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Le calvaire que vivent les demandeurs d’asile qui tombent malades
Giuliana et sa famille sont arrivées au Canada par le chemin Roxham en octobre 2022. Photo : María Gabriela Aguzzi
2/5/2024

Le calvaire que vivent les demandeurs d’asile qui tombent malades

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5 Minutes
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La vulnérabilité des demandeurs d’asile au Canada, et au Québec, ne se limite pas à la difficulté de trouver un logement, un emploi ou une place en garderie pour leurs enfants. Elle ne se limite pas non plus à l’attente d’un permis de travail qui les sortira de l’exploitation, ce qui est souvent synonyme de travail au noir. Pour ces immigrants, tomber malade peut devenir un cauchemar. Pourtant, une fois entamé leur processus de demande d’asile, ils ont, en théorie, accès à des services médicaux.

Les demandeurs d’asile, qui, selon Statistique Canada, étaient quelque 176 000 au 1er janvier 2024, ont en effet accès au Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI), conçu pour couvrir certains de leurs besoins médicaux. C’est par l’intermédiaire de la compagnie d’assurance Croix Bleue que ces immigrants peuvent accéder aux services de santé, ce qui signifie que les médecins et autres prestataires de soins de santé facturent leurs services à l’assureur chaque fois qu’ils voient un demandeur d’asile.

C’est la fameuse feuille brune, officiellement le Document du demandeur d’asile (DDA), qui permet à ces derniers d’avoir accès à des services dans les hôpitaux. 

Cette couverture leur permet de s’adresser à d’autres professionnels de la santé, y compris pour des soins prénatals et postnatals. Elle garantit aussi l’accès à des psychologues cliniciens, des psychothérapeutes, des ergothérapeutes, des orthophonistes et des physiothérapeutes, entre autres.

Bien que l’accès aux services médicaux semble organisé, du moins en théorie, le parcours d’un demandeur d’asile qui souhaite obtenir des soins de santé en temps voulu est souvent long et ardu, et ce, même si les médecins n’ont pas le droit de rejeter les patients demandeurs d’asile. « De nombreuses cliniques le font, et le Collège des médecins du Québec ne contrôle pas cette pratique », explique Juan Carlos Chirgwin, médecin de famille à Parc-Extension, le quartier le plus densément peuplé de Montréal – et l’un des plus diversifiés.

Le médecin de famille reconnaît que « les choses se sont améliorées au cours des cinq dernières années, mais il n’y a toujours pas de suivi de ce qui se passe sur le terrain dans chaque clinique ».

Barrières linguistiques et culturelles

Le parcours de ces migrants est semé d’embûches. La langue est le premier obstacle. Alors que les informations sur le Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI) sont facilement accessibles sur Internet, elles ne sont disponibles qu’en français et en anglais sur les sites officiels du gouvernement canadien.

« Je travaille au CLSC de Parc-Extension, un quartier où les nouveaux arrivants sont majoritaires. Il y a beaucoup de demandeurs d’asile, mais aussi des immigrants ayant d’autres statuts. Beaucoup d’entre eux ne parlent que leur langue maternelle. Ce sont des gens qui font face à une barrière linguistique très importante », explique le Dr Chirgwin.

Devant un tel obstacle, les demandeurs d’asile se tournent souvent vers leur communauté, qui devient alors un vecteur d’information de base pour les nouveaux arrivants.

« Dans de nombreux cas, l’information est transmise de bouche à oreille », explique le médecin de famille. Et ce, malgré l’existence du Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA), dont le mandat et l’obligation sont de les informer des services dont ils peuvent bénéficier et de la manière d’y accéder. 

Pourtant, les demandeurs d’asile au Québec ne sont pas tous en contact avec l’agence, comme a pu le constater M. Chirgwin à Parc-Extension. Ceux qui arrivent au Canada par avion et qui demandent ensuite l’asile, par exemple, ne sont pas nécessairement orientés vers ce service.

« Trente pour cent des demandeurs d’asile que j’ai vus en 2018 et 2019 n’avaient aucune idée de ce qu’était le PRAIDA. Ils ne savaient pas comment accéder aux cliniques ; ils ne savaient pas ce qu’était la feuille brune, et encore moins qu’elle leur donnait accès à des services de physiothérapie et de psychologie, ainsi qu’à certains soins dentaires et de la vue », explique Juan Carlos Chirgwin. 

