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Nos quartiers, nos voix : le dialogue parents-enfants pour prévenir la violence armée
Hassan Benkhadra, père de trois enfants et coordonnateur au Bureau associatif pour la diversité et la réinsertion, à Saint-Léonard ; Abdellah Azzouz, intervenant au Forum jeunesse de Saint-Michel ; Pierreson Vaval, intervenant jeunesse de longue date, père de quatre enfants et directeur de la Coalition Pozé ; et Kahina Bouchefa, psychologue clinicienne à l’hôpital du Sacré-Cœur-de-Montréal et mère d’une adolescente. 
15/1/2025

Nos quartiers, nos voix : le dialogue parents-enfants pour prévenir la violence armée

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Il y a quelques mois, dans les bureaux de La Converse, un premier dialogue s’ouvrait sur la montée des crimes violents chez les jeunes Montréalais. Myriam Coppry, coach spécialisée dans l’accompagnement des parents immigrants, lançait alors dans l’urgence le message suivant : « On ne laisse que très peu ou pas de place aux parents lorsqu’il s’agit d’intervenir auprès des jeunes. (…) On ne peut pas leur en vouloir une fois le mal fait, puis les exclure quand il est question de solutions. C’est de l’hypocrisie. Il faut apprendre à les responsabiliser sans les accuser. »

En cette soirée d’hiver, sous la lumière crue du plafond du Forum jeunesse de Saint-Michel, c’est chose faite. Parents et enfants se sont réunis pour trouver réponse à une question : comment renforcer leurs liens pour prévenir la violence armée ?

L’ambiance est étonnamment détendue, mais les oreilles sont attentives. Face à la soixantaine de parents accompagnés de leurs adolescents, quatre intervenants issus du milieu communautaire partagent leur expertise. Parmi eux, Hassan Benkhadra, père de trois enfants et coordonnateur au Bureau associatif pour la diversité et la réinsertion, à Saint-Léonard ; Abdellah Azzouz, intervenant au Forum jeunesse de Saint-Michel ; Pierreson Vaval, intervenant jeunesse de longue date, père de quatre enfants et directeur de la Coalition Pozé ; et enfin Kahina Bouchefa, psychologue clinicienne à l’hôpital du Sacré-Cœur-de-Montréal et mère d’une adolescente. 

Leur mission est claire : offrir aux familles des outils pour renforcer les liens entre parents et enfants et ainsi prévenir une violence qui frappe particulièrement les communautés racisées.

« Nous sommes en compétition avec le monde extérieur »

Pierreson Vaval est le premier à prendre la parole. « La violence, c’est un symptôme, un signe que quelque chose ne va pas, commence-t-il d’une voix posée. Il ne faut pas oublier que notre société renvoie à nos jeunes racisés une image négative de qui ils sont. Cette quête d’identité est si forte qu’ils sont parfois prêts à tout pour y répondre : ils sont prêts à être blessés, à aller en prison, à condition qu’on leur donne une réponse identitaire. »

La solution commence au sein de la famille, affirme-t-il : « Nous devons offrir à nos enfants un environnement où ils se sentent en sécurité, physiquement, émotionnellement et psychologiquement. » Car, selon lui, ceux qui tentent de recruter des jeunes pour les pousser vers la criminalité n’hésitent pas à discréditer leurs parents. « Tes parents sont dépassés, incapables, ils ne te comprennent pas. Ils ne peuvent pas t’offrir ce que, moi, je peux te donner : un endroit où fêter, rencontrer tes amis, dormir tranquille, sans qu’on te parle de religion. Moi, je te donne l’occasion de faire de l’argent », cite-t-il en exemple. 

« Nous sommes en compétition avec cette offre extérieure. Si nous n’avons rien à leur offrir, c’est normal qu’ils se tournent vers ceux qui leur proposent quelque chose de concret », ajoute Pierreson Vaval.

