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Forum Jeunesse de Saint-Michel : « Si ça ferme, beaucoup de jeunes vont retourner dans la rue »
Mohamed Mimoun et Abdellah Azzouz du Forum Jeunesse de Saint-Michel. Photo : Édouard Desroches
10/2/2025

Forum Jeunesse de Saint-Michel : « Si ça ferme, beaucoup de jeunes vont retourner dans la rue »

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5 Minutes
Initiative de journalisme local
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Baisse des subventions publiques, augmentation des demandes d’accompagnement, difficultés structurelles – le monde communautaire souffre. Le Forum Jeunesse de Saint-Michel ne fait pas exception et craint de devoir fermer ses portes. Au cœur d’un quartier en proie à des défis sociaux majeurs, notamment à la violence juvénile, le Forum Jeunesse se trouve dans une impasse, et le manque de financement stable pourrait sonner le glas de cet organisme qui est depuis plus de 20 ans au service des jeunes et de leurs familles. Reportage.

Des canapés marron vieillis par tous les adolescents qui s’y sont assis, un billard central où les parties sont quotidiennes, des bibliothèques qui croulent sous les livres, une cuisine sommaire pour déjouer la faim et quelques ordinateurs au fond. Le Forum Jeunesse de Saint-Michel, c’est ce grand espace où les portes sont toujours ouvertes, où l’écoute et l’accompagnement sont au cœur de l’action. Mais aujourd’hui, les mines sont grises et l’ambiance morose. L’organisme, comme tant d’autres dans le secteur communautaire, est à court de financement et ne sait comment poursuivre sa mission. 

« Si ça ferme demain, je ne sais pas ce que je vais devenir », confie l’un des jeunes qui fréquentent les lieux. Autour d’un hamburger et de quelques frites, ils sont une dizaine à avoir accepté de se confier à La Converse. « Le Forum, c’est ma famille, c’est le seul endroit où on peut aller pour se retrouver entre amis, pour avoir de l’aide si on a un problème, pour participer à des activités… » confirme Samy derrière ses lunettes fumées bleues. 

Un rempart contre la rue

Photo : Édoouard Desroches

Dans le quartier de Saint-Michel, le Forum Jeunesse est bien plus qu’un centre communautaire : c’est un refuge, un tremplin, un espace d’espoir pour plusieurs jeunes en quête de repères. Chaque jeune qui passe la porte affiche un large sourire, une joie sincère de s’y retrouver. Ici, tout le monde connaît tout le monde, et personne ne juge personne. Chacun vient avec ses bagages plus ou moins lourds, avec son vécu plus ou moins douloureux, et s’en déleste ici. Plus qu’un simple local, le Forum est un espace où des jeunes comme Samy trouvent du soutien, de l’encadrement et une chance de rebâtir leur avenir. 

Sa fermeture signifierait la perte d’un service essentiel dans un quartier qui en a fortement besoin. Une possibilité qui inquiète profondément Samy et les autres jeunes. « Je ne peux pas imaginer si le Forum ferme... Les personnes qui en font partie ne sont pas que des amis, ils sont ma deuxième famille. Pendant les vacances, j’avais déjà du mal à ne pas y aller, alors si ça ferme, beaucoup de jeunes vont retourner à la rue, c’est certain », affirme le jeune homme de 19 ans. 

Car le Forum Jeunesse de Saint-Michel est avant tout un lieu qui offre des activités à ces jeunes, une solution de rechange à la rue – le seul autre endroit où ils peuvent se retrouver entre amis, mais où ils deviennent la cible de recruteurs de réseaux criminels. « Ce que je préfère, au Forum, c’est qu’on fait des activités tous ensemble, comme le samedi, quand on cuisine pour les personnes itinérantes et qu’on va distribuer les repas à Berri-UQAM. J’aime ça parce qu’on aide les autres », assure Soulim.

Soccer, rédaction de CV, simulations d’entrevues d’embauche, sensibilisation, jeux, radio communautaire, création de capsules vidéo pour dénoncer le harcèlement de rue, rencontres avec des prisonniers – les projets menés avec les jeunes sont aussi variés qu’utiles. « Tout nous sert à faire de l’intervention sociale, à leur montrer un autre chemin, à leur permettre de se révéler », explique Abdellah Azzouz, le seul intervenant en poste, qui n’a plus de salaire depuis deux semaines. Car si le Forum Jeunesse de Saint-Michel est en péril, c’est uniquement pour des raisons financières.

