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Le cri du coeur d’organismes de Côte-des-neige contre la pauvreté
Des pancartes sont érigées au parc Martin-Luther-King pour souligner l’événement. Photo: Melissa Haouari
13/6/2024

Le cri du coeur d’organismes de Côte-des-neige contre la pauvreté

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5 Minutes
Initiative de journalisme local
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ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Le 23 mai dernier au parc Martin Luther King se tenait un rassemblement : une soupe populaire organisée par le Comité d’action Côte-des-Neiges contre la pauvreté qui a réuni divers organismes communautaires du quartier. Les instigateurs de cet événement se sont rejoints pour dénoncer l’inaction du gouvernement provincial face à la montée de la pauvreté, partout au Québec mais spécialement dans le quartier. Parmi les personnes présentes, certaines se confient nous confient alors leurs préoccupations.  

Malgré le soleil tapant de la mi-mai, une bonne centaine de personnes s’est rassemblée pour assister aux activités de sensibilisation mises en place par le réseau d’organisateurs. De la soupe et des repas chauds sont distribués gratuitement sur place, initiative de Multicaf, une cafétéria communautaire située juste en face du parc et participant à l’événement.

De nombreuses personnes attendent de se faire servir un repas chaud offert par la cafétéria communautaire Multicaf.

Phat Nguyen est arrivé au Québec en 1980. Après avoir fui le Vietnam dans la foulée des boat people, il passe six mois dans un camp de réfugiés en Malaisie en attente d’une réponse aux demandes d’asile qu’il envoie dans plusieurs pays occidentaux. C’est finalement le Canada qui lui ouvrira les bras, et où il viendra s’installer à ses 18 ans.

Ses yeux, qui paraissent fatigués, sont presque cachés par la casquette qui protège son visage des rayons tapants du soleil. Il prend le temps de s’asseoir sur l’une des tables extérieures du parc avant de commencer à nous raconter son histoire, mais aussi pourquoi il est là aujourd’hui.

Il est un bénéficiaire de longue date de Multicaf. « Je viens toujours ici, parce que ça me permet de manger pour moins cher », confie-t-il, d’une voix si faible qu’il est difficile de bien le comprendre à travers la musique diffusée par les enceintes. « Si je vais à l’épicerie ou que je mange dehors, je peux facilement payer autour de cinq à dix dollars par repas. Ici, j’achète une carte de 20 repas à 35$ », explique-t-il. « C’est devenu de plus en plus difficile de pouvoir payer l’épicerie, mais aussi le loyer et les besoins de base. Et on ne parle même pas des dépenses imprévues et urgentes qui s’ajoutent à la vie », déplore-t-il.

Habitant de Parc-Extension, le sexagénaire travaille comme concierge depuis plusieurs années. S’il habite dans son quartier depuis plus de vingt ans, il a vu comment la hausse du coût de la vie et du logement a impacté les habitants de son entourage. « Je vois de plus en plus de gens à la rue, qui ne sont plus capables de payer leurs loyers. J’ai des amis qui ont dû quitter leur logement car ils n’arrivaient plus à payer à temps », explique-t-il, le regard baissé.

Aujourd’hui, il est là au titre de bénéficiaire de la cafétéria communautaire, mais aussi de citoyen concerné par la problématique de l’inflation et de la pauvreté. « Je pense que le gouvernement devrait mettre davantage d’argent dans des habitations à prix modiques, partout mais surtout dans les quartiers où les gens se font de plus en plus mettre à la rue, opine-t-il. Je crois aussi qu’il faut augmenter le salaire minimum, car on ne peut pas survivre à 15,75$ par heure, surtout lorsqu’on a des enfants comme moi. »

« Écoutez-nous pour vrai ! »

Même à l’autre extrémité du parc, on peut entendre cette phrase retentir entre chacun des discours prononcés par les représentants communautaires. Elle s’adresse, entre autres, au gouvernement provincial, que les organismes pointent du doigt pour son inaction contre la pauvreté.

