Marie* livre son parcours pour mettre de l’avant le travail des organismes communautaires qui l’ont aidées en tant que demandeuse d’asile enceinte. Illustration : Sonia Ekiyor-Katimi
Migrations
Exilée et enceinte: les affres de Marie* dans sa recherche de logement
6/5/24
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Alors qu’elle pense être en sécurité après avoir fui la Guinée-Conakry, Marie (prénom d’emprunt) est confrontée à une nouvelle série de problèmes à Montréal. Portrait d’une militante politique qui demande l’asile au Canada. 

Enceinte de huit mois, elle arrive en retard à notre rendez-vous. C’est une journée de pluie froide comme avril peut nous en réserver à Montréal. « J’ai dû supplier le chauffeur d’autobus de me prendre parce que ma carte Opus n’avait plus d’argent », explique la jeune mère de 21 ans. Elle me rencontre dans les locaux de Femmes du monde à Côte-des-Neiges, un organisme qui la soutient depuis son arrivée dans la métropole. 

En 2023, 111 demandeurs d’asile en provenance de Guinée ont été acceptés au Canada. Une minuscule diaspora arrivant d’un pays où les remous politiques sont importants. 

Des difficultés dès l’arrivée

Lorsqu’elle atterrit à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau à Montréal, Marie n’a que 200 $ en poche et deux priorités : aller à l’hôpital pour vérifier l’état de santé de son enfant à naître et rejoindre l’amie qui doit l’héberger temporairement. C’est le début d’une série de désenchantements. 

D’abord, on refuse de l’admettre à l’hôpital, alors qu’elle s’inquiète après avoir effectué un vol de plus de huit heures, enceinte de presque huit mois. 

« Au lieu de me prendre d’abord, de voir si j’ai des problèmes, et de me parler d’argent ensuite, on m’a demandé mon statut, s’indigne-t-elle. Quand j’ai dit que j’avais un visa étudiant, que je n’avais pas de carte d’assurance maladie et que j’étais enceinte, on m’a dit de revenir avec des documents en règle. » Anxieuse, elle quitte l’hôpital en pleurs en se disant qu’elle aurait été prête à s’endetter juste pour obtenir une échographie et s’assurer que son enfant était en bonne santé. 

Marie appartient alors à la catégorie « Migrant sans assurance maladie » (MSAM), à propos de laquelle la chercheuse en bioéthique Annie Liv déclare ce qui suit : « Lorsqu’elles sont enceintes, certaines femmes MSAM renoncent à leurs soins obstétricaux en raison de leur incapacité à payer des frais médicaux pouvant osciller entre 8 934 $ et 17 280 $. »

C’est après cet épisode où on lui a refusé l’accès à des soins de santé que Marie décide de déposer une demande d’asile, car elle craint pour sa sécurité en Guinée. Une agente du Service d’Interprète d’Aide et de Référence aux Immigrants (SIARI) l’aide à remplir sa demande d’asile, puis elle reçoit un accusé de réception – le document essentiel pour obtenir des soins de santé. « C’est comme si j’arrivais au paradis ! » s’exclame-t-elle.

Mais une autre désillusion attendait Marie : l’accueil chez son amie. « Certaines personnes ne sont pas gentilles », laisse-t-elle tomber. Elle dort sur le sol chez cette femme, alors qu’elle est enceinte, et mange les restes pendant quelques semaines. 

« J’apprends ensuite qu’on peut obtenir un hébergement avec le PRAIDA [Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile, NDLR] et le YMCA, mais à condition qu’on demande l’asile à l’aéroport » – une aberration qu’elle ne s’explique pas. 

« C’est le même processus, mais pourquoi cette distinction ? J’ai pu changer mon statut d’étudiante pour celui de demandeuse d’asile grâce à ma rencontre avec le SIARI.». « Les larmes ont coulé sur place parce que j’étais complètement désespérée. »

Contacté par La Converse, le PRAIDA affirme qu’il n’y a pas de distinction entre les demandeurs d’asile selon l’endroit où ces derniers font leur demande. 

