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Lorena : de mère à éducatrice – soutenir les enfants en situation de handicap
Lorena Morales, mère de trois enfants diagnostiqués d’un trouble du spectre de l’autisme, a réorienté sa carrière pour s’occuper d’enfants en situation de handicap. Photo: Edouard Desroches
10/10/2024

Lorena : de mère à éducatrice – soutenir les enfants en situation de handicap

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
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COURRIEL
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Note de transparence

Ce nouveau portrait des éducatrices et gardiennes du Québec raconte l’histoire de Lorena, une femme immigrante, mère de trois enfants diagnostiqués d’un trouble du spectre de l’autisme. Elle a réorienté sa carrière pour s’occuper d’enfants en situation de handicap., un domaine où le manque de soutien est criant dans la province.

Si vous ne connaissez pas Lorena et que vous la croisez dans la rue ou dans un bus, vous devinerez probablement qu’elle s’occupe d’enfants. Elle a une façon très particulière de le faire savoir : elle porte un chandail à capuchon rose sur lequel on peut lire « Chaque enfant est unique », avec un cœur au milieu.

« C’est une phrase que j’ai vue sur le mur de la classe de mon fils et je l’aime. Je l’utilise sur différents t-shirts et pulls parce que je suis une porte-parole de l’inclusion. Je l’utilise aussi dans le coin de ma classe, où je mets les activités que font mes élèves », dit-elle en souriant avec une joie et une énergie qui s’entendent dans sa voix.

Lorena Morales est éducatrice en garderie. Elle reçoit dans sa classe des élèves présentant différents types de difficultés d’apprentissage, notamment des troubles du spectre de l’autisme (TSA). Selon des données rapportées par l’Observatoire des tout-petits (OTP) en 2022, le manque de ressources humaines a entraîné une réduction de 20 % du temps de fréquentation des enfants en situation de handicap dans les garderies.

Travailler dans un domaine aussi névralgique fait une grande différence, estime-t-elle. « Je pose beaucoup de questions [aux parents] parce que je sais qu’il est essentiel d’entretenir une bonne relation avec la famille. » Elle le sait fort bien, elle qui est mère de trois enfants diagnostiqués d’un TSA et qui a dû apprendre à se familiariser avec les professionnels chargés de s’occuper d’eux. Elle a ainsi appris l’importance de l’empathie dans sa profession.

Au Venezuela, son pays d’origine, Lorena et son mari, Arturo, avaient de bons emplois et progressaient dans leurs carrières. En 2015, une offre d’emploi faite à Arturo les amène à partir pour Londres, en tant qu’expatriés. En 2017, Arturo se voit proposer un nouveau poste à Montréal. Le couple a alors trois enfants : Adrián, né au Venezuela, et les jumeaux Matias et Isabel, nés en Angleterre.

Au Canada, les choses se présentent bien. Lorena et sa famille s’installent à Brossard en 2018. La langue représente alors un défi pour eux, mais ils aiment la vie qu’ils créent sur place. Et puis, un jour, Lorena reçoit un appel de la garderie qui va changer leur vie.

Lorena Morales avec ses trois enfants. Photo: Edouard Desroches

Une nouvelle, trois révélations


« Ils m’ont toujours dit que Matías était différent, mais je n’avais jamais pensé qu’il y avait de quoi s’inquiéter. Jusqu’à ce qu’ils m’appellent et me parlent de gestes que je le voyais tout le temps faire : ouvrir et fermer les tiroirs, fixer les roues, frapper sur la vitre. Ils m’ont demandé si quelque chose m’inquiétait et m’ont fait remarquer, très gentiment, que les choses qu’il faisait n’étaient pas “normales” pour son âge », raconte Lorena.

« Au début, je pensais que l’éducatrice avait tort, mais j’ai commencé à observer Matías et à me renseigner. Et j’ai compris qu’il se passait quelque chose. » Elle s’adresse alors à son Centre local de santé communautaire (CLSC), qui, après 10 mois d’évaluations, de formulaires et d’innombrables questions, lui remet un diagnostic officiel : Matías est autiste. « Certains parents attendent trois ans, parfois plus, pour obtenir cette confirmation », précise Lorena. Elle fait ensuite évaluer son fils aîné Adrián et la jumelle de Matías, Isabel. 

Pour Adrián, le résultat est le même que pour son frère. « Je n’ai pas été surprise par le diagnostic, parce que je m’y étais déjà préparée. » En revanche, pour Isabel, qui a également un TSA, sa réaction est différente. « J’ai eu plus de mal à accepter ce diagnostic », se souvient-elle.