« À Côte-des-Neiges, la pauvreté est amplifiée par des barrières systémiques et d'autres facteurs d'exclusion, comme l'isolement ou le manque de réseaux de soutien, la méconnaissance des ressources du quartiers, etc. », entame fermement Tasnim Rekik, l’une des organisatrices du rassemblement. Vêtue d’un long voile noir qui cache ses cheveux et qui tombe sur ses épaules, sa prestance se fait davantage ressentir. « Au cours des dernières années, la pandémie et ses contre-coups économiques ont fragilisé certaines populations qui étaient déjà en situation de vulnérabilité, comme les aînés, les personnes immigrantes avec des enfants et d'autres personnes issues de l'immigration récente ou à statut précaire », énumère-t-elle dans le micro dont le son retentit à travers une grande enceinte.

C’est dans ce contexte que les organismes présents au parc, comme Multicaf, le Comité de logement du quartier, le Collectif pour un Québec sans pauvreté ou le Centre des travailleurs immigrants ont pris la parole, pour n’en nommer que quelques-uns.

Des représentants d’organismes communautaires du quartier prennent la parole pour demander au gouvernement des mesures concrètes contre la pauvreté.

Le visage de la pauvreté

« La pauvreté n’a plus la même image qu’il y a dix ou même cinq ans », partage Jean-Sébastien Patrice, directeur général de Multicaf. « Aujourd’hui, ce sont les gens qui se lèvent le matin et déposent leurs enfants à la garderie avant d’aller travailler quarante heures par semaine. C’est eux qui sont pauvres et qui ne se font pas entendre malgré les efforts qu'ils font pour joindre les deux bouts », déplore-t-il.

Cette différence, monsieur Patrice et les travailleurs de Multicaf y ont assisté aux premières loges : « Il y a quelques années, on servait environ 1200 personnes par année à la cafétéria communautaire. Aujourd’hui, ce sont plus de 9000 personnes qui ont besoin des services de repas à prix modique pour s’en sortir », déclare-t-il, consterné par cette nouvelle réalité.

Être au bord du gouffre pour bénéficier d’une aide

Les organismes présents en sont certains : on ne peut pas parler de pauvreté sans parler du manque d'action du gouvernement. « Pour pouvoir bénéficier de l’aide sociale, un prestataire doit avoir moins de 887 $ dans son compte. Le gouvernement exige que les gens soient au bord du gouffre avant de pouvoir demander de l'aide », dénonce l’un des représentants de Projet Genèse, un organisme qui se bat pour les droits sociaux et économiques dans Notre-Dame-de-Grâce.

« Une fois que tu es en situation vulnérable, tu dois passer par tout un processus pour avoir accès à une aide. Ces délais, pour des personnes déjà en situation instable, créent encore plus de pauvreté. Ils créent de la destruction. Avec toute cette attente, il devient pratiquement impossible pour les gens de continuer à vivre », explique-t-il. Pendant ce temps, la réalité de la vie et son coût rattrapent vite les plus vulnérables.

Une fois la demande d’aide sociale reçue, et si elle est approuvée, les montants de la prestation accordée ne sont plus à la hauteur du coût de la vie selon Projet Genèse. « Pour un prestataire adulte, ça peut représenter un maigre 807 $ par mois. Avec l’inflation et les prix des loyers qui ne font qu’exploser, qui est capable de vivre avec une somme comme ça ? », demande-t-il aux personnes présentes qui hochent la tête en signe d’approbation.

« On demande simplement au ministère de la Santé et des Services sociaux de ne pas laisser les gens dans la misère », termine-t-il, la phrase entrecoupée par des cris et des applaudissements d’approbation.

Immigration et pauvreté

Le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants de Montréal (CTI), basé à Côte-des-Neiges, est également présent. L’un de ses représentants sur place met de l’avant un fait saillant : « Près de 30% de la population de Côte-des-Neiges travaille à temps plein mais est toujours sous le seuil de pauvreté, selon une étude conclue en 2006 ».  Si l’on regarde des chiffres plus récents sur la situation économique du quartier, la réalité est tout aussi glaçante. En 2016, le revenu médian pour les personnes seules à Côte-des-Neiges s’élevait à 24 687$ ; pour les ménages, il était de 41 498$.

