Arij Soufi est une jeune Montréalaise de 22 ans qui œuvre sans relâche à faciliter l’inclusion des musulmans à la société québécoise. Elle a reçu récemment le Prix commémoratif du Centre Culturel islamique de Québec 2023-2024. La bourse a été établie en 2018 par des membres de la communauté de McGill, en commémoration des six hommes qui ont perdus leur vie le 29 janvier 2017 lors de l'attaque au Centre culturel Islamique de Québec.
Qui est cette montréalaise et comment perçoit-elle l'islamophobie au Québec au septième anniversaire de l'attentat à la mosquée de la ville de Québec? Rencontre avec cette jeune femme qui souhaite briser les stéréotypes.
Le moteur de l’implication
Ayant passé toute sa vie dans la métropole montréalaise, Arij est une jeune femme aux nombreuses ambitions. « Je suis née en Tunisie, mais j’ai fait toute ma scolarité en français jusqu’à mes études universitaires », précise-t-elle en lançant la conversation.
Si la température extérieure frôle le point de congélation, la salle de l’université McGill où Arij nous rencontre est agréable et chaleureuse. Les étudiants commencent à arriver sur le campus. Ils sont là pour étudier et réviser, et l’ambiance est tout de même calme puisque nous sommes un samedi matin.
« Je suis enfin arrivée à ma dernière année de médecine – finalement ! » nous dit Arij en esquissant un sourire de soulagement. « Même si je suis étudiante à temps plein, j’ai d’autres passe-temps, poursuit-t-elle. J’aime beaucoup lire et, récemment, j’ai commencé à faire de la poterie. C’est vraiment nice. J’aime le sentiment de me défouler les mains sans avoir à faire attention à la précision. »
Arij a un quotidien bien rempli. En plus d’être en dernière année de doctorat en médecine, elle est co-présidente du chapitre de McGill de l’Association musulmane de médecine au Canada (Muslim Medical Association of Canada en anglais, ou MMAC). « Quand je suis entrée dans le programme, il y a cinq ans, il y avait déjà une association d’étudiants musulmans en coordination avec le programme de médecine dentaire. Je me rappelle avoir assisté à un panel de physiciens qui expliquaient comment ils naviguaient dans le système de santé en tant que musulmans », se rappelle-t-elle.
« J’étais excitée et motivée à l’idée de m’impliquer dans cette association, car pour moi, c’était très important. Malheureusement, la pandémie a éclaté à ce moment-là, et la plupart des membres ont obtenu leur diplôme et ont quitté l’école », se remémore-t-elle. Elle qui souhaitait s’impliquer afin de favoriser l’épanouissement des musulmans dans le domaine de la santé se retrouve attristée par le plan, tombé à l’eau, d’une association musulmane.
« On n’obtient jamais tout ce qu’on veut quand on fait du plaidoyer »
« En 2022, un professeur de la faculté a écrit un article dans un journal de médecine reconnu au pays. Dans son papier, il indiquait que le voile islamique était un outil d’oppression et qu’il ne comprenait pas la motivation des gens à le porter », rapporte-t-elle. Cet article a fait office d’élément déclencheur pour Arij. « Ça m’a vraiment blessée, d’autant plus que c’était un enseignant que j’avais déjà eu et que j’appréciais », précise-t-elle.
L’absence d’un groupe de soutien pour faire face à des commentaires comme ceux-là formulés par un enseignant a placé Arij – et d’autres étudiants – dans une situation d’impuissance. « Après cet incident, j’ai commencé, avec des camarades de la faculté, à voir s’il y avait un moyen de faire quelque chose. On a réussi à obtenir des rencontres avec le doyen, et on lui a expliqué combien des propos islamophobes comme ceux de ce professeur pouvaient être blessants et inacceptables, tant pour ses collègues que pour ses élèves et ses patients », résume-t-elle.
À la suite des démarches entreprises, des excuses ont été présentées par le professeur, qui s’est rétracté. Si certaines des demandes des étudiants ont été acceptées, d’autres ont été impossibles à réaliser – comme sa démission. « On n’obtient jamais tout ce qu’on veut quand on fait du plaidoyer », finit-elle par dire.
Travailler à réparer le système
C’est au cours de cet épisode qu’Arij fait la rencontre de plusieurs étudiants dont elle partage les valeurs et les revendications au sein de l’établissement scolaire. « À ce moment-là, j’ai réalisé qu’on devait vraiment rebâtir l’association », déclare-t-elle.