Ce programme dispose d’informations bien détaillées pour les demandeurs d’asile sur son site Internet, mais les données n’y sont disponibles qu’en anglais et en français. Des renseignements de base sur le PRAIDA en espagnol, arabe, créole et turc sont en revanche disponibles sur le site web de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Nous avons consulté le PRAIDA pour connaître son point de vue sur les barrières linguistiques. Selon Barry Morgan, chargé de communication du programme, « il n’y a pas de démarche particulière relative à l’accès linguistique aux services médicaux, outre inciter les usagers allophones à être accompagnés par une personne pour la prise de rendez-vous. À l’interne, au sein du PRAIDA, les usagers ont toujours accès à un service d’interprétariat, au besoin. »

Le CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, l’institution dont fait partie le PRAIDA, s’efforce de « faciliter l’accès en offrant des services d’interprétariat à distance qui sont accessibles presque instantanément (vidéo ou téléphone) par le biais de Voyce », ajoute M. Barry.

Les obstacles linguistiques s’étendent même aux solutions adoptées par le gouvernement pour tenter d’améliorer le système de santé pour le grand public. Des mesures qui devraient pourtant faciliter l’accès à la santé pour les demandeurs d’asile. 

« Nous avons maintenant le Guichet d’accès à la première ligne, qui permet de relier un patient à une clinique, mais pas à un médecin en particulier. Vous pouvez accéder à ce système en appelant le 811, option 3. Quelqu’un posera des questions à la personne malade et pourra parfois l’orienter vers une clinique, pour un rendez-vous ponctuel. Si la personne tombe de nouveau malade, elle pourra de nouveau appeler le 811 et être redirigée, peut-être vers une autre clinique », explique Juan Carlos Chirgwin.

Mais que se passe-t-il si une personne qui ne parle ni français ni anglais appelle le 811 et explique son besoin ? « Des interprètes ont été promis, mais je n’ai pas encore essayé d’appeler et de parler uniquement en espagnol pour voir ce qui se passe. »

Au cours d’un test que nous avons effectué, l’opérateur du service 811 nous a indiqué que « malheureusement, il ne disposait pas d’interprète et qu’il ne pouvait fournir une assistance qu’en français ou en anglais pour guider le patient vers un service médical ». Il nous a toutefois été confirmé qu’un demandeur d’asile qui ne parle ni français ni anglais peut appeler avec l’aide d’un ami agissant en tant qu’interprète.

Maira Prado, physiothérapeute à la Clinique de Physiothérapie Cabrini, située dans le Nouveau-Rosemont, estime que le service d’interprétation n’est pas aussi clair qu’annoncé. 

Depuis plus de deux ans, elle travaille bénévolement pour aider les demandeurs d’asile à accéder au système de santé au Québec. Sa passion pour le sujet l’a amenée à participer à plusieurs tables de consultation et à dresser une liste non officielle des praticiens qui fournissent des services aux demandeurs d’asile.

Bien qu’un opérateur du service 811 nous ait affirmé qu’un proche pouvait s’adresser à lui au nom d’un demandeur d’asile en tant qu’interprète, Maira Prado assure que ce n’est pas toujours le cas. Cela en raison de « la barrière légale, qui fait qu’au Québec, si vous avez plus de 14 ans, vous devez vous représenter vous-même devant les services de santé ». Cela signifie qu’il n’est pas possible de parler au nom d’une autre personne.

« Le demandeur d’asile doit donc persuader son interlocuteur au téléphone d’accepter l’aide de l’interprète, qui peut être un ami, une connaissance ou un membre de la famille. C’est à cet interlocuteur de faire preuve d’empathie, et c’est là un point important : la nécessité de sensibiliser tout le personnel en contact avec les demandeurs d’asile », souligne-t-elle.

Des défauts systémiques

Au-delà de la langue, Mme Prado évoque d’autres obstacles auxquels sont confrontés les demandeurs d’asile et qui les rendent en quelque sorte invisibles dans les dossiers médicaux de la province.

« Le problème est que [dans le système tel qu’il est conçu] ils n’ont pas de numéro de carte d’assurance maladie (...). Cela rend l’accès aux informations médicales de ces patients pratiquement impossible », expose-t-elle.

