charline Caro
7/3/2025

Montée des discours transphobes : comment va la communauté trans et non binaire ?

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Les personnes trans et non binaires font face à une montée de la haine à leur égard, marquée par la diffusion grandissante de discours d’extrême droite. Des États-Unis, où Donald Trump a signé de nombreux décrets transphobes, au Canada et au Québec, où la tolérance envers la communauté LGBTQ+ recule, le contexte socio-politique peut être anxiogène pour les personnes concernées. Rencontre avec deux d’entre elles.

Keffieh autour du cou et lunettes teintées violettes sur le nez, Iriniel s’affaire derrière le comptoir du Café Aquin. C’est dans ce lieu queer et féministe que l’étudiant·e de 22 ans a souhaité nous rencontrer pour discuter du ressac anti-LGBTQ+. Arrivé·e l’année dernière à Montréal pour étudier, Iriniel a grandi à Sherbrooke et est né·e à Madagascar. Poursuivant un baccalauréat en travail social, iel travaille au Café Aquin et s’implique au sein de l’organisme QueerUqam. En nous voyant arriver, Iriniel nous invite à nous asseoir en attendant que son service se termine.

Quelques minutes plus tard, iel rejoint notre table, la mine assez grave. Iel croise ses mains sur la table, révélant le vernis coloré sur ses ongles. À la question « Comment vas-tu en ce moment ? », l’étudiant·e fait entendre un petit rire avant de répondre : « Pas très bien honnêtement. » Étant non binaire, Iriniel s’inquiète de la montée de l’extrême droite et des discours transphobes, à la fois aux États-Unis, en Europe et au Canada. « C’est un mélange de tout ça qui est très anxiogène », nous confie-t-iel. 

Même si Iriniel considère que le Québec et l’UQAM sont des milieux « assez safe », sa santé mentale est tout de même affectée par cette remise en question des droits des personnes trans et non binaires. « Quand je suis seul·e chez moi et que je regarde les réseaux sociaux, l’anxiété vient vite. » Son engagement militant et ses études en travail social l’exposent encore plus aux difficultés que vivent les personnes marginalisées. « C’est surtout le sentiment d’impuissance qui est désagréable, de se dire : “Qu’est-ce que je peux faire à mon échelle ?” », poursuit-iel.

Vivre l’intolérance au quotidien

Quelques jours plus tard, nous rencontrons Lanzz, chargé de coordination à la Coalition des familles LGBTQ+. Il nous accueille avec un sourire chaleureux dans les bureaux de l’organisme. Vêtu d’un pull rouge vif et portant des bijoux dorés, il détonne devant les murs neutres et blancs des locaux. Originaire de la Martinique, Lanzz s’est installé à Montréal il y a une vingtaine d’années. Il a aujourd’hui une blonde, deux enfants, et un travail qu’il adore. Après nous avoir proposé des chaussons, il s’attable dans la salle de réunion, disposant devant lui des notes préparées pour notre échange.

Lorsque nous l’interrogeons sur son état général, l’enthousiasme des premières minutes disparaît et laisse la place à une mine sombre. Un sourire triste aux lèvres, le quarantenaire nous confie que la période est difficile pour les personnes de la diversité de genre et sexuelle, ainsi que pour les communautés racisées. Lanzz est genderfluide, et se genre au masculin comme au féminin. Il évoque, comme Iriniel, une « montée de l’extrême droite et des idées d’outre-temps », qui mettent en péril son existence ainsi que celle de ses proches.

Au quotidien, Lanzz fait ainsi face à des personnes qui refusent son identité et qui essayent de l’inscrire dans un cadre défini, en soutenant par exemple qu’il est un garçon manqué, « ce qui est faux », précise-t-il. En conséquence, il évite de parler de son identité pour ne « pas avoir à tout le temps [se] justifier ».

Il lui est arrivé de devoir faire face à des comportements agressifs, notamment depuis qu’il a eu recours à une mastectomie pour mieux se sentir dans son genre. Au spa, Lanzz se fait régulièrement dévisager par des clients qui commentent son apparence « avec dégoût » juste devant lui, « espérant [qu’il n’aille] pas dans le vestiaire des filles ». Quand il est en famille, il se fait parfois interpeller avec véhémence par des inconnus lorsque ses enfants l’appellent « maman ». Dans les toilettes publiques, il s’est déjà fait expulser physiquement par des usagers.

