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Expropriation : La famille Ly continue son combat contre la STM
Trivi Ly devant le duplex familial sur la rue Bellechasse. Photo: Jennifer Da Veiga Rocha
9/12/2024

Expropriation : La famille Ly continue son combat contre la STM

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Une véritable bataille se déroule actuellement sur la rue Bellechasse, où la famille Ly et les résidents du secteur s’opposent à la STM. La famille, qui vit dans un duplex depuis 41 ans, a reçu un avis d’expropriation pour permettre la construction d’un poste de ventilation souterrain. Ils dénoncent la perte de leur patrimoine familial et le manque de communication de la part de la STM. La société de transport reculera-t-elle face aux pressions locales ? Reportage.

Alors que les premières neiges recouvrent Montréal, l’ambiance est loin d’être festive pour les Ly, résidents de l'arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie. Leur préoccupation principale : sauver leur duplex. La STM leur a remis un avis d’expropriation, annonçant la démolition de leur maison pour permettre la construction d’un poste de ventilation.

Devant leur domicile de la rue Bellechasse, Trivi Ly, fils des propriétaires, se tient dans le froid, vêtu d’un manteau kaki et d’un bonnet noir. Il raconte leur histoire, tandis que ses parents, âgés, sont restés à l’intérieur : « Il y a six ans, la STM nous avait déjà contactés pour savoir si nous serions intéressés à vendre notre propriété », explique-t-il. Leur réponse avait été négative. 

En désignant la boîte aux lettres vieillissante, il ajoute : « Six ans plus tard, en avril dernier, on a reçu l’avis d’expropriation pour mi-novembre. Ils l’ont simplement déposé là, comme une lettre ordinaire. Quand j’ai montré la lettre à mes parents, ils n’y croyaient pas. Ils m’ont dit : "Non, ce n’est pas possible, ils n’ont pas le droit de faire ça ! On vit dans une démocratie, non ?" ». 

Originaire de Chine, la famille Ly a acheté ce duplex en 1983, quatre ans après leur arrivée à Montréal. Pour ces parents ayant travaillé sans relâche toute leur vie –  la mère comme couturière et le père dans la réparation électronique – cette nouvelle est un véritable choc. « Ils ont remboursé cette maison pendant près de 30 ans, et maintenant, on leur demande de partir, comme s’ils n’avaient jamais été réellement propriétaires », s’indigne Trivi.

Cherchant à connaître leurs options, les Ly ont consulté un avocat. Mais l’espoir a rapidement laissé place à la frustration. « Il nous a conseillé de coopérer avec la STM, car ils ont tous les droits », regrette Trivi, en évoquant la loi 22, qui encadre les expropriations.

Une indemnité insuffisante pour racheter un bien dans le quartier

Passé le choc initial, c’est l’offre d’indemnité d’expropriation de la STM qui est venue aggraver leur désarroi. Elle est tout d'abord fixée à 696 000$ selon un courrier que la famille reçoit en avril 2024. Une offre bien inférieure à la valeur réelle du marché, estime un courtier immobilier mandaté par la famille. « Ce n’est même pas une offre, proteste Trivi. Ils imposent ce montant, sans aucune possibilité de négociation. »

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. La famille, qui espérait voir la valeur de sa maison revue à la hausse, autorise les experts de la STM à visiter leur bien pour une nouvelle évaluation, et tombe des nues. « Ils ont estimé que le mur en briques nécessitait des travaux, que le plancher était trop usé… » Résultat : l’offre a chuté de 136 000$, atteignant désormais 560 375$. « Je ne comprends pas leur logique ! De toute façon, ils doivent tout détruire », s’agace t-il.

Cette succession d’obstacles n’a fait qu’intensifier le sentiment d’injustice de la famille. Trivi soupire, il se sent démuni : « Trouver un nouveau logement dans le quartier, c’est mission impossible avec une offre aussi basse et des délais aussi courts. Nous sommes profondément enracinés ici, avec nos commerces, nos médecins. Cette somme est insuffisante pour tout recommencer ailleurs. » Selon nos recherches, le duplex le moins cher offert à l’achat proche du secteur Bellechasse est actuellement affiché à 600.000$, sans compter les frais afférents à l’acquisition d’un bien immobilier. 

