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Comment repenser la police?
4/9/20
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« Le gouvernement n’a pas proposé de solutions qui puissent satisfaire les besoins des communautés noires, notamment pour s’assurer qu’elles se sentent sécurisées », indiquait Pierreson Vaval, directeur de l’organisme communautaire Équipe RDP, lors d’une conférence de presse tenue pour annoncer la formation d’un convoi contre le profilage racial.

On a récemment modifié les Guides des pratiques policières du Québec et de Montréal pour y intégrer de nouvelles recommandations.

Une première consultation publique de la Commission de la sécurité publique, chargée d’étudier notamment les questions relatives au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et à la sécurité civile, a eu lieu plus tôt cette semaine. Mais les personnes concernées par le profilage racial jugent que la réponse de Montréal et de Québec ne les protège pas contre ce type de comportement discriminatoire et la brutalité. Dans la ville canadienne qui compte le plus grand nombre de policiers per capita, plusieurs proposent des solutions pour corriger cette situation qui dure depuis des années.

La force policière

« La police a le droit de recourir à une force mortelle autant qu’elle le souhaite », dénonce Desmond Cole, journaliste et auteur du livre The Skin We’re In: A Year of Black Resistance and Power. Il souligne que, lorsque quelqu’un est tué par la police, il s’agit le plus souvent d’une personne noire, autochtone ou souffrant d’un problème de santé mentale.

« La population reçoit le message que ces homicides sont nécessaires, qu’ils sont mérités ou que les gens abattus menaçaient la communauté », fait-il remarquer. À son avis, la banalisation de cette violence mène à l’impunité policière.

« On sait d’avance qu’il n’y aura aucune conséquence, que les policiers ne seront pas punis pour avoir fait un usage excessif de la force, car c’est leur travail de faire usage de cette force», note-t-il au sujet du peu de condamnations prononcées à la suite de cas de brutalité policière ou de profilage racial. M. Cole considère que cette approche, intrinsèquement liée à la raison d’être de la police, ne peut être réformée.

« La violence n’est pas la solution, et la surveillance policière se sert légalement de la violence. On appelle la police pour lui donner la capacité de l’utiliser », juge-t-il.

L’abolition

Desmond Cole dit être en faveur du définancement de la police, car, selon lui, c’est une mesure qui peut mener à l’abolition des services policiers. Il explique son point de vue : « On ne peut pas réformer un système de violence légalisé, il faut le remplacer », soutient-il.

« La police constitue un gouvernement qui exerce sa violence contre nous [les Noirs et les Autochtones], tantôt par l’injustice de ses politiques, tantôt par leur négligence. C’est là-dessus qu’il faut se pencher, plutôt qu’avoir une conversation abstraite sur la manière dont la police est financée », estime-t-il.

Vers une police non armée

Sur le plan des mesures, M. Cole croit que les agents des services de police devraient au moins rendre leurs armes. « On ne donne pas à certaines personnes un gilet pare-balles, une arme et un Taser pour qu’elles puissent négocier avec les gens », illustre l’auteur.

Plusieurs sociétés ont des services de police qui ne sont pas armés, notamment au Royaume-Uni, sur le continent africain et dans plusieurs communautés autochtones. Ce modèle a entre autres été adopté par certains corps policiers au Canada. Ainsi, en Ontario, les agents du Nishnawbe-Aski Police Service (NAPS) – la plus grande entité policière autochtone au pays – ne sont pas armés.

Depuis sa fondation il y a 26 ans, le NAPS n’a tué personne par balle, et aucun agent n’est mort en service, et ce, malgré une pénurie criante de ressources. M. Cole soutient qu’on ne manque pas de modèles, mais de volonté. « Sur qui la police ouvre-t-elle le feu ici, au Canada ?» demande-t-il. «Chantel Moore a été abattue lors d’une soi-disant vérification de son état de santé. Rodney Levi a été tué. Deandre Campbell-Kelly a appelé le 911 pour demander de l’aide ; la police est rentrée chez lui et l’a abattu », raconte-t-il. Puisque ce sont les communautés noires et autochtones qui sont touchées, M. Cole suggère que les solutions tiennent compte de ce qu’elles ont à dire.

Il en va de même pour les personnes qui vivent avec des troubles de santé mentale, ou qui sont sous l’influence de la drogue ou de l’alcool, et qui représentent la grande majorité des individus victimes de brutalité policière. « Il faut leur poser la question, poursuit-il. Ces gens ne vont certainement pas dire : “J’aimerais qu’on m’aborde avec une arme à feu.” Ils vont demander du soutien, de l’écoute, des services de désamorçage de crise, d’être transportés à l’hôpital s’ils ne se sentent pas bien. »

L’intervention non violente

Pour résoudre les conflits, M. Cole suggère une approche qui ne recourt à aucune violence, comme les méthodes déjà adoptées par les services sociaux, le personnel médical et les travailleurs de l’éducation, notamment. L’auteur, qui est également intervenant dans un centre d’accueil jeunesse, atteste que son travail ne requiert aucune arme. « Quand je travaille dans un centre d’accueil, je travaille avec des jeunes qui se font constamment interpeller par la police.

