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29/12/2024

La communauté s’unit grâce à la Kwanzaa

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Pour plusieurs afro-descendants d’Amérique du Nord, le 26 décembre marque le début d’une célébration, celle de la Kwanzaa, qui dure jusqu’au 1er janvier. 

Le lendemain de Noël, on allume la première des sept bougies du kinara, le bougeoir à sept branches consacré à cette occasion. La première chandelle, umoja, célèbre l’unité. De couleur noire, elle se place au milieu du kinara.

L’unité, c’est le moteur de Seti Dibanda, président d’Afrocentricité Internationale Montréal (AI). « Notre organisation rassemble les Africains et les descendants d’Africains au Canada et dans le monde entier. Nous sommes actifs dans de nombreux pays, en Amérique, en Europe, et même sur le continent africain », explique celui qui dirige le chapitre montréalais d’AI depuis près de 10 ans. 

On rejoint M. Dibanda à son domicile de Montréal, alors que les préparatifs des Fêtes battent leur plein. Cet après-midi de décembre, il prend la peine de discuter avec nous, alors qu’il s’occupe de son fils d’un an, le reste de la famille étant sortie faire des courses.  

Depuis 2015, AI Montréal est l’hôte d’une grande célébration publique de la Kwanzaa. « Nous organisons une soirée de gala au cours de laquelle nous essayons de réunir la communauté, les Africains et les descendants d’Africains du monde entier. Nous essayons vraiment de rassembler et de célébrer la culture », explique M. Dibanda. 

Au cours de cette soirée, on explique d’abord l’histoire de cette fête et sa raison d’être. Le terme « Kwanzaa », tiré de l’expression swahili « matunda ya kwanza », signifie « premiers fruits ». Il s'agit d'une célébration de sept jours qui s’inspire des fêtes traditionnelles des récoltes africaines. Le mot « Kwanza » n'ayant que six lettres, un « a » supplémentaire y a été ajouté afin que les sept lettres correspondent aux sept principes, ou « nguzo saba » en swahili, de la Kwanzaa. Son fondateur, Maulana Karenga, souhaitait « donner aux Noirs une alternative à la fête de Noël et leur donner l'occasion de se célébrer eux-mêmes et de célébrer leur histoire, plutôt que d'imiter simplement les pratiques de la société dominante ».

« Je parle de la table qui est construite, et de nguzo saba, c’est-à-dire des sept principes de la Kwanzaa, et de l’impact sur la communauté, de la manière de s’élever. On remercie également les ancêtres », ajoute M. Dibanda. 

Rassembler aux couleurs du pan-africanisme

À l’occasion de la fête, on déploie un tapis de paille, qui représente la communauté, et on place dessus des fruits et des légumes, qui font référence aux récoltes collectives des villageois africains, notamment du maïs, qui symbolise les enfants de chaque famille, ainsi qu’une tasse, qui désigne le partage. On met également des cadeaux et des offrandes fabriqués à la main, qui évoquent la créativité et l’intention. Sur le tapis, on trouve également la kinara, le bougeoir à sept branches. Les bougies, trois rouges, trois vertes et une noire, représentent le drapeau panafricain, qui symbolise l’unité des peuples africains.

Seti Dibanda explique que la Kwanzaa est une fête afrocentrique, l’afrocentricité étant une idéologie qui souhaite remettre l’Africain au centre de sa propre existence. La célébration tire son origine des États-Unis, où elle est établie en 1966 par le professeur Maulana Karenga, qui dirige le département d’études africaines à l’université d’État de Californie. Il souhaite alors soutenir la culture afro-américaine et unir les communautés noires au lendemain des violentes émeutes raciales survenues à Los Angeles en 1965.

« C’était la période des émancipations et des droits civiques. Il faut s’émanciper, mais il y a une identité qu’il faut préserver », croit M. Dibanda. « La préoccupation du fondateur était de créer des liens entre les Africains du continent et les Afro-Américains. C’est pourquoi il s’est basé sur la fête des récoltes, qui existait déjà sur le continent, pour établir la Kwanzaa. C’est une fête qui met la culture et les valeurs afrocentriques de l’avant. En tant qu’organisation, nous l’embrassons et la célébrons », ajoute-t-il.

