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Balake, d’un camp de réfugiés en Tanzanie à l’Université du Québec à Montréal
Balake est un étudiant de 22 ans de l’UQAM. Au Québec depuis 10 mois, il a quitté la Tanzanie grâce au Programme d’étudiants réfugiés de l’EUMC. (Photo : Loubna Chlaikhy)
3/7/2024

Balake, d’un camp de réfugiés en Tanzanie à l’Université du Québec à Montréal

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5 Minutes
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Balake a 22 ans. Né dans un camp de réfugiés en Tanzanie après que ses parents ont fui la guerre au Congo, il est aujourd’hui étudiant à l’université du Québec à Montréal (UQAM). Son parcours est celui de la détermination et de la résilience d’un jeune homme guidé par un rêve : devenir médecin. Portrait.

Le hall du pavillon J.-A.-Desève de l’UQAM est calme en cette fin de session universitaire. Au fond, assis à une table, Balake observe les gratte-ciels qui se dressent derrière l’immense baie vitrée. Malgré sa nature timide, il a accepté de confier son histoire à La Converse. « Dans le camp où j’ai grandi, beaucoup de jeunes pensent que les programmes d’étudiants réfugiés ne sont pas réels. Je veux qu’ils sachent que c’est bien vrai, que je suis là aujourd’hui et qu’ils ont un espoir de quitter le camp », explique-t-il.

« Je suis au Québec depuis presque 10 mois ». Balake compte en mois, comme on le fait pour les bébés, tant son arrivée récente est synonyme de renaissance. Lui-même n’y a pas tout de suite cru. Il faut dire que c’est un parcours laborieux, de plusieurs années, qui lui a finalement permis de faire partie des quelques chanceux sélectionnés par le Programme d’étudiants réfugiés (PÉR) de l’Entraide universitaire mondiale du Canada (EUMC).

Le PÉR est un programme qui offre à de jeunes réfugiés l’opportunité de poursuivre leurs études postsecondaires au Canada. Grâce aux ententes entre le gouvernement fédéral et celui du Québec, les étudiants parrainés sont accueillis en tant que résidents permanents. « Je ne prenais pas ça au sérieux parce que je croyais que c’était impossible ! Un réfugié qui vient étudier au Canada, ça me semblait impossible, confie Balake en haussant les épaules. Mais après, le frère de quelqu'un que je connaissais est parti grâce au programme. C'est là que je me suis rendu compte que c'était la vérité ».

À l’UQAM, le comité bénévole de l’EUMC-PÉR est composé d’étudiants qui accompagnent deux jeunes comme Balake en leur offrant durant un an : une prise en charge des frais de scolarité, une chambre en résidence étudiante et une bourse mensuelle de 700 $ pour subvenir à leurs besoins.

Pour atteindre son rêve, Balake a donc laissé derrière lui ses parents, ses six sœurs, son frère, ses amis, et tout ce qu’il avait connu jusqu’à présent au sein du camp de réfugiés qui l’a vu naître.

Près de 140 000 réfugiés au sein du camp de Nyarugusu

Depuis le milieu des années 1990, le Congo est plongé dans un conflit impliquant plusieurs groupes armés locaux et étrangers ainsi que les forces gouvernementales congolaises et de violences intercommunautaires endémiques. La principale cause de ce conflit est l’extraction des ressources minières à l'est du pays notamment par l'Ouganda et surtout le Rwanda.

« Le pays compte près de 7 millions de personnes déplacées, le nombre le plus élevé jamais enregistré en République démocratique du Congo et l’une des plus grandes crises de déplacement interne au mond », indique un rapport du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo mandaté par le Conseil de sécurité de l’ONU, et publié en décembre 2023. Le HCR, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, estime par ailleurs que plus de 8 67000 réfugiés et demandeurs d’asile ont trouvé refuge dans les pays voisins. Parmi eux, 8 8840 personnes étaient en Tanzanie en septembre 2023.

