Recevez nos reportages chaque semaine! Du vrai journalisme démocratique, indépendant et sans pub. Découvrez le «making-of» de nos reportages, le pourquoi et le comment.
L’actualité à travers le dialogue.Recevez nos reportages chaque semaine! Du vrai journalisme démocratique, indépendant et sans pub. Découvrez le «making-of» de nos reportages, le pourquoi et le comment.
L’actualité à travers le dialogue.Recevez nos reportages chaque semaine! Du vrai journalisme démocratique, indépendant et sans pub. Découvrez le «making-of» de nos reportages, le pourquoi et le comment.
Recevez notre infolettre chaque semaine pour Découvrir le «making-of» de nos reportages!
Un problème est survenu lors de l'envoi.
Contact
21/6/2020

Des statues qui tombent

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
Soutenez ce travail
Note de transparence

Le 21 juin marque la Journée nationale des peuples autochtones. Ce jour-là, nous célébrons ces nations qui peuplent les territoires non cédés depuis des millénaires. À la suite de la mort de George Floyd sous le genou d’un policier à Minneapolis le mois passé, le monde a pris d’assaut les rues pour protester contre le racisme et la brutalité policière, ainsi que contre les fondements racistes et colonialistes de nos sociétés et ce qui les représentent publiquement : certaines statues et monuments. Mardi dernier à Montréal, la statue de Christophe Colomb a été vandalisée au parc de Turin. Elle a été couverte de peinture rouge et de graffitis «BLM» (pour Black Lives Matter).

Le dimanche précédent, sur le boulevard René-Lévesque, à Montréal, la statue de John A. Macdonald avait été une nouvelle fois éclaboussée de peinture mauve et vandalisée. On pouvait notamment y lire la phrase suivante : «La GRC viole les femmes autochtones et tue les hommes autochtones.»

En ce moment circule une pétition demandant à la Ville de Montréal de déboulonner cette statue. Elle a déjà été signée par 16 000 personnes. Une pétition similaire vise la statue de James McGill, qui était propriétaire d’esclaves, à Montréal. Craig Commanda, un étudiant et artiste autochtone de la communauté de Kitigan Zibi, explique que John A. Macdonald, qui a été le tout premier premier ministre du Canada, est « l’architecte de la GRC, des pensionnats autochtones et de la législature raciste qui imposa le chemin de fer dans l’Ouest canadien ».

Il estime qu’une statue de ce personnage constitue une glorification de la suprématie blanche. « La déboulonner ferait tomber ses idées et permettrait de faire de la place pour un monde meilleur », soutient-il. Selon l’historien Aly Ndiaye, aussi connu sous le nom de Webster, l’histoire du Québec est marquée par l’esclavage de 4 185 personnes, dont les trois quarts étaient des Autochtones. Selon lui, la plupart des rues au Québec portent le nom de gens qui ont fait avancer le projet colonial. La semaine dernière, Robert Jago, chroniqueur basé à Montréal et membre de la nation Kwantlen, s’est pour sa part dit « inquiet » pour le « bien-être » de la statue de Christophe Colomb à Montréal. « Avec toutes ces personnes qui démolissent les statues de Colomb, j’espère que celle du parc de Turin est O.K. Elle est juste là si vous voulez vous assurer qu’elle est en sécurité », a-t-il écrit ironiquement sur ses réseaux sociaux. « Les gens qui souhaitent laisser ces statues sur leur piédestal soutiennent que les accomplissements des personnages qu’elles représentent l’emportent sur leurs crimes et que ceux-ci sont essentiels à l’histoire humaine. Je suis certain que les générations futures associeront uniquement le nom de Colomb aux crimes liés à son héritage», confie-t-il en entrevue.

