Le samedi 12 octobre, des centaines de manifestants ont défilé au centre-ville de Montréal en soutien au petit garçon de 10 ans qui aurait été ébouillanté le 2 octobre par une de ses voisines, Stéphanie Borel. Cet événement a ravivé des inquiétudes au sein de la communauté qui se questionne de plus en plus sur la sécurité de ses enfants. La converse s’est rendue sur place pour comprendre leur préoccupation.
C’est une histoire qui semble se répéter. Le 2 octobre dernier, un enfant noir de 10 ans a subi de graves brûlures au haut du corps. Stéphanie Borel, une voisine habitant un immeuble près de l’intersection du boulevard Curé-Poirier Est et du chemin de Chambly à Longueuil, aurait jeté de l’eau bouillante sur l’enfant simplement parce qu’il aurait marché sur son terrain. Le jeune garçon a raconté à Radio-Canada qu'il rentrait de l'école avec des amis et qu'ils avaient pris un raccourci, passant devant la résidence de Stéphanie Borel. L’enfant a subi des brûlures au deuxième degré au corps et au visage. Le jour-même, Stéphanie Borel, 46 ans, a été arrêtée, puis relâchée.
Ce drame a été la goutte de trop pour la communauté noire puisque quelques mois plus tôt, en juillet, une fillette de deux ans subissait elle aussi des brûlures graves après une journée dans une garderie à Montréal, un incident qui avait déjà ébranlé la communauté.
En réaction à ces cas d’attaque et maltraitance, le 12 octobre, une marche pacifique a été organisée par la Fédération Africaine et Associations du Canada (FAAC) en collaboration avec La Ligue des Noirs de Québec (LNQ). Cet événement a rassemblé la communauté et ses alliés, non seulement pour soutenir le petit garçon mais aussi pour réclamer justice.
« On veut l’égalité et on la veut pour hier ! »
Le rendez-vous est fixé à la Place Émilie-Gamelin à 14 heures. Une centaine de manifestants sont rassemblés. Ils brandissent des pancartes et des drapeaux aux couleurs de plusieurs pays africains. Alors que la marche débute, des slogans résonnent dans les rues de Montréal « Un Québec plus juste et sécuritaire pour nos enfants », « Justice pour nos enfants ». « A bas le racisme ! A bas l’injustice ! »
Après l’incident, Stéphanie Borel aurait expliqué au père du petit garçon qu’elle avait agi ainsi car le jeune enfant avait l'habitude de frapper à sa porte depuis trois ans. Une version qu’aurait contesté le père car la famille n'a emménagé dans le quartier qu'en janvier et que le garçon a commencé à fréquenter l'école près du domicile de la femme il n’y a qu'un mois.
Bien que Stéphanie Borel ait été initialement arrêtée par la police, elle a été relâchée le jour même en échange d'une promesse de comparaître en janvier prochain. Une décision qui a suscité l'indignation au sein de la communauté.
« Si cela avait été une femme noire qui avait ébouillanté un enfant blanc, les choses se seraient déroulées bien différemment, et nous le savons tous ! », s’indignent plusieurs manifestants.
Sur la place du Canada, le point d'arrivée de la marche, Monsieur Stanley Bazin, président de la ligue des Noirs du Québec prend la parole : « On veut la justice. On ne veut pas aller la chercher, ni la quémander, commence-t-il. On veut l’égalité, et on la veut pour hier ! ».