Répartition des réfugiés et demandeurs d’asile ayant fui le Congo dans l’un des pays de la région, selon les chiffres de septembre 2023. ( Infographie: UNHCR DIMA -RBSA)

Derrière la froideur des chiffres se trouve la famille de Balake, et tant d’autres. « Mes parents sont Congolais. Ils ont fui la guerre en 1996 et le gouvernement tanzanien les a placés dans un camp de réfugiés dans la région de Kigoma, à l’est du pays. Je suis né et j’ai vécu toute ma vie dans ce camp. La vie était difficile, mais ce qui est cool, c’est que j’étais entouré par ma famille, mes amis d’enfance…», explique Balake qui ne se départit jamais d’un sourire espiègle.

Pourtant, ce camp au sein duquel sa mère lui a donné naissance n’est autre que celui de Nyarugusu. Il s’agit de l’un des plus grands camps de réfugiés au monde. Créé en 1996 pour accueillir 50 000 réfugiés congolais, il est aujourd’hui le lieu de vie de près de 14 000 personnes ayant fui le Congo ou le Burundi. Alors à quoi ressemble le quotidien dans un tel contexte ? Ce n’est qu’au bout de plusieurs heures que Balake a finalement accepté de livrer quelques détails.

« Le camp est composé de plusieurs petits villages. Au début, quand mes parents sont arrivés, ils vivaient dans des tentes, puis ils se sont organisés au fil des ans et ça a un peu évolué. Moi je vivais dans une petite maison d’une pièce avec des murs en terre et un toit en paille. D’autres qui sont arrivés plus récemment vivaient dans des tentes en 201 », dépeint Balake. Il ne se lamente pas. Jamais. Il se contente de raconter.

« C’est entouré de grilles avec plein de policiers qui empêchent les gens de sortir hors du camp. On ne peut pas aller travailler en ville par exemple. Les sorties ne sont autorisées que dans des cas exceptionnels, pour une maladie ou un décès, et encore ! Donc pour manger, il y a une distribution d’aliments par le HCR chaque mois. On reçoit de la farine de maïs, des petits pains, de l’huile, du sel et du soja. Mais tu ne peux pas manger un mois avec ça, donc chacun se débrouille en cultivant des légumes, en élevant des moutons pour revendre sur le marché ou en travaillant pour acheter au marché, quand il y a du travail ».

Sur son téléphone, Balake me montre des photos de son enfance. Je découvre le petit garçon qu’il était et je reconnais immédiatement son sourire inimitable. Pieds nus sur la terre ocre de cette région de la Tanzanie, il est entouré de deux de ses sœurs. À leurs côtés, des femmes préparent le repas devant une maison faite de terre et de paille. Quelques photos plus tard, je découvre désormais un adolescent qui pose fièrement avec son ami d’enfance, sandales en plastique aux pieds, maillot de foot sur le dos et coupe de cheveux tendance. « J’étais mieux coiffé, tu vois ! Ici c’est trop cher d’aller se faire couper les cheveux donc je laisse pousser pour le moment. Mon ami, il est aux États-Unis maintenant, on s’appelle souvent », assure Balake.

De cette époque, il ne semble garder que les bons souvenirs. Mais il y trouve surtout sa motivation pour parvenir à se faire une place et une vie meilleure ici.

Les études comme bouée de sauvetage

Sa richesse, Balake la puise dans l’éducation. « Mes parents étaient directeurs d’écoles primaires dans le camp, presque gratuitement bien sûr. Ils ont fait beaucoup d’efforts pour que je puisse étudier, même si ce n’était pas dans les mêmes conditions qu’eux à mon âge. On n’avait pas de vraie école comme ici, on n’avait pas le matériel nécessaire, mais quand même, j’ai pu étudier », souligne le passionné de soccer.

