Benny Adam est un artiste et producteur maroco-canadien. Il a collaboré avec de nombreux artistes, dont Niro, La Zarra, Obia le Chef, Nayra et Zach Zoya. Ayant produit divers styles musicaux, il se concentre depuis trois ans sur un style qui lui est propre : la draï – un genre musical ayant la rythmique du chaâbi* marocain, le tempo de la drill et des paroles raï.
Benny Adam a ouvert son studio d’enregistrement casablancais à La Converse. Il est revenu sur son parcours, de son adolescence à Montréal jusqu’à sa redécouverte de la musique maghrébine, en passant par ses années de producteur en France.
La piqûre du rap
En septembre 2001, Benny Adam, nouvellement arrivé au Québec avec sa famille, entre en 2e secondaire à Lachine. Il se souvient encore du matin du 11 septembre, et du regard fixe du professeur de physique-chimie sur lui – le seul Arabe de la classe –, en annonçant aux élèves l’attentat terroriste survenu à New York. « Et puis, c’est parti en débat en classe, avec plein d’amalgames, du genre : “Ça se promène-tu en chameau au Maroc ?” Je répondais : “Oui, et on s’arrête au feu rouge. On n’est pas des sauvages.” J’étais un petit comique, je me protégeais avec ça. Je préfère faire rigoler que de me sentir différent.
En 2002, la sortie du film 8 Mile inspire plusieurs adolescents à improviser des battles de rap. « Moi, je suis Marocain, je suis un charrieur, donc j’étais très fort. Avec ma clique, on rentrait dans les toilettes à l’école, comme des cafards, et on se rappait dessus », se souvient-il. L’un des membres de la clique avait un ordinateur et un casque d’écoute avec micro. Ils enregistrent ainsi leurs créations et les font circuler sur MSN. « Ce n’était pas comme aujourd’hui, où tout le monde est rappeur. À l’époque, on ne pensait même pas qu’on était des rappeurs, mais juste le fait de pouvoir entendre notre voix, c’était quelque chose. Et moi, j’ai eu la piqûre, parce que dès le départ, tout le monde m’a dit : “Ah, t’es trop fort !” Donc, j’ai commencé à m’identifier à ça. »
Au Collège de Bois-de-Boulogne, il passe plus de temps à socialiser à la cafétéria qu’à étudier dans les salles de cours. « Je voyais ça comme mon premier bassin de fans. J’étais le rappeur de Bois-de-Boulogne. » Il autoproduit son premier album et vend une centaine de copies à ses camarades du cégep. Quand il commence à avoir du mal à écouler le reste, il organise un concert et vend le disque en offre groupée avec les billets. « J’ai rempli la Sala Rossa à 18 ans », se souvient-il. Il arrive même à faire un profit et à payer toutes les personnes qui l’ont aidé.
« Mon talent n’est pas dans la musique »
Alors qu’il pensait avoir donné le coup d’envoi à sa carrière, c’est la grande désillusion. « Ç’a été une traversée du désert pendant trois ou quatre ans », raconte-t-il. « J’ai commencé la musique à la pire période. Le disque ne se vendait plus. Le piratage était à son plus haut niveau. Il n’y avait pas encore YouTube, ni les réseaux sociaux. Les maisons de disques ne signaient plus les chanteurs de rap, parce qu’elles n’y croyaient plus. Et puis, j’étais à Montréal, où la scène hip-hop était quasi inexistante. »
Obstiné, Benny Adam arrête les études à 18 ans et produit ses propres créations, qu’il diffuse en ligne. « Lorsque je sortais mes projets, d’autres artistes me demandaient qui était mon producteur. Quand je leur disais que c’était moi, ils me demandaient si je pouvais leur vendre des prods. » Il met alors sa carrière d’artiste en veilleuse et se concentre sur la production pour gagner sa vie. « À la base, j’étais l’artiste, je n’étais pas producteur. Mais je peux devenir très bon dans un truc par nécessité. »
Durant la vingtaine, alors que ses amis habitent encore chez leurs parents, ont tous une voiture et voyagent de par le monde, lui n’a pas assez d’argent pour rendre visite à sa famille au Maroc. « J’étais la honte de la famille. Ils me payaient mon billet d’avion parce qu’ils voulaient me voir et que, évidemment, je n’avais pas 1 500 balles de côté ! » Il le chante d’ailleurs dans son titre Travolta : « La daronne voulait pas. Maintenant, elle crie : c’est mon fils ! » « J’ai eu des petites jobs jusqu’à mes 25 ans, jusqu’à ce que j’aie mon premier break en tant que producteur. Et depuis, ça y est, je ne fais plus que ça. Ça fait plus de 10 ans que c’est mon métier à temps plein. »
Si, selon lui, les chances de réussite dans la musique sont minces, il ajoute ne pas avoir peur du risque. « Je suis têtu de naissance. Même si on me dit que ce n’est pas possible, si je le sens dans mon cœur, je fonce. »
Autodidacte et ingénieux, Benny Adam admet que c’est là son vrai talent. « Il y en a plein qui font de la musique aussi bien, sinon mieux que moi. Il y en a plein qui écrivent aussi bien, sinon mieux que moi. Là où j’ai un truc que je sais qui est hors du commun, c’est cette capacité à absorber le risque et à vraiment être têtu. » Ce n’est pas tant une confiance en soi qu’une obstination à aller au bout des choses dans tout ce qu’il entreprend. « Je ne dis pas que je vais y arriver. Je dis juste que je vais aller au bout. »
Après avoir été repéré par un producteur français de passage à Montréal, il a poursuivi sa carrière de producteur à Paris.
