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De près ou de loin, tous les Libanais tremblent face aux attaques d’Israël
Des familles déplacées du Liban-Sud devant l’institut technique de Bir Hassan, où a été installé un abri d’urgence. Beyrouth (Liban), 24/09/2024. Photo : Philippe Pernot
8/10/2024

De près ou de loin, tous les Libanais tremblent face aux attaques d’Israël

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5 Minutes
Initiative de journalisme local
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COURRIEL
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Note de transparence

Un an après le 7 octobre, le cauchemar continue et, surtout, prend de l’ampleur. Après 12 mois à subir les échanges de tirs entre le Hezbollah et l’armée israélienne, la population du Liban fait face à une escalade sanglante. On comptabilise plus de 2 000 morts et 9 800 blessés, mais aussi un million de personnes qui ont été forcées de quitter leur foyer. Depuis le 17 septembre et l’explosion des appareils électroniques des membres du Hezbollah, le pays est terrifié et épuisé. Car cette crise humanitaire arrive après une succession de crises économiques et politiques déjà lourdes. Qu’ils soient au cœur de Beyrouth, à Tripoli, ou au Canada à des milliers de kilomètres, les Libanais retiennent leur souffle depuis trois semaines. Leur vie a été interrompue par les bombardements incessants et le bilan qui continue de s’alourdir. Pour La Converse, ils racontent l’indicible. Reportage.

Un an après l’attaque du 7 octobre par le Hamas, l’ambiance est morne au Liban. Personne ne le réalise tout à fait, mais cela fait un an que ses habitants assistent à des horreurs. Qui plus est, depuis trois semaines, le pays et sa diaspora ne dorment plus, accablés par l’escalade du conflit dans le pays et les bombardements quotidiens d’Israël. 

Le dos est courbé, les yeux brûlent en raison du manque de sommeil, des heures à regarder le petit écran du téléphone pour suivre, à chaque instant, les informations, pour rester en contact avec ses proches. Depuis le 23 septembre 2024, la vie des Libanais est rythmée par le son des drones, les bombardements et le compte des tués, des blessés et des destructions qui s’accumulent sans fin. C’est leur quotidien. Qu’ils soient au Liban ou à l’étranger. 

« Depuis que je suis arrivée, je suis collée à mon cellulaire, à regarder les nouvelles et à écrire à ma famille », confie Michelle depuis son appartement de Montréal. Elle a préféré ne pas divulguer son identité. « Tu peux garder mon prénom, car je veux que les Canadiens soient surpris de voir une Arabe avec un prénom familier ! » me dit-elle en riant pendant notre appel sur WhatsApp. Née au Canada, elle est aussi Libanaise. Elle vient de rentrer de son séjour annuel dans sa famille, dans un village non loin de Tripoli, dans le nord du petit pays. « C’est un endroit sûr, mais tous les jeunes travaillent à Beyrouth la semaine. Je m’inquiète beaucoup pour eux. C’est difficile », continue la danseuse de profession. 

La jeune femme aux longs cheveux bouclés teints en violet est allée au Liban pour y passer l’été et célébrer trois mariages. Son vol de retour était prévu le 24 septembre, quelques jours après les explosions simultanées d’appareils électroniques et les sanglants bombardements qui ont suivi. Après plusieurs annulations de vols, elle parvient à partir le 29, la veille de l’assassinat du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah. « J’ai ressenti une forte culpabilité à m’échapper. Je suis partie, mais les autres et mes proches, eux, ne peuvent pas. Si je n’avais pas dû rentrer pour le travail, cela ne m’aurait pas dérangée d’être là », déclare-t-elle. Comme de nombreux Libanais, elle préférerait être avec sa famille, plutôt qu’en sécurité à l’étranger. 

Des familles déplacées de la banlieue sud de Beyrouth, installées sur les marches de lagrande mosquée al-Amine, attendent d’être relocalisées à des abris d’urgence. Beyrouth(Liban), 28/09/2024. Photo : Philippe Pernot

Pourtant, et Michelle le sait bien, être au Liban, c’est être confronté aux nouvelles, au bruit des bombes toutes les nuits, aux sons des drones plusieurs heures par jour et aux avions israéliens qui survolent le pays du nord au sud. Autant d’éléments qui alimentent aussi la guerre psychologique. « Je suis arrivée en juillet, au moment où les appareils de l’armée israélienne commençaient à passer le mur du son à Beyrouth et dans le sud presque tous les jours. C’est une tactique pour terroriser les gens », explique la jeune femme. Provoquant une forte déflagration, semblable à une explosion, cette manœuvre rend la guerre impossible à oublier. Comme les drones et leur bruit d’avion à moteur.