Cette dernière vous dira que ces jeunes consomment de la drogue et transportent des armes – ce qui est vrai pour certains d’entre eux. Quand ils viennent au centre, et qu’il y a un conflit, je n’ai pas le droit de pointer une arme sur eux. Je dois apprendre à parler, à utiliser ma voix, à désamorcer la situation et à me tenir de côté, ce qui est moins menaçant. Je dois être formé à cet égard. »

M. Cole croit fortement que la communication et le désamorçage devraient faire partie des méthodes d’intervention de la police et des services qui pourraient la remplacer. « L’erreur est de demander pourquoi on ne donne pas cette formation aux policiers, dit-il. Il faut également leur retirer leurs armes. »

Desmond Cole, auteur du livre The Skin We’re In: A Year of Black Resistance and Power. Photo : Courtoisie de Desmond Cole

Pour une police plus humaine

Alain Babineau, conseiller en matière de profilage racial et de discrimination au Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), croit à la réorganisation de la police. Il croit également que cette dernière peut changer sa manière d’intervenir. « Il est clair que la formation manque lorsqu’il s’agit de désamorcer les situations ou à changer la façon dont les policiers abordent les gens », reconnaît-il.

Selon son expérience, le module qui traite de la force et auquel se réfère tous les policiers en Amérique du Nord aborde la façon dont un policier doit se présente et utiliser sa voix.

« Malheureusement, la façon dont les policiers communiquent avec les gens est souvent très agressive et mène à la confrontation. Ils agissent trop rapidement. Cela n’a pas lieu d’être si la communication est faite d’une manière plus humaine », explique-t-il.

Changer la police au lieu de la définancer

L’ancien officier de la GRC propose de revoir le rôle de la police dans la société. « Je demande qu’on retire des tâches aux policiers », dit-il. Il cite notamment les actes non criminels liés à des enjeux comme la santé mentale, l’itinérance, la consommation de substances ou la pauvreté. « On ne peut criminaliser ni l’un ni l’autre de ces problèmes sociaux », déclare-t-il. Il propose que ces tâches ne relèvent plus des services policiers et que les budgets nécessaires soient consacrés aux responsabilités fondamentales de la police, par exemple la protection et la prévention.

Identifier les problèmes

Alain Babineau s’oppose au définancement de la police et souhaite que les fonds réclamés soient trouvés ailleurs. « Je suggère que la Ville regarde tous les services qu’elle offre à la population et qu’elle réaffecte l’argent aux services sociaux ou en santé mentale », déclare-t-il. « Oui, c’est bien d’injecter des fonds dans les services sociaux, mais qu’est-ce que ça a comme effet sur le plan des services à la clientèle ? » demande-t-il avant d’ajouter que 90 % du budget du SPVM est consacré aux salaires de ses employés.

« La protection des communautés vulnérables n’est pas analysée », plaide-t-il. Dans le cadre d’un définancement, M. Babineau pense que la formation des policiers, les programmes sociaux et les services à la communauté seraient affectés. M. Babineau reproche au gouvernement provincial et à l’administration municipale de n’avoir mené aucune consultation au sein des communautés. Il fait la même critique aux instigateurs du mouvement réclamant le définancement de la police.

La semaine dernière, plusieurs membres des communautés noires de la région de Montréal et de Lanaudière se sont présentés devant le bureau de circonscription de François Legault, à L’Assomption. Le convoi « Noirs au volant, fiers et libres » y a déposé un document de 10 recommandations pour mettre fin au profilage racial. On y propose notamment d’adopter une loi et des règlements contre le profilage racial, d’institutionnaliser la formation policière contre les discriminations, le racisme et le profilage racial, de créer une base de données sur les origines raciales des piétons et des conducteurs interpellées ainsi que d’instaurer le port des caméras portatives pour les agents.  

Les relations avec les Autochtones

À Montréal, les femmes autochtones sont 18 fois plus à risque d’être interpellées par les policiers. « Que fait la police pour remédier au problème ? » demande la directrice du Foyer pour femmes autochtones de Montréal, Nakustet Sohhisiwin. Le 3 mai dernier, le SPVM a déployé 17 agents, l’escouade canine et 13 voitures de patrouille pour porter assistance à une citoyenne autochtone en détresse psychologique.

« C’était exagéré, les agents et les passants riaient de la situation, et la personne était complètement troublée », se remémore-t-elle. Elle déplore l’inaction de la métropole face au profilage racial, alors que l’administration semble prompte à réagir dans d’autres dossiers, par exemple pour remplacer la statue de John A. Macdonald, vandalisée récemment.

Une formation adéquate

 Selon l’intervenante sociale, certaines ressources et solutions se trouvent déjà entre les mains des autorités, mais celles-ci n’en font pas usage. Elle ajoute que les policiers ne connaissent pas les organismes autochtones vers qui ils pourraient diriger les gens ou les services de l’agent de liaison autochtone, qui peut agir à titre d’interprète. Mme Sohhisiwin juge que