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14/6/2024

Du Ghana à Montréal, le voyage de Kwabena vers la communauté LGBTQ+ et l’acceptation

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Dans le brouhaha sympathique du café d'une bibliothèque, nous retrouvons Kwabena Kaye-Essien, un Ghanéen de 31 ans qui s’est installé à Montréal. 

Kwabena a quitté le Ghana au début du mois de novembre 2023, fuyant les persécutions dont il faisait l’objet en raison de son homosexualité. Il raconte comment il s’est retrouvé à l’autre bout du monde. Désireux de partager son histoire, il explique avec entrain, pendant plus d’une heure, comment il est arrivé au Québec.

Kwabena a un sourire éclatant, une voix douce et des yeux bienveillants. « Je suis quelqu’un qui aime parler, et tous ceux qui aiment parler sont mes amis », confie-t-il.  Mais lorsqu’on plonge dans son passé, il devient rapidement sérieux.

Kwabena se décrit comme quelqu’un « d’honnête et de franc », ce qui n’est pas toujours simple pour une personne queer au Ghana. Selon lui, le secret et le mépris qui pèsent sur sa communauté font qu’il est difficile de se sentir vraiment chez soi dans la petite communauté LGBTQ+ de son pays.

« Des humiliations publiques »

« Il existe une homophobie intériorisée, qui vient de la société et des familles au sein desquelles nous vivons. Certaines personnes viennent d’un milieu religieux très conservateur, et bien qu’elles soient queer, elles ne veulent tout simplement pas accepter leur orientation. Elles se battent avec la religion et leur sexualité », expose-t-il.

Kwabena a grandi dans le village Huni Valley, dans l’ouest du Ghana. Appartenant à l’ethnie Akan et à la tribu Fante, il réussit à cacher sa sexualité à sa famille jusqu’à ce qu’il termine ses études secondaires, en 2012. Lorsqu’elle découvre son homosexualité, sa mère commence à le soumettre à des humiliations publiques et à des violences verbales. 

« J’ai vécu l’enfer avec ma mère. Elle pouvait m’insulter du matin au soir », raconte-t-il. 

Il connaît un peu de répit lorsqu’il déménage à Accra, la capitale du pays, où il suit des cours de gestion des ressources humaines et d’administration des affaires à l’université. Sa famille pensait qu’il avait « prié pour que l’homosexualité disparaisse » pendant ses études.

Mais en 2021, des images en ligne le montrant dans un espace sécurisé LGBTQ+ au Ghana refont surface. La violence de sa mère reprend de plus belle.

« Elle a même fini par me dire que j’étais un boulet, que l’argent qui servait à financer mes études universitaires, excusez mon langage, aurait dû être utilisé pour construire des toilettes publiques et qu’elle aurait eu plus de profit sur son investissement », raconte-t-il, les yeux écarquillés. « J’en suis arrivé à un point où j’ai envisagé de me suicider parce que les insultes constantes, les injures et tout le reste m’atteignaient vraiment », ajoute-t-il.

Défense des droits des personnes LGBTQ+ au Ghana

En quête de réconfort, Kwabena devient bénévole dans une organisation locale de défense des droits des personnes LGBTQ+ à Accra. Il finit par y décrocher un emploi en tant que directeur financier, qu’il occupe à temps plein en 2021. L’organisation propose des activités de sensibilisation, des espaces plus sûrs et une aide financière aux personnes queer.

« Au début, c’était vraiment génial. J’avais l’impression d’être chez moi et de faire partie de ma communauté », confie Kwabena. 

Mais la vie au sein de cette organisation n’est pas sans difficulté. Ses membres doivent passer inaperçus pour éviter les persécutions. Certains, dont Kwabena, vivent au siège social. Cet endroit sert de milieu de vie, en partie pour que l’organisation puisse demeurer secrète. 

En 2022, la police est informée de la présence d’une femme trans devant les locaux de l’organisation. Interrogée, elle révèle que la maison abrite des personnes queers, et la police fait donc une descente. Aucune accusation n’est retenue, car à l’époque, la loi ghanéenne ne punit que les personnes prises en flagrant délit de relations sexuelles non hétérosexuelles. Toutefois, les résidents commencent à craindre d’autres interventions policières.

L’organisation apporte un soutien financier et affectif à Kwabena pendant un certain temps. Mais les pressions liées à la cohabitation, au travail en commun et à la lutte pour la survie de la communauté finissent par avoir raison de ses efforts. 