Depuis son retour à Montréal, elle préfère se noyer dans le travail plutôt que de penser. « Je n’ai pas repris contact avec mes émotions. C’est comme si je ne ressentais rien », dit-elle. 

Comme Michelle, Marie* n’a d’autre choix que de continuer à travailler et de poursuivre une vie normale. Et ce, alors qu’Israël pilonne le Liban une fois la nuit tombée, terrorisant ceux qui sont au pays et paralysant ceux qui sont loin. Résidente permanente depuis un an, elle a quitté le Liban en catastrophe quand la guerre a éclaté en 2023. De retour au pays pour deux semaines en septembre, elle a échappé au pire en retournant au Canada avant l’escalade du conflit. 

« Certaines personnes me disent que je suis chanceuse d’être partie. Oui, j’ai quitté le pays, mais je suis écœurée d’assister aux bombardements sur mon pays, de voir les victimes, s’emporte Marie. Même quand on n’est pas au Liban, on est sans arrêt figés devant nos écrans, on vit des insomnies. On est incapables de pleurer, on a déjà épuisé nos larmes pour la Palestine, et on voit des images horribles quotidiennement depuis un an. » Elle ressent la même culpabilité que Michelle et que les Libanais à l’étranger : « Beaucoup sont bloqués au Liban  ! C’est trop à gérer », soupire-t-elle.

« Nous sommes littéralement arrivés en pantoufles »

Depuis l’étranger, ces femmes partagent la terreur causée par les bombardements et les courtes nuits à suivre les nouvelles : les derniers quartiers ou bâtiments touchés, la mobilisation citoyenne et associative pour soutenir le million de déplacés en quête de sécurité, la fatigue et l’horreur sur la route de ceux qui fuient du sud vers le nord. 

Après un week-end sanglant de bombardements sur tout le sud du pays, des centaines de milliers de personnes ont en effet fui la région pour trouver refuge à Beyrouth ou plus au nord. Ils ont rejoint les 110 000 personnes qui ont fui depuis des mois la frontière sud pour des villes plus au nord, comme Tyr ou Saïda. 

Ce lundi 23 septembre, Salwa* n’a pas réfléchi longtemps. Elle s’est enfuie avec ses enfants, Mira* et Ali*, pour se réfugier dans un hôtel abandonné de Tripoli, la deuxième ville du pays, située à 60 km au nord de Beyrouth. À contrecœur, ils ont dû quitter leur maison de Nabatieh, à 70 km au sud-est de Beyrouth.

Une famille déplacée de la banlieue sud de Beyrouth, installés sur les marches de la grandemosquée al-Amine, reçoit des sandwichs de la part de volontaires. Beyrouth(Liban), 28/09/2024. Photo : Philippe Pernot

« Dès que nous avons entendu le bruit des avions de guerre, nous avons commencé à faire nos bagages. Nous sommes littéralement arrivés en pantoufles. Les gens pleuraient et criaient. Maman s’est mise à gémir sur le sol. Il y avait du verre brisé partout », raconte sa fille Mira, assise dans l’herbe à côté d’Ali, son cadet. Elle n’a que 13 ans et elle parle des bombes et des avions qui passent le mur du son comme si elle avait connu cela toute sa vie, comme si elle avait 20 ans de plus. Elle est affirmée et partage sans ciller l’horreur qu’ils subissent jour et nuit depuis l’attaque des téléavertisseurs dans leur ville : « Depuis lors, les attaques se succèdent tous les jours. Nous dormions à peine à cause du bruit des avions à réaction israéliens qui franchissaient le mur du son. »

Je les rencontre dans le jardin de l’hôtel. Ils sont arrivés il y a trois jours. Sur place, le bruit du vent dans les orangers et le chant des oiseaux se mêlent aux cris des enfants. Juste à côté, les voitures entrent et sortent pour livrer des marchandises et des vivres. Volontaires et réfugiés s’activent à l’entrée de l’hôtel pour organiser l’aide et soutenir les 1 000 personnes qui se trouvent dans l’hôtel. Il aura fallu 24 heures pour que l’établissement se remplisse, comme la cinquantaine d’autres refuges dispersés à Tripoli et dans ses alentours. 

