Recevez nos reportages chaque semaine! Du vrai journalisme démocratique, indépendant et sans pub. Découvrez le «making-of» de nos reportages, le pourquoi et le comment.
L’actualité à travers le dialogue.Recevez nos reportages chaque semaine! Du vrai journalisme démocratique, indépendant et sans pub. Découvrez le «making-of» de nos reportages, le pourquoi et le comment.
L’actualité à travers le dialogue.Recevez nos reportages chaque semaine! Du vrai journalisme démocratique, indépendant et sans pub. Découvrez le «making-of» de nos reportages, le pourquoi et le comment.
Recevez notre infolettre chaque semaine pour Découvrir le «making-of» de nos reportages!
Merci! Votre demande a été reçue!
Un problème est survenu lors de l'envoi.
Contact
Birdzontrack, un beatmaker local, au studio Toosik à Montréal. (Photo: Julien Forest, La Converse)
28/8/2024

« Hood Heroes », épisode 18 – Birdzonthetrack, intervenant le jour, beatmaker la nuit

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
Soutenez ce travail
Note de transparence

Si vous êtes un amateur de rap local, il est fort probable que vous ayez déjà entendu le travail de Birdzonthetrack, un producteur et compositeur d’ici. Lendcey, de son prénom, est aujourd’hui bien établi : il travaille autant avec de grands noms de l’industrie locale qu’avec des artistes de l’industrie mondiale, notamment d’Europe. Si son expérience dans l’univers de la musique lui a permis de se produire sur une scène plus underground, c’est son rôle à titre d’intervenant jeunesse qui remplit ses journées depuis quelques années. Rencontre intime avec Birdz, celui qui ne se pose que rarement sous les feux des projecteurs. 

« J’ai un parcours assez normal, assure Lendcey. Je suis allé au secondaire à Joseph-François-Perrault, dans le quartier Saint-Michel. C’est là d’où je viens, à la base. » Il poursuit ensuite ses études au cégep et à l’université, où il s’inscrit en psychologie et en sociologie afin de pouvoir travailler dans le milieu de l’intervention. 

Pour lui, qui est  aujourd’hui dans la vingtaine, les choses n’ont pas toujours été faciles. « Il y a eu des moments où j’ai douté de moi, où j’ai ressenti le syndrome de l’imposteur », se remémore-t-il. « Est-ce que j’avais ma place là ? Est-ce que je méritais d’être là où j’étais ? Est-ce qu’à cause de ma couleur de peau ou du quartier où j’ai grandi, je n’étais pas censé être ici ? J’ai souvent été confronté à un combat intérieur, à ces questions. Je me suis beaucoup remis en question », nous explique-t-il dans un moment de sincérité.

La musique dans le sang

Mis face à ses propres inquiétudes, Birdz est tout de même certain d’une chose : il a toujours aimé trouver des solutions. « Surtout pour les jeunes, car je m’identifie beaucoup à eux. Les “jeunes à problèmes”, ce sont souvent des jeunes qui viennent des quartiers », nous dit-il.

Lendcey a grandi entre Saint-Michel et Montréal-Nord. « Je ne dis pas que j’ai réussi, mais j’ai réussi à m’en sortir », nuance-t-il. Il se souvient de ses années au secondaire, où la conseillère d’orientation lui avait dit plus d’une fois que lui et ses semblables « n’allaient pas aller loin ». Ce genre de commentaires l’a fait douter de lui-même à plusieurs reprises. 

« Et puis, je vois le chemin que j’ai parcouru malgré tout. C’est là que je pense pouvoir être un exemple pour les jeunes », dit-il de manière plus positive. Birdzonthetrack croit fortement au potentiel qu’ont les jeunes et pense qu’il faut trouver les bons moyens de l’exploiter. « L’intervention m’a amené à travailler sur moi-même, et c’est très important aussi », ajoute-t-il. 

Loin de croire que la musique est pour lui un don, Birdz raconte ses premiers contacts avec cet art. « Je ne sais pas si c’est vrai, commence-t-il en rigolant, mais ma mère me raconte que, lorsque j’avais deux ou trois ans, j’aimais taper sur des casseroles et jouer à la batterie avec. » Quelques années plus tard, sa mère décide de l’inscrire à des cours de piano. Il comptait étudier par la suite au conservatoire de musique, mais est revenu sur sa décision. « [Je] trouvais la musique classique trop plate, se rappelle-t-il. Moi, je voulais créer et apprendre, je voulais voler de mes propres ailes. »

À l’âge de 17 ans, il commence à s’impliquer sérieusement dans la composition musicale. L’un de ses meilleurs amis – Lucky, souhaite-t-il préciser – l’a poussé à se mettre de l’avant afin que son travail soit vu et entendu par le plus grand nombre. « Je me rappelle que Lucky s’était connecté à mon courriel et avait envoyé mes tracks à plusieurs rappeurs de la ville. Parmi eux, White-B, du groupe 5Sang14, m’avait relancé parce qu’il était intéressé par mon travail. C’est comme ça que, petit à petit, j’ai commencé à me faire une place dans le monde de la musique. »

« Un gars de Montréal qui essaie de faire son bout de chemin »

Si son chemin est inspirant, il n’a pas été sans embûches. « Beaucoup de difficultés auxquelles j’ai fait face sont liées à moi-même, commence-t-il. Je me suis toujours mis une pression qui, souvent, n’était pas nécessaire. » Sur le plan scolaire, c’est sa première année d’université qui a été la plus dure. « J’étais le seul gars noir de ma cohorte, le seul qui venait du hood aussi. Ç’a été difficile, mais j’ai su m’adapter, tranquillement. »