Sur place, on entend aussi que les immigrants sont davantage touchés par la pauvreté. « Lorsqu’un travailleur est issu de l’immigration, il fait face à plus d’obstacles. Les nouveaux arrivants ont tendance à occuper des emplois sous-payés alors qu’ils sont souvent surqualifiés dans leurs domaines d’emploi. L’immigration, pour beaucoup d’employeurs, constitue une forme de main d'œuvre plus facilement exploitable et plus cheap », déclare-t-il d’une traite. « Le statut légal incertain de plusieurs les met dans une position très vulnérable où il est plus difficile pour eux de se plaindre ou de se défendre en cas d’abus de pouvoir de la part d’employeurs ».

Il ne s’agit plus d’une question démographique générale, mais bien d’un problème provincial, estime-t-il. « Notre premier ministre n’arrête pas de dire que les demandeurs d’asile ne devraient pas avoir accès à des garderies subventionnées, mais ne se plaint pourtant pas lorsque ces mêmes garderies emploient ces personnes pour presque rien afin de combler le manque de personnel », reproche-t-il au gouvernement Legault.

Des mesures concrètes pour lutter contre la pauvreté

Ça n’est pas anodin pour le collectif « Côte-des-Neiges contre la pauvreté » d’avoir choisi de se réunir le 23 mai. L’année dernière, à la même date, près de 1000 personnes se sont réunies devant l’Assemblée nationale à Québec pour exiger un vrai plan de lutte contre la pauvreté.

Cette année encore, le « Collectif pour un Québec sans pauvreté » a pris la parole pour demander des mesures concrètes et structurantes afin de lutter contre la pauvreté. Parmi ces mesures, celle d’un revenu social suffisant pour que tout le monde puisse vivre dignement, l’accès à des services publics universels, l’augmentation du salaire minimum ou encore des campagnes de lutte contre les préjugés sur la pauvreté.

« La pauvreté n’est pas une fatalité. On peut s’en sortir, on est capable de combattre ça. Ce ne sont pas les moyens qui manquent, mais la volonté politique », estime l’un des représentants du collectif Regroupement national contre la pauvreté.

« On invite le gouvernement à nous prouver le contraire, mais malheureusement, le dernier plan de lutte contre la pauvreté est décevant. Il ne propose aucune mesure concrète, aucune augmentation de prestation d’aide sociale ou de salaire minimum, aucune réduction de frais, aucun investissement dans les services publics », déplore-t-il. Ce dernier fait référence au troisième plan de lutte contre la pauvreté déposé en 2023.

Le collectif ne perd toutefois pas espoir. « Il est encore temps de se doter d’un plan ambitieux contre la pauvreté », conclut-t-il alors, suivi d’une salve d’applaudissements. D’ici la fin du mois de juin, la ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire, Chantal Rouleau, doit déposer un quatrième plan de lutte contre la pauvreté. D’ailleurs, le ministère a mis sur place durant le même laps de temps une période de consultation publique afin de mieux comprendre les besoins de sa population en termes de pauvreté.

Redorer l’image du quartier

Si le soleil tape de moins en moins fort, et que l’après-midi touche à sa fin, la file de la soupe populaire ne diminue pas pour autant. Les bénévoles de Multicaf continuent de servir tous et chacun, jusqu’à ce qu’ils n’aient plus rien à donner.

Malgré le brouhaha de la petite foule qui s’est accumulée durant le rassemblement, on peut entendre les représentants de “Côte-des-Neiges sans pauvreté” rappeler leurs demandes : « Créons des milieux propices au développement. Créons des milieux vivants et intéressants ; pas seulement pour les plus riches, mais là où il y a des défis et où les gens veulent grandir dans l’amour et dans le respect, mais surtout dans la dignité. Écoutez-nous pour vrai cette fois-ci ! »

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