Selon la physiothérapeute, l’absence de numéro ou d’accès aux informations du patient explique en grande partie pourquoi les médecins ne prennent pas en consultation les demandeurs d’asile. Ils disent : « Je ne connais pas leurs antécédents, je ne sais rien », souligne Mme Prado.

De plus, les demandeurs d’asile ne sont pas comptabilisés dans le système de santé. Les médecins qui les voient sont payés – c’est la Croix Bleue qui les rémunère –, mais dans le système de santé, ces consultations ne sont pas visibles électroniquement. Ce « vide » empêche les médecins d’atteindre les quotas qu’ils doivent respecter pour recevoir des subventions du gouvernement. 

« Si les médecins d’une clinique voient des demandeurs d’asile toute la journée, c’est comme si, aux yeux du système, ils étaient en vacances », résume Maira Prado.

« Nous constatons que les demandeurs d’asile subissent des sanctions multiples. La barrière de la langue est importante, mais la barrière systémique doit aussi être dénoncée », ajoute-t-elle.

Pour la physiothérapeute, le système donne indirectement tous les arguments aux médecins et autres prestataires de services de santé pour ne pas prendre en charge les demandeurs d’asile. Car, il convient de le souligner, l’inscription pour s’occuper de ces derniers se fait sur une base volontaire.

Selon Mme Prado, de nombreux demandeurs d’asile choisissent alors de se rendre dans des cliniques sans rendez-vous, mais ces centres ne leur donnent pas d’informations complètes sur les services auxquels ils ont droit, croit-elle. « S’il s’agit d’un patient qui a besoin de soins musculo-squelettiques, par exemple, le personnel des cliniques sans rendez-vous ne mentionne pas qu’il existe des cliniques privées qui peuvent les traiter », déplore-t-elle. 

Plus d’un an d’attente pour des services de physiothérapie

Giuliana vit au Canada depuis octobre 2022. Originaire de Lima, au Pérou, cette femme de 45 ans est arrivée au Québec par le chemin Roxham avec son mari et leur fils, âgé de trois ans à l’époque. La famille a quitté son pays d’origine après qu’un gang leur a extorqué des paiements mensuels de 1 000 $ pour leur permettre de faire fonctionner leur entreprise de transport.

Fernando, leur petit garçon qui a récemment fêté ses cinq ans, ne peut pas bouger correctement sa main droite en raison d’une lésion congénitale. Au Pérou, il suivait quotidiennement une thérapie pour retrouver sa mobilité. Au Québec, la situation est bien différente.

Mère de trois enfants, dont deux sont restés au Pérou, Giuliana se consacre entièrement à Fernando, un enfant bavard et affectueux qui appelle sa main blessée « la championne ». « Je travaille très dur », s’exclame-t-il en riant.

Malgré ce dévouement, et bien que Giuliana ait progressé dans son intégration au Québec en suivant des cours de francisation, elle n’a obtenu un rendez-vous avec Maira Prado qu’il y a deux mois. Pourtant, ces consultations sont nécessaires à Fernando pour éviter que sa main et son bras ne deviennent immobiles.

« Il m’a été très difficile d’obtenir les services dont Fernando a besoin. Tout d’abord, il y a eu la barrière de la langue. C’est très difficile de ne pas pouvoir parler à un médecin, de ne pas pouvoir lui expliquer ce qui se passe. En plus de sa blessure à la main, nous avons dû nous rendre plusieurs fois aux urgences pour des fièvres et des virus, et je dois toujours demander de l’aide », explique Giuliana.

Une chaîne d’entraide

C’est en se tournant vers une organisation d’aide aux immigrants latino-américains que la mère de famille a trouvé la solution. « Les personnes du Centre d’aide aux familles latino-américaines [CAFLA] m’ont permis d’obtenir des rendez-vous. J’étais très inquiète parce que Fernando n’avait pas suivi de thérapie depuis plus d’un an. »

Au CAFLA, Giuliana a reçu l’aide d’un « ange », dit-elle, visiblement soulagée. Elle parle de Nidia Bravo, une employée de l’organisation, qui l’a aidée à trouver la Clinique de Physiothérapie Cabrini où elle a rencontré Mme Prado, la physiothérapeute que Fernando consulte maintenant une fois par semaine. Avec elle, la communication est fluide, car la spécialiste parle espagnol.