S’il ne commente aucun cas particulier, le porte-parole de l’organisme d’accueil des demandeurs d’asile à Montréal s’étonne de cette situation, car « l’accès à l’hébergement temporaire du PRAIDA est accordé à la suite d’une évaluation rigoureuse par un travailleur social ».

 Quatre critères donnent accès à l’hébergement temporaire : il faut être demandeur d’asile en bonne et due forme, donc avoir un accusé de réception, être « nouvellement arrivé », être sans ressources financières et sans réseau pouvant accueillir la personne. 

À la recherche d’un refuge politique 

Encore au lycée – l’équivalent du secondaire au Québec –, Marie s’implique tôt en politique. Elle joint les rangs du parti de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et prononce des discours pour mobiliser la base. 

« Dans ma communauté, c’était mal vu qu’étant une fille de l’ethnie mandingue, je fasse partie de l’UFDG, explique-t-elle, encore passionnée par la politique. C’était ethnique. Il y a eu des ségrégations dans mon entourage. » Même si des membres de l’ethnie mandingue font aussi partie de l’UFDG, il est possible que, dans sa communauté ou sa famille, Marie ait eu des difficultés. 

Elle explique avoir reçu de nombreuses insultes de membres de la communauté mandingue dont elle fait partie, qui lui reprochaient son adhésion à un parti politique associé au peuple peul. « Dans la rue, on nous lançait des pierres parce que nous portions des chemises avec le logo de l’UFDG. C’était mal vu que je me mélange aux Peuls. Mais moi, je voyais ce qui était juste », raconte-t-elle.

Dans un climat politique tendu où le parti au pouvoir obtient un troisième mandat, Marie décide de quitter le pays – et rapidement. 

« Nous étions comme des fourmis : les membres du nouveau gouvernement voulaient nous écraser. Quand ils savaient que tu étais de l’UFDG, ils savaient que tu étais opposé au régime, que tu étais opposé catégoriquement à l’État. Et quand ta communauté mandingue sait que tu es du côté des Peuls, ça va mal », explique-t-elle. 

Le coup d’État de septembre 2021 mené par des militaires, qui renverse le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), change temporairement la donne. À la tête de l’opération, on trouve le colonel Mamadi Doumbouya. « Quand ils ont pris le pouvoir, tous les opposants étaient contents », souffle-t-elle. Elle abandonne alors l’idée de fuir son pays. Mais rapidement, le colonel change son fusil d’épaule. 

« C’était catastrophique. Il s’est mis à la chasse de tous les membres de tous les partis politiques existant en Guinée – jeunes, vieux, peu importe, on te prenait et on t’emprisonnait », rapporte la jeune femme. Cette situation la force à revoir ses plans. 

Un choix déchirant entre mariage et famille 

Entre-temps, Marie rencontre son futur époux dans une conférence islamique. « C’était pendant le mois du ramadan, et nous nous sommes bien entendus, donc nous avons échangé nos coordonnées », dit-elle, souriante. 

Marie, qui vit alors avec ses parents chez son oncle, demande à ce dernier une aide financière pour faire une demande de visa étudiant et ainsi aller au Canada. C’est lui qui a l’argent et qui est propriétaire de la maison. Elle décide de poursuivre ses études au Québec en adhérant au programme Campus Canada, et de fuir par le fait même la situation politique instable dans son pays. Elle sait que son implication politique avec l’UFDG fait d’elle une cible potentielle

Son fiancé vient demander sa main à ses parents. « Mes parents l’ont refoulé, spécialement mon oncle, qui finançait ma procédure – et pourquoi ? Parce qu’il voulait que j’épouse son fils aîné, rage-t-elle. Quand mon mari est venu demander ma main, mon oncle m’a dit de choisir entre mon voyage et mon mari. Pourtant, je l’aimais bien et il m’aimait aussi. Ils m’ont chassée de la maison, je suis partie et je suis allée là où mon mari logeait. »

L’attente de Marie prend bientôt fin, mais ce n’est qu’une étape. « J’ai accouché en Guinée de mon premier bébé. Après un mois, le visa est arrivé. » Il lui faudra encore deux ans afin d’économiser les fonds nécessaires pour acheter un billet d’avion.