Après le choc, tout devient beaucoup plus clair : « J’ai décidé de monter dans ce bus avec tout ce que j’avais et à ma façon ! » C’est ainsi qu’a commencé la grande aventure de Lorena. 

Une mission de vie

La maman décide alors de suivre une formation en enseignement, un milieu qui l’a toujours attirée. Le diagnostic de ses enfants lui donne envie d’apprendre tout ce qu’elle peut pour pouvoir les aider à avoir une vie meilleure. « Quand j’ai vu l’éducation spécialisée dans la liste des matières, je me suis dit : “Avec tout ce que j’ai appris ici, je vais obtenir tous les points !” » Elle suit une formation accélérée et, en l’espace d’un an et demi, obtient un diplôme en éducation à la petite enfance.

Pour son stage, elle pense immédiatement à la garderie où ses enfants étaient allés, explique-t-elle. « Parce que je leur suis immensément reconnaissante. » 

En 2023, Lorena est recrutée par cet établissement. Elle y travaille toujours et y poursuit ce qu’elle considère être comme sa mission de vie : « Je me suis dédiée à l’accueil de tous ces enfants que la plupart des autres établissements rejettent. » 

D’abord en tant que mère d’enfants autistes, puis en tant que gardienne, Lorena s’est rendu compte qu’« il y a un énorme manque de soutien pour les familles avec un diagnostic de TSA ».

Elle s’ouvre également pour raconter son histoire, ce qui permet à d’autres mères de se sentir moins seules. Comme celle qui lui a demandé si sa famille était au courant du diagnostic de ses trois enfants, parce qu’elle n’avait pas osé rendre public celui de son fils. « C’était un enfant qui, au début, ne voulait rien savoir de la garderie. Une fois qu’il a commencé à me côtoyer, il a complètement changé. Il est devenu heureux de faire ses activités. » 

L’acceptation de la famille est d’une grande importance, souligne Lorena. « L’enfance passe vite, et il est crucial d’intervenir tôt, lorsque le diagnostic vient d’être posé. » Un diagnostic qui, selon elle, « stigmatise toujours l’enfant », même dans une société où il sera mieux accepté qu’au Venezuela, où l’intégration d’un enfant neurodivergent dans le système scolaire régulier est encore très difficile aujourd’hui. Lorsque [les enfants ayant reçu un diagnostic] font quelque chose qui sort de ce qui est considéré comme étant “normal”, les gens le remarquent beaucoup plus ». 

Lorena a trouvé du soutien, mais elle évoque à plusieurs reprises sa « chance ». Selon elle, peu de parents, malheureusement, trouvent autant de ressources qu’elle. « Il y a des mères qui ne se reposent jamais, qui n’ont pas la capacité de faire autre chose que de s’occuper de leurs enfants. » 

Un bonheur inattendu

Que pense-t-elle de son emploi actuel ? Elle répond sans hésiter : « Je n’aurais jamais pensé être aussi heureuse. Je suis devenue ce que je voulais être. J’adore accueillir dans mon groupe les enfants qui ont besoin de plus d’attention. Ils ne sont pas un casse-tête pour moi, ils viennent remplir mon cœur. » Beaucoup de ses collègues sont également des immigrants, et elle tient à souligner leur engagement et leur dévouement dans le travail qu’ils accomplissent.

Elle pense que, lorsqu’un parent reçoit un diagnostic d’autisme, il doit se donner de l’espace. Sa recommandation est la suivante : « Pleurez. Vivez-le. L’acceptation viendra, mais il ne faut pas la précipiter. C’est un deuil et il faut le vivre. » 

Pour ceux qui n’ont pas encore un diagnostic clair, mais qui ont un doute, elle conseille ce qui suit : « Observez vos enfants de près, car ce soupçon vous amènera à voir des choses que vous n’aviez pas vu auparavant. » Derrière l’étiquette « mal élevé » peut se cacher une réalité plus complexe, explique-t-elle. Et cette réalité ne peut être révélée qu’après une analyse professionnelle.

Après six ans de changements, Lorena et sa famille vont demander la résidence permanente au Canada. 

Elle souhaite continuer à suivre des études spécialisées dans l’éducation des enfants en situation de handicap., comme l’autisme, la trisomie ou la paralysie cérébrale, par exemple. « Je veux me consacrer à l’aide aux mères hispanophones. Je sais que ça change tout de recevoir des soins dans sa langue maternelle. Je pourrais leur dire, en tant que mère qui est passée par tout ça : “Vous verrez que tout ira mieux.” Je pense que c’est là qu’on peut faire une grande différence », conclut-elle.

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