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6/12/2024

La Nahda à McGill : retour sur les expositions arabes de la Jérusalem mandataire

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Présentée jusqu’au 20 décembre à la Bibliothèque d’études islamiques de McGill, l’installation Les Expositions arabes de la Jérusalem mandataire* : une Nahda résurgente évoque les racines culturelles et politiques de la Palestine. L’exposition invite le public à découvrir une facette souvent méconnue de l’histoire du peuple palestinien. 

Vendredi matin, 11 h. L’atmosphère de la Bibliothèque d’études islamiques de McGill est studieuse. Quelques étudiants sont absorbés par leurs lectures. Le parquet en bois craque doucement sous nos pas, alors que nous découvrons le premier espace de l’exposition, accompagnés de Dyala Hamzah et de Nyla Matuk, fondatrices de l’organisme Maison Palestine, qui organise l’exposition.

Nyla, écrivaine au visage fin et à la peau mate, dégage un grand calme et de la douceur. À ses côtés, Dyala, historienne aux cheveux courts et blancs, est chaleureuse et a le regard vif. Toutes deux sont d’origine palestinienne. Ensemble, elles jouent le rôle de guides de cette exposition singulière. Leur vocabulaire élaboré témoigne de leur expertise et de leur passion pour le sujet.

« Une période où tout est encore possible »

« Cette exposition redonne vie à l’histoire de la Palestine », commence Dyala en esquissant un sourire discret. Elle montre des illustrations d’art arabe et des photographies qui évoquent la période de résistance coloniale face aux Britanniques et aux sionistes**, entre les grandes révoltes palestiniennes de 1929 et de 1936. 

Elle et Nyla ont étroitement collaboré avec l’historien et architecte Nadi Abusaada, concepteur initial de l’exposition au Centre culturel Khalil Sakakini à Ramallah, en Palestine, ainsi qu’avec Luzan Munayer, commissaire adjointe. Amener ce projet jusqu’à Montréal représente pour elles un acte de préservation de l’héritage palestinien, en dépit des défis logistiques qu’une telle initiative implique. « Les restrictions d’exportation qui touchent les territoires palestiniens ont obligé Nadi à recréer l’exposition en utilisant des reproductions et des archives visuelles. Seuls les imprimés sont donc exposés », explique Dyala. « L’exposition originale comprenait des artefacts, de la joaillerie, des peintures, de la matière imprimée et beaucoup d’autres choses que nous n’avons pas pu importer pour cette exposition », ajoute Nyla. Depuis le 7 octobre 2023, en effet, Israël a mis en place des restrictions très strictes sur les mouvements des personnes et des biens en Cisjordanie.

L’installation met de l’avant les deux grandes expositions de 1933 et de 1934, moments-clés où les Palestiniens, alors sous mandat britannique, ont mis en valeur leur culture et leur savoir-faire dans un élan de fierté collective. « C’étaient des sortes de foires commerciales », précise Nyla. 

« Ces événements, poursuit Dyala, attiraient des visiteurs de toute la région. On y présentait des produits industriels, artisanaux et artistiques. Ici, vous verrez tous les pays arabes qui ont participé à l’exposition », explique l’historienne devant un écran interactif. 

Un panneau central rappelle que ces événements se sont tenus en pleine confrontation avec les sionistes et les Britanniques : malgré les pressions coloniales, les organisateurs réussirent à susciter une Nahda, une véritable « renaissance ».

« Ces expositions ont manifesté une vigueur économique qui contraient les tentatives de freiner le développement palestinien », reprend Dyala. Une allusion aux politiques mises en place par le mouvement sioniste – tout particulièrement la Histadrout*** – qui, dans les années 1920, interdisait l’emploi de main-d’œuvre palestinienne. L’objectif était de consolider une économie séparée.

Du même souffle, l’historienne déclare fièrement : « Et finalement, cette exposition montre que, malgré ce déploiement hostile à l’économie locale, il y a une vigueur économique de la société palestinienne qui se donne à voir dans l’organisation de ces deux foires de 1933 et de 1934. »

« C’était un moment intense de renouveau socioculturel, souligne Nyla. Malgré la menace de la colonisation sioniste, les Palestiniens gardaient espoir. »

Revenir sur une époque où tout était encore possible paraissait essentiel à ces deux femmes à un moment où les territoires palestiniens sont constamment bombardés. « Il y avait cette foi en l’avenir, et nous y croyons encore aujourd’hui, en dépit de tout et malgré le génocide actuel », ajoute Dyala. 

Palace Hotel : une lutte pour l’identité palestinienne

Alors que nous nous avançons vers la seconde salle de l’exposition, Dyala reprend : « Cette exposition explore aussi l’histoire de l’architecture de Jérusalem. » 

Dans une salle octogonale, entièrement en bois massif, des étudiants s’attardent autour d’une table centrale, alors que des banderoles qui ornent les murs racontent l’histoire du Palace Hotel, qui a accueilli les deux expositions de 1933 et de 1934. 

