Abdellah Azzouz est intervenant communautaire au Forum Jeunesse de Saint-Michel depuis trois ans. Celui qui a grandi dans le quartier Saint-Léonard à Montréal a toujours voulu aider les autres. Aujourd’hui, il confie à La Converse le récit du contrôle de police dont il a fait l’objet et qu’il assimile à du profilage racial. Témoignage.
Derrière son allure nonchalante, ses cheveux longs et bouclés, et sa barbe bien fournie, Abdellah Azzouz dégage douceur et sérénité. Celui qui fréquentait le Forum Jeunesse de Saint-Michel lorsqu’il était plus jeune, y est maintenant intervenant. Une façon pour lui de « redonner ».
Malgré sa pudeur apparente, il a décidé de prendre la parole pour dénoncer ce qu’il considère comme du profilage racial. Tout a commencé le jeudi 10 octobre aux alentours de 22h45 alors qu’il était à bord de son véhicule stationné.
« J’étais dans ma voiture, moteur à l’arrêt, en attendant mon ami », témoigne-t-il. À ce moment, il aurait remarqué une voiture de police passer à côté de lui avant de faire demi-tour et de s’arrêter près de sa voiture. « Une policière descend, elle vient me voir et me demande ce que je fais là. Je lui ai répondu que j’attendais mon ami qui habite juste à côté, pour aller boire un café », assure Abdellah Azzouz. L’agent de police lui aurait alors demandé s’il consomme des substances, ce à quoi le jeune homme répond par la négative.
Finalement, alors qu’il dit ne pas savoir pour quelle raison il est contrôlé, elle lui aurait alors enjoint de décliner son identité. C’est là que les choses prennent une tout autre tournure.
Une amende de 500$ pour entrave
Selon Abdellah Azzouz, la policière a refusé de lui indiquer la raison du contrôle et un deuxième policier serait arrivé. « Je voulais savoir pourquoi je devais m'identifier. Est-ce que j'ai commis une infraction ? Est-ce qu’il y a un motif quelconque à ce contrôle ? Je voulais simplement une explication, et je lui ai dit que je m'identifierai une fois que je saurai pourquoi je dois le faire. Mais moins de trois phrases échangées et son collègue est arrivé. Il m'a dit “assez parlé” et il a ouvert la voiture pour m’en sortir », raconte l’intervenant communautaire d’origine algérienne.
Une fois à bord de la voiture de police, il assure avoir indiqué qu’il est intervenant communautaire et travaille en collaboration avec les services de police pour faire de la prévention auprès des jeunes. « Je leur ai dit que, la semaine précédente j’étais dans une réunion avec la mairesse de la ville et qu’on a justement parlé des problèmes de profilage racial dans la police de Montréal. Quand j’ai dit ça, la policière m’a répondu : “dommage, tu n’as rien filmé là”. Elle voulait me dire que je n’avais pas de preuve et elle doit très bien savoir que la mairesse n’a pas d’autorité sur la police, même si celle-ci dépend de la Ville qui est son employeur », souligne Abdellah Azzouz.
« Pour moi, j’ai subi ce contrôle simplement parce que je suis typé et que j’ai les cheveux longs, le stéréotype... » - Abdellah Azzouz
Finalement, il accepte de décliner son identité pour éviter d’être conduit au poste de police. « Le policier a sorti une tablette avec plein de photos et cherché la mienne. Je lui ai dit que mon casier judiciaire est vierge et que je n’ai jamais eu de problème avec la police. Ils ont fini par me laisser partir, mais avec une amende de 500$ pour entrave », explique-t-il en montrant son ticket.
Abdellah Azzouz se dit choqué par cette expérience, tout comme sa mère lorsqu’elle l’a appris, et décide rapidement de livrer son témoignage sur sa page Facebook. En tant qu’intervenant communautaire dont le rôle est de créer des ponts entre les jeunes de Saint-Michel et la police, d’œuvrer pour la prévention des violences juvéniles, mais aussi contre le profilage racial, il confie avoir ressenti le devoir de parler.