Sa solution ? Écouter réellement les jeunes, « car souvent, reprend-il, on leur pose des questions, mais ils sentent qu’on n’est pas prêt à entendre leurs réponses. Donc, ils disent ce que leurs parents veulent entendre. Mais si cette ouverture n’existe pas à la maison, ils iront s’exprimer ailleurs. On doit leur demander ce qu’ils aimeraient changer, leur montrer que leurs pensées comptent pour nous. »

« Le dialogue, c’est d’abord une présence, être disponible » 

Kahina Bouchefa, qui est assise à la gauche de Pierreson Vaval, hoche la tête. Elle abonde dans le même sens. « Le dialogue, c’est d’abord une présence, être disponible. Il faut trouver l’équilibre entre le dialogue et le fait de laisser à son enfant son intimité. »

« Il n’y a pas d’intervention miracle ; c’est un travail qui se fait en amont. Il faut faire attention aux changements, aux signes. C’est un travail régulier d’observation, d’empathie. Les changements de comportement, même subtils, sont souvent des signes à ne pas ignorer », insiste la psychologue.

Abdellah, connu du public comme Azzouz, prend à son tour la parole : « Et il y a des signes qui montrent que l’enfant change progressivement. Par exemple : un jeune qui s’éloigne sans explication des amis avec qui il a grandi. Demandez-lui pourquoi. Il ne vous dira peut-être pas tout de suite qu’il a de nouvelles fréquentations ou qu’il a commencé à fumer, mais ce sont des indices qu’il faut creuser. C’est déjà un signe à prendre au sérieux. Sinon, dans cinq ou six mois, on verra des changements plus graves : ils commencent à convoiter des choses coûteuses parce qu’ils ont déjà touché de l’argent illégalement. Les signes sont là, mais il faut être disponible pour les remarquer. »

Abdellah met en lumière les difficultés des parents immigrants, davantage touchés par la pauvreté, et donc moins disponibles pour leurs enfants : «Ces parents travaillent dur pour payer les factures et élever leurs enfants, mais souvent, ils s’oublient eux-mêmes… et oublient leurs enfants. Beaucoup ne vont pas bien psychologiquement. Ils veulent la réussite de leurs enfants, mais en creusant, on comprend que cette réussite se limite souvent à l’école, à condition que l’enfant ne les dérange pas., laisse-t-il tomber. Pourtant, la réussite n’est pas seulement scolaire. Elle est aussi sociale, émotionnelle. Est-ce que cet enfant a des rêves, des idées ? Même au sujet du sport auquel les parents l’inscrivent, s’est-on demandé si l’enfant est réellement heureux ? »

Au Forum jeunesse de Saint-Michel, parents et enfants se sont réunis pour trouver réponse à une question : comment renforcer leurs liens pour prévenir la violence armée ?

Respecter nos jeunes, « leur montrer qu’ils comptent » 

Hassan, père de trois enfants, prend la parole avec un sourire amusé. « Je fais un pouce à ce que dit Abdellah », plaisante-t-il, provoquant quelques rires. « Moi, j’ai voulu intégrer mes enfants à tout prix dans la culture ici. J’ai acheté tout le matériel de ski, mais devinez quoi ? Ça n’a servi à rien. Ils détestent le ski ! » lâche-t-il dans un petit éclat de rire. Sur un ton plus sérieux, il reprend : « Alors, on a essayé autre chose : le basket, la natation, le judo… Et finalement, ils ont choisi le judo. Aujourd’hui, ce sont des champions canadiens. Je n’ai pas choisi. J’ai respecté leurs envies, je les ai soutenus. » Hassan se redresse sur son siège : « Si ça avait été moi, j’aurais préféré le soccer. Mais c’est ça, le respect. Respecter leurs choix, et d’une manière plus large, respecter leurs opinions, leurs questions. Tout simplement, leur montrer qu’ils comptent. »