« Mon mari s’est battu pour amasser l’argent, il ne pouvait pas travailler ouvertement pour le régime en place, car sa femme était recherchée », s’émeut-elle en repensant à son conjoint qui travaillait sans relâche. 

Chemin de combattante

Lorsqu’elle arrive à Montréal, le chemin de croix de Marie pour trouver un logement commence. Elle estime que, sans le soutien du SIARI, elle serait aujourd’hui à la rue, en situation d’itinérance. 

Après un refus du PRAIDA, une intervenante du SIARI appelle sans relâche tous les centres d’hébergement d’urgence qui accueillent des femmes. Elle trouve une solution temporaire au Chaînon. Normalement, ce centre héberge des femmes victimes de violence conjugale, mais un lit est libre dans un dortoir. Le temps de trouver autre chose, Marie souffle un peu, soulagée. Elle évite de peu la rue, car l’amie qui l’hébergeait temporairement lui a adressé un ultimatum pour qu’elle parte et se trouve son propre logement. 

« Je ne suis pas habituée à la fraîcheur et je me demandais si j’allais être capable de dormir dehors en mars ? » se remémore-t-elle, les larmes aux yeux. Puis, une bonne nouvelle arrive : un autre organisme, Passages, a un lit de libre dans une chambre. Encore une fois, cet hébergement d’urgence vient alléger son parcours. 

« Là-bas, j’étais dans une chambre avec deux lits et on offrait aussi le repas. J’étais tellement contente d’avoir un toit, mon petit lit à moi », dit Marie, un sourire aux lèvres.

Mais les réjouissances sont de courte durée : « On m’a dit qu’il fallait absolument que je trouve un hébergement plus permanent, car si j’accouchais sans logement, la DPJ pouvait me retirer mon enfant. J’étais complètement bouleversée. Ça n’allait pas du tout. » 

Tenaillée par la crainte, Marie ne sait cependant pas qu’une équipe entière s’occupe de lui trouver une solution plus permanente. 

« Si je commence à parler du rôle du SIARI, je vais commencer à pleurer, s’émeut-elle. Je ne veux pas dire qu’on n’aide qu’avec le matériel, mais ils ont été là avec moi. Le jour où j’ai demandé l’asile, ils m’ont remonté le moral en me disant qu’ils allaient trouver des solutions et, effectivement, ils ont trouvé des solutions. »

Une travailleuse sociale de Femmes du monde à Côte-des-Neiges révèle à Marie qu’elle et son équipe ont travaillé sans relâche à lui trouver un hébergement d’urgence et lui fournir une carte cadeau pour acheter de la nourriture dans un supermarché. Une belle démonstration du travail que réalisent dans l’ombre et en synergie des organismes communautaires croulant sous les demandes et les besoins. « On était derrière à parler et à chercher les hébergements. Marie venait tard et partait tard », relate Christina Pierre, organisatrice communautaire chez Femmes du monde.

Cette solution exclut le risque, pour Marie, de se faire prendre son bébé – qu’elle attend d’un jour à l’autre. 

« Tout le monde m’a bien accueillie ! Le moral va bien maintenant, parce que côté grossesse, je suis suivie par La Maison Bleue », lance-t-elle, un grand sourire dans la voix. 

La vie devant soi

D’ici à ce que son mari et sa fille aînée viennent la rejoindre à Montréal, Marie soutient qu’elle aura la force de continuer à étudier une fois que ses deux enfants seront plus grands. « Je rêve de faire des études d’économie et de travailler pour la Banque mondiale », affirme-t-elle, en ajoutant vouloir faire briller son pays d’origine. 

En attendant, elle souhaite s’ouvrir sur son histoire pour que les choses changent et que les femmes enceintes qui demandent l’asile soient mieux informées de ce qui les attend à leur arrivée au Canada. « Ce n’est vraiment pas la fin de vos malheurs, et ça risque d’être plus difficile que vous ne le pensez », soutient-elle, avant d’ajouter que l’aide offerte par les organismes communautaires est une bouée de sauvetage. 

« Ce qu’ils font, vraiment, ça mérite des médailles », s’exclame Marie en riant. 

Pour aller plus loin : 

Lisez l'article Le calvaire que vivent les demandeurs d’asile qui tombent malades de María Gabriela Aguzzi.

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