L’une des principales motivations de la jeune citoyenne était que les étudiants musulmans sachent qu’ils disposent d’un collectif, qu’ils ont des droits et qu’il y a quelqu’un ou quelque chose qui est là pour plaider en leur faveur.
À la co-présidence de la MMAC – Chapitre McGill, Arij Soufi a permis à des dizaines et des dizaines d’étudiants de se sentir à leur place. « On a organisé des événements de réseautage entre les étudiants musulmans de plusieurs programmes à McGill, comme des iftars lors du mois de Ramadan », explique-t-elle. Pour elle, les étudiants musulmans se devaient de se sentir à l’aise de « célébrer leur foi ».
En plus d’organiser des événements avec les étudiants, elle a travaillé à d’autres projets visant l’intégration et l’inclusion des musulmans. Au sein du Comité sur l’équité de l’Association étudiante de McGill, elle a mis en place un atelier sur le racisme médical. « C’est arrivé dans la foulée des événements qui ont suivi la mort tragique de Joyce Echaquan », explique-t-elle.
Rappelons que Joyce Echaquan est une femme atikamekw décédée en 2020 à l’hôpital de Joliette après avoir publié sur les réseaux sociaux une vidéo choquante dans laquelle elle était victime d’insultes racistes et de mauvais traitements de la part du personnel soignant. Ce drame a relancé les appels à l’action pour lutter contre le racisme systémique dans le milieu médical.
« Cet atelier, c’est du contenu qu’on ne nous enseigne pas vraiment en médecine. Oui, dans nos cours, on apprend que le racisme, c’est l’un des déterminants de la santé ; on apprend aussi qu’on a des biais en tant que médecin, mais sans plus. Dans cet atelier, on apprend plus que ça. On apprend comment ne pas devenir complice d’un système qui n’est pas parfait », explique-t-elle, passionnée.
Dans un projet différent en cours de réalisation au sein de la MMAC, « [on] apprend aussi aux futurs médecins comment être culturellement plus sensibles aux personnes de foi musulmane. Comment traiter un patient qui jeûne, par exemple ? Ou comment examiner une patiente musulmane tout en protégeant la dignité de celle-ci ? Ce sont des questions sur lesquelles on travaille », énumère-t-elle.
« On souhaite aussi offrir un service de mentorat plus formel », annonce-t-elle. Pour la jeune femme, permettre aux étudiants musulmans d’avoir des gens qui leur ressemblent permet une meilleure représentation de ceux-ci.
L’une des autres réalisations du club qu’Arij co-préside, c’est d’avoir un lieu de prière convenable pour les étudiants musulmans.
« Je veux rester ici, je veux pratiquer au Québec »
Ce qui désespère Arij, c’est la quantité de Québécois musulmans qui souhaitent quitter la province. « J’entends beaucoup de musulmans dire qu’ils trouvent ça cool Montréal et le Québec, mais qui ne voient pas d’avenir ici, dit-elle, découragée. Ce qui serait l’idéal, pour moi, ce serait que la jeunesse musulmane puisse se projeter une vie au Québec. »
« Pourquoi travailler dans une province qui me déteste ? Qui fait des lois pour m’empêcher de travailler dans le domaine que je veux ? » Telles sont les déclarations qu’Arij entend souvent. « Je comprends les gens qui ont des inquiétudes, car ces inquiétudes sont fondées. Oui, je crois sincèrement qu’il y a de l’islamophobie au Québec. Mais je ne veux pas que la jeunesse pense qu’il n’y a pas de possibilités pour elle ici », déclare-t-elle, d’un ton plus optimiste.
« Je veux rester ici, je veux pratiquer ici. J’aime trop cette ville, je veux me battre pour que les musulmans puissent vouloir rester ici », continue-t-elle.
Arij est consciente qu’il s’agit d’un défi pour plusieurs, et que tous et toutes n’ont pas la capacité de le relever. Elle lance néanmoins un message d’espoir : « Il ne faut pas avoir peur de s’ouvrir un chemin qu’on est les premiers de nos communautés à emprunter. Ça peut faire peur à une femme comme moi, qui porte le voile, de se lancer dans un milieu composé majoritairement de Québécois caucasiens, mais je n’ai pas peur de le faire ! » s’exclame-t-elle, sourire aux lèvres.
« C’est bien beau de rester dans nos communautés, de s’entourer de gens qui nous ressemblent, mais si on veut vraiment du changement, il ne faut pas avoir peur d’aller là où les gens ne vont pas », conclut-elle.