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Écrivains publics : un soutien retiré aux non-francophones
Michel Huot, ancien écrivain public employé à l’organisme Accueil aux immigrants de l’est de Montréal (AIEM), aujourd’hui chargé de projets pour la même organisation. Photo: Jennifer Da Veiga Rocha
24/10/2024

Écrivains publics : un soutien retiré aux non-francophones

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5 Minutes
Initiative de journalisme local
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Note de transparence

En mars dernier, le projet pilote d’écrivains publics s’est éteint au Québec. Pourtant, la demande reste forte, surtout chez les immigrants qui peinent à s’intégrer, notamment en raison de leurs difficultés à maîtriser le français. Ce service était-il indispensable à l’adaptation des nouveaux arrivants ? 

« Il faut les aider dans l’immédiat »

À l’angle du boulevard Crémazie et de la rue Lajeunesse, nous retrouvons dans un café Michel Huot, ancien écrivain public employé à l’organisme Accueil aux immigrants de l’est de Montréal (AIEM) et aujourd’hui chargé de projets pour la même organisation. Chemise de jean, stylo dans la poche et tablette prête à l’emploi, le retraité affiche une énergie débordante. 

De 2022 à 2024, il a été au cœur du projet pilote d’écrivains publics financé par le ministère de la Langue française par l’intermédiaire du Regroupement des organismes en francisation du Québec (ROFQ), avant sa suspension. Son rôle était essentiel, surtout pour les personnes dépassées par les défis administratifs. « Une fois les nouveaux arrivants installés, ils se heurtent à la vraie musique : un propriétaire qui veut augmenter le loyer de manière exagérée, une première déclaration d’impôts, des lettres incompréhensibles du gouvernement, énumère-t-il avec la précision d’un chef d’orchestre. Donc, c’est là que l’écrivain public entre en jeu. »

De son sac à dos, il sort un document : une capture d’écran imprimée de la liste de ses dossiers – un tableau de la multitude de vies qu’il a touchées. « L’année passée, j’ai rencontré environ 350 personnes, et ça seulement en étant disponible une fois par semaine. » Tous les vendredis, de 8 h 30 à 16 h 30, Michel Huot rencontrait des dizaines de personnes dans son bureau de l’AIEM au cours de rendez-vous de 30 minutes chacun. « L’objectif, à ce moment-là, c’était de comprendre quel était le besoin. Puis, les lundis, je faisais des suivis de dossiers et je fermais les demandes », explique-t-il avant d’ajouter : « Il y a une urgence pour ces gens-là, et tu ne peux pas leur dire : “Je travaille juste le vendredi, on va se revoir la semaine prochaine pour le suivi.” Non, Il faut les aider dans l’immédiat. »

De son stylo, il pointe un dossier. « J’ai rédigé beaucoup de lettres d’invitation pour des immigrants qui souhaitaient faire venir leurs proches au pays pour des événements spéciaux, mais aussi des lettres de demande de logement. » Ces lettres, ainsi que d’autres documents administratifs, sont essentielles pour faciliter leur adaptation. 

Bien que les documents rédigés par un écrivain public ne soient pas des documents légaux comme ceux signés par un avocat, ils ont néanmoins un certain poids, une crédibilité, insiste Michel Huot. « Le fait qu’un écrivain public représente un organisme comme l’AIEM, reconnu dans le réseau de l’immigration et auprès des ambassades, apporte une reconnaissance supplémentaire, et ce, sans coût. »

Un engagement au-delà des mots

Les yeux de nouveau rivés sur son document, il reprend : « Je me souviens d’un cas où un monsieur cherchait désespérément un appartement. Il avait trouvé une locataire prête à sous-louer son appartement, mais à une condition : elle tenait absolument à ce que le nouvel occupant achète le mobilier qu’elle souhaitait laisser sur place. En plus, elle demandait une somme d’argent à l’avance pour conclure la sous-location. Ce monsieur est donc venu me voir pour savoir si de telles pratiques étaient légales. »

Après quelques recherches, Michel a découvert que cette locataire n’avait qu’une intention : profiter de la situation. « Je lui ai donc fait comprendre que c’était des choses illégales. » Mais pour les propriétaires malhonnêtes, l’écrivain public n’a jamais hésité à intervenir de manière concrète, notamment en leur envoyant directement des lettres. « Je m’en donnais à cœur joie. J’aimais ça, intimider les véreux propriétaires ! »

Chaque injustice est un moteur pour Michel. « Il y a une adrénaline qui monte en moi quand je vois que des gens se font abuser impunément », confie-t-il, le poing fermé. Ces personnes sont sous une pression énorme, surtout quand elles doivent prouver qu’elles ont trouvé un logement pour avancer dans leurs démarches administratives », laisse-t-il tomber.