Le 23 septembre, la panique était totale et les routes bloquées avaient des airs d’apocalypse. Mira n’a qu’un seul mot pour en parler : « L’horreur. » Un trajet qui prend normalement une heure pouvait facilement prendre la journée. « Cela nous a pris 10 heures. C’était cauchemardesque, avec beaucoup de roquettes, d’avions de guerre et de fumée », ajoute Salwa, plus discrète que sa fille.

« Plus d’argent, plus de maison, rien »

Quelques jours plus tard, alors que la situation est encore chaotique, Israël bombarde avec acharnement la banlieue sud de Beyrouth. Depuis, les bombardements sur le quartier sont quasi quotidiens. Si bien que toute une banlieue s’est presque vidée de ses 500 000 habitants. Ils sont des dizaines de milliers à avoir pris la rue comme refuge, s’installant sur la corniche au bord de la mer, sur la plage, dans les parcs ou sur la fameuse place des Martyrs. Depuis, leur nombre a diminué et la plupart se sont trouvé un refuge plus permanent, ont loué un appartement ou ont été accueillis par des membres de leur famille. 

Mais, deux semaines plus tard, des hommes, des femmes et des enfants dorment toujours dehors, faute de place dans les refuges. 

Après une nuit entrecoupée par le bruit des 17 bombes lancées sur plusieurs quartiers de la ville, je me rends à Ramlet al-Baïda (« sable blanc » en arabe), la plage publique de Beyrouth, pour rencontrer des personnes déplacées. Nous sommes le 3 octobre et, comme tous les matins depuis trois semaines, Beyrouth se réveille mal en point. On ne se demande plus comment on va, mais comment on a dormi ou comment on survit. 

Des tentes installées sur la plage publique de Ramlet al-Bayda accueillent des famillesdéplacées du Liban-Sud. Beyrouth (Liban), 28/09/2024. Photo : Philippe Pernot

Ce matin-là, le soleil de midi est éblouissant et écrasant. Des enfants jouent dans l’eau et sur les balançoires, la peau déjà bien noircie par la semaine qu’ils ont passée ici. Pendant ce temps, les adultes se cachent du soleil dans des cahutes branlantes. Un groupe de femmes fument le narguilé en cercle et discutent. Le décor pourrait être idyllique s’il n’y avait pas la guerre, si les plaisanciers n’avaient pas tout perdu à cause d’elle et des bombardements israéliens.

Je m’installe à côté de ce petit groupe assis face à la mer. La plupart sont des Syriens qui ont fui la guerre dans leur pays il y a plus de 10 ans. La semaine dernière encore, ils vivaient dans la banlieue sud de Beyrouth. Leurs visages sont fatigués, ils ont la peau asséchée, et un homme a le corps couvert de plaques en raison du manque d’hygiène. « Je suis partie la semaine dernière avec mes deux enfants. Nous vivons dehors depuis 10 jours », explique Fatema, mère de deux garçons. Un foulard couvre ses cheveux teints en blond. Après avoir « tout vendu » pour partir de Syrie, elle naviguait entre plusieurs petites jobs. Désormais, elle est sans revenu. 

Désespérée et révoltée, elle prend le téléphone, qui enregistre ses mots pour faire entendre son message au monde et dénoncer à l’Occident la situation au Liban. « Je n’ai plus rien ! Plus d’argent, plus de maison, rien. Il me reste juste ce sac de vêtements pour deux garçons », explique-t-elle en montrant du doigt le sac plastique à ses côtés. 

Chaque jour, elle amène ses enfants à la plage publique de Beyrouth pour les occuper. Tout ce qu’elle veut, c’est de l’argent pour partir en Syrie. Surtout, elle veut sortir ses enfants de cette misère. « Les enfants pleurent constamment. Leur père est leur seul soutien, et il est en Syrie, blessé et sans revenu depuis un an. Ma famille est en Turquie », déplore-t-elle. La veille, elle a dû fêter l’anniversaire de son fils sans pouvoir lui offrir de cadeau. « Il a 11 ans, mais on n’a pas vraiment célébré », regrette-t-elle. 