« Nous avons mêlé sentiments personnels et professionnalisme ; et nos sentiments personnels peuvent prendre le pas sur notre professionnalisme. Il y a eu tellement de querelles et de disputes insignifiantes. Comment pourrions-nous être respectés, tolérés et acceptés si nous ne sommes pas solidaires ? », déplore le jeune homme. 

Les conflits interpersonnels et les accusations de favoritisme se multiplient alors, ce qui finit par provoquer le départ de Kwabena de l’organisation, en juillet dernier. « Ce que ma mère m’a fait, ça m’a fait mal, mais ce que ma communauté m’a fait, ça m’a fait encore plus mal », résume-t-il.

Les « valeurs familiales » ghanéennes

À court d’argent, Kwabena quitte son refuge pour s’installer chez un ami. Pour ne rien arranger, un projet de loi anti-LGBTQ+ est réactivé au Parlement ghanéen au même moment. « Tout ce qui a trait à l’identité queer est criminalisé dans ce projet de loi », explique-t-il.

Initialement présenté en 2021, le projet de loi, intitulé « Promotion of Proper Human Sexual Rights and Ghanaian Family Values » (Promotion des droits sexuels humains et des valeurs familiales ghanéennes), est adopté en deuxième lecture en 2023. 

Il prévoit notamment des peines de prison pour les démonstrations publiques d’affection entre partenaires de même sexe, la dissolution des organisations LGBTQ+ et une « obligation de signaler » les activités de défense des droits des personnes LGBTQ+. 

« Si vous allez sur la page Instagram [de l’organisation de défense des droits LGBTQ+], vous verrez mes photos. J’ai des entrevues sur YouTube [à propos de mon travail pour la défense des droits des personnes queers]. Le projet de loi autorise n’importe quel citoyen à signaler toute personne soupçonnée d’être homosexuelle. Il confère également à vos parents et à votre proprio la responsabilité de vous « sortir du placard ». Imaginez que votre mère ait dit un tas de choses sur vous, qu’elle vous ait déshonoré en public, va-t-elle vous protéger ? Elle préférera certainement protéger la famille dans son ensemble, car si les autorités découvrent qu’ils ne vous ont pas dénoncé, elles tiendront la famille pour responsable » , explique-t-il.

Le projet de loi a été approuvé par le Parlement ghanéen en février, après le départ de Kwabena du Ghana. Cette initiative législative attend encore la signature du président pour entrer en vigueur.

« Même avant l’adoption de ce projet de loi, il y avait beaucoup de cas de chantage, de tabassage, de personnes poignardées. Aujourd’hui, les gens disposent d’un pouvoir légitimé par la loi pour continuer à agir de la sorte » , ajoute-t-il. 

Kwabena a lui-même vécu du chantage, ce qui a accéléré son départ du Ghana. Il avait invité un homme qu’il avait rencontré sur Grindr, une application de rencontre pour gais. Lorsque son invité est arrivé, Kwabena a constaté que l’homme en question ne ressemblait pas du tout à son profil Grindr. Ayant perdu contact avec les membres du groupe de défense des droits des personnes LGBTQ+, il n’a pas vu l’avertissement qu’ils avaient envoyé sur WhatsApp au sujet de cet homme, connu pour être un maître chanteur. Kwabena estime que ce qui s’est passé ensuite n’aurait pas pu être évité. 

« Honnêtement, j’ai dû laisser [le maître chanteur] faire tout ce qu’il voulait. Le sexe est quelque chose qui nécessite une alchimie entre deux personnes, et il faut une certaine forme de connexion pour y parvenir. Mais comme je restais allongé là, sans rien faire, il s’est senti frustré. Il m’a dit de lui donner de l’argent pour qu’il parte. J’avais dépensé tout l’argent que j’avais pour le loyer, alors j’ai dû emprunter de l’argent à mon cousin pour le faire partir. »

Il raconte le tout d’une manière très factuelle, en maintenant le contact visuel. Son récit prend une tournure plus grave lorsqu’il parle des conséquences de cette rencontre : « Ces maîtres chanteurs, s’ils n’obtiennent pas quelque chose de vous, ils reviennent pour causer plus d’ennuis. Ils vous soutirent beaucoup. Même si vous leur donnez tout ce que vous avez, ils finissent par vous dénoncer au public. Alors, j’ai fait mes valises et je suis parti. »

Découragé, sans le sou et épuisé, Kwabena atterrit à Montréal le 2 novembre 2023. Il n’a pas d’argent, mais heureusement, il a un visa encore valide pour entrer au Canada et de précieuses relations après avoir participé à une conférence à Montréal sur la prévention du sida en 2022. 