Malgré une situation précaire, il est heureux de jouer dans la cour des grands. « Je me suis dit : “Baisse les yeux et bosse, là t’es dedans. Tu n’es pas riche, tu n’es pas confortable, mais t’es dans la course.” Avant, à Montréal, j’avais l’impression d’être on the sidelines, à regarder la NBA. » Il lui arrivait de ne pas avoir de quoi manger. « Il y avait un distributeur de confiserie dans le studio. Les artistes ne récupéraient pas leur monnaie (20 centimes d’euro). À la fin de la journée, je ramassais toutes les pièces et je prenais un Kinder Bueno. Et puis, je rentrais chez moi. Des fois, je marchais une heure lorsque je n’avais pas de quoi prendre le bus, se souvient-il. Aujourd’hui, c’est une fierté de dire que je suis passé à travers ça. Mais, à l’époque, je le vivais très mal et je n’en parlais à personne. »
Il se promet alors de ne pas rentrer à Montréal sans disque d’or. Il en accumule six. Durant cette période, il co-réalise l’album Les autres du rappeur Niro chez Capitol Music France, y compris les tubes Printemps blanc et Vamos. Il produit notamment les créations des rappeurs YL et SCH, avant de passer à la pop française (Tessa B., Yseult, et Claudio Capéo). C’est aussi lui qui découvre La Zarra et l’amène avec lui en France. Elle connaît un succès immense : son premier single, Tu t’en iras, est certifié disque de platine en France. Au Canada, ce titre – co-écrit par Benny Adam – remporte le Prix de la Chanson Internationale en 2023. Benny Adam partage l’information sur ses réseaux en déclarant être le « premier Marocain aux cheveux jaunes à remporter un prix à la SOCAN » !
En 2022, son duo avec Amel Bent, Lossa, le fait connaître au public français en tant qu’artiste. La chanson compte à ce jour plus de cinq millions d’écoutes sur Spotify. Au Québec, le titre Start Over, avec Zach Zoya, cartonne. Il approche aujourd'hui les 10 millions d’écoutes sur Spotify.
Sa carrière d’artiste est souvent reléguée au second plan. Lorsqu’il trouve du temps, il compose et produit ses propres titres, qu’il sort en EP intitulés La Barquetterie. Il en a sorti trois : en 2019, 2020 et 2021. Depuis 2016, son compte Instagram porte le nom de @bennyadam2024 pour qu’il se rappelle que 2024 sera l’année où il sortira son premier album.
Malgré tout ce succès, à Paris, chaque fois qu’il essaie d’ajouter une touche de musique maghrébine aux œuvres qu’il produit, il fait face à un rejet net. De quoi lui donner envie de creuser cette voie et de redécouvrir le patrimoine musical de son pays d’origine. D’abord avec le titre Alizée, sur un rythme inspiré de Visa o Passeport, un classique de la musique chaâbi marocaine. Abdelaziz Stati, l’interprète de la pièce originale, fait d’ailleurs une apparition dans le clip de la chanson.
Créer un genre « où Maluma pose sur un rythme chaâbi »
Il fait des allers-retours au Maroc, rencontre des musiciens de partout dans le pays et enregistre des boucles d’instruments pour constituer une banque d’extraits sonores de musiques marocaines. « Pour qu’un genre puisse exister et fleurir, ça ne peut pas être un seul artiste, ça doit être un mouvement d’artistes. Initialement, je voulais monétiser cette banque de sons en la mettant sur Splice (plateforme en ligne qui propose des échantillons, des boucles, des plugins et des outils de collaboration pour les musiciens et les producteurs). Mais j’ai eu la flemme, et entre-temps, je l’ai partagée avec les personnes qui sont venues dans mon studio. »
Au-delà de sa carrière musicale, Benny Adam veut contribuer à la renaissance de la musique maghrébine. « Je pense que notre rythmique chaâbi peut avoir un attrait international, autant que l’afrobeat nigériane, autant que le reggaeton, autant que la house. Mon rêve, ce n’est pas juste de percer en tant qu’artiste, c’est de créer un genre où le chanteur Maluma pose sur un rythme chaâbi. [...] Aujourd’hui, tu as des artistes comme Tif ou Dystinct qui commencent à cartonner avec ce rythme. Là où on n’est pas dans la même vision, c’est que moi, je ne veux faire que ça. »
Pour lui, avoir un impact international passe par l’authenticité. Et c’est ce besoin d’authenticité qui l’incite à puiser dans ses racines et à en apprendre plus sur les rythmiques nord-africaines. « Enfant, au Maroc, on entendait toujours dire que le Maroc des années 1970 était meilleur, ou bien on entendait parler de [la participation du Maroc à] la Coupe du monde de 1986 comme étant un moment historique pour le pays. Comme on ne nous parlait que de choses que nous n’avions pas vécues, on a intériorisé le fait que tout ce qui est marocain est forcément nul. C’est pour ça que, lorsque tu vas ailleurs, sans même que les gens te jugent, tu te sens moins bien qu’eux. Je n’ai pas envie que mes enfants vivent ça. J’ai envie qu’ils disent fièrement qu’ils sont Marocains. »
Benny Adam aspire à faire de la musique par désir, et non par nécessité. « Je pense que c’est là où je ferais la meilleure musique. » D’ici là, il a tenu la promesse qu’il s’était faite. Son premier album, intitulé Je t’expliquerai plus tard, est prêt. Il sortira dans quelques mois.
* Chaâbi : Le chaabi marocain est une musique populaire vivante souvent jouée lors des célébrations. On la joue avec des instruments traditionnels, comme le guembri (un luth à trois cordes), les derboukas (tambours), les luths ainsi que les violons, l’accordéon, et parfois la guitare électrique pour une touche moderne. Le mot « chaâbi » signifie « populaire » en arabe.