Interrogée à ce sujet, la STM explique que le montant initial de 696 000$ était basé sur une évaluation réalisée à partir de photographies, sans accès à la propriété. Elle assure que le montant actuel de 560 000$ est « prévisionnel et non final », car les éventuelles réclamations des expropriés pourraient donner lieu à des indemnités supplémentaires. 

Dans cette seconde offre, seule la « valeur marchande du droit exproprié » est prise en compte. La famille Ly peut prétendre à des indemnités de réaménagement, de déplacement, de concordance, ou encore à une « indemnité établie en fonction de l’approche basée sur la théorie de la réinstallation ». Cette dernière prend en considération la « réparation des préjudices », la « perte de valeur de convenance » (valeur sentimentale pouvant aller jusqu’à 31.524$, N.D.L.R.), « les troubles, les ennuis et les inconvénients ». 

La STM confirme ainsi que le processus d’expropriation est toujours en cours et qu’elle « paiera les indemnités dues conformément à la loi ». Si la loi prévoit ces différentes indemnités en cas d’expropriation, elle ne les rend pas obligatoires. « Les expropriés ont déposé d'autres réclamations qui pourraient, si elles sont jugées recevables, donner lieu à d'autres indemnités », affirme la STM. 

Pétition, manifestation… le voisinage se mobilise

Il y a quelques semaines, à la demande de la famille, l’avis d’expropriation a été prolongé de deux mois pour leur permettre de chercher un nouveau logement. Ils ont alors jusqu’à fin janvier, un délai que Trivi juge toujours trop court. Malgré l’urgence et le désarroi, la famille Ly n’est pas seule face à la STM. C’est tout le voisinage qui se mobilise pour contester l’expropriation de ces derniers. 

Alors que Trivi nous raconte son histoire, un homme emmitouflé dans une écharpe noire s’approche à pied. Il porte une gourde dans une main, des gants dans l’autre : c’est Tristan Desjardins Drouin, un voisin de la famille Ly, devenu une figure centrale de la mobilisation citoyenne et le porte-parole du quartier depuis l’annonce des travaux pour le poste de ventilation. « Nous sommes tous unis dans l’espoir de trouver des solutions avec la Ville et la STM. L’objectif, c’est de faire en sorte que la STM justifie vraiment son projet d’expropriation », commence t-il. 

Tristan, estime que certains sites avoisinants, dont plusieurs sont vacants, auraient été de meilleures options pour le poste de ventilation. « Mais soyons clairs, reprend t-il, nous n’avons pas été impliqués depuis six ans. Et le processus de consultation qu’on nous propose dure à peine trois semaines, ce qui est manifestement insuffisant. »

La STM avait initialement prévu deux soirées de consultation : une première réunion le 12 novembre, limitée à de l’information, et une deuxième ce mardi 3 décembre à la Maisonnette des Parents, pour recueillir les opinions des résidents. La Converse est présente ce soir-là.

Il est 18h30, la nuit est déjà tombée lorsque nous arrivons devant la Maisonnette des Parents. Les habitants du secteur Bellechasse manifestent contre l’expropriation de la famille Ly, mais aussi contre le lourd projet de travaux qui durerait au minimum trois ans. Ils resteront là jusqu’au début de la seconde consultation publique prévue à 19h.

Sur place, l’ambiance est surprenamment chaleureuse malgré les tensions palpables : les manifestants tapent des pieds et dansent sur des airs de Queen pour se réchauffer. Sur les pancartes qu’ils brandissent, on peut lire des phrases choc : « On ne construit pas l’avenir au détriment d’une famille. Non à l’expropriation ! » ou encore « Le vol, peu importe son nom, ça pue autant. » 

Un peu plus loin, certains distribuent des QR codes aux automobilistes. Ils les encouragent à signer une pétition en ligne qui a déjà recueilli plus de 3 931 signatures depuis son lancement, le 17 novembre 2024. En réponse, des klaxons d’encouragement retentissent, y compris celui d’un bus de la STM, déclenchant des éclats de rire : « Ironique, non ? La STM qui nous soutient ! », s’amuse un manifestant.