Une communication parents-enfants brouillée par le choc culturel 

La conversation gagne en intensité lorsque Abdellah ouvre un nouveau front : « Un problème que je remarque souvent, c’est que les parents ont tendance à voir leurs enfants comme étant naïfs, qu’ils soient impliqués dans le crime organisé ou qu’ils soient d’excellents élèves. Il y a un problème là… Est-ce que les parents aussi ont besoin d’aide pour réagir dans un système où ils n’ont pas grandi ? »

La psychologue Kahina Bouchefa enchaîne immédiatement : « Effectivement, c’est une question intéressante de se demander pourquoi ces enfants sont si influencés par ce qui vient de l’extérieur. Sans vouloir faire la morale aux parents, il est clair qu’ils ont besoin d’aide, surtout les parents immigrants qui n’ont pas toujours les codes et les clés pour comprendre ce qui se passe autour d’eux. » 

Selon la psychologue, l’écart entre les valeurs que les parents inculquent à leurs enfants et celles proposées par la société d’accueil empêche qu’il y ait une bonne communication. « Cette peur que leurs enfants acceptent les nouvelles valeurs les pousse souvent à éviter les discussions difficiles. Être parent, c’est pourtant accepter d’entendre ce qui dérange. Cela demande une grande solidité, mais aussi de l’humilité, reprend Kahina Bouchefa. Ce n’est pas toujours du déni, mais plutôt une incapacité à créer des ponts entre ces mondes. »

Pierreson Vaval intervient à son tour. « Aucun enfant n’est à l’abri de la violence. Ce qui fait la différence, c’est ce que nous leur offrons à la maison. » Il raconte que, plus jeune, il a rencontré des recruteurs de gang sur un terrain de basket. « Quand ils sont venus vers moi et m’ont proposé d’entrer dans leur gang, je leur ai demandé si ça allait me permettre de jouer plus au basket. Ils m’ont dit non, alors je leur ai dit que ça ne m’intéressait pas. » Quelques rires se font entendre dans la salle. Il reprend, plus sérieusement : « Connaissez leurs rêves, accompagnez-les, soyez complices de leur bonheur (...) [mais] on ne peut pas tout contrôler, nuance-t-il. Certains éléments dépendent de vous, les parents ; d’autres éléments dépendent de l’environnement du jeune. »

Kahina Bouchefa reconnaît que beaucoup de parents ne disposent pas de tous les outils pour comprendre le monde actuel. « Et c’est normal. Ils ont besoin d’être accompagnés, tout comme ils doivent accompagner leurs enfants. »

Des ressources pour les parents ? 

Des ressources, méconnues d’un grand nombre de parents, sont pourtant disponibles, et ce, dans leur propre communauté, affirme Hassan. « Si un parent ne veut pas d’intervenant québécois de souche, il en existe des Maghrébins. Si les parents préfèrent des imams, il en existe aussi », insiste-t-il.

« Parfois, il suffit de signaler un problème pour ouvrir la porte à des aides comme les banques alimentaires, les cliniques judiciaires ou les programmes sportifs, reprend l’intervenant jeunesse Abdellah Azzouz. Un simple appel à un centre communautaire peut faire toute la différence pour réorienter un jeune vers un cadre positif », conclut-il. 

Mais que faire lorsque la prévention ne suffit plus et qu’un jeune est déjà impliqué dans la criminalité ? À qui les parents peuvent-ils faire confiance ? Certains refusent de se tourner vers les services de l’État, qu’ils estiment beaucoup trop répressifs, par peur de voir leurs adolescents être arrachés à leur famille. Quant aux intervenants sociaux, disposent-ils des moyens nécessaires pour aider réellement ces jeunes déjà pris dans une spirale difficile à briser ?

C’est une question sur laquelle s’attardera La Converse dans un prochain épisode de la série d’articles « Nos quartiers, nos voix ».

L’actualité à travers le dialogue.
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