Chez Jules, un coin du logement est dédié à sa mémoire. Il a perdu la vie à 17 ans alors qu'il jouait au basket-ball.
Justice sociale
Jules Aurel Noukeu Jugnia – un jeune laisse toute sa communauté dans le deuil
20/8/24
temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local

Engagé, passionné, ambitieux – voilà les mots qui décrivent le mieux le jeune Jules Aurel Noukeu Jugnia, qui a tragiquement perdu la vie lors d’une partie de basket-ball le 8 août dernier. Jules est mort à 17 ans d’une crise cardiaque. 

Jules vibrait d’une joie de vivre énorme. Jules était un fils, un ami, un collègue, un jeune. Aujourd’hui, désireux d’alléger l’immense souffrance de sa mère et de ses proches, des amis organisent une cagnotte pour les aider à assumer les coûts liés aux funérailles et au rapatriement de Jules au Cameroun, son pays d’origine, où il reposera près de sa famille. 

« Tu nous as quittés en faisant ce que tu aimais : du sport devant tes amis, ton équipe de travail et dans le quartier que tu fréquentais », a écrit dans une publication Instagram l’organisme DOD Basketball. Jules fréquentait cet organisme communautaire depuis qu’il avait 14 ans et y était même devenu employé et intervenant. Rencontre avec des membres de son entourage, dont l’objectif est de perpétuer sa présence, malgré sa fin tragique. 

Paroles d’une mère endeuillée : « Je ne veux pas que sa mort soit oubliée »

« J’avais un bon ado qui aimait les jeunes », nous dit Valérie, la mère du défunt. Celle-ci nous accueille chez elle dans ces temps difficiles. Un autel a été aménagé au centre de l’appartement en hommage à Jules. 

Pour Valérie, perdre son fils unique est l’épreuve la plus difficile qu’elle ait eu à vivre. « C’était mon meilleur ami, souligne-t-elle. Il me disait tout : ses problèmes, ses inquiétudes, ses peines de cœur, etc. Il n’y avait pas de secret entre nous. » Elle avait beaucoup travaillé pour bâtir une relation privilégiée avec son fils, et jamais elle n’avait imaginé qu’elle devrait lui dire au revoir à tout jamais. 

« C’était un bon garçon, organisé, ambitieux, assure-t-elle. Il était honnête, sans histoires. Il avait tellement d’espoir pour son quartier et pour ses jeunes ! Le basket et les jeunes, c’était sa vie au complet. » Impliqué auprès de sa communauté, Jules comptait même quitter son emploi à temps partiel dans un café pour se consacrer à temps plein au milieu communautaire. 

« Il était tellement à son affaire et il prenait bien soin de lui. Il était actif, mangeait bien, et il faisait bon de vivre avec lui », ajoute-t-elle, dévastée. Valérie ne comprend toujours pas pourquoi Jules a subi une crise cardiaque et se demande si son fils avait un problème de santé non diagnostiqué. 

Très proche de sa mère, il était tout pour elle. « Quand il voyait que je m’inquiétais pour lui, il me rassurait toujours en riant avec moi ou en faisant des blagues pour me faire rire. Lorsqu’il rentrait tard à cause de son travail, il m’appelait toujours pour me rassurer, me dire où il était – quand il entrait dans le bus, quand il arrivait, à la minute près, etc. », se souvient-elle.

Si les moments qu’elle vit actuellement semblent flous et incertains, elle est convaincue d’une chose : la mort de son fils ne doit pas être ignorée. « Je ne veux pas que sa mort soit oubliée, je veux qu’on se souvienne de lui pour toujours, pour sa bonté et son empathie. »

« J’ai un trou noir à la place du cœur », laisse tomber Valérie. « Je vivais pour lui, j’espère qu’on lui rendra hommage le plus longtemps possible », souhaite-t-elle.

À gauche, Benjamin Dickson, agent pivot pour DOD Basketball. À droite, Beverley Jacques, fondateur du même organisme et intervenant.

Perpétuer son nom à Saint-Léonard

Benjamin Dickson connaissait bien Jules. Ben, de son surnom, est entraîneur à DOD Basketball. Il a rencontré Jules alors que ce dernier n’avait que 14 ans. « Même lorsqu’il n’était qu’un participant, à 14 ans, c’était le premier à arriver et le dernier à partir. Il était très motivé, il voulait beaucoup s’impliquer », se rappelle Benjamin. 

L’année suivante, une place d’animateur s’est libérée dans l’équipe. Jules n’a pas hésité à donner son CV. « Il voulait vraiment s’impliquer, répète Benjamin Dickson. On lui a donné cette opportunité, c’était sa première expérience de travail, et à partir de là, il est devenu un membre de notre famille », nous dit l’entraîneur de 22 ans, le regard pensif. 

Alors que nous sommes assis dans un petit parc à chiens, Beverley Jacques, fondateur de l’organisme DOD Basketball et intervenant, nous rejoint. Lui et Benjamin se saluent, se font des blagues et s’assoient sur une table du parc, alors que quelques chiens viennent s’amuser à nous quêter des caresses. 

« Jules était un ambassadeur. Il était tellement motivé, il cherchait des solutions à tout et avait de gros projets, commence Beverley. Quand on a eu une entente avec Starbucks pour qu’ils prennent des jeunes et les emploient, il a tout de suite saisi l’occasion », raconte-t-il. 