Impuissante, Fatema ne peut qu’attendre. Comme le million d’autres déplacés. Si certains ont pu louer un nouveau logement, d’autres se serrent dans les foyers d’autres familles. Environ 115 000 personnes seraient hébergées dans près de 900 refuges, dans des conditions précaires, parfois sans eau ni électricité. Ces refuges ont été aménagés dans des écoles – qui ne pourront pas rouvrir pendant un moment –, des centres sociaux ou des hôtels. Et puis, il y a aussi ces gens qui, comme Fatema, sont encore dans la rue. Environ 185 000 personnes auraient aussi rejoint la Syrie voisine. 

Crise humanitaire 

En remontant les escaliers depuis la plage pour rejoindre la route, on aperçoit des familles installées derrière des bâches et des couvertures sur le trottoir. Elles se cachent du soleil et tentent de trouver un tant soit peu d’intimité. Pour l’instant, ces abris de fortune fonctionnent, car la météo est encore douce. Mais l’hiver approche, et avec lui les orages, le vent, la pluie et surtout le froid. Des associations viennent les voir quotidiennement pour évaluer leurs besoins et leur fournir un peu de soutien. « On reçoit de la nourriture tous les jours, au moins une fois par jour, grâce à Dieu », explique Fatema.

Mais cette aide d’urgence n’est pas viable dans un pays où la population est déjà accablée par une succession de crises politiques et économiques. En effet, le Liban n’a pas de gouvernement depuis plus de deux ans et subit l’une des pires crises économiques depuis 1850. Avec pour conséquences une hyperinflation – faisant des produits du quotidien des denrées de luxe –, une dévaluation de 98 % de la livre libanaise et des salaires qui ne suivent pas, réduisant beaucoup de Libanais à ne gagner que 70 à 140 $ par mois. 

Face à cette situation dramatique qui provoque une énième crise, humanitaire cette fois, tout le pays s’est mobilisé. En plus des refuges, des restaurants et des lieux sociaux se sont transformés en soupes populaires. Les ONG et les associations locales ont mis sur pause leur travail pour répondre à l’urgence et distribuer des matelas, des vêtements, de la nourriture ainsi que des kits d’hygiène pour les femmes et les enfants. Les citoyens aussi se mobilisent, fournissent du matériel, mettent la main à la pâte bénévolement.

Des enfants d’une famille déplacée de la banlieue sud de Beyrouth jouent sur des valises, devantla grande mosquée al-Amine. Beyrouth (Liban), 28/09/2024. Photo : Philippe Pernot

« Pour l’instant, il y a beaucoup d’initiatives civiles pour soutenir les déplacés, mais on a besoin de quelque chose de permanent, et c’est ce qu’on commence à mettre en place », explique Jad Al Rayess, de l’ONG Operation Big Blue, rencontré sur la plage. Et qu’arrivera-t-il quand ces personnes qui aident auront passé trop de nuits sans dormir ? Quand elles auront, elles aussi, besoin d’aide à cause d’une bombe qui aura explosé dans leur quartier, qu’elles devront elles aussi fuir ?

Plus que de l’aide, les personnes déplacées que j’ai rencontrées souhaitent surtout montrer au monde ce qui se passe au Liban. Elles réclament justice et le soutien de la communauté internationale comme du monde arabe. Après avoir tout perdu, elles n’ont pas toutes le privilège de pouvoir recommencer à vivre dans une autre ville ou dans un autre pays. La plupart sont condamnées à attendre. Attendre de retourner à l’école, attendre de travailler de nouveau, attendre de retrouver sa région et de se reconstruire.

« Si j’ai l’occasion de rentrer dans le sud, je le ferai », déclare Ali avec défiance. Malgré son sourire et son ton provocateur, sa blague en dit long sur sa véritable motivation : retrouver sa vie, sa région et sa maison. Retourner à l’école et avoir la vie qu’un enfant de 10 ans devrait avoir. La vie qu’il avait avant le 8 octobre. 

*Les prénoms ont été changés pour garantir la sécurité des personnes interviewées.

L’actualité à travers le dialogue.
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