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Le rôle des éducatrices en service de garde: Amina, l’art d’être toujours là
Illustration : Sonia Ekiyor-Katimi
7/8/2024

Le rôle des éducatrices en service de garde: Amina, l’art d’être toujours là

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
Sonia Ekiyor-Katimi
COURRIEL
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Note de transparence

Chaque matin, alors que bon nombre de Québécois partent travailler, elles s’occupent d’une tâche complexe, et qui passe pourtant souvent inaperçue : elles accompagnent leurs enfants durant la journée. «  Elles  », parce que ce sont surtout des femmes. Beaucoup sont issues de l’immigration. Dans cette série, nous vous présentons un portrait des éducatrices et gardiennes en milieu scolaire du Québec.


Fin d’une journée de juin dans un café de Montréal, nous rencontrons Amina*. Le ciel est indécis : il pleut, il cesse de pleuvoir, et ce ballet s’étire sur toute la journée. Elle arrive, très ponctuelle, avec un joli parapluie. Mais nous aurons besoin de quelques minutes avant de commencer à échanger. Les enfants de l’école située en face entrent dans le café avec leurs parents. Ils ne cessent de venir dire bonjour à Amina, même après avoir passé toute la journée avec elle. Ils l’adorent.

─ Bonjour, Amina.

─ Amina, je te présente mon papa.

─ Tiens, maman ! Amina est là !

Il faut dire qu’elle est partout dans l’école publique où elle travaille depuis quatre ans comme éducatrice en service de garde. Elle a la voix grave, ses mots sont doux. Elle se déplace avec grâce et légèreté. Sa taille, très petite, détonne avec la présence qu’elle dégage : dès qu'elle entre dans le café, on la ressent. Voilà quatorze ans qu’elle exerce ce métier, et elle le prend très au sérieux. Dans son pays d'origine, le Maroc, elle a été enseignante de Français pendant quinze ans, après lesquels elle a pris sa retraite et déménagé au Québec. Après avoir fait reconnaître les  équivalences de ses études, elle a obtenu un diplôme d’études collégiales (DEC), ce qui lui permet d’occuper ce poste.

En s'installant à Montréal, Amina prend la décision de rester à la maison avec ses deux enfants. À l’époque, elle est mariée, et son mari a un bon travail. « C’était un choix. Je ne voulais pas laisser [mes filles] pour aller travailler ». Après quelques années, elle est prête à retourner sur le marché du travail et occupe alors un poste qui lui plait mais qui n’est pas en lien avec les enfants. Le temps passant, Amina se rend à l’évidence : ce contact lui manque. Beaucoup.

Elle devient donc éducatrice, un poste qu'elle n'a aucune intention de quitter. « Tant que je serai en santé, je vais travailler », dit-elle, avec son sourire franc et chaleureux. Cela peut sembler facile à dire, mais il faut passer toute une journée à travailler avec des enfants de deuxième année pour bien comprendre ce que ça implique.

À 68 ans aujourd’hui, Amina fait trois blocs horaires à l’école. Elle rentre à 7 heures du matin et quitte à 18 heures. Durant les journées pédagogiques, elle accompagne aussi les enfants lors de sorties en métro ou en autobus aux quatre coins de la ville.

S’occuper d’un groupe de 18 élèves pendant toutes ces heures est assez fatigant, même pour une personne plus jeune. Mais Amina n’a jamais l’air fatiguée. Elle est plutôt capable de revenir d’une sortie au parc pendant une journée pluvieuse, comme elle l’a fait aujourd'hui, et de se rendre dans un café pour répondre à toutes nos questions.

Accompagner avec l'esprit

Quand elle parle de son métier, Amina déborde d’enthousiasme. « Tout ce que nous faisons a un grand impact chez l’enfant : notre comportement, nos paroles, notre voix. Tu peux contribuer très positivement à sa confiance, son estime de soi, sa capacité d’entraide. Mais on peut aussi avoir un impact négatif. Les mots marquent les enfants ».

Aujourd'hui, avec la pénurie de main-d'œuvre dans ce métier – comme partout dans le secteur de l’éducation publique au Québec –, elle regrette l’assouplissement des critères d’embauche.

« J’aimerais qu’ils exigent un diplôme universitaire », affirme-t-elle. « Ça me désole de ne pas donner l’importance que cela mérite. Il faut que ça change si l'on veut offrir un service de qualité [aux écoles du Centre de Services Scolaires de Montréal] ».

Elle nous montre un texte qu’elle a écrit il y a quelques années pour une présentation à des professionnelles en formation : « N’importe qui peut garder un enfant. Les seuls critères exigés c’est d’être une personne âgée de 12 ans et plus, capable de veiller sur un enfant jusqu'à l'arrivée du parent. Par contre, notre travail d’éducatrice repose avant tout sur la relation significative que nous créons avec les enfants. C’est à travers cette relation que nous transmettons des valeurs de respect, de générosité, de partage, d’entraide, d’empathie et d’ouverture d’esprit. Être éducateur ou éducatrice c’est transmettre des compétences, c’est aussi transmettre un savoir-faire et un savoir-être ». Elle est très engagée pour ces valeurs, ça se voit. Elle parle avec réjouissance du temps partagé avec les enfants, ces petits instants qui peuvent passer inaperçus dans une longue journée d'école, mais qui font aussi partie de la vie des petits.