À Afrocentricité Internationale Montréal, la célébration a revêtu toutes sortes de couleurs au fil des années. Il est arrivé de laisser place à la poésie faite par des enfants, alors qu’à d’autres occasions, une performance musicale était à l’honneur, soit celle d’un groupe de percussion ou d’une troupe de danse chorégraphique. Cette année, il y aura un défilé de mode africaine, au cours duquel des prix seront décernés aux participants. Comme chaque année, un buffet de spécialités africaines et caribéennes sera offert et, bien sûr, la piste de danse sera ouverte à tous ceux qui souhaitent se déhancher – un impératif, laisse-t-il entendre. 

En allumant les bougies de la Kwanzaa, la flamme doit se propager du centre vers les extrémités du kinara. Au centre trône la bougie noire, allumée le 26 décembre. Puis, on trouve trois bougies vertes à gauche, et trois bougies rouges à droite, le tout évoquant le drapeau pan-africain. Le 27 décembre, deuxième jour de la Kwanzaa, on allume la bougie kuji-chagulia pour célébrer l’autodétermination. Le troisième jour, c’est l’ujima, qui représente le travail collectif. Le quatrième, on célèbre ujamaa, soit l’économie coopérative. Le cinquième, on allume une bougie pour nia, le principe de la détermination et du renforcement de la communauté. Le sixième jour, on souligne kuumba, la créativité. Enfin, la dernière bougie représente imani, c’est-à-dire la foi. 

Pour Seti Dibanda, la Kwanzaa débute à la maison avec sa femme et ses trois enfants. Pour le père de famille, il s’agit d’un moment privilégié. À cette occasion, une table est dressée et décorée d’œuvres d’art, de fruits et de légumes. « L’important, c’est que tout le monde boive à la coupe de l’unité. C’est un acte qui permet de créer une communion avec la famille », décrit-il.

La Kwanzaa est une célébration publique, à laquelle tout le monde peut prendre part. La fête est officiellement célébrée au Canada depuis 1993. « Le Canada, c’est un pays où les communautés sont reconnues et ont la possibilité de s’exprimer. Ici, au Canada, c’est possible de garder son identité, tout en embrassant les valeurs canadiennes », dit M. Dibanda au sujet de son pays d’adoption. Camerounais de naissance, il a choisi le Canada après avoir poursuivi des études en Allemagne.  

Une affaire de communauté 

« Mon nom de famille est Quansah », dit en riant Randy Quansah, qui prononce son nom comme celui de la fête de Kwanzaa. Né à Montréal, il s’apprête justement à célébrer la Kwanzaa avec sa fille de 8 ans à Calgary, où il vit depuis 14 ans. 

S’il a entendu parler pour la première fois de cette fête au cours de son adolescence, c’est en devenant père qu’il s’est réellement penché sur sa célébration. « L’idée de la culture et de l’histoire a vraiment résonné en moi après la naissance de mon enfant. Je me suis demandé comment je voulais qu’elle compose avec l’expérience d’être noire », dit-il. Cette réflexion l’a amené à revisiter les histoires des Noirs, et à faire ses propres recherches. « On se sent plus responsable de raconter l’histoire ou du moins de piquer la curiosité [de son enfant pour qu’il] ait envie d’en savoir plus », avance-t-il.

M. Quansah enseigne les mathématiques, l’anglais et le français aux enfants de la maternelle à la 12e année, l’entrepreneuriat à l’école secondaire et la technologie à l’université. En 2021, il lance sur YouTube une série éducative consacrée aux enfants, qui connaît un vif succès. L’idée naît à la suite de la résurgence du mouvement Black Lives Matter, en 2020. « J’étais bouleversé, et je me demandais ce que je pouvais faire, à ma façon, pour changer le discours », se souvient-il. 

Son expérience auprès des enfants lui montre la voie à suivre. « Je me suis dit que le changement devait commencer par les enfants, parce qu’ils sont ouverts d’esprit. Et puis, les enfants ont la capacité de demander des comptes à leurs parents et à leurs tuteurs. Ils vous diront : “Hé, tu as dit ça, souviens-toi de ce que tu as dit », fait remarquer l’enseignant. 

L’un des épisodes de la série Kujo’s Kid Zone, qu’il anime sur YouTube, met en scène Jeanette Epps, une astronaute de la NASA. Il s’agit de la première femme noire à s’être rendue dans une station spatiale. « J’ai réalisé qu’on avait la possibilité de provoquer divers changements sociaux à travers les. Suis-je la personne qui changera tout ? Probablement pas, mais à un moment donné, quelqu’un, un enfant, verra cela et en sera inspiré. C’est là toute la beauté de la chose ! » croit M. Quansah. 