Un financement ponctuel et insuffisant

Avant l’arrivée de Mohamed Mimoun au local ce soir-là, les jeunes ne tarissent pas d’éloges sur le coordonnateur du Forum. « C’est quelqu’un qui se dévoue pour l’organisme depuis plus de 15 ans, qui ne compte pas ses heures, qui répond aux parents inquiets à 2 h du matin, qui ne dit jamais non quand on a besoin de lui, même la fin de semaine ! Mais ça reste un être humain, et on s’inquiète pour lui, car il ne peut pas continuer à tout faire comme ça. Le Forum Jeunesse n’existe pas grâce à son local, il existe grâce à Momo », résume Adam, le président du conseil d’administration de l’organisme. 

En effet, Mohamed Mimoun n’est pas du genre à se plaindre à longueur de journée. Mari et père d’un enfant atteint d’autisme, il consacre tout son temps aux jeunes. L’une des principales difficultés du Forum Jeunesse de Saint-Michel réside dans la gestion de son financement, qui est souvent insuffisant et ponctuel. 

« Le problème, c’est que les subventions sont attribuées projet par projet et pour une année seulement. Il n’y a aucun financement pour payer le fonctionnement même de l’organisme, à commencer par le loyer mensuel de 3 000 $ pour ce local, explique celui que tous surnomment affectueusement Momo. On a déjà de la chance d’avoir pu trouver un propriétaire qui accepte de louer à un organisme travaillant avec des jeunes, car souvent les propriétaires ne veulent pas. Mais ça fait seulement deux ans qu’on est ici. Après avoir travaillé de façon itinérante durant des années, on a enfin un lieu qui est devenu un repaire pour ces jeunes, mais on risque déjà de le perdre, car on n’a pas pu payer le loyer ce mois-ci. »

Ce système de financement par projet, où chaque initiative dépend de subventions limitées dans le temps, place l’organisme dans une position précaire. Bien qu’un financement spécial lui ait été octroyé l’année dernière pour lutter contre la violence, « il n’a pas été renouvelé », déplore Momo, qui comptait sur cette aide pour poursuivre ses activités. Il ne parvient pas à retenir ses larmes en évoquant cette situation. 

Dans son dernier budget, l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension n’offre en effet pas de subvention au Forum Jeunesse de Saint-Michel. D’autres organismes, dont le rôle est important, mais qui ne sont pas spécialisés en prévention de la violence, en bénéficient pourtant, déplorent les intervenants jeunesse. 

Sollicitée pour une entrevue, la mairesse de l’arrondissement, Laurence Lavigne Lalonde, n’était « pas disponible ». Son service de communication nous a cependant transmis le message suivant : « Le Forum Jeunesse de Saint-Michel offre des activités importantes pour les jeunes de notre arrondissement. La Ville les soutient financièrement via un soutien provincial et au niveau de l’arrondissement, on les soutient entre autres en leur offrant un local. On fait notre part, on continue de le faire et on espère que l’organisme arrivera à boucler son budget comme pour les années précédentes. » Lorsqu’elle évoque un local mis à disposition de l’organisme, la mairesse fait ici référence à un bureau administratif au sous-sol de la bibliothèque, qui a en effet été attribué à l’organisme par les autorités municipales précédentes. Il ne s’agit pas du local qui accueille les jeunes.

« Nous en avons assez de travailler sur des projets ponctuels. Il est essentiel de pouvoir offrir des projets financés sur plusieurs années », estime Mohamed Mimoun, tout comme de nombreux acteurs communautaires. Cette incertitude sur l’avenir du financement du Forum Jeunesse menace non seulement la pérennité de ses activités, mais également la capacité de l’organisme à répondre aux besoins croissants des jeunes et de leurs parents.

Un rôle crucial de médiation auprès des parents

En plus des jeunes, des parents désespérés frappent en effet chaque jour à la porte du Forum, cherchant une oreille attentive et des solutions pour résoudre des situations familiales de plus en plus tendues. 

