Le 24 avril dernier, alors qu’il est chez lui en compagnie de sa copine, Lloys Chatel-Elie, 25 ans, reçoit la visite du SPVM, qui a été appelé pour un rassemblement illégal. Lloys ouvre la porte en filmant l’intervention avec son téléphone. « Ils m’ont dit qu’ils avaient reçu une plainte pour un party », raconte-t-il. Lloys décide de coopérer avec les trois agents, qu’il invite à entrer dans son domicile. « Je leur ai dit qu’il n’y avait pas de party, que c’était seulement moi et ma copine, et je les ai invités à entrer pour vérifier », explique-t-il.
Mais la situation dégénère rapidement. Dans un extrait de la vidéo, on entend les policiers demander à Lloys de leur montrer ses pièces d’identité. Ce dernier propose donc aux agents de sortir de chez lui pour qu’il leur donne ses pièces d’identité à l’extérieur.
Les policiers présents, qui auraient refusé de s’identifier, procèdent alors à une arrestation musclée. Lloys est blessé à la tête au cours de l’intervention. Le jeune homme demeure marqué par l’incident. Depuis, il évite d’entrer en contact avec des agents de la paix. « Je veux simplement ne rien avoir à faire avec eux », déclare-t-il. Les relations médias du SPVM ont refusé de commenter l’affaire.
Intervention policière : quelques conseils
Depuis le début de la pandémie, plusieurs altercations sont survenues avec les forces de l’ordre. Comment faire face à une telle situation ? Lloys Chatel-Elie nous donne son avis sur la façon de réagir en cas d’arrestation afin de réduire les risques de brutalité policière.
Y faisant écho, Fo Niemi, co-fondateur et directeur exécutif du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), offre des conseils sur la façon de se comporter lors d’une intervention pour éviter le plus possible tout danger.
Appeler un proche
Il est possible qu’il n’y ait aucun témoin sur place au moment de l’intervention des policiers. « Si vous êtes seul, appelez un proche sur votre cellulaire et laissez la ligne ouverte tout le long de l’intervention pour que la personne puisse entendre la conversation », recommande M. Niemi « Quand on est seul, on est complètement à la merci des policiers. Il est ensuite plus difficile de prouver sa version des faits s’il n’y a pas de témoin », ajoute-t-il.
S’identifier
Si la police vous demande une pièce d’identité, ou les papiers de votre voiture si vous êtes sur la route, M. Niemi suggère de les leur fournir immédiatement. « En vertu du Code de la sécurité routière, et en vertu du Code criminel du Canada, si vous refusez de présenter vos papiers, vous risquez d’être accusé d’entrave au travail des policiers.
C’est une accusation criminelle, rappelle-t-il. Si vous ne répondez pas aux demandes des agents, ou si vous parlez sur un ton agressif, vous risquez de froisser leur ego et d’avoir des problèmes. » M. Niemi ajoute qu’en cas d’intervention routière, seul le conducteur du véhicule est tenu de s’identifier et de fournir ses papiers. « Les passagers ne sont pas obligés de présenter de pièces d’identité, à moins que ce soit pour la rédaction d’un constat d’infraction.
Par exemple, si vous êtes passager et que vous ne portez pas votre ceinture de sécurité, vous pouvez recevoir une amende. Cependant, certains policiers les demandent à tout le monde afin d’obtenir des renseignements sur les passagers du véhicule, surtout quand ce sont de jeunes hommes noirs. Ça, c’est illégal », souligne-t-il.
Limiter les questions
Lorsqu’on a affaire à la police, M. Niemi recommande d’éviter d’argumenter avec elle. Les gens ont le droit de poser des questions, bien sûr, mais si le policier n’est pas amical et qu’il ne répond pas, ne remettez pas en question son autorité, déclare-t-il. Si vous résistez à plusieurs reprises, le policier peut vous mettre en état d’arrestation pour entrave. »
Une entrave est un refus d’obtempérer à la demande d’un agent. « Même si vous savez qu’une chose est illégale ou que la loi ne l’exige pas, n’argumentez pas avec les policiers. Fournissez vos pièces d’identité et portez plainte ensuite », conseille-t-il.
Coopérer avec les agents
Selon Lloys Chatel-Elie, pour éviter tout danger, il vaut mieux accéder aux demandes des agents. « On ne sait jamais avec la police, mais je pense que, si tu fais ce qu’ils te demandent, à la fin, ils n’auront aucune raison de te faire du mal. » Il suggère également de demander la permission aux agents avant de poser un geste. « Si vous devez faire quelque chose, demandez-leur », conseille-t-il.
Filmer la scène
Lorsque les policiers se sont présentés à son domicile, Lloys s’est mis à enregistrer leur intervention avant même d’ouvrir la porte. « Ç’a été une bonne chose que je sorte mon cellulaire avant, car ils auraient pu penser que j’avais une arme », raconte-t-il. Disposer d’une vidéo d’une intervention peut être crucial. M. Niemi rappelle toutefois qu’il est important d’observer certaines précautions.
« ll ne faut pas filmer de manière à empêcher, compromettre ou entraver le travail des policiers, explique-t-il, en ajoutant qu’il est préférable de ne pas s’approcher des agents. Ce conseil est également valable si on est témoin d’une arrestation et qu’on souhaite la filmer.
Garder les mains à découvert
Les policiers demandent habituellement à ce que les mains de leurs interlocuteurs soient visibles en tout temps. « Ils ne savent pas ce que tu as sur toi », illustre M. Niemi en précisant qu’il faut absolument garder ses mains hors de ses poches. « Et si vous êtes interpellé sur la route, ne sortez pas de votre véhicule», ajoute-t-il.