La recherche de services se poursuit pour Giuliana, car Fernando a besoin d’une attelle pour sa rééducation. Maira Prado l’aide à chercher cette attelle. « J’ai trouvé un orthésiste agréé qui parle espagnol », précise Giuliana.

« Je ne sais pas encore si nous pourrons obtenir l’appareil gratuitement. Je pense qu’il coûte plus de 300 $, et je suis prête à payer ce qu’il coûte, mais nous ne savons pas s’ils vont nous donner la possibilité de le faire fabriquer ou non », ajoute-t-elle.

Elle-même a eu du mal à consulter un médecin lorsqu’elle en a eu besoin, notamment au cours des premiers mois au Québec, lorsque sa fuite soudaine devant l’insécurité au Pérou a pesé sur son bien-être émotionnel. « J’ai eu beaucoup de maux de tête et d’estomac, et on m’a dit que c’était le stress, mais pour l’instant, j’attends de voir si un gastro-entérologue peut me recevoir. »

Solutions existantes et à imaginer

Maira Prado et Juan Carlos Chirgwin sont deux professionnels de la santé qui souhaitent proposer des solutions aux demandeurs d’asile lorsque ceux-ci cherchent des services médicaux. 

Maira Prado estime que le système de santé tel qu’il existe pourrait générer un numéro fictif qui permettrait de conserver l’historique médical du demandeur d’asile, ce qui encouragerait les médecins à recevoir ces patients. « Ce serait une question de volonté de la part du personnel », souligne-t-elle.

Le Dr Juan Carlos Chirgwin, quant à lui, a mis en place une sorte de passeport de santé, qui comprend un résumé des tests sanguins que le patient a effectués sur sa recommandation. « C’est une idée qu’ont eue des étudiants en médecine avant la pandémie. Lorsque les tests sont terminés, j’écris à la main sur le document, j’en informe le patient par téléphone et je l’envoie par Postes Canada à son domicile pour qu’il puisse le conserver et l’utiliser lorsqu’il consulte d’autres médecins dans d’autres cliniques ou en cas d’urgence. »

La mise en œuvre de ces solutions ne nécessiterait pas de changements majeurs au système actuel, mais dépend de la volonté des parties concernées, y compris du gouvernement provincial.

Maira Prado mise sur la capacité des professionnels de la santé à travailler ensemble, comme elle le fait avec le Dr Chirgwin et d’autres. « Le demandeur d’asile est un patient que personne ne peut voir seul. Il faut travailler davantage sur ce que l’on appelle le “parcours de soins”. Il faut savoir ce qui se passe lorsque les demandeurs d’asile ont un problème de santé, à quelle porte ils frappent. »

Elle considère qu’il est essentiel que les centres d’aide aux immigrants se tiennent au courant des informations disponibles et, surtout, qu’ils disposent des ressources nécessaires pour s’occuper de ce segment de la population. « Les agences communautaires, si elles se portaient mieux, pourraient orienter les patients vers le système de santé », dit-elle.

Selon ces spécialistes, les demandeurs d’asile continueront à arriver au Québec pour différentes raisons et dans différentes circonstances. Le Dr Chirgwin estime qu’il faut mettre fin à la discrimination dont ils sont victimes. « [Cela] ne leur permet même pas d’être sur une liste d’attente pour voir un médecin. Cette même discrimination se retrouve, par exemple, dans la décision du gouvernement de bloquer légalement l’accès des demandeurs d’asile aux services de garde d’enfants subventionnés. »

La réalité, explique le médecin de famille, c’est que « ces personnes, lorsqu’elles arrivent et restent, ont des problèmes de santé ; elles continuent à se blesser à cause du travail qu’elles doivent souvent faire et elles doivent passer plusieurs fois par le système. Ce que je fais, c’est essayer d’être disponible pour elles », conclut-il.

Pour aller plus loin

  • Maira Prado a accepté de donner son adresse électronique aux demandeurs d’asile qui ont besoin d’aide pour accéder à des services médicaux : mprado@actionsportphysio.com.

Correction : Une première version de ce texte indiquait que Giuliana avait trouvé un chiropraticien, mais elle a trouvé un orthésiste, qui est un professionnel de santé qui procède à l'appareillage orthétique réalisé en série ou sur mesure des personnes qui en ont besoin.

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