« Mon téléphone sonne constamment, et plus souvent en lien avec des sujets de prévention de la radicalisation ; il s’agit d’appels de parents », raconte Mohamed Mimoun. L’intensité dans sa voix trahit la lourdeur du travail. « Nous avons été directement concernés par la violence, car nous avons perdu des jeunes dans notre quartier. Cela a beaucoup affecté la communauté maghrébine. » L’organisme, qui a acquis une réputation d’expertise dans le domaine de la gestion de crise et de la violence juvénile, intervient dans des situations de crise en apportant une médiation aux familles. Les appels que reçoit Mohamed Mimoun proviennent ainsi de parents angoissés, souvent désemparés lorsqu’un enfant a disparu ou est impliqué dans des actes de délinquance.

Malgré la surcharge de travail, le manque de financement et de personnel, l’organisme continue d’offrir du soutien aux jeunes et à leurs familles. « Quand je reçois l’appel d’une mère en pleurs, même si je ne suis pas payé et même si c’est à 23 h le soir, je ne peux pas refuser, explique Momo. Dernièrement, un jeune m’a dit qu’on lui avait proposé 500 $ pour casser une voiture. Si je ne suis pas là pour lui répondre et lui rappeler pourquoi il ne faut pas qu’il le fasse, il pourrait se laisser tenter. »

Avec autant de demandes, le travail laborieux de recherche de financement passe donc souvent au second plan. « Nous avons une petite équipe de terrain, qui connaît bien sa communauté, mais une communauté qui reste marginalisée et pas suffisamment structurée », souligne Mohamed Mimoun. 

Cette absence de structuration et de réseau d’appui solide du milieu communautaire accentue la vulnérabilité de l’organisme face aux crises de financement. Aujourd’hui, il n’a d’autre choix que de lancer un appel à l’aide. « On cherche des bailleurs de fonds qui voudraient financer notre mission. Si on avait au moins de quoi payer les 36 000 $ de loyer annuel, cela nous permettrait de respirer. Ensuite, on verra… » assure l’intervenant.

Il est épuisé, mais il entend mener le combat jusqu’au bout pour ces jeunes qui comptent sur lui et pour l’équipe du Forum Jeunesse de Saint-Michel. Prêts à contribuer à cette lutte, plusieurs de ces jeunes nous ont confié leur parcours et expliqué en quoi la rencontre avec l’organisme a été décisive pour eux. Voici leurs récits.

Samy, 19 ans : un futur intervenant social

Samy. Photo : Aya Boucenna 

Originaire d’Algérie, Samy pense passer des vacances chez son père lorsqu’il arrive au Canada à 15 ans. « On m’a caché la vérité parce qu’ils savaient que j’allais refuser de partir et de laisser derrière moi mes grands-parents, ceux qui m’ont élevé », souffle-t-il. Parti sans dire au revoir, il subit un choc si fort qu’il se renferme sur lui-même durant des mois, refuse de s’intégrer à sa nouvelle réalité et sombre dans la dépression.

« Je passais tout mon temps dans ma chambre, enfermé, sans parler à personne. Jusqu’au jour où j’ai craqué et où j’ai voulu me faire du mal », confie le jeune homme avec pudeur. Lorsqu’il comprend qu’il ne retournera pas dans son pays natal, il commence à accepter l’idée d’aller à l’école, mais fait de mauvaises rencontres. « J’ai fait des erreurs, j’ai suivi des gens qui m’ont entraîné sur une mauvaise route. J’ai fait des bêtises, j’ai essayé des choses… » avoue-t-il. Mais c’est en commettant ces erreurs qu’il a vécu un déclic. « Le jour où j’ai échappé à de graves ennuis avec la justice, j’ai compris que je voulais autre chose pour moi. J’ai changé mes fréquentations, et c’est à ce moment que j’ai découvert le Forum Jeunesse. Ça a tout changé, ça m’a vraiment aidé à m’en sortir. »

C’est grâce à un ami qu’il commence à fréquenter cet espace communautaire, d’abord timidement, puis de manière plus assidue. « J’ai rencontré Momo et Abdellah Azzouz. Ils ont tout fait pour moi, peu importe mes problèmes : familiaux, financiers, et même avec la justice. Ici, j’ai trouvé des gens qui m’écoutent, qui me comprennent et qui m’aident réellement. Momo est un père pour moi, je passe plus de temps avec lui qu’avec mon propre père, et Azzouz est comme un frère. »

Aujourd’hui, Samy est déterminé à aller de l’avant, malgré les tensions qui règnent encore avec sa famille et le fait qu’il n’ait pas de logement. Il cherche un emploi, tente de mener une existence plus stable et a trouvé sa voie. « Azzouz m’inspire énormément. J’aimerais être la relève du travail d’Azzouz. J’aimerais aider les gens comme on m’a aidé », explique-t-il.