Construit en 1929 sous la direction du Conseil musulman suprême et du grand mufti Amin al-Husseini, le Palace Hotel a été pensé pour renforcer la présence arabe à Jérusalem. Il symbolisait une forme de résistance, la réponse palestinienne au King David Hotel, emblème par excellence de l’influence britannique et sioniste.

« Les deux expositions ainsi que le Palace Hotel lui-même étaient destinés à montrer aux populations arabes du monde entier ce qu’elles avaient à offrir sur le marché global à l’époque, précise Nyla. Les Palestiniens tentaient alors de construire leur propre économie, qui subissait les effets d’un dé-développement, et qui continue à l’être aujourd’hui, à cause de ce que le colonialisme a engendré. »

Très rapidement, l’hôtel devient lui-même « un symbole de colonisation par excellence » comme le souligne un panneau de l’exposition. En effet, la mauvaise gestion de l’hôtel et de ses finances par le Conseil suprême musulman, conduit à sa location par l’administration britannique. En 1936, le bâtiment est choisi pour accueillir les bureaux de la Commission Peel, chargée d’enquêter sur la Grande Révolte palestinienne, un soulèvement contre les politiques britanniques soutenant la colonisation sioniste. C’est aussi au Palace Hotel que sont tracées les premières lignes du plan de partage de la Palestine en 1937.

« L’exposition montre également comment le colonialisme a façonné l’environnement commercial et culturel de l’époque », reprend Nyla. 

Aujourd’hui, l’établissement appartient à la chaîne Waldorf Astoria, qui en a entièrement transformé l’intérieur, marquant ainsi une rupture symbolique avec son passé et effaçant une partie de son histoire.

Diffuser le récit palestinien. 

Avec cette exposition, Dyala et Nyla présentent une perspective différente sur l’identité palestinienne. Elles évoquent des discours qui tendent à nier l’existence même d’un peuple palestinien, le réduisant uniquement « à des Bédouins qui peuvent aussi bien nomadiser ici qu’ailleurs », mentionne Dyala.

« Cette vision des choses ignore complètement qu’on parle d’une population citadine, très connectée, qui a toujours joué un rôle central dans le monde arabe », affirme l’historienne. Pour elle, l’exposition est un moyen de rétablir une image plus complète et plus authentique des Palestiniens durant une période où le nationalisme arabe est en pleine ébullition. « On voit un réseau extrêmement serré d’Arabes, [un peuple] mobile dans la région, dont les identités sont singulières et générales. Il y a une arabité, mais il y a aussi des identités très locales. On est Palestinien, on est Arabe Palestinien et les Palestiniens sont convaincus de porter cette renaissance arabe à un moment donné où elle est moins prégnante ailleurs. », laisse-t-elle tomber.

Nyla, de son côté, voit en l’exposition un acte de résistance face aux discours médiatiques dominants. « [Elle] présente des faits, mais ils sont dangereux pour le discours ambiant qui a été établi comme une sorte de campagne de diffamation contre la Palestine et les Palestiniens.»

Dyala Hamzah et Nyla Matu, les co-fondatrices de Maison Palestine. Photo : Aude Simon

Selon elle, cette vision est relayée par certaines institutions universitaires québécoises, qui « préfèrent sécuriser ce discours, [quitte à] limiter l’accès à des discours alternatifs ».

« On veut empêcher les gens d’être éduqués sur ce sujet, lâche-t-elle avec exaspération, en évoquant de nombreux refus d’exposition. C’est fascinant...C’est fascinant et horrifiant en même temps. »

La Palestine à McGill

De fait, organiser une telle exposition n’a pas été un parcours sans embûches, nous confient les deux femmes. « Il a été extrêmement difficile de trouver un lieu d’accueil pour notre projet. Nous avons frappé à une dizaine de portes, et on nous a dit non partout. Finalement, le Carrefour des arts et des sciences, à l’Université de Montréal a été emballé par l’idée », raconte Dyala.

Toutefois, alors que le lancement était prévu entre janvier et mars 2024, la Faculté des arts et des sciences a annulé l’événement, invoquant des raisons de sécurité. « Nous avons été choquées d’apprendre cette décision. Ces justifications de sécurité sont pour nous extrêmement fumeuses », commente-t-elle avec agacement. On a proposé aux organisatrices de reporter l’exposition en juin, sans garantie. Un compromis inacceptable pour Dyala : « En juin, les campus sont vides ; donc, ça aurait été sans intérêt. »

Contactée à ce sujet, l’Université de Montréal explique que la décision de reporter l’événement a été prise en raison des tensions à Montréal à ce moment-là. « Souvenez-vous de l’automne 2023, où manifestations, cocktails de bombes et autres graffitis haineux sur les murs d’écoles juives (entre autres) étaient le lot de Montréal. À l’UdeM, nous n’avons pas été victimes de ces événements, mais le contexte était très volatile. »

Selon la porte-parole Geneviève O’Meara, il n’était pas possible d’assurer la sécurité des lieux pour une exposition qui devait durer trois mois. Elle souligne que, malgré cela, des conférences et des activités liées aux tensions au Moyen-Orient ont pu se tenir sur le campus au cours de l’année.