Quand on lui demande par quoi, selon lui, il faudrait remplacer les statues de Macdonald et de Colomb, M. Jago répond que le Canada a été bâti par trois nations – les Anglais, les Français et les Autochtones – et qu’il aimerait que cette réalité se reflète sur la place publique. Il pense toutefois que nous vivons à une époque où les statues de bronze ne portent plus le poids de l’histoire, comme autrefois, et qu’il est temps de passer à autre chose.  D’après Ellen Gabriel, Kanienkehaka de la communauté de Kanesatake, il faudrait se pencher sur l’importance accordée aux statues humaines. « Il est temps de penser au-delà de l’existence humaine et de considérer réellement l’importance du monde naturel », note-t-elle en réfléchissant à la représentation de l’histoire kanienkehaka. Et si on laisse ces statues sur leur piédestal, est-ce suffisant d’ajouter en dessous une plaque avec un texte explicatif ? C’est ce qu’a fait la directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, Cindy Blackstock. La professeure en travail social de Mcgill a travaillé avec le cimetière de Beechwood, à Ottawa, en 2017, sur le monument de Nicholas Flood Davin afin d’y ajouter une plaque évoquant son rôle dans la mise en œuvre du système des pensionnats autochtones, responsable de la souffrance de plusieurs générations d’Autochtones et de la mort de 4 200 enfants.  

Jaime Morse, Nehiyaw/Michif et fondatrice de Indigenous Walks, à Ottawa, passe beaucoup de temps à analyser les statues et monuments et à raconter leur histoire dans le cadre de son travail culturel. Elle a d’abord pensé qu’il fallait laisser les statues en place et y ajouter une plaque, mais aujourd’hui, elle estime que ces personnages font déjà partie de l’histoire.

« Les statues sont sur des piédestaux, ce sont des symboles de qui gère la ville. On n’en a pas besoin. Elles peuvent représenter l’oppression et sont une imposition du pouvoir en place. Un jeune ne s’y reconnaît pas vraiment et peut même intégrer un sentiment d’infériorité à leur contact. On n’y trouve pas d’indices réels que nous sommes en territoire anishinabe non- cédé. Nous devons avoir davantage d’occasions de raconter des histoires autres dans des lieux particuliers », note-t-elle. Selon Guy Sioui Durand, sociologue et critique d’art wendat de la communauté de Wendake, au Québec, les statues coloniales sont des rappels de la mémoire profonde de la société. « On touche à l’histoire. On ne peut pas la réécrire ; on la poursuit, on s’inscrit dedans et on la change. »

Il estime que, si on devait faire tomber la statue de Macdonald, celle-ci devrait être placée dans un musée des statues déboulonnées. Leena Minifie, Gitxaala et productrice-recherchiste d’une série documentaire, explique que l’histoire autochtone n’est tout simplement pas reconnue actuellement. « Ce sont des représentations minuscules et choisies pour la glorification des Blancs. Il faut reconnaître ceux qui ont contribué aux changements énormes qu’a traversés ce pays, à ceux qui se sont sacrifiés et qui ont été ignorés par la Grande-Bretagne.

C’est le moment de corriger les choses. » À Ottawa, capitale du Canada, quelques statues honorent la place des Autochtones dans l’histoire canadienne. Elles représentent notamment des personnages qui ont joué un rôle important afin de garantir le commerce ou la paix – dont Joseph Brant, Tessouat, le scout anishinabe sans nom –, sans oublier le Monument national aux anciens combattants autochtones.

Au Canada, il y a plus de 690 statues de personnages historiques, mais d’après le site heroines.ca, 20 seulement représentent des femmes, et parmi celles-ci, 4 à peine sont dédiées à des femmes autochtones : l’Esprit des Béothuks à Terre-Neuve, Kateri Tekakwitha à la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré, près de Québec, Shannen Koostachin à New Liskeard, en Ontario, et la statue consacrée aux femmes et aux filles disparues et assassinées, près du poste de police à Saskatoon, en Saskatchewan, et inspirée de l’histoire d’Amber Redman, disparue en 2005.

L’actualité à travers le dialogue.
L’actualité à travers le dialogue.