Lanzz l’affirme, tout va en empirant. « Il y a des discours tellement violents envers l’affirmation de genre ; le regard des gens devient de plus en plus décomplexé », déclare-t-il, la voix pleine d’émotion. « Avant, les gens regardaient un petit coup. Maintenant, ils te dévisagent. » Il dit ne pas en vouloir à ces personnes, mais regrette que des moments avec ses proches soient gâchés. 

La menace trumpiste

Lorsqu’on lui parle de la situation aux États-Unis, Lanzz plaisante : « On peut passer à la question suivante ? » Il retrouve son sérieux à l’évocation de la réélection de Donald Trump, et les décrets « complètement débiles qu’il a signés les uns à la suite des autres ». Quelques jours après son assermentation, le nouveau président a adopté une série de décrets contre les personnes trans et non binaires. Ces textes mettent fin aux aides publiques pour les traitements de transition de genre des mineurs, révoquent les passeports avec le genre X ou interdisent encore « l’idéologie transgenre » dans l’armée.

Avant même de s’inquiéter pour lui, Lanzz pense aux « gamins », et aux conséquences qu’auront ces discours sur leur santé mentale. « J’ai peur qu’à un moment donné, on entende de moins en moins les jeunes trans et non binaires. Pas parce qu’il n’y en aura plus, mais parce que la peur sera trop grande », expose-t-il d’une voix légèrement tremblante. 

Même si Iriniel a suivi l’élection américaine avec attention, iel a été surpris·e de la rapidité avec laquelle Trump a mis en œuvre certaines promesses transphobes de sa campagne. « C’est effrayant », juge l’étudiant·e dans un mélange d’incompréhension et d’inquiétude. 

Une montée de la haine au Canada

Si la situation aux États-Unis inquiète la communauté queer d’ici, c’est parce que les frontières politiques avec le Canada sont poreuses. Certains politiciens reprennent déjà à leur compte la rhétorique du président américain, comme le chef conservateur Pierre Poilievre, qui a déclaré qu’il ne reconnaissait que deux genres. Au Québec, le Parti québécois (PQ) s’est abstenu, dernièrement, lors du vote d’une motion contre l’homophobie.

Au-delà des politiciens, une partie de la population canadienne est de plus en plus hostile envers les communautés LGBTQ+. Le dernier rapport du Groupe de recherche et d’intervention sociale de Montréal (GRIS-Montréal) rapporte une hausse du « malaise » des jeunes face à la diversité sexuelle au Québec. Pour la première fois depuis 30 ans, l’organisme observe un recul de la tolérance des jeunes envers les minorités sexuelles. Près de 40 % des sondés disent éprouver un malaise face à l’orientation sexuelle d’un ami gay en 2023-2024, contre près de 17 % en 2021-2022.

Lanzz s’interroge sur ces résultats. « Est-ce qu’on est dans un “malaise” ou est-ce qu’on est véritablement dans une haine profonde ? » Il cite, rapport à l’appui, une jeune sondée de 13 ans qui déclare qu’elle trouve « dégueulasses » les personnes homosexuelles et bisexuelles, les comparant à des « animaux ». Iriniel, de son côté, s’inquiète que ces jeunes soient bientôt en âge de voter.

D’autres événements inquiètent Lanzz et Iriniel. Les deux évoquent notamment les manifestations transphobes organisées depuis deux ans à Montréal et dans plusieurs villes du Canada, le succès des discours masculinistes et les débats politiques autour des toilettes mixtes. Dans ce contexte, suivre les nouvelles n’est pas évident, témoigne Iriniel : « Ç’a un gros impact sur l’humeur, sur la motivation à continuer à vivre et à revendiquer ses droits. »

Une attention démesurée

Dans un soupir, Lanzz relève le contraste saisissant entre la hausse des discours hostiles à la diversité de genre et le taux de population ciblée par ces discours haineux. Selon Statistique Canada, les personnes trans et non binaires représentaient 0,33 % de la population canadienne en 2021. « Avant, on ne parlait pas des personnes trans et non binaires, et pourtant il y en a toujours eu », remarque-t-il.