Ramzi, 17 ans : « Momo, c’est comme mon deuxième père, et Azzouz, c’est comme mon grand frère »

Ramzi. Photo : Sabrina Laradji

« Si le Forum ne nous guidait pas dans la bonne direction, on n’aimerait pas ce Forum. » Ramzi, qui est âgé de 17 ans, prononce ces mots avec un sourire. Le jeune homme nous vient tout droit des coins animés de la rue Masson. Il s’est retrouvé au Forum Jeunesse il y a un peu plus de trois mois. C’est lors d’une partie de « foot », comme il dit, que son « gars Ayoub » lui a parlé du Forum et l’a invité à faire la connaissance de Momo et d’Azzouz. Ce local rempli de couleurs, de livres, de coins cozy, d’activités et de photos est devenu une oasis pour ce jeune, qui apprécie les rencontres, l’ambiance et les amis qu’il s’y fait. 

À son jeune âge, il a fait le choix d’arrêter l’école et a voulu très vite intégrer le monde du travail. Arrivé à Montréal en 2019, il s’est retrouvé dans une classe d’accueil et n’a pas particulièrement apprécié son expérience. Il a donc préféré interrompre ses études, malgré ses bonnes notes, et consacrer toute son énergie à la recherche d’un emploi dans le domaine qui le passionne : la boxe. C’est au Forum qu’il a trouvé le soutien dont il avait besoin pour réaliser ses projets. 

Momo lui a été d’une aide immense dans sa recherche d’emploi, explique-t-il. Il lui a montré comment faire son CV et l’a guidé vers une salle de boxe. Momo s’est aussi entretenu avec un entraîneur de boxe, et l’adolescent espère commencer l’entraînement très prochainement. 

En plus d’être une source d’encouragement et de soutien, le Forum est aussi une seconde famille pour Ramzi. « Momo, c’est comme mon deuxième père, et Azzouz, c’est comme mon grand frère, et il y a mes amis ici qui sont comme mes frères – je les aime tous », dit-il, visiblement heureux. Au Forum, il fait du football, de la cuisine, des sorties en bonne compagnie qui le gardent sur le bon chemin. Pour lui, si le Forum venait à fermer, « ce ne serait pas bon pour [nous] ». Beaucoup de jeunes se retrouveraient sans occupation, déplore-t-il. « S’ils ne viennent pas au Forum, certains jeunes prendront une mauvaise direction. » 

Bouchra, 28 ans : du Forum Jeunesse à la maîtrise en sociologie

À 28 ans, Bouchra porte en elle l’empreinte indélébile du Forum Jeunesse. Il y a huit ans, encore étudiante au cégep, elle a poussé la porte de cet espace vibrant d’échanges et de réflexions. Aujourd’hui, bien que sa vie l’ait menée ailleurs, le lien qu’elle conserve avec le Forum et avec Momo, son pilier, demeure intact. « Pour moi, le Forum, c’est comme une maison. Quand je vais en Algérie, je rends visite à ma famille. Ici, c’est pareil. C’est un espace qui m’a toujours accueillie dans les moments difficiles. »

Elle habite à proximité et y passe régulièrement, juste pour dire bonjour, prendre des nouvelles, s’imprégner de cette atmosphère familière, où elle a tant appris. Pour elle, le Forum était plus qu’un lieu de rencontre : « C’était une école de l’engagement social, communautaire, politique et de la réflexion. Le Forum plante des graines, mais tu ne t’en rends pas compte quand tu es jeune et que tu le fréquentes. C’est bien plus tard que tu réalises l’effet qu’il a eu sur toi. »

En replongeant dans ses souvenirs, son regard s’illumine. Elle revoit ces vendredis soirs où, entourée d’autres jeunes de son âge, elle débattait de sujets d’actualité brûlants. « À l’époque, on était en plein débat sur la Charte des valeurs, l’islamophobie et tout ce contexte social en effervescence. » Les discussions étaient passionnées, les questionnements nombreux et, surtout, le sentiment d’appartenance était indéfectible. 