Au milieu de la foule, nous rencontrons Evelyne François, une manifestante qui se présente simplement comme « une citoyenne mais aussi une mère ». Elle tient une pancarte sur laquelle on peut lire : « on à la stigmatisation de nos enfants noirs ». Elle s’insurge : « nous sommes des humains ! On veut faire valoir nos droits ! Alors on doit se lever pour que justice soit faite. » Elle poursuit : « ette femme a délibérément préparé de l’eau chaude pour brûler cet enfant. Un enfant de 10 ans, qui n’avait rien fait pour mériter ça ! Et pourtant, cette « criminelle » a été relâchée en attendant son jugement ? Comment est-ce possible ? Où va-t-on ? Dans quel monde vivons-nous ? »
Dans ce contexte, la Coalition rouge, un groupe de pression qui lutte contre le racisme, a écrit jeudi dernier une lettre à l’attention de la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, et au chef de police Marc Leduc, pour demander que Stéphanie Borel soit à nouveau placée en détention. Le jour-même, la mairesse de Longueuil mentionnait dans une déclaration publiée sur les réseaux sociaux qu’il était très rare que tous les critères légaux soient réunis pour justifier la détention d’un suspect avant même le début de l’enquête. « Depuis hier, plusieurs personnes m’interpellent personnellement à ce sujet, me pressant d’agir pour renverser la situation (...) jamais je ne pourrais, comme élue, demander de réviser une décision policière ou judiciaire, encore moins exiger la détention d’une personne, a-t-elle-publié. Ce serait illégal. »
Rolande Balma, conseillère municipale du district Antoinette-Robidoux, où réside le petit garçon, a également pris la parole lors d’une séance du conseil de la ville de Longueuil : « aucun enfant et aucun parent ne devrait vivre une situation aussi immonde. Bien entendu, l’enquête est en cours, on laissera la justice trancher. Mais je ne vous cacherai pas que j’ai versé des larmes en voyant la peau de cet enfant. »
Le lendemain, le vendredi 11 octobre, Stéphanie Borel a de nouveau été interpellée « à la suite de l'obtention de nouveaux éléments d'enquête » retenus contre elle, explique le Service de Police de l’Agglomération de Longueuil dans un communiqué. Elle a été, depuis, “formellement accusée de voies de faits graves et restera incarcérée", indique Radio-Canada. une accusation plus sérieuse que les chefs de voies de fait avec lésion et d'agression armée qui avaient été déposés dans un premier temps. Elle devrait rester incarcérée au moins jusqu’au 28 octobre.
Un acte de crime haineux ?
De retour à la place du Canada, plusieurs manifestants dénoncent un crime haineux envers l’enfant. Mais selon la loi, qu’est ce qui caractérise réellement un tel acte et comment le prouver ? C’est la question que nous avons posée à Fo Niemi, cofondateur et directeur général du Centre de Recherche-action sur les Relations Raciales (CRARR) dédié à la défense des droits civils.
« Selon le Code criminel canadien, un crime haineux est une infraction motivée par la haine de la race, de la religion, du sexe, ou d'autres caractéristiques protégées. Si une telle motivation est prouvée, cela devient un facteur aggravant qui alourdit la peine, commence M. Fo Niemi. Toutefois, sans preuve solide de cette motivation, l’acte ne sera pas qualifié de crime haineux, limitant ainsi la sévérité de la sanction. »
Cette preuve de motivation est souvent difficile à démontrer, rappelle Fo Niemi. « C’est ce que nous avons vu dans plusieurs cas au cours des dix dernières années : la Couronne ne soulève pas toujours cet aspect », explique-t-il. Même si certains éléments indiquent une motivation haineuse, prouver cette intention reste un obstacle majeur dans les procès criminels. « Il faut vraiment examiner quelle était la motivation de la personne qui a commis l'acte », insiste Niemi, soulignant que cette charge revient à la Couronne.
En 2023, Statistiques Canada a enregistré un total de 784 plaintes de crime haineux déclaré par la police envers la communauté noire au pays. Malgré une diminution de 7% comparativement à l’année précédente, il est à noter que les crimes haineux à l’égard des Noirs au Canada ont bondi de 96% entre 2019 et 2020.
La communauté noire reste la plus touchée par les crimes haineux dans la catégorie race et origine ethnique.
Solidaires dans la douleur
Anastasia Marcelin, membre de la ligue des Noirs du Québec, prend à son tour la parole sur la place du Canada : « il est temps de mettre fin à nos divisions. Si vous ne vous réveillez pas maintenant, vos enfants continueront de se battre pour leurs droits ! », lance-t-elle avec force. Sa voix résonne sur la place. Elle poursuit : « En 2020, nous étions ici pour Black Lives Matter. Aujourd’hui, nous sommes de retour parce que nos enfants se font brûler ! Si nous restons inactifs, la situation ne fera qu’empirer. Nous risquons une escalade de violence. ». Elle désigne un manifestant dans la foule : « Si vous ne bougez pas, ce sont ses enfants à lui qui devront encore lutter. » La foule, unie, répond en chœur : « solidarité, solidarité ! »
Dans cet élan d’unité qui a réuni plusieurs communautés noires, une seconde marche est prévue le samedi 26 octobre à 14 heures, avec un départ de la Place Émilie-Gamelin, a annoncé le porte-parole de la FAAC.
Pour aller plus loin :
Le centre de prévention de la radicalisation menant à la violence offre un soutien adapté aux personnes victimes, témoins ou acteurs de crime et d'incidents haineux.