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Un an après le 7 octobre : cinq personnes racontent leur expérience de perte et de souffrance
Yonatan Zeigen, Raquel Look, Hamza Banar, Mohammed R. Mhawish et Yipeng Ge nous ont rapporté les profonds changements survenus dans leur vie depuis un an.
7/10/2024

Un an après le 7 octobre : cinq personnes racontent leur expérience de perte et de souffrance

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Le 7 octobre 2023, des hommes armés du Hamas ont franchi la frontière entre Gaza et Israël où ils ont attaqué des bases militaires et tué des civils Israéliens. Suite à cette attaque près de 1 205 personnes ont été tués, dont 36 enfants.  251 personnes ont été prises en otages.

Le 8 octobre 2023, le cabinet de sécurité israélien a officiellement déclaré la guerre au Hamas. Les Forces de défense israéliennes ont tué plus de 41 000 Palestiniens, dont plus de 15 000 enfants. Des milliers d’autres Palestiniens seraient piégés sous les décombres, et presque toute la population de Gaza a été déplacée. Depuis lors, 117 otages israéliens ont été libérés.

La Converse s’est entretenue avec cinq personnes en Israël, à Gaza, en Égypte, à Montréal et à Toronto pour montrer les profonds changements survenus dans leur vie depuis un an.

Yonatan Zeigen

Yonatan Zeigen est un travailleur social et un médiateur de Tel-Aviv. Sa mère, Vivian Silver, 74 ans, a été tuée le 7 octobre. Aujourd’hui, Yonatan poursuit le travail de construction de la paix entrepris par sa mère au sein du Parents Circle-Families Forum, une organisation de proximité basé à Beit Jala et Ramat Ef’al regroupant des familles palestiniennes et israéliennes qui ont perdu des membres à cause du conflit. Il évoque ici les moments qui ont précédé la mort de sa mère, alors qu’elle se cachait dans un placard au kibboutz Be’eri.

« Au début [de l’attaque], on s’est parlé et on s’est envoyé des textos pendant toute la matinée. Nous étions plutôt calmes et nous essayions de passer le temps. Nous avons continué à plaisanter. Puis, à un moment donné, il est devenu évident que l’armée israélienne ne viendrait pas, et que le Hamas ne cherchait pas à prendre le contrôle du kibboutz, mais qu’il s’agissait d’un massacre. Nous avons donc pu nous dire au revoir en sachant que c’était un adieu. Dans son dernier message, elle m’a écrit que le Hamas était à l’intérieur de la maison. Ce que le Hamas a fait le 7 octobre – et ce qu’Israël fait à Gaza depuis – est le résultat d’une vie de conflit et d’une occupation continue. Et si nous voulons une réalité différente, nous devons nous comporter différemment – et non pas continuer à faire la même chose.»

« Ma mère était toujours très occupée. Elle travaillait beaucoup et se consacrait à de nombreuses causes et initiatives. Mais, étant son fils, j’ai toujours eu l’impression d’être la chose la plus importante dans sa vie. C’était le genre de femme qu’elle était.»

Vivian Silver était connue pour son militantisme en faveur de la paix et conduisait elle-même les enfants malades de Gaza à l'hôpital, ont déclaré ses amis.

«Au début de la vingtaine, j’ai entrepris des études de droit pour devenir avocat spécialisé en droits humains. J’ai abandonné ces études à la naissance de mon premier enfant. J’ai renoncé à l’idée que je pouvais avoir une incidence sur quoi que ce soit et je suis devenu travailleur social.»

«Mais depuis le 7 octobre, j’éprouve le besoin et la responsabilité de m’impliquer et d’utiliser ma voix pour contribuer au changement. Si ma mère avait survécu, je l’imagine très bien dire que la vengeance n’est pas une solution et que la paix est le seul moyen d’assurer la sécurité d’Israël. Elle serait très active pour tenter d’arrêter la guerre et de parvenir à un accord global.»

«Avant le 7 octobre, j’ai essayé de mener une vie normale en œuvrant comme travailleur social et en élevant mes enfants, mais j’éprouvais toujours un certain sentiment d’aliénation, sans savoir exactement de quoi il s’agissait. Aujourd’hui, en pensant à mon travail, je me sens très proche de ce que je fais. »

« Je rencontre fréquemment des Palestiniens. C’est étrange, parce que nous avons des relations très faciles et naturelles. C’est tellement simple, et on ne peut pas y parvenir dans un contexte collectif. Si je suis en mesure de m’asseoir avec un Palestinien qui a lui aussi perdu des êtres chers et que nous pouvons établir une relation, tout le monde devrait le faire. C’est frustrant que nous ne puissions pas le faire en tant que peuple entier, mais cela prouve aussi que c’est possible, et que c’est très simple, n’est-ce pas ?»