Une manifestante tend le code QR d'une pétition en ligne, en appui à la famille Ly, aux automobilistes circulant sur le boulevard Saint-Laurent. Photo : Edouard Desroches. 

Face à la grande mobilisation du quartier deux nouvelles dates ont été ajoutées, une le 5 décembre dernier, et une prochaine prévue ce mardi 10 décembre.

Un manque de communication de la part de la STM

Les manifestants dénoncent également le manque de transparence de la STM. Ils affirment avoir appris l’ampleur du projet il y a seulement trois semaines, via des dépliants déposés dans leurs boîtes aux lettres. Triv Ly, que nous retrouvons sur place, nous présente un couple de voisins quinquagénaires, qui préfère garder l’anonymat :

« Si la STM avait communiqué plus tôt, on aurait peut-être envisagé d’acheter ailleurs », confient ceux qui, ayant acquis leur bien il y a cinq ans, regrettent que le projet soit resté dans les tiroirs de la STM pendant six ans. « Nous sommes musiciens, donc nous travaillons principalement à la maison. Maintenant, on vit dans l’anxiété. L’expropriation des Ly, c’est déjà un drame. Et pour nous, les travaux seront un cauchemar. Imaginez quatre ans de bruit… Ce sera impossible de partir, ou même de louer notre maison. On perd le sommeil, on remet tous nos projets en question. »

Les manifestants réclament davantage de transparence de la part de la STM. Photo: Edouard Desroches

Ces consultations, perçues comme des formalités légales, laissent un goût amer aux résidents. « Ils travaillent sur ce projet depuis six ans, mais ils n’ont jamais pris la peine de nous consulter en amont », s’indigne un manifestant. « Nous aurions pu partager notre connaissance du quartier et proposer des alternatives. Au lieu de cela, ils imposent leur projet, bouleversant nos vies sans offrir de solutions humaines », partage-t-il. 

Un impact humain à considérer 

Les travaux de la rue Bellechasse doivent débuter à l’automne 2026 et s’étaleront jusqu’en 2030, avec une partie de la route fermée à la circulation. Les résidents s’inquiètent donc des nuisances sonores que la construction du poste de ventilation engendrera nécessairement.

Il est 19h, les pancartes s’abaissent, les habitants sont prêts à rejoindre la salle de la Maisonnette des Parents pour la soirée de consultation. À l’intérieur, habitants, représentants de la STM et une commission indépendante chargée de superviser les discussions prennent place. Les représentants de la STM restent silencieux et n’interviendront qu’en fin de soirée pour corriger ou clarifier certains propos si nécessaire.

De leur côté, les résidents ne se font pas prier pour exprimer leur frustration : les travaux engendreront du bruit, le camionnage également, et selon eux, le système de ventilation une fois construit, aussi. 

Une citoyenne déplore particulièrement le manque de réponses claires : « Nous avons demandé des informations sur les critères utilisés pour choisir ce site et les raisons derrière chaque décision. Cela fait trois semaines, et toujours aucune réponse. » 

Dans un communiqué publié le 28 novembre suite à la première réunion de consultation, la STM dévoile les critères qui ont mené à la sélection de la maison des Ly. On y retrouve notamment des considérations liées à la faisabilité technique en matière de ventilation, les objectifs d’évacuation des occupants, l’intégration dans le milieu et les coûts associés. 

Pas de quoi convaincre les manifestants de Bellechasse. « Oui, on nous explique que c’est en partie parce que ce site est moins cher qu’un autre. Mais de combien exactement ? Si la différence n’est que de 15$, ce n’est pas la même chose. Mais nous n’avons pas d’autres informations, aucune étude qui le confirme », rétorquent-ils.

Deux heures et quarante minutes plus tard, après que onze personnes aient pris la parole, les représentants de la STM se lèvent. « C’est certain que l'expropriation est toujours notre dernier recours, personne n’aime déloger une famille », expliquent-ils, avant de confirmer que la date d’expropriation est à nouveau reportée, non plus pour fin Janvier mais au 30 Juin 2025. Ils assurent que les demandes d’accès à l’information des résidents recevront une réponse dans un futur proche.