Le Forum lui a ouvert des horizons insoupçonnés. Des invités venaient y partager leur expertise : étudiants à la maîtrise, chercheurs, politiciens… Un monde fascinant, auquel elle n’aurait sans doute pas eu accès autrement. « Momo nous poussait à nous impliquer. Il disait : “Tiens, la semaine prochaine, c’est toi qui vas présenter.” Et ça te sortait de ta zone de confort. Sur le coup, tu te demandais pourquoi il te mettait dans ces situations, mais lui, il savait ce qu’il faisait. »

Tout l’art de Momo est là : voir en chaque jeune un potentiel que lui-même n’ose pas encore reconnaître. « Il a cette capacité à voir en nous ce qu’on ne voit pas encore. Il nous pousse, il nous guide, mais sans heurter. Il accompagne. »

Aujourd’hui, Bouchra est étudiante à la maîtrise en sociologie à l’UQAM. Son projet de mémoire porte sur la solitude et l’isolement chez les hommes maghrébins au Québec – un thème qui résonne profondément avec son propre parcours. D’origine algérienne, elle est arrivée au Québec à 16 ans, avec cette impression diffuse de ne pas avoir la légitimité de prendre position sur les enjeux sociaux québécois. 

« Mais en m’engageant au Forum, j’ai découvert mon intérêt pour le social. Mes premiers emplois étudiants étaient dans le communautaire. J’ai travaillé pour Bon Resto Saint-Michel, un organisme de sécurité alimentaire très important dans le quartier. Puis, à l’université, je me suis jointe à des associations, notamment à un regroupement pour parrainer des étudiants réfugiés. Aujourd’hui encore, peu importe où je suis, je me sens concernée par la société. » 

Mahmoud, 18 ans : le coiffeur de la bande

Mahmoud. Photo : Aude Simon

Avec une assurance tranquille, le jeune de 18 ans nous guide dans le local. Ses lunettes fumées mauves et sa casquette complètent son allure décontractée. Un sourire en coin nous indique son attachement pour ce lieu. « C’est bien pour les jeunes », dit-il, repensant à tout ce que le Forum lui a apporté depuis son arrivée à Montréal. 

Originaire d’Algérie, Mahmoud débarque dans la métropole, seul, pour des vacances en mars 2023. Quelques mois plus tard, des amis lui font découvrir le Forum, un lieu qui devient vite un repère pour lui. Après un bref retour en Algérie, il revient à Montréal il y a six mois pour s’y installer. 

Mahmoud est coiffeur et passionné de soccer. Il revient d’ailleurs tout juste d’un entraînement lorsqu’on le rencontre au Forum. Il habite Mercier–Hochelaga-Maisonneuve et se rend régulièrement au Forum. Il y retrouve ses amis, passe du bon temps avec eux, leur parle de ses dernières aventures. On le trouve souvent avec une queue de billard à la main, attendant son tour, prêt à encaisser les points. Mais le Forum n’est pas seulement un lieu de rencontre et d’amusement pour lui. Chaque mardi, après son entraînement au Stade de Montréal, il passe ici. C’est comme un rituel. Le samedi, il troque son ballon de football contre des outils culinaires et participe aux ateliers de cuisine, une autre activité qu’il apprécie particulièrement.

« Le vendredi, il y a de belles soirées », dit-il fièrement, une étincelle dans les yeux. « Parfois, il y a des chanteurs qui viennent. Il y a également des activités avec des pompiers et des policiers », précise-t-il. Il s’imagine lui-même dans ces rôles, avec tout ce qu’il apprend.

Comme beaucoup d’autres jeunes qui fréquentent le Forum, il considère Mohamed Mimoun, alias Momo, comme un deuxième père, celui avec qui il peut discuter de choses qu’il ne pourrait confier à personne d’autre. À chaque évocation de Momo, il sourit et son visage s’illumine, un éclat de respect et d’admiration dans les yeux.