« La chose que je retiens et que mes parents m’ont dite, c’est que l'école est comme un chemin. Si tu es passionné, si tu persévères et que tu sais ce que tu vas faire dans la vie, tu peux arriver très loin. Ils m’ont donné beaucoup d'exemples de gens qui sont devenus des grandes personnalités grâce aux études. Ça m'a vraiment marqué… Beaucoup de jeunes n'étudiaient pas dans le temps, et ce n’était pas facile pour moi d’être différent. J’ai toujours eu des rêves et de l’ambition, donc je me suis concentré là-dessus pour ne pas finir comme d’autres jeunes qui boivent des alcools traditionnels », confie-t-il avec émotion.

Isolés de tout, sans perspective d’avenir professionnel, les jeunes réfugiés comme Balake n’ont souvent que peu d’espoir d’échapper à ce camp dans lequel leurs familles vivent parfois depuis plusieurs décennies. Ceux qui sont arrivés plus récemment portent également les stigmates des nombreux traumatismes auxquels ils ont été confrontés dans leurs pays et au cours de leur fuite. Autant d’ingrédients qui conduisent nombre d’entre eux vers diverses dépendances ou des comportements violents. Balake a eu la chance d’avoir des parents qui ont fait des études et ont sans cesse soufflé sur les maigres braises d’espoir restantes pour qu’elles vivent dans le cœur de leurs enfants.

« Lorsque je suis né, j'ai passé presque trois ans à l’hôpital parce que j’avais des problèmes de respiration. J’ai beaucoup souffert dans mon enfance, souffle Balake. L’hôpital était mal équipé et des mères mouraient en accouchant, des nouveau-nés mouraient aussi. Il n’y avait pas assez de docteurs et de médicaments. D’ailleurs, après ma naissance, ma mère a perdu deux bébés, deux frères, quand j’avais cinq ans et huit ans. C’est pour ça que je veux devenir médecin, pour aider tous ces réfugiés qui meurent dans le monde par manque de soins », glisse-t-il alors que les souvenirs lui reviennent par bribes.

Il n’y a pas d’université à Nyarugusu. Après l’équivalent du secondaire, Balake se tourne donc vers les techniques vétérinaires à défaut de pouvoir faire médecine. Il étudie pendant quatre ans et travaille pendant six mois auprès des fermiers. Mais il ne perd pas de vue son rêve.

10 heureux élus sur 300 jeunes participants

Seul luxe du foyer, la télévision est sa fenêtre sur le monde extérieur. « Je n’étais pas très, très fan des films, même si j’en regardais parfois. Je préférais regarder les informations des autres pays. C’est comme ça que j'ai vu comment les gens vivaient ailleurs. Et c’était très, très différent du camp parce que je n’avais pas la liberté », témoigne-t-il. En 2020, son père lui parle du programme des étudiants réfugiés. Le début d’un long parcours vers la liberté.

Pendant un an, Balake s’est préparé aux différentes épreuves de sélection pour accéder à cette chance exceptionnelle. « Lors de la première phase, nous étions 300 jeunes à candidater. Ils en ont retenu 80 pour passer le premier test de langue française. Après le test, j’étais parmi les 25 retenus pour la troisième phase qui est une entrevue au cours de laquelle on nous pose des questions sur nos motivations. Et au final j’étais dans les 10 derniers sélectionnés pour aller au Canada », se souvient-il avec une lueur de fierté dans le regard.

En 2021, Balake reçoit le saint Graal : la lettre officielle d’acceptation pour une rentrée en septembre 2022. Malheureusement,  au moment de partir en 2022, il apprend une mauvaise nouvelle. « On nous a dit qu’il n’y avait pas assez de place pour les dix sélectionnés dans les universités. Et comme le programme n’est éligible que pour les moins de 25 ans, ils ont privilégié les plus âgés. Moi j’étais jeune, j’avais 20 ans, donc on a repoussé ma bourse à 2023 », explique Balake sans aucune rancune. Il attendra une année de plus en prenant son mal en patience.