Un cas similaire à Chabanel

Les préoccupations des manifestants au sujet des nuisances sonores, liées à ce chantier ne sont pas anodines. Un précédent existe en effet à Chabanel, au sein de l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville, et n’a pas de quoi rassurer les habitants de la rue Bellechasse.

Dans un groupe Facebook créé en réponse au projet de la STM, des résidents du quartier Chabanel, où des travaux de même ampleur se déroulent depuis 2022 se joignent à la cause des habitants de Bellechasse et expriment leur mécontentement de manière anonyme : « En ce qui nous concerne, la STM a été abusive et sourde à nos revendications. »

Un article du Journal des Voisins publié en Juillet 2023, rapporte le mécontentement des résidents proches du chantier Chabanel face au bruit constant des travaux qui se prolongent de 7 h à 19 h en semaine et de 7 h à 17 h le samedi. Ils soulignent également les vibrations causées par les dynamitages et l’intensification du trafic de camions. 

Là-bas, les perturbations devraient durer jusqu’à l’hiver 2026, alors que certains habitants assurent que l’impact sur leur vie est important. Difficultés à dormir, problèmes de couple, impossibilité de télétravailler… autant de conséquences qu’ils attribuent à l’omniprésence du bruit.

Concernant le bruit, la STM tente toutefois de calmer les inquiétudes lors de la consultation publique avec les habitants de Bellechasse. Ils précisent que les périodes de dynamitage « dureront uniquement pendant un an. » Une fois le poste de ventilation terminé, ils garantissent que les niveaux resteront conformes aux normes : « Nous allons respecter les 45 dBA, de jour, ce qui ne sera pas perceptible, et de nuit, à peine perceptible. » Le système de ventilation sera réglé pour fonctionner avec un ventilateur sur deux pendant l’hiver ou à faible vitesse, et ne tournera pas 24h sur 24.

En attendant, les horaires de travail sur le chantier seront de 7 h à 19 h du lundi au samedi, et de 10 h à 19 h le dimanche. Des promesses qui ont du mal à convaincre.

Une issue possible pour éviter l’expropriation ? 

Si les habitants ne se découragent pas, c’est parce que les événements semblent tourner en leur faveur.  En effet, sous la pression de leur mobilisation, la STM a indiqué être en pourparlers avec la Société québécoise des infrastructures (SQI) pour réexaminer la possibilité d’utiliser un site provincial.

« En 2021, nous avions reçu un refus de leur part. Il se peut que, même après réévaluation, les analyses confirment que le site au 530-532, rue de Bellechasse demeure la meilleure option pour réaliser le poste de ventilation mécanique Bellechasse », tempère la STM.

Lors d’une séance de conseil de l’arrondissement Rosemont-La-Petite-Patrie, tenue le lundi 2 décembre avec le maire François Limoges, les résidents ont également reçu tout le soutien de la part de l’administration locale. L’arrondissement recommande, elle aussi, l’utilisation du site provincial comme alternative pour la construction du poste de ventilation. « Dès 2020, l’arrondissement a recommandé à la STM de privilégier le terrain de la Chambre de la jeunesse pour y relocaliser le nouveau poste de ventilation. » Ce site est situé à seulement 110 mètres du duplex de la famille Ly.

Il précise néanmoins que l’arrondissement n’a pas de pouvoir décisionnel dans ce dossier.  «  Nous avons fait des recommandations, mais nous ne disposons d’aucun levier réglementaire. (...) Notre engagement ce soir est le suivant : nous allons joindre notre voix à la vôtre et celle de la directrice générale de la STM, qui relance en ce moment le gouvernement du Québec pour tenter à nouveau de voir la faisabilité de l’installation sur le site de la Chambre de la jeunesse. » 

La mobilisation reste solide dans le quartier, où l’espoir d’une annulation totale du projet demeure. « Tout le voisinage est déterminé à ne pas laisser tomber », martèle Tristan Desjardins Drouin, le porte-parole des résidents. 

L’actualité à travers le dialogue.
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