Faire attention à ses gestes
Lloys conseille par ailleurs d’éviter de faire des mouvements brusques. « C’est une raison pour eux de réagir, dit-il. Leur excuse, c’est qu’ils se sentent menacés. » Les policiers peuvent en effet juger qu’ils sont en danger et réagir.
N’offrir aucune résistance
« Si vous êtes en état d’arrestation, n’offrez aucune résistance. Les gens, surtout les hommes, ont tendance à se défendre lorsqu’ils se font menotter. On le déconseille parce que ça risque de rendre l’intervention plus violente. Le policier peut aussi vous accuser de résister à votre arrestation, ce qui est une autre infraction criminelle.
Et si jamais vous frappez ou touchez un policier, vous pouvez être visé par une troisième accusation criminelle, soit voies de fait sur un policier », résume M. Niemi. Ce dernier explique également que, lorsqu’on cumule plusieurs accusations de ce type, les répercussions financières peuvent être énormes, les procédures s’échelonnant sur des mois, voire des années dans certains cas.
« Vous serez épuisé sur le plan financier si vous devez payer pour un avocat de la défense sur une aussi longue période », met-il en garde. Il est important de dire ici que ces conseils n’ont aucune valeur juridique : il s’agit simplement de stratégies qu’un individu souhaitant diminuer les risques d’être victime de brutalité policière lors d’une interpellation peut adopter.
Malheureusement, trop souvent pour les personnes racisées, être dans son bon droit ne prévient pas le profilage racial et la violence policière, tout comme suivre ces conseils ne garantit pas un traitement équitable de la part des policiers.
Connaître les droits et les obligations de chacun
Me Denis Barrette, avocat criminaliste, nous explique que les citoyens ont des droits et que les agents des services de police ont des obligations. « Le policier n’est pas un citoyen ordinaire, et on dit aux citoyens ordinaires : nul n’est censé ignorer la loi. Le policier doit aussi connaître ses obligations. On doit faire en sorte qu’il les connaisse et qu’il les applique, déclare-t-il.
Un policier est un agent de l’État qui dispose d’énormément de pouvoir. Étant donné les pouvoirs qu’il possède, il doit être formé et bien informé des obligations qu’il a, et sa formation doit être à jour. »
L’avocat cite alors la Charte des droits et libertés de la personne, qui interdit le profilage racial, social, économique, politique ou autre. « Dans l’exercice de ses fonctions, le policier doit absolument agir conformément aux règles en la matière. » Concrètement, dans le cadre d’une intervention policière, il y a plusieurs choses à observer. « C’est toujours mieux de faire en sorte que tout se passe bien ; il ne faut pas oublier que le policer a une arme à feu, ainsi que la force matérielle et physique, rappelle Me Barrette. Mais si on a subi une arrestation ou une détention illégale, il y a des recours. »
Faire bon usage de ses droits
Quoi qu’il arrive, il est important de savoir qu’un individu peut se prévaloir de ses droits. En cas de détention, un policier a des obligations envers la personne qu’il détient. « Il doit donner le droit à un avocat et le droit au silence dans un langage clair », explique Me Barrette. Un individu n’a pas non plus à répondre aux questions des policiers, à moins que ces questions ne servent à l’identifier. Les policiers ont aussi l’obligation de permettre à une personne qu’ils détiennent d’appeler un avocat, lequel sera en mesure de lui donner des conseils juridiques et de l’orienter.
Si un individu n’a pas d’avocat, les policiers auront recours à l’aide juridique, au service de garde du Barreau ou à une autre ressource juridique gratuite, qu’ils mettront en contact avec la personne détenue. La conversation entre l’avocat et le détenu est confidentielle.
Plusieurs facteurs, touchant notamment le type d’infraction et la durée de la détention, doivent cependant être réunis pour qu’une personne arrêtée puisse appeler un avocat.
L’obligation de s’identifier
Au cours d’une intervention, les agents de police sont dans l’obligation de s’identifier. On peut donc leur demander de donner leurs noms et matricules. Ces informations figurent également sur le badge qu’ils doivent porter.
Documenter les événements
Dans le cas d’une intervention policière qui tourne mal, Me Barrette conseille vivement d’amasser la preuve le plus rapidement possible. On peut ainsi écrire le récit des événements, noter le moindre détail sur les préjudices subis et prendre des photos – par exemple, en cas de dommages –, obtenir les images recueillies à partir d’un téléphone cellulaire ou d’une caméra de surveillance, avoir des certificats médicaux si on a été blessé et communiquer avec des témoins.
Ces documents peuvent ensuite être remis à l’avocat, présentés à un organisme d’aide juridique et être déposés avec une plainte en déontologie policière. Me Barrette rappelle l’importance d’agir dans les plus brefs délais. « Lorsque quelqu’un est victime d’un abus, sa première réaction est de se retrancher, de tenter d’oublier ce mauvais souvenir et, souvent, la preuve s’étiole. »
Citer le motif
« On ne peut pas interpeller quelqu’un pour rien. Si vous marchez dans la rue, un policier doit vous dire pourquoi il vous interpelle », insiste Me Barrette. Une intervention ne peut se faire sans motif raisonnable, même dans les cas où les droits sont diminués, par exemple lorsqu’on conduit une automobile, on doit savoir pourquoi on est interpellé. « Le policier est obligé de donner le motif de son intervention. C’est une obligation, et ce, même si on ne le lui demande pas », affirme l’avocat.
Si une personne est placée en état d’arrestation, la police est légalement tenue de lui dire de quoi elle est accusée. Et vous, avez-vous déjà été arrêté ? Avez-vous d’autres suggestions pour demeurer en sécurité lors d’une intervention policière ?