Finalement, c’est à la Bibliothèque d’études islamiques de l’Université McGill que l’exposition a trouvé refuge. « Nous n’avions pas prévu d’exposer dans une bibliothèque, et évidemment, le fait que ce soit à la Bibliothèque d’études islamiques accentue en quelque sorte le côté niche de l’exposition, l’isole peut-être davantage, mais nous sommes extrêmement heureuses d’avoir eu l’occasion de la montrer pendant quatre mois », ajoute Dyala avec un sourire léger.

« Nous avons pris des photos de tous les espaces disponibles pour les envoyer à Nadi Abusaada », ajoute Dyala. Elle et Nyla ont collaboré à distance avec Nadi et Luzan pour adapter au mieux les espaces de la bibliothèque, qui n’étaient pas prévus pour accueillir ce type d’événement. « L’installation a été acrobatique, et même épique », reprend-elle, en laissant échapper un petit rire. 

Pour Dyala et Nyla, exposer sur le campus de McGill revêt une signification particulière. « C’est ironique de le faire sur un campus qui a souvent exercé une certaine violence à l’égard du mouvement de solidarité palestinien », déclare Dyala. « Les agents de sécurité sont omniprésents, surveillent même certains étudiants », renchérit Nyla. Elle évoque notamment l’atmosphère tendue qui a régné sur le campus au cours de 2024.

En repassant par la salle principale de l’exposition, j’aperçois le livre d’or de l’exposition ouvert sur une table. Les messages des visiteurs y abondent, et tous convergent vers une formule simple : « Bravo. »

Pour aller plus loin

Maison Palestine est un organisme sans but lucratif (OSBL) fondé en janvier 2023 par Nyla Matuk et Dyala Hamzah, toutes deux d’origine palestinienne. L’objectif de cet OSBL est de créer un espace permanent « dédié à la culture, à l’histoire et à l’avenir de la Palestine », nous expliquent les deux femmes. Nyla et Dyala veulent organiser à Montréal « plus que des événements ponctuels, comme des festivals ou des expositions occasionnelles, qui, bien que précieux, manquent de pérennité ». Leur objectif est de fonder dans l’espace public une « maison » pour la Palestine, qui serait à la fois, une bibliothèque, un musée, une salle d’événement: un centre culturel. 

Pour en savoir plus

Nadi Abusaada, The Palace Hotel in Jerusalem: History beyond Memory

Pour comprendre ce que vivent les étudiants pro-palestiniens à McGill, nous vous recommandons l’article suivant : Rentrée tendue à McGill.

* La Palestine mandataire : En 1922, la Palestine est placée sous mandat britannique par la Société des Nations, à l’instar d’autres anciens territoires ottomans. Contrairement à ces derniers, qui deviendront des États indépendants, la Palestine est destinée à accueillir un « foyer national pour le peuple juif », conformément à la Déclaration Balfour de 1917. Le mandat britannique prend fin en 1948 avec la création de l’État d’Israël, entraînant la division de la Palestine et des bouleversements géopolitiques majeurs dans la région, notamment la guerre israélo-arabe de 1948-1949.

** Le sionisme est un mouvement politique né à la fin du XIXe siècle qui visait à créer un territoire pour le peuple juif, principalement pour le protéger de l’antisémitisme croissant en Europe. En 1897, lors du premier congrès sioniste, à Bâle, en Suisse, Theodor Herzl propose dans son manifeste, L’État des Juifs, un programme en faveur de la création d’un État juif en Palestine, considérée comme la « Terre promise » dans la tradition juive. Ce mouvement favorise l’immigration juive en Palestine, entraînant une augmentation de la population juive au début du XXe siècle, mais également des déplacements de masse et des massacres de la population arabe, déjà présente sur le territoire.

*** La Histadrout, fondée en 1920, est la centrale syndicale des travailleurs juifs en Palestine, alors sous mandat britannique. Elle a joué un rôle dans le développement économique et social du mouvement sioniste et dans la construction de l’économie juive en Palestine, puis en Israël après 1948. La Histadrout a activement promu le « travail juif » (Avoda Ivrit en hébreu), une politique visant à employer uniquement des travailleurs juifs pour développer une économie autonome. 

N.B. : L’entrevue de Nyla Matuk a été traduite de l’anglais. 

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