« Je m’investis maintenant dans la seule chose qui compte en Israël : la Palestine. Rien d’autre n’a d’importance si nous ne mettons pas fin à l’occupation et si nous ne résolvons pas le conflit. En ce sens, je suis comblé de pouvoir faire ce que je fais. J’aimerais ne pas avoir à le faire. J’aimerais que nous vivions dans un contexte où cela n’aurait pas d’importance. »

Zeigen travaille désormais avec le Parents Circle-Families Forum, basé à Beit Jala et Ramat Ef’al, une organisation populaire de familles palestiniennes et israéliennes qui ont perdu des membres de leur famille immédiate à cause du conflit.

Hamza Banar

Hamza Banar, 18 ans, est étudiant en première année de design et d’édition multimédia à l’Université al-Azhar, en Égypte. Sa famille et lui ont été déplacés et vivaient à l’origine dans le quartier de Shujaiya, dans le centre de Gaza.

Hamza Banar fréquentait l’Université Al-Azhar à Gaza.

« Après le 7 octobre, la guerre a commencé et a tout détruit. Elle a détruit mon éducation, mon avenir, mon université et la maison dans laquelle nous vivions. Nous avons été déplacés du nord au sud. Nous sommes arrivés à Deir el-Balah [un camp situé sur le littoral de Gaza] après plusieurs déplacements forcés. Nous sommes épuisés. Nous sommes devenus responsables de tout, comme d’aller chercher de l’eau et de la nourriture sur de longues distances, et de se rendre au marché pour communiquer avec le monde extérieur».

« Notre tente est un petit espace de quatre mètres sur quatre, composé d’une cuisine, d’une salle de bain, d’un espace pour dormir et d’un espace de vie pour les huit membres de ma famille. La nourriture et l’eau sont difficiles à obtenir, car elles sont de plus en plus rares.»

« Les bombardements ont continué, mais on a essayé de s’adapter. Nous n’avons même pas pu terminer notre première semaine à l’école de Tel Al-Hawa, que nous fréquentions. Peu après, on nous a dit de quitter immédiatement la ville de Gaza et de nous rendre dans le sud, qui était considéré comme une région humanitaire sécurisée. Nous avons déménagé dans la ville d’Al-Nusairat et nous sommes allés [nous abriter] à l’école Khaled Bin Al-Walid, mais nous n’étions toujours pas en sécurité. Plusieurs jours ont passé. L’intensité des bombardements sur l’école et la fumée qui s’en dégageait nous empêchaient de dormir. Le 27 décembre, l’artillerie a été utilisée contre l’école, ce qui nous a de nouveau obligés à évacuer la zone.»

« Nous avons fui la ville à pied, y laissant tous nos biens, sans destination précise. Nous sommes finalement restés chez un proche pendant deux jours, puis nous avons dressé notre tente à Deir el-Balah, où nous vivons actuellement.

Je suis très triste de ce qui est arrivé à notre maison. Les souvenirs que nous avions avec ma famille, mes proches et mes voisins étaient magnifiques. Nous rêvons d’y retourner un jour. »

Il est possible de faire un don à la famille d’Hamza Banar au moyen du lien suivant : https://chuffed.org/project/hamzafund

Raquel Look

Raquel Look est une Montréalaise de confession juive. Le 7 octobre, son fils, Alexandre, perd la vie alors qu’il est au festival Supernova dans le désert du Néguev, dans le sud d’Israël. Elle raconte aujourd’hui comment cette date a radicalement changé sa vision du monde.

« Le 7 octobre, j’ai reçu un appel de mon fils, qui était en vacances en Israël. Il s’y rendait pour prendre part au festival de musique. Au petit matin, il m’a appelée pour me dire qu’ils avaient été attaqués par des roquettes et qu’ils se dirigeaient vers un abri. »

« Avant le 7 octobre, je me rendais souvent en Israël avec toute ma famille. Les tirs de missiles et les menaces terroristes étaient monnaie courante. “Tu n’as pas l’habitude ?” lui ai-je dit au téléphone. “Non, mais cette fois-ci, c’est vraiment intense”, avait-il répondu. »

Le fils de Raquel, Alexandre, a été tué par des militants du Hamas le 7 octobre.