Ce dernier fait alors le lien avec la Kwanzaa, qui a fait l’objet de l’un des épisodes de la série. Il estime que les Noirs – de toutes les langues et de toutes les cultures – doivent comprendre leur culture et leur héritage. « C’est là toute l’importance de cette célébration – elle permet à la communauté de mieux comprendre cet héritage », dit-il.

Un état d’esprit d’abondance

Selon Randy Quansah, « l’état d’esprit d’abondance » est ce qui distingue, à l’origine, les peuples africains des colonisateurs européens. Par cette expression, il désigne la conviction d’avoir toutes les ressources nécessaires pour subvenir aux besoins de tous. « Le capitalisme est un état d'esprit de pénurie qui consiste à penser qu'il n'y a pas assez de ressources pour tout le monde. Les Européens avaient l'esprit de conquête, parce que dans leurs pays respectifs, il n'y a avait pas assez de ressources », avance M. Quansah. 

Il dresse le parallèle avec les peuples autochtones. « Les populations autochtones d’Amérique du Nord ont toujours eu cet état d’esprit d’abondance, par exemple en pensant : “Comment puis-je dire que ce territoire appartient à quelqu’un ? Comment puis-je dire qu’il m’appartient ?” » Il en va de même avec le continent africain, qui, à son avis, contrôle et dirige le monde en détenant des ressources qui sont aujourd’hui vitales. « S’il n’y a pas d’Afrique, il n’y a pas de monde. Toutes vos ressources, vos téléphones portables, votre or, vos diamants, votre nourriture, votre chocolat viennent du continent africain », déclare M. Quansah.

Il ajoute que c’est cette abondance en matières premières qui, paradoxalement, a fait des habitants du continent africain les plus mal lotis de la terre. « Le continent africain a été la plus grande menace, historiquement, pour le reste du monde. On y trouve le plus grand nombre de personnes et le plus de ressources. Mais les Africains n’ont pas l’intention de faire le tour du monde et de le conquérir. Ils n’en sentent pas le besoin », croit-il. À cette mentalité s’ajoute celle de l’usage collectif des ressources, c’est-à-dire l’habitude de ne pas prendre le crédit pour les nombreuses innovations – agricoles, technologiques, culturelles et plus encore – que l’on doit aux communautés africaines et afro-descendantes.

Randy Quansah

M. Quansah souligne l’importance, pour les Africains des diasporas, de se rappeler qui ils sont, au-delà des stigmatisations et des pertes – l’esclavage, la colonisation, l’exploitation humaine, le racisme. « C’est là tout l’intérêt de la création de la Kwanzaa : nous devons nous rappeler qui nous sommes. Nous devons avoir un but à atteindre, avoir des responsabilités collectives au sein de notre groupe, avoir foi en nous-mêmes. Nous devons revenir en arrière et réévaluer nos objectifs, retrouver notre créativité, déclare l’enseignant. Il s’agit de principes de communauté et d’un encouragement à une plus grande communauté. » 

Peu importe la culture ou la religion des personnes qui la célèbrent, la Kwanzaa s’intègre à la vie de chacun. « Ces principes sont si universels et incroyables qu’on peut les appliquer même si on n’est pas Noir. » Randy Quansah souhaite que cette célébration soit aussi reconnue que Noël ou Hanoucca. « Mais on a souvent l’impression que, lorsqu’on évoque quelque chose de propre à la culture noire, il y a toujours une hésitation. Comme le Mois de l’histoire des Noirs, par exemple », observe-t-il. 

Il souhaite donc qu’avec la Kwanzaa, la diaspora et les afrodescendants puissent être fiers d’eux-mêmes. « La fierté de soi est quelque chose de très, très important. J’aime le fait que les gens commencent à porter leurs cheveux de manière naturelle, à porter des vêtements plus traditionnels et des choses comme ça, parce que toutes ces choses contribuent au sentiment de fierté. Et lorsque vous éprouvez un sentiment de fierté, ce qui vient ensuite, c’est le désir d’avoir un but.»

Chez M. Quansah, les chandelles sont prêtes à être allumées. Le tapis de paille sera mis sur une table, et il y aura des fruits et des légumes dessus. « À l’occasion de la Kwanzaa, on se concentre chaque jour sur un élément. C’est ce que je vais faire et célébrer avec ma fille, pour qu’elle aussi se mette dans cet état d’esprit. J’espère que cela deviendra une tradition annuelle que nous pourrons instaurer ensemble, elle et moi, et que lorsqu’elle aura sa propre famille, elle pourra l’intégrer à ses propres activités. » 

Pour participer à l’événement à Montréal, suivez ce lien.

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