À l’école, les élèves viennent la voir : « Regarde ma nouvelle jupe, Amina ». « Viens me faire un câlin, Amina ». Elle connaît les prénoms de tous et de toutes.

C'est le cas d’une petite fille qui a des problèmes d’adaptation. Au début de l’année, la fillette se chicanait fréquemment avec ses copains et copines. Elle avait des difficultés à se faire des amies. À la récréation, elle pleurait souvent dans un coin. «  Personne ne parvenait à comprendre ce qui lui arrivait  », raconte Nassima, une autre éducatrice de l’école. «  Elle a eu de la chance d’avoir Amina cette année  », assure-t-elle.

Car Amina l’a pris sous son aile. «  Je travaille fort pour voir un changement chez cette fillette. Pour moi, ce sont les enfants problématiques qui ont le plus besoin qu’on soit là pour eux. C’est là que je peux faire une différence  ».

Quelques jours avant la fin de l’année scolaire, la petite joue dans la cour d’école avec une autre fille. Elles se chuchotent des secrets, rient en regardant un morceau de carton avec des dessins que l’une a apporté pour l’autre. Elle ne pleure plus dans son coin, elle affiche même un beau sourire. «  Ça fait une grande différence par rapport au début de l’année  !  », souligne Nassima.

«  Amina est quelqu’un d’exemplaire  », dit Nassima. «  Ce que j’aime le plus chez elle, c’est comment elle gère les situations et la discipline : elle est encadrante et très ferme, mais en même temps elle reste toujours gentille  ». Quand elle doit se faire écouter, Amina explique aux enfants les règles, les conséquences, «  et je finis par un compliment  », dit-elle.

Femme, mère et activiste

Élevée au sein d’une famille de la classe moyenne du Maroc, Amina est une femme qui sait ce qu’elle veut. Après un an d’étude du droit dans son pays, elle s’envole vers la France, où elle rencontre son futur mari. Il est alors très actif en politique.

Le jeune couple retourne au Maroc et participe à la fondation d’un parti de gauche opposant au régime marocain de l’époque. À ce sujet, elle préfère rester discrète, « par respect pour les autres militants » qui sont allés en prison pour leurs activités politiques. Son mari, par exemple.

Même si elle estime avoir eu de la « chance », il n’était pas facile d’être considérée comme rebelle à cette période, nous explique-t-elle, et davantage encore lorsqu’on est une femme. Mais ça, c'est la nature d’Amina : elle n’est pas du genre à rester les bras croisés, sans rien dire.

À l’époque, elle fait aussi partie d’une association qui se bat pour les droits des femmes dans son pays. Quand la situation s'est calmée, que son mari a été relâché, et après des années d’une vie plus paisible, le couple décide de partir. « On se disait qu’il était temps d’aller chercher autre chose ». Ils ont déjà un enfant.

« Ce n’était pas une fuite, c’était un choix », clarifie-t-elle. « Nous avons choisi le Québec parce que nous voulions un coin francophone pour nous installer. Il était déjà assez difficile de tout laisser pour ajouter, en plus, une langue que nous ne parlons pas comme l’anglais ». Heureusement pour Amina et sa petite famille, l’expérience de l’immigration n’a pas été traumatique, mais elle tient aussi très fort à ses racines.

Elle n’oublie pas d’où elle vient, et fait tout pour que ses enfants ne l’oublient pas non plus. D’ailleurs, elle a pris soin de transmettre l’arabe à sa fille aînée. La plus jeune, en revanche, maîtrisait moins bien la langue… jusqu’à cet épisode qui a marqué la vie de toute la famille : la veille d’un départ d’Amina pour des vacances au Maroc, sa cadette lui confie : « Maman, je veux y aller avec toi. Je veux aller voir ».

« Cela paraissait impossible ! Trouver le billet d’un jour à l’autre, préparer le voyage… » . Pourtant le lendemain, sa fille de 18 ans part avec sa mère, « par miracle », se souvient Amina. Autre imprévu de taille : la jeune fille aime tellement son pays d’origine qu’elle décide d’y rester.

Amina appelle alors sa patronne au Québec pour demander un congé sans solde. C’est ainsi qu’elle et sa fille ont passé une année entière à redécouvrir leur langue et leur culture. « Avant, ma fille se sentait un peu exclue de nos conversations familiales. Après cette année, elle était très fière. Et ça, elle l’a gardé ».

Pour Amina il est important de préserver les origines, les histoires. « Dans ma communauté, je vois beaucoup de jeunes qui ne parlent pas la langue. Ils n’ont pas de lien avec leur culture, ils ne savent pas d’où ils viennent ».

Amina ne cesse de nourrir des rêves pour les enfants qui l'entourent et pour sa communauté. On ne sait pas si ces rêves seront exaucés. Mais après tout ce que l’on sait d’elle, il y a de l’espoir. Des fois, l'espoir porte un joli soleil.

*Amina est un nom fictif. La protagoniste de cette histoire a voulu conserver l’anonymat pour respecter la sécurité des autres personnes impliquées dans son récit.

L’actualité à travers le dialogue.
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