«L’appel a duré près d’une heure et demie. À un certain moment, des terroristes du Hamas sont arrivés et il y a eu beaucoup d’agitation. C’était la panique. Je me souviens encore de la tentative d’Alexandre de négocier avec les terroristes qui arrivaient, armés jusqu’aux dents, avec les quelques mots d’arabe qu’il connaissait, en vain hélas. Alexandre a été tué par ceux qui étaient venus terroriser les jeunes festivaliers.  Lorsque les secours sont arrivés au refuge où mon fils avait perdu la vie, ils l’ont trouvé les bras ouverts dans un mouvement d’étreinte, comme s’il protégeait encore quelqu’un. »

« Aujourd’hui, j’ai peur. Lorsque je marche dans les rues de ma ville et que je vois des centaines de personnes manifester avec des keffiehs qui ne laissent voir que leurs yeux, je pense à ceux qui ont lâchement ôté la vie à mon fils. Pour moi, le 7 octobre est une date qui ne doit jamais être oubliée. Il s’agit d’une violente atteinte à la vie de personnes qui ne voulaient que s’amuser, laissant derrière elles leur mère en deuil. Le maire de l’arrondissement de Côte-Saint-Luc a accepté de dédier une place à la mémoire de mon fils. »

Mohammed R. Mhawish

Mohammed R. Mhawish est un journaliste palestinien originaire de la ville de Gaza. À la suite des bombardements israéliens, il s’est réfugié au Caire en mai avec sa femme et ses deux enfants. En décembre, la famille Mhawish a survécu au bombardement de son domicile. 

Le journaliste palestinien Mohammed R Mhawish a été coincé sous les décombres de sa maison pendant des heures après une attaque des forces de défense israéliennes en décembre dernier.

« Le 7 octobre, la vie de ma famille a changé à jamais. En quelques secondes, tout ce que j’ai ressenti, c’est que j’étais coincé sous ce qui s’est avéré être le plafond de mon logement, qui s’était abattu sur ma famille. Lorsque j’ai repris conscience, la première chose dont je me souvienne, c’est d’avoir entendu des voix. Même à ce moment-là, tout ce qui m’importait, c’était ma famille et de m’assurer qu’elle était en sécurité. Le sang giclait de mes bras et de mes doigts broyés. »

« Les gens m’ont raconté ce qui s’est ensuite passé. Toute ma famille avait été blessée, mais je me souviens surtout de mon fils, qui criait, le visage couvert de sang et de poussière, tandis que des étrangers tentaient de le nettoyer.»

« Les soins médicaux sont difficiles à obtenir, les hôpitaux étant paralysés par les bombardements et le manque de matériel, ce qui entraîne des infections et des décès. En se déplaçant dans le nord de la bande de Gaza, on risque de se faire tirer dessus ou d’être pris dans une fusillade. Des centaines de milliers de personnes sont pourtant restées sur place malgré l’ordre israélien de quitter les lieux. Les infections sont une crainte constante, et nous avons dû nettoyer nos plaies avec de l’eau brûlante. Une semaine a passé, et notre santé s’est améliorée, mais les bombardements se sont poursuivis. Le 14 décembre, notre quartier a été touché par une intense frappe aérienne. Les blessés ont été laissés sur place, car s’arrêter pour les aider aurait signifié une mort certaine.»

«Au cours de l’année écoulée, je n’ai jamais réussi à me détacher de ce qui se passait. Je fais toujours partie de la réalité du terrain à Gaza, que ce soit en tant que journaliste ou en tant qu’habitant. Sur le plan personnel, j’y ai encore des proches. Il y a encore des membres de ma famille, des amis, des personnes qui me sont très chères, et ils subissent toujours la famine, les bombardements et les déplacements forcés. 