La conciliation travail-école a aussi été un défi pour Lendcey. « Gérer la musique, les examens, les fins de session, ç’a été compliqué, se rappelle-t-il. Je me rappelle des fois où je restais jusqu’au petit matin au studio avec des artistes et où j’allais ensuite étudier pour mon examen du lendemain matin. C’était quelque chose ! »

Mais ce qui a été le plus délicat, ç’a été de faire accepter à ses parents ce qui le passionnait : le beatmaking. « En tant que fils d’immigrant, je peux dire que nos parents veulent souvent qu’on fasse de grandes études pour occuper des postes prestigieux. Alors, quand tu apprends à tes parents que tu veux faire du beatmaking, ils ne savent même pas c’est quoi et ils ont tous leurs stéréotypes sur le monde du rap », dit-il. Aujourd’hui, c’est une autre histoire : Birdz confie que ses parents sont extrêmement fiers de lui et l’appuient dans sa passion. 

Le jeune producteur estime qu’il a su jouer les cartes que la vie lui a données : « Ce n’est pas parce que tu viens d’un certain milieu que tu ne peux pas réussir. Pour faire simple, je suis un gars de Montréal qui essaie de faire son bout de chemin. »

Comprendre les jeunes, c’est aider les jeunes

Lorsqu’il est question des jeunes et des moyens de leur venir en aide, Birdz participe à la conversation avec cœur. Il est facile de croire que les jeunes de Montréal sont à risque, incompris et perdus. Pour l’intervenant jeunesse, il faut faire fi de ce qu’on peut penser et tenter de comprendre la génération la plus jeune. 

« Je ne pense pas qu’ils soient perdus, déclare-t-il en parlant des adolescents et des jeunes adultes de la métropole. Je crois qu’ils sont en quête de repères. Ils recherchent la validation, ils recherchent une famille, un sentiment d’appartenance, et même de l’estime de soi. »

Si les jeunes sont tant à la recherche d’approbation, c’est qu’ils tentent de combler un manque, selon cet amoureux du rythme. Face à cette incompréhension et à ce brouillard de complexité qui environne les jeunes, Birdz n’a pas de réponse à offrir mais émet plusieurs hypothèses. 

« On essaie toujours de trouver des solutions lorsqu’un jeune tombe dans la délinquance, mais ce qu’on tente de régler et de guérir, c’est sans demander aux jeunes. Ce sont pourtant eux qui sont les premiers concernés. La solution doit venir des jeunes et non de nous », déclare-t-il d’une traite.  « Nos jeunes doivent se sentir accueillis, appréciés à leur juste valeur. Et ce n’est pas parce qu’ils font des erreurs qu’ils vont nécessairement mieux ou moins bien finir, ou mal tomber », estime Birdzonthetrack. Car après tout, l’erreur est humaine, rappelle-t-il, et « on a tendance à l’oublier ».

Les jeunes sont conscients que le monde ne va pas bien. « Ils voient qu’il ne semble pas y avoir d’issue, et que parfois, on ne les aide pas à s’en sortir. Ils vont essayer de s’en sortir par eux-mêmes. On doit leur donner des conseils et de la sagesse, pas des jugements. Le dialogue doit exister entre nous, et il vient avec l’acceptation, la tolérance et le respect », dit-il d’un ton réfléchi. 

S’identifier à nos jeunes

Toujours dans la lumière crue du studio d’enregistrement, Birdz raconte les anecdotes de son parcours et les expériences qui l’ont amené à être l’homme qu’il est aujourd’hui. Et pour lui, tout est une question de choix. « Lorsque j’étais plus jeune, je tentais de faire attention à mes actions. Avant de faire un choix, petit ou grand, je regardais toujours trois choses. D’abord, est-ce que je serai capable d’assumer mon choix ? Ensuite, est-ce que mes actions auront un impact sur mes proches ou ma famille ? Enfin, est-ce que dans plusieurs années, je me dirai que j’ai fait le bon choix ? » 

Ces réflexions semblent rapides et anodines, mais Birdz insiste sur le fait qu’il est important de faire attention à ses actions, que ce soit envers soi-même ou envers les autres. Il est également conscient de la réalité et sait bien qu’il est possible, et normal, de faire des erreurs et de mauvais choix. « Si tu te trompes dans la vie, c’est correct. L’important, c’est que tu te relèves et que tu continues », insiste-t-il de manière inspirante. « Sache que tu auras toujours de l’aide », conclut finalement le beatmaker. Ici, il s’adresse aux jeunes, tout particulièrement aux jeunes qui souhaitent se lancer dans la musique. 

Pour lui, la musique est venue le sauver. Il sait donc combien elle peut en occuper et en inspirer beaucoup. « Il y a plein d’organismes qui aident les jeunes qui débutent, que ce soit la SOCAN ou la SODEC, pour ne nommer que ces deux-là. » 

Autodidacte, Birdz encourage les autres à ne pas avoir peur de se lancer, même s’ils pensent ne pas avoir le niveau ou le courage. 

La soirée se termine doucement, mais sûrement. Birdzonthetrack, dans son élément, se remet à travailler sur sa musique. Lorsqu’on regarde le jeune homme devant son ordinateur en train de se servir de son logiciel de montage audio, on a l’impression de voir un poisson dans l’eau. Si Birdz n’aime pas trop se montrer et s’afficher dans les médias, La Converse a tout de même mis un pied dans son univers le temps d’une rencontre. « Je suis quelqu’un qui aime protéger son intimité, mais j’aime toujours laisser ma musique parler pour moi », termine-t-il. 

*** Birdzonthetrack est aussi le beatmaker de la chanson Ce n’est pas la fin du hood, produite par La Converse, qui sortira en septembre 2024. 

L’actualité à travers le dialogue.
L’actualité à travers le dialogue.