« Je sais bien que je n’ai pas de preuve, que je n’ai pas filmé, mais beaucoup d’organismes, de policiers, d’élus me connaissent, m’invitent à des événements contre la violence et savent que je suis sérieux. Pour moi, j’ai subi ce contrôle simplement parce que je suis typé et que j’ai les cheveux longs, le stéréotype... C’est une injustice et ce n’est pas acceptable ! », insiste-t-il.
Le profilage racial pointé du doigt
Selon Abdellah Azzouz, l’équipe de police qui a procédé au contrôle appartiendrait à la section « Éclipse », qui aurait tendance à effectuer du profilage racial. Le site du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) indique que les agents de cette section ont pour mission de « lutter contre les phénomènes de criminalité et de violence », et de « de soutenir, sur le terrain, les postes de quartier ou les différentes unités d’enquête dans la réalisation de leur plan d’intervention et de leur stratégie d’enquête ».
« Beaucoup de jeunes m’avaient raconté leurs expériences avec les policiers d’Éclipse, et qu’ils en avaient marre d’être contrôlés tout le temps. Souvent, je leur demandais si leur attitude avait été convenable, s’ils n’avaient rien fait… mais en le vivant moi-même, alors que j’étais simplement en train d’attendre un ami, je me suis rendu compte que ce sont des contrôles totalement injustifiés, basés uniquement sur notre apparence et ce n’est pas normal », affirme l’intervenant communautaire. Lui-même se souvient d’une fois, en juin dernier, où il sortait d’un café avec des amis et se serait fait interpeller par des agents de la section Éclipse : « Selon eux, on était sorti trop vite du café. Ça n’a pas de sens ! Ce jour-là, une policière m’a reconnu et a dit à ses coéquipiers que je travaillais avec la mairie, donc ils n'ont pas continué le contrôle. »
Abdellah Azzouz l’assure, s’il témoigne aujourd’hui, c’est pour porter la voix des jeunes de quartier qui subissent du profilage racial et que « l’on ne croit pas ». Il dénonce le mode opératoire de la section Éclipse, et assure que les relations sont beaucoup plus apaisées avec les agents des postes de quartier, qui ont une meilleure connaissance du territoire et de leurs habitants.
« Ils sont tombés sur la mauvaise personne, je veux emmener cette affaire le plus loin possible, car c’est une injustice. » - Abdellah Azzouz
Conscient que certaines personnes estiment qu’il aurait simplement dû s’identifier, il considère quant à lui qu’il n’a pas refusé de le faire mais qu’il est « légitime » de savoir pour quel motif il est contrôlé. Il assure que le profilage racial des jeunes dans les quartiers de Montréal pose également un enjeu financier. « Des jeunes m’ont dit qu’ils se font contrôler et mettre un ticket pour avoir soi-disant traversé la route au feu rouge et les policiers en profitent pour fouiller leurs téléphones. Ce sont de faux prétextes et ils se retrouvent à avoir des problèmes avec leurs parents qui pensent qu’ils ont fait quelque chose pour se faire contrôler, et qui se retrouvent à payer une amende alors qu’ils ont déjà des difficultés financières. Il ne faut pas s’étonner que les jeunes aient peur des policiers », témoigne l’intervenant.