Malgré cela, son amour pour sa communauté et son engagement auprès d’elle, plus particulièrement auprès des jeunes de son quartier, travaillaient toujours Jules. Dans un élan de nostalgie, Beverley sort son téléphone pour nous faire entendre un message que lui a laissé Jules quelques jours avant son décès et dans lequel on l’entend dire : « J’ai tellement envie de retourner travailler à temps plein dans le communautaire, avec les jeunes. J’aime bien Starbucks, mais ce qui me passionne, c’est le basket et vous. » 

« Lorsque la nouvelle de sa mort a commencé à circuler, tout le monde a été choqué. Les employés de la bibliothèque, des amis de longue date et même d’anciens professeurs se sont déplacés pour prendre part, la semaine dernière, à la vigile organisée en son honneur dans le parc où il a perdu la vie », a ajouté l’intervenant quadragénaire. Pour lui et Benjamin, l’impact qu’a eu Jules sur les siens est considérable. 

« Et il a fait tout ça à 17 ans seulement, s’exclame Benjamin. Inspirer des jeunes, en entraîner d’autres, les sensibiliser, faire rayonner la joie autour de lui, vouloir aller plus loin. C’était déjà un modèle pour les jeunes, alors qu’il en était encore un lui-même. »

Le terrain de basket où Jules a perdu la vie est situé juste derrière la mairie d’arrondissement et la bibliothèque de Saint-Léonard.

Un terrain de basket « Jules Aurel Noukeu Jugnia »

« Dans un moment de tristesse comme ça, on doit se rapprocher un peu plus près les uns des autres. On doit continuer à se tenir comme la famille que l’on est », soutient Beverley. Il demande également à tous ceux qui souhaitent participer d’aider les parents du jeune Jules, car ceux-ci « ont perdu la seule raison qu’ils avaient de continuer à travailler et à vivre ».

L’association de DOD Basketball va entamer des démarches à l’échelle municipale afin de faire renommer le terrain où Jules a perdu la vie en son nom. « C’est comme ça qu’on peut lui rendre justice, car son nom et son histoire iront plus loin que nous tous, et c’est ça qu’il mérite », pense Beverley. C’est l’impact que Jules a eu sur lui. « Je suis frustré qu’il ne soit plus là, mais je ris, je vis, je regarde ses vidéos, j’entends sa voix, et je continuerai à garder cet esprit avec moi », ajoute-t-il. 

Renommer un terrain en mémoire de Jules, c’est aussi une façon pour la Ville de Montréal et l’arrondissement de Saint-Léonard de faire comprendre aux jeunes qu’ils les écoutent, qu’ils les voient et qu’ils les considèrent comme des citoyens à part entière, pense le fondateur de DOD Basketball. « C’est aussi pour accorder à Jules et à tous ceux qui lui ressemblent le respect qu'ils méritent. C’est une manière de reconnaître les jeunes et leur présence, de dire qu’on les apprécie et qu’on est reconnaissants pour ce qu’ils sont », précise-t-il. 

Le parc où se situe ledit terrain de basket est situé en plein centre de l’arrondissement de Saint-Léonard, juste derrière la mairie. Il borde le complexe aquatique et la bibliothèque du quartier et est à quelques minutes de marche de l’école secondaire Antoine-de-Saint-Exupéry, que fréquentait d’ailleurs l’adolescent.

Quelques jours après le drame, nous rencontrons en fin de soirée certains jeunes alors qu’ils lancent des ballons au panier sur le terrain où est décédé Jules. Ils nous confient qu’ils aimeraient renommer le parc au nom du défunt. « Jules était toujours ici, et même si on ne le connaissait pas personnellement, on savait tous qui c’était », nous explique Michael, l’un des jeunes qui fréquentent le terrain de basket. « Il s’entraînait toujours ici. C’est sûr que, si on nommait ce terrain en son nom, ça ne serait que logique », ajoute l’adolescent de 15 ans qui, lui aussi, est un passionné de basket-ball.

À Saint-Léonard, les membres du conseil d’arrondissement se disent « très sensibles au décès du jeune Jules Aurel Noukeu Jugnia ». En ce qui concerne le projet de renommer un lieu de l’arrondissement en son honneur, les élus expliquent ce qui suit : « La toponymie de la ville exige de remplir des critères très précis et qui s’appliquent à l’ensemble des arrondissements » – ce qui pourrait entraîner des délais pour renommer le terrain. Par exemple, lorsqu’une demande de toponymie est soumise à Montréal, c’est le Comité de toponymie de la Ville de Montréal qui doit analyser et approuver la demande, avant de la faire parvenir à l’arrondissement concerné. De plus, l’un des critères dont la Ville exige le respect en matière de toponymie, c’est qu’un lieu ne puisse porter le nom d’une personne décédée il y a moins d’un an. 

Le conseil assure toutefois ce qui suit : « À l’arrondissement, nous sommes en réflexion et en contact avec les partenaires du milieu pour trouver une manière d’honorer sa mémoire. »

Pour aller plus loin

Que faut-il faire à Montréal lorsqu’on veut renommer un lieu public après le décès d’une personne ? 

Il suffit de remplir un formulaire détaillé sur ce qu’on souhaite faire. La demande est ensuite étudiée par le Comité de toponymie de la Ville de Montréal, puis par les arrondissements et les services publics concernés.

L’actualité à travers le dialogue.
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