L'accueil de la communauté montréalaise

Quand on lui demande de décrire son arrivée à Montréal, son discours change du tout au tout. Il se redresse et affiche un large sourire. « On croit que notre vie est finie, et puis les gens nous accueillent, on rencontre des gens extraordinaires... C’est super ! Oh, mon Dieu, j’adore être ici à Montréal », déclare-t-il, rayonnant. 

« J’ai rencontré tellement de gens extraordinaires ! », raconte Kwabena.

C’est grâce à Kwame, un ami canadien d’origine ghanéenne, qu’il a trouvé quelqu’un pour l’héberger temporairement. Kwame et lui s’étaient rencontrés lors de la Conférence sur la recherche sur la prévention du VIH, en 2022. 

« Kwame m’a dit : “Je vais bloquer tous mes amis ghanéens sur mon Facebook et j’écrirai ce que tu as à faire.” Heureusement, cinq minutes plus tard, quelqu’un m’a répondu qu’il pouvait m’accueillir », raconte-t-il. 

Kwabena a exprimé sa profonde gratitude envers son hôte, Emily, qui l’a hébergé gratuitement pendant six mois, lui achetant une carte de métro et d’autres articles de première nécessité. « Nous sommes maintenant une famille », dit-il. 

Il a rencontré un autre de ses amis les plus proches, Tony, par l’intermédiaire de Grindr – une expérience diamétralement opposée à celle qu’il a vécue avec son maître chanteur. « La rencontre de Tony est aussi l’une des meilleures choses qui me soient arrivées ici à Montréal, se réjouit-il. Sa mère est Ghanéenne et Akan, ce qui fait qu’il parle couramment et avec éloquence notre langue locale. Notre lien s’est fait immédiatement. »

Depuis son arrivée, Kwabena a rencontré beaucoup d’autres personnes en faisant du bénévolat et en fréquentant le centre communautaire LGBTQ+ de Montréal. Il est bénévole pour Aids Community Care Montreal, dont il est aussi membre du conseil d’administration, ainsi que pour l’Association canadienne pou l’éducation et la sensibilisation, une organisation LGBTQ2S+. 

« Je suis très en contact avec la communauté LGBTQ2S+ », dit-il. Kwabena estime qu’il se sent maintenant bien dans sa peau. « Je me réveille tous les jours sans penser à ce que quelqu’un va dire de moi, à la façon dont je dois m’habiller, à la façon dont je dois marcher pour ne pas être si efféminé », explique-t-il.

Kwabena espère que son copain pourra bientôt venir le rejoindre au Canada. « La seule chose qui me manque, c’est mon petit ami. Mon Dieu, il me manque tellement, tellement, tellement ! J’aimerais qu’il soit là avec moi ! » confie-t-il. 

Les deux se sont rencontrés en novembre 2022 lors d’un festival d’art au Ghana, et ils sont ensemble depuis. « Pour moi, ce fut un véritable coup de foudre. Il s’agit, en fait, de ma première relation qui dure plus de six mois. J’espère que nous pourrons bientôt officialiser et légaliser notre relation », dit-il.

Le parcours de Kwabena n’est pas encore terminé. Il a obtenu son permis de travail, mais n’a pas encore trouvé d’emploi stable. Il a examiné son histoire avec un avocat en vue de l’audience qu’il doit passer pour obtenir le statut de réfugié. Pour lui, la lutte en vaut la peine. 

« Je ne dirais pas que je suis libre... mais j’ai l’impression d’être dans ma zone de confort. J’ai l’impression d’être dans un endroit où je suis accepté et où je peux être ce que je veux être », se réjouit le jeune homme. 

Ressources pour les personnes 2SLGBTQ+ :

  • AGIR Montréal (Organisation gérée par et pour la communauté migrante LGBTQIA+)
  • Association canadienne pour l’éducation et la sensibilisation (CAEO) Québec
  • Centre communautaire LGBTQ+ de Montréal
  • Projet 10 (conseil par les pairs pour les jeunes 2SLGBTQ+)
  • Centre des jeunes 2SLGBTQ+ de l’Ouest-de-l’Île
  • Pour une liste plus exhaustive des organismes, consultez le site https://fiertemontreal.com/en/organizations.

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