« Ils en ont marre de perdre 15-20 minutes à chaque fois qu’ils se font contrôler sans aucune raison. Ils en ont marre que les policiers ne viennent leur parler que pour des choses négatives alors qu’ils ont besoin d’être revalorisés », déclare-t-il. Selon l’intervenant, le SPVM doit reconnaître ces dérives et les combattre fermement et concrètement. Il se dit notamment favorable au port de caméras par les policiers en intervention : « C’est une solution qui protège à la fois le travail des policiers et les citoyens, il me semble que ce serait très bénéfique et facile à mettre en place. »
Celui qui dit ne toujours pas savoir pourquoi les policiers ont décidé de le contrôler ce soir-là est déterminé à obtenir une réponse. « Ils sont tombés sur la mauvaise personne, je veux emmener cette affaire le plus loin possible, car c’est une injustice de me faire contrôler sans aucune explication et qu’on me nargue en me disant dommage que tu n’as rien filmé », indique Abdellah Azzouz. Il espère que son amende sera annulée par la police et la contestera si ce n’est pas le cas.
Peu d’études scientifiques
Tandis que la question du profilage racial est de plus en plus médiatisée, il existe relativement peu de données statistiques sur cette question. En 2019, une première enquête qualitative réalisée avec un large échantillon de jeunes racisés à Montréal révèle qu’il s’agit bien d’une réalité. Intitulée Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées, elle a été menée par trois universitaires de Montréal et leur rapport final a été remis au SPVM.
« Au cours de la période de quatre ans allant de 2014 à 2017, les personnes noires avaient 4,2 fois plus de chances d’être interpellées par le SPVM que les personnes blanches et les personnes autochtones avaient 4,6 fois plus de chances d’être interpellées que les personnes blanches. Les personnes arabes avaient, quant à elles, deux fois plus de chances d’être interpellées que les personnes blanches », notent les chercheurs dans leurs conclusions. Des chiffres édifiants.
« La Ville ne saurait se retrancher derrière ses policiers ni leur faire porter le blâme de façon exclusive. » - Dominique Poulin, juge à la Cour supérieure.
Le rapport précise que « les interpellations auprès de personnes arabes et noires sont disproportionnées, autant en tenant compte de leur poids démographique dans la population de Montréal qu’en considérant leur « contribution » relative aux infractions aux règlements municipaux (surinterpellation de 180% et de 137% respectivement pour les personnes arabes et noires) et aux infractions criminelles (surinterpellation de 93% et de 66% respectivement) ».
Le 3 septembre dernier, au terme d’une action collective lancée par Ligue des Noirs et Alexandre Lamontagne, un Montréalais victime de profilage, la Cour supérieure a conclu que les policiers de la SPVM étaient coupables de discriminations raciales. La juge Dominique Poulin a conclu à la responsabilité de la Ville de Montréal en tant qu’employeur. « La Ville ne saurait se retrancher derrière ses policiers ni leur faire porter le blâme de façon exclusive », estime-t-elle.
La juge accorde également aux personnes racisées ayant été victimes d’interpellations sans motif, entre 2017 et 2019, de 2500 $ à 5000 $ de dommages. Très attendue, cette décision a été saluée par les militants antiracistes qui considèrent qu’il s’agit d’un « pas en avant », bien que cela ne règle pas le problème de fond.
Contacté par La Converse au sujet du cas d’Abdellah Azzouz, le SPVM a refusé de s’exprimer. « Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ne commente pas des interventions policières en particulier, et ce, afin de prévenir toute influence sur un éventuel processus judiciaire, déontologique ou disciplinaire. Sauf rares exceptions, nous ne confirmons pas non plus des arrestations précises, qu'une personne – physique ou morale – a déposé ou fait l’objet d’une plainte ni la tenue d’une enquête », nous a répondu le service communication.
De son côté, Abdellah Azzouz a pris rendez-vous à la clinique juridique de Saint-Michel afin de connaître ses droits et les recours à sa disposition. Il se dit déterminé à poursuivre son travail pour « empêcher les jeunes de se tourner vers le crime », tout en défendant « ceux qui souffrent en silence du profilage racial dans les communautés maghrébines et noires ».
Optimiste, il dit vouloir retrouver un lien de confiance entre la police et les jeunes. Pour cela, Abdellah Azzouz envisage de se lancer en politique afin de faire changer les choses.