« Mon aîné, Rafiq, qui a maintenant trois ans, a passé des nuits entières à pleurer de faim et de froid à Gaza. Il a souffert de malnutrition. En tant que Palestiniens, nous n’avons pas le choix d’être résilients. Nous sommes obligés [d’être résilients] parce que cela fait partie de notre réalité quotidienne. Nous devons faire face à ce qui se passe. Chaque jour, on se réveille face à la pire version des mêmes défis, mais il faut trouver une nouvelle façon de vivre, de naviguer entre la vie et la mort, de survivre aux bombes, tout en faisant des blagues à ses enfants pour qu’ils ne s’endorment pas effrayés ou terrorisés. » 

Dr Yipeng Ge

Yipeng Ge est médecin généraliste et spécialiste de la santé publique. Auparavant, il a été médecin résident à la faculté de médecine de l’Université d’Ottawa. En novembre dernier, l’université l’a suspendu pour avoir publié des messages pro-palestiniens sur les réseaux sociaux. Au mois de février, il s’est rendu à Gaza avec une équipe de médecins des organisations humanitaires Humanity Auxilium et Glia.

Le Dr Yipeng Ge s'est rendu à Gaza avec une équipe médicale depuis le 7 octobre. Photo: Alex Fizzard

« Lorsqu’ils m’ont suspendu, je travaillais encore avec mes patients ; beaucoup de gens ne le savent pas et ne le reconnaissent pas. Le directeur de ma clinique à l’époque m’a contacté et m’a offert son soutien. En même temps, j’étais très frustré par la façon dont ces institutions me traitaient. En fin de compte, elles ne comprenaient pas ce qu’est la santé publique, elles ignoraient que j’ai suivi une formation sur les déterminants coloniaux de la santé et que je conçois la question de la Palestine du point de vue du colonialisme de peuplement et du colonialisme de peuplement sioniste. C’est ce que j’ai fait au cours de ma maîtrise en santé publique réalisée dans le cadre du programme Palestine du département Santé et droits humains de l’Université Harvard. Si seulement on m’avait contacté en disant : "Nous avons vu ces messages sur les réseaux sociaux et nous avons des questions. Pouvons-nous avoir une conversation à ce sujet ?" Au lieu de cela, ils ont décidé de ne pas engager de discussion, de me suspendre et de me dire : “Vous êtes un danger pour vous-même et pour les autres” – ce qui est un cas flagrant de racisme anti-palestinien, n’est-ce pas ? »

« Je n’aurais jamais pensé que les gens puissent aller aussi loin pour attaquer et détruire le caractère et l’intégrité d’une personne. Avoir des opinions différentes est une chose, et on peut en parler... mais les gens ne voulaient même pas en parler. C’est assez ironique dans le milieu universitaire, n’est-ce pas ? Je suis né en Chine. Je suis arrivé au Canada à l’âge de quatre ans ; j’ai grandi à Waterloo, en Ontario. J’ai eu beaucoup d’occasions et de privilèges en grandissant là-bas. La ville est située à proximité du territoire des Six Nations de la rivière Grand, la plus grande réserve des Premières Nations au Canada. Elle ne dispose pas d’eau potable. Ça m’a vraiment frappé : quel est mon rôle en tant que citoyen canadien ? Qui a profité de ces terres volées, du génocide des peuples autochtones, du colonialisme de peuplement dans le contexte du Canada ? Maintenant que je sais tout cela, que dois-je faire ? Ce fut un tournant décisif. J’ai choisi de me pencher sur la question et c’est ce qui me motive depuis lors.»

« Mes parents me soutiennent beaucoup. Eux aussi ont beaucoup appris, ce qui leur a permis de comprendre ce que je faisais depuis toutes ces années et les a aidés à recoller les morceaux. Ils sont allés au campement des étudiants et aux manifestations pour la Palestine. Mon père rapporte maintenant des épinglettes en forme de pastèque de Chine, où il travaille, et je les distribue aux gens. Un jour, mon keffieh s’est effiloché, et ma mère m’a dit : "Je peux le réparer pour toi."

Les gens disent que Gaza et la Palestine nous enseignent la vie, et c’est tout à fait vrai. Il est ironique que les Palestiniens fassent l’expérience d’une campagne génocidaire qui tente de les effacer de la surface de la Terre, eux, leur communauté et leur peuple. Face à cela, ils font preuve de tant de vie et d’humanité, et ils choisissent l’amour et la compassion. La première nuit, lorsque je suis arrivé à Gaza, la population locale nous a immédiatement apporté de la nourriture et de l’eau. J’ai sangloté pendant un quart d’heure de manière incontrôlable. Je me suis dit : “Mon Dieu, qu’est-ce que je fais ? Ces gens ont vécu l’enfer, et je ne veux pas qu’ils aient à me soutenir dans mon chagrin et mes émotions.” »

Dr Yipeng Ge à Gaza en février 2024
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