Pour Mahmoud, le rôle de Momo est structurant. Il l’aide à se découvrir, à se construire, à trouver des occasions. D’ailleurs, Mahmoud envisage de quitter la coiffure pour se consacrer entièrement à sa carrière de footballeur, après avoir signé un contrat avec une équipe. Bien qu’il pratique ce sport depuis son enfance, le temps qu’il y consacre, tout en venant au Forum, l’a poussé vers de nouveaux horizons professionnels, partage-t-il.

Alors, lorsque sa sœur est venue lui rendre visite, c’est tout naturellement qu’il l’a amenée au Forum : pour lui, il est essentiel de faire découvrir à sa famille ce qu’il considère comme son deuxième soutien. Bien qu’il ait un grand désir de retourner en Algérie pour rendre visite à sa mère et à ses proches, Mahmoud est fier de la vie qu’il s’est construite ici, à Montréal. Il coiffe même les membres du Forum, dont le fils de Momo – un geste de retour qui témoigne de son esprit communautaire.

Islem, 17 ans : « On apprend l’esprit d’équipe et le partage »

Islem. Photo : Firas Kefi

Islem, 17 ans, est arrivé à Montréal cet été en provenance de Kabylie, dans le nord-est de l’Algérie, accompagné de sa famille. Il a posé son sac en classe d’accueil, et ses crampons, à Henri-Bourassa. C’est sur le terrain qu’il a entendu parler du Forum et d’Azzouz. Ce sont ses amis, qui fréquentent ce lieu pour se détendre et se chambrer après les matchs, qui lui en ont parlé. Très vite, il s’y est senti chez lui, une véritable « deuxième maison ».

Pour son premier hiver à Montréal, Islem trouve au centre communautaire un espace de détente où il peut nouer de nombreux liens d’amitié. C’est également là qu’il découvre comment s’intégrer à la vie montréalaise. « Chaque mercredi, on apprend beaucoup avec Mme Yasmine en cours de français », raconte-t-il. Peu à peu, il développe certaines compétences pratiques : « J’ai appris à faire mon CV ; à passer des entretiens aussi. » Le centre communautaire devient un point de référence pour lui et ses amis, une première étape importante dans leur nouvelle vie.

Au sein de ce qui est devenu sa « deuxième famille », Islem ne reste pas inactif. Le samedi matin, il est au four et au moulin. « On apprend l’esprit d’équipe et le partage, et ça me passionne », dit-il. Au Forum, les jeunes préparent des repas destinés aux itinérants du centre-ville. À 9 h, il arrive dans la cuisine du Forum, rue Jarry, où depuis 2020, des jeunes de Saint-Michel préparent et servent des repas aux plus vulnérables.

Avec sa bonne humeur, Islem coordonne l’équipe de cuisiniers en herbe. Cuisinier d’un jour ? Peut-être pas. L’expérience est importante pour lui : « Cette activité me donne une expérience, et peut-être qu’un jour je pourrai travailler comme aide-cuisinier. » Le samedi, le jeune Kabyle distribue des repas avec ses amis à Berri-UQAM : « C’était salade, patates et un fruit. » Pour lui, c’est aussi un supplément d’altruisme : « C’était un sentiment spécial, samedi. C’est super de faire du bien aux autres. »

Au sujet des difficultés financières qui menacent la pérennité du centre, Islem n’a qu’un mot : « La tristesse ! » Puis, il ajoute : « On a besoin d’aide – pour des cours de langue, pour avoir des jeux et des moyens de nous détendre. » Il jette un coup d’œil au tableau au fond de la salle, où le programme des activités est inscrit à la craie.

Comme Azzouz et Momo, le grand frère et le père de la bande, Islem n’a pas l’intention de baisser les bras. Et il garde un regard lumineux : « Même si on n’a plus le local, on trouvera des solutions. En tout cas, je resterai fidèle à mon groupe ici ! » Comme ses camarades, Islem est déterminé à faire des pieds et des mains pour assurer l’existence du Forum. 

Yuna Mohamed Amine, 17 ans : un remède à l’exil

Yuna Mohamed Amine. Photo : Cindy Lufuluabo

À 17 ans, Yuna Mohamed Amine porte en lui la force silencieuse de ceux qui apprennent à se reconstruire loin de leurs repères. Originaire d’Algérie, il vit à Saint-Léonard depuis deux ans et demi. Et si son corps a voyagé, son cœur, lui, a longtemps erré, en quête d’un refuge. 

L’intégration n’a pas été immédiate. Les premiers mois au Canada se sont déroulés dans une solitude pesante, rythmée par les heures passées devant un écran à jouer à des jeux vidéo, comme pour tromper le vide. Puis, un jour, un ami lui tend une clé. « Viens voir, il y a une place, on reste, on rigole entre nous. » Ce simple appel a tout changé. 

Cinq mois après avoir franchi les portes du Forum, Amine en parle avec une gratitude infinie. Contrairement aux camarades qu’il a dans le milieu scolaire, qu’il qualifie de « connaissances », ici, il évoque des frères. Pas une simple succession de visages croisés dans les couloirs d’une école, mais une fraternité tissée de rires, de défis, de complicité. Avec eux, il partage une histoire, une langue, une nostalgie du pays, mais aussi un élan commun vers l’avenir. 

Et, en plus de l’amitié, le Forum lui a offert une chose essentielle : il y a découvert le goût du dépassement. Il raffole des défis académiques où des cartes-cadeaux sont mises en jeu. « J’ai déjà gagné deux fois ! » lance-t-il avec fierté. Là où l’école lui impose des bancs et des règles, le Forum a su transformer l’apprentissage en un défi stimulant, presque ludique. 

Toutefois, au-delà des jeux et des discussions, le Forum est surtout devenu un remède à l’exil. Pour Amine, le plus douloureux dans le fait d’avoir quitté son pays n’a pas été de s’adapter à une nouvelle vie, mais de perdre sa grand-mère sans pouvoir lui dire un dernier au revoir. L’exil lui a arraché une famille, mais le Forum lui en a donné une nouvelle. 

Ici, il a tissé des liens profonds, faits de complicité et de soutien, une fraternité née du déracinement, où chacun porte une histoire qui fait écho à la sienne. Aujourd’hui, Amine ne se sent plus étranger. Il est chez lui.

Soulim, 13 ans : « Il n’y a pas d’autre endroit comme le Forum »

Soulim. Photo : Sabrina Laradji

« C’est une deuxième maison. » Voilà ce que le Forum inspire au jeune Soulim. Vivant à Montréal depuis quelques années déjà, le jeune de 13 ans vit au cœur du vibrant quartier de Saint-Michel. Il a découvert le Forum Jeunesse de Saint-Michel grâce à son grand frère, qui y a passé quelques mois avant lui. C’est dans ce local à l’ambiance chaleureuse, remplie de rires et de discussions, que Soulim a trouvé des occupations. Il aime les activités qui y sont offertes, particulièrement le football et le billard.

Momo et Azzouz sont des modèles qui lui offrent de bons conseils et lui apprennent à éviter de faire des erreurs. Par exemple, les intervenants lui ont expliqué pourquoi il n’était pas bon, pour lui et pour son corps, de fumer. Pour Soulim, ils agissent comme des guides permettant de prendre de meilleures décisions de vie. Le Forum l’a aussi beaucoup aidé à apprendre le français, à bien gérer son comportement, à mieux comprendre le fonctionnement de la ville et à progresser à l’école, explique-t-il. 

Pour Soulim, « il n’y a pas d’autre endroit comme le Forum ». Cette place est unique. Si le centre venait à fermer, il « resterait dehors dans le froid, sans endroit où aller, et certains jeunes pourraient commencer à faire de mauvaises choses, comme voler ou se battre », dit-il. Le jeune homme pense qu’il est important, pour la jeunesse du coin, que ce lieu demeure ouvert. Il croit en outre qu’avec une aide financière, il serait possible de faire plus d’activités qui soient amusantes et leur permettent de devenir les meilleures versions d’eux-mêmes. 

Tous ces récits de jeunes sont autant de preuves de l’incidence positive du Forum Jeunesse de Saint-Michel. Acculée au pied du mur, l’équipe a lancé une cagnotte en ligne et en appelle à la solidarité citoyenne. Mohamed Mimoun espère également que des bailleurs de fonds seront sensibles à la cause de cet organisme essentiel au dynamisme du quartier. 

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