C’est finalement en août 2023, trois ans après avoir entamé les démarches, que Balake quitte le camp de Nyarugusu et la Tanzanie pour la toute première fois de sa vie, direction Montréal ! Un voyage entre deux mondes si différents. « Quand je suis arrivé à Montréal, waouh, c'était waouh , dit-il semblant manquer de mots. Je me suis passionné pour le Canada, j’avais fait beaucoup de recherches, vu beaucoup de vidéos, mais le voir en vrai c’était un choc », souligne celui qui apprécie l’architecture.

Le choc d’une nouvelle vie si différente

Accueilli par des bénévoles engagés, Balake découvre les lumières, les sons, les odeurs de cette ville qu’il a tant fantasmée. Une chambre est mise à sa disposition dans la résidence étudiante voisine. L’euphorie laisse toutefois place à la réalité du quotidien si loin de chez lui. « Le plus dur pour moi est d’avoir quitté ma famille et de vivre seul alors que j’ai passé toute ma vie entouré. Je me sentais très très seul. Puis j’étais inquiet pour mes parents, car je les aidais beaucoup dans leurs tâches, surtout avec ma mère malade depuis plusieurs années », confie le jeune homme.

L’étudiant peut compter sur les autres jeunes réfugiés issus du camp de Nyarugusu. « Certains sont à Ottawa, d’autres à Québec, à Toronto et ici, à Montréal. On a un groupe solidaire et on se soutient, car c’est vrai que ce n’est pas facile de se faire des amis. Pour le moment j’ai surtout créé des liens avec les étudiants internationaux ! On fait du soccer ensemble », note-t-il.

S’il est parvenu malgré tout à prendre ses marques à l’université et dans la ville, Balake s’avoue vaincu face à l’hiver ! « Ohlala, l’hiver c’est trop ! J’attendais avec impatience de voir la neige pour la première fois de ma vie, mais le froid, vraiment, je n’ai pas pu, s’esclaffe-t-il.  Je suis resté dans ma chambre tout le temps, j’avais vraiment trop froid. Mais l’année prochaine je vais essayer de faire du patinage. » Grâce au comité étudiant, il participe aussi aux activités qui sont organisées régulièrement pour faire découvrir la culture québécoise aux étudiants réfugiés.

Mais pour lui l’essentiel n’est pas là. « Cette année j’ai fait un certificat de Français. Il me reste un dernier examen et c’est bon. Après, je vais m’inscrire au Cégep en biologie pour la session d’automne, et me préparer aux examens d’entrée en médecine, car c’est très très difficile. En attendant, je vais un peu voyager, peut-être à Québec pour rendre visite à mes amis que je n’ai pas vus depuis longtemps », projette Balake.

Concernant son futur, sans l’aide du PÉR, dont l’accompagnement doit prendre fin en août même si les bénévoles gardent un lien personnel avec lui, le vingtenaire garde l’optimisme qui le caractérise. Le regard déterminé, il l’assure: « Je crois que tout va bien se passer si je me donne à fond et que je travaille beaucoup. Dans la vie, le travail acharné, ça paye. »

Balake est d’autant plus serein que sa famille a trouvé refuge à son tour aux États-Unis. « Je suis tellement soulagé depuis que je sais qu’ils sont en sécurité depuis trois mois. J’aurais préféré qu’ils viennent ici, car ils parlent français, donc ça aurait été plus simple pour eux, mais ce n’est pas si loin et ils ont trouvé du travail en restauration. Je suis très fier », souffle-t-il.

L’année prochaine, le comité EUMC-PÉR de l’UQAM espère pouvoir accueillir trois nouveaux étudiants réfugiés, soit un de plus que cette année. Aucun ne sera issu du camp de Nyarugusu. « On ne sait pas pourquoi, mais le programme a été arrêté là-bas », déplore celui qui sait à quel point celui-ci peut changer le destin de jeunes réfugiés sans perspective d’avenir.

Une chose est sûre, quand il sera médecin, Balake aidera ceux qui sont restés derrière. « Je ne sais pas encore comment, mais je veux faire quelque chose pour la santé en Afrique, même si je reste vivre ici », glisse-t-il telle une promesse…

L’actualité à travers le dialogue.
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