Si cette communauté retient autant l’attention médiatique et politique, c’est parce qu’elle remet en cause les normes établies par la société, analyse Lanzz. Aux femmes trans, on demande: « Comment tu oses devenir une femme dans cette société ? Tu es un homme, tu perds tous tes privilèges », estime-t-il. Et aux hommes trans, on signifie qu’ils « ne seront jamais de vrais hommes ».

Iriniel regrette que la population n’entende parler des personnes trans et non binaires qu’à travers le prisme de mesures transphobes. « La plupart des gens vont avoir une opinion négative [de la communauté trans] sans en savoir quoi que ce soit », considère l’étudiant·e. 

Une transphobie doublée de racisme

Si les minorités de genre deviennent des cibles politiques et sociétales, les autres communautés marginalisées le sont également. La stigmatisation est ainsi décuplée si « tu te trouves à l’intersection » de plusieurs minorités, souligne Lanzz, qui a l’impression que le racisme est de plus en plus décomplexé. 

La transphobie et le racisme sont motivés selon lui par la montée des mêmes discours, à savoir ceux de l’extrême droite et du masculinisme. « Ça peut devenir compliqué d’être une famille LGBT et BIPOC, parce qu’il y a une montée de la haine globale », relève-t-il. Au cours de certaines agressions qu’il a subies, Lanzz a cherché à comprendre si le motif principal était son identité de genre ou sa couleur de peau. Iriniel aussi ne sait pas comment qualifier les remarques « un peu xénophobes, un peu transphobes » qu’iel a reçues en travaillant dans un service à la clientèle. 

L’énergie du désespoir 

Iriniel et Lanzz sont pris de court lorsque nous leur demandons ce qui serait souhaitable pour leur bien-être en cette période troublée. Après quelques secondes de réflexion, Iriniel lance : « Ce serait très utopique, mais s’il pouvait juste se passer genre une semaine sans trop de mauvaises nouvelles, ça ferait du bien. » Occupé·e par ses études, son travail et ses activités militantes, l’étudiant·e semble submergé·e par la charge mentale imposée par le contexte politique. De son côté, Lanzz aimerait « qu’on foute la paix aux personnes queers, trans et non binaires, qu’on les laisse utiliser l’espace, car ce sont des personnes à part entière. » 

Même si les deux considèrent leurs souhaits comme étant quelque peu utopiques, l’étudiant·e et le coordonnateur d’OBNL ne veulent pas se laisser abattre par le backlash actuel. « On va continuer à sortir, à être qui on est, lâche Lanzz, plein de détermination. Je vais dire haut et fort que je suis une personne qui a le droit d’exister. » Malgré son inquiétude, Iriniel ajoute que sa volonté est toujours là, et qu’elle est même décuplée face aux défis qui s’imposent à sa communauté. « Rendu au stade où on est, on risque d’être perdants, mais en essayant de faire quelque chose, on risque d’être gagnants aussi », soutient l’étudiant·e, qui concède toutefois que c’est « peut-être un peu l’énergie du désespoir ».

Iriniel continuera ainsi à s’impliquer au sein de son organisme queer étudiant, à faire du bénévolat, à signer des pétitions, à encourager les artistes queers, à dénoncer les propos discriminants et à se tenir au courant. Quant à Lanzz, il continuera à être visible, à être fier de sa famille, à aider les parents LGBTQ+ par l’intermédiaire de son organisme et à clamer qu’il a le droit d’exister.

Pour les autres, qu’ils et elles fassent partie de la communauté LGBTQ+ ou non, Iriniel les encourage à « aller vers ceux qui sont moins privilégiés pour essayer de comprendre leur réalité, puis de développer une solidarité ensemble ». Lanzz rappelle que « respecter la personne en face de soi, c’est fondamental », avant de conclure : « Mon utopie elle est là, mais je refuse de croire que c’est si utopique que ça. »

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