Entre deux gorgées de latte, Michel se remémore également cette mère haïtienne, venue le voir après avoir frappé à toutes les portes pour faire valoir les droits de son fils. « Cette dame-là est arrivée par l’intermédiaire de la pédiatre de notre organisme », raconte-t-il. Le fils de cette femme avait des besoins particuliers, et elle se battait depuis deux ans pour qu’il soit transféré dans une école spécialisée. « La directrice de l’école où était inscrit son fils faisait la sourde oreille – aucun rendez-vous accepté, aucune réponse à ses demandes. C’était insupportable. On a fini par comprendre qu’elle était victime de racisme. »

Michel a alors senti une sainte colère monter en lui. « Je ne comprenais pas qu’une directrice d’école, censée défendre les enfants, refuse d’aider une famille qui a un besoin urgent », dit-il, les yeux écarquillés. Pour lui, il n’était plus simplement question de rédiger une lettre ou de remplir un formulaire. Il s’est alors lancé dans un véritable marathon de rencontres, « Sept ou huit rendez-vous », précise-t-il en tapant de son stylo sur la feuille. Ensemble, ils ont écrit des lettres à la commission scolaire, déposé des plaintes contre l’école et relancé des réunions avec la direction. Finalement, la commission scolaire a accepté de transférer l’enfant dans une école adaptée à ses besoins. « C’était une victoire ! » s’exclame Michel.

C’est à la lecture d’une lettre que la mère lui a écrite pour le remercier qu’il a réalisé la signification de ce triomphe. « Ça m’a presque arraché le cœur et les larmes ». Il marque une pause, semblant revivre ce moment. 

« Quand tu lis ces mots, quand tu vois ce que ça a représenté pour elle, tu te rends compte que tout ce travail, toutes ces heures passées à écrire, à appeler, c’est tellement plus qu’un simple service administratif. Ça, c’est la véritable récompense d’un écrivain public ! Ça n’a pas de prix ! »

Il reprend, avant d’exploser de rire : « Mais voilà pourquoi je réponds à toutes les demandes... sauf les lettres d’amour ! »

Manque de fonds – écrivaine publique à domicile

« Moi, ça m’est déjà arrivé, une fois, d’écrire une lettre d’amour », raconte Suzanne Boivin, professeure de langue enseignant aux adultes et écrivaine publique à domicile. 

Inspirée par Suzanne Coupal, une juge retraitée devenue écrivaine publique, Suzanne Boivin s’est lancée dans l’aventure en 2022. « C’était ce que je faisais déjà naturellement, aider les personnes à rédiger des documents. Donc, je me suis dit que je pourrais offrir mes services dans un centre communautaire. » Après avoir tenté de collaborer avec un organisme à Saint-Michel, le manque de financement l’a obligée à travailler de manière informelle à partir de son propre domicile. 

« Je n’ai pas beaucoup de temps, mais celui que j’ai, je le consacre à ma communauté. » Dans le quartier résidentiel où habite Suzanne, ses voisins n’hésitent pas à solliciter ses services. « Souvent, des personnes que j’ai aidées me recommandent à d’autres. Je ne dis jamais non, et le bouche-à-oreille est très efficace », raconte-t-elle. 

Grâce à sa formation juridique, Suzanne rédige aussi bien des lettres d’amour que des mises en demeure. « Il m’arrive d’aider des personnes qui ont besoin d’une lettre pour régler un différend avec leur propriétaire. Ou encore, j’ai déjà aidé des personnes victimes de poursuites qui n’avaient pas les moyens de se défendre. Je leur ai proposé mon aide pour la rédaction, en leur expliquant que si leur cas nécessitait une représentation légale, ils n’auraient que les frais d’un avocat à payer. »

Son soutien en tant qu’écrivaine publique bénévole est grandement valorisé par ses voisins. Toutefois, le manque de fonds empêche ses services de se développer et de toucher un plus grand nombre de personnes. « Si les écrivains publics étaient directement embauchés et soutenus de manière durable, cela permettrait aux gens de se sentir davantage accompagnés, ajoute-t-elle. Les immigrants, en particulier, sont souvent très isolés et laissés à eux-mêmes. Il faudrait une ressource sur laquelle ils puissent vraiment compter. »

Des besoins plus personnels

Benoît Gignac est écrivain public bénévole à la bibliothèque d’Ahuntsic depuis 2021. Photo: courtoisie

Le réseau des bibliothèques de Montréal collabore depuis plusieurs années avec le programme Résidences d’écriture en bibliothèque de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois, suspendu depuis 2023. Ce programme permettait à deux bibliothèques du réseau d’accueillir chaque année un écrivain ou une écrivaine pendant une période d’environ six mois. Malgré la suspension de ce programme, certaines bibliothèques continuent de proposer un service d’écrivain public dans leur programmation cet automne, notamment à Anjou, à Verdun et à la bibliothèque d’Ahuntsic. 

C’est justement dans un petit bureau de la bibliothèque d’Ahuntsic que nous rencontrons Benoît Gignac, écrivain public bénévole depuis 2021.

Bien que l’espace où nous nous trouvons soit vide, blanc et impersonnel, l’expérience d’écrivain public prend une tout autre dimension pour Benoît. Chaque rendez-vous est pour lui une nouvelle rencontre qui amène de la vie à ce lieu. « Je reçois tous types de personnes et de demandes, mais c’est très souvent pour des demandes personnelles », précise-t-il.

À 69 ans, Benoît a un charisme naturel, et sa voix apaisante inspire immédiatement la confiance. Ses yeux se perdent un instant sur la baie vitrée du bureau, et il sourit en évoquant une jeune fille qu’il aide à écrire de la poésie. « Elle fait pas mal de fautes en français, mais ses idées sont très belles », raconte-t-il. Ensemble, ils passent en revue les mots, explorent les nuances et cherchent les termes qui expriment le mieux sa pensée. « Ce que je fais, c’est les aider à trouver leur voix, à exprimer ce qu’ils ont sur le cœur, avec les moyens qu’ils ont. »

Le service qu’il propose est simple : les personnes intéressées prennent rendez-vous avec la bibliothèque, qui les redirige ensuite vers lui. Avant chaque rencontre, Benoît prend le temps de discuter brièvement avec ses interlocuteurs pour s’assurer que leurs besoins correspondent à ce qu’il peut offrir.

Souvent, on le sollicite pour des demandes très précises. « Ce sont généralement des femmes, et presque toutes issues de l’immigration », explique-t-il. Il se souvient notamment d’une femme qui cherchait à réussir un examen du ministère de l’Éducation pour devenir professeure de francisation. « Elle avait échoué deux fois à cause de la gestion du temps. Elle était tellement concentrée sur les détails qu’elle n’arrivait jamais à finir à temps. Je lui ai simplement dit : “Vous n’avez pas à écrire un texte parfait, vous devez juste respecter le délai.” »

Son travail va bien au-delà de l’assistance rédactionnelle. Il donne aux gens des outils pour naviguer dans des situations complexes. « Je n’enseigne pas la langue, insiste-t-il. Je les aide à surmonter les obstacles concrets qui se dressent devant eux. » 

La mission que Benoît s’est donnée s’apparente davantage à celle d’un professeur de rédaction qu’à celle d’un écrivain public. Souvent, il n’écrit pas à la place des gens qui sollicitent ses services, mais il les aide à écrire eux-mêmes. « Je travaille plus souvent de cette manière parce que ce sont des personnes qui reviennent souvent. Ce sont des projets que j’ai avec eux. » 

Même si certaines requêtes peuvent sembler moins urgentes, la demande reste : « Il y a toujours des gens qui viennent, donc il doit y avoir un besoin… Mais je vous avoue que j’ai hésité à répondre à votre demande d’entrevue parce que je ne veux pas que ça devienne trop connu – je risquerais d’être débordé ! » confie-t-il en riant.

Alors que les services d’écrivain public deviennent de plus en plus rares dans la province, Benoît reste pragmatique. « J’aime ce que je fais, et je le fais à ma manière. Si d’autres veulent s’y mettre, tant mieux, mais je ne vais pas en faire une croisade. Toutefois, si quelqu’un lance une pétition, je la signerai », déclare-t-il avec un sourire amusé. Il ne s’agit pas là d’un combat personnel, mais d’une contribution discrète à la communauté. « Je fais ma part, comme tous les citoyens de mon âge devraient le faire, que ce soit en nettoyant les rues ou en livrant des repas. Dans mon cas, j’écris, mais je fais ce que je peux, dans les limites de mes capacités. »

La fin du projet pilote d’écrivains publics laisse un vide pour les nouveaux arrivants, pourtant confrontés à de nombreux défis administratifs et linguistiques au Québec. 

Le soutien de ces écrivains publics, bénévoles ou rémunérés, reste crucial pour faciliter leur intégration. Une question s’impose donc : pourquoi abandonner un service aussi essentiel, alors que la demande ne cesse d’augmenter ? 

Au moment d’écrire ces lignes, le ministère de la Langue française n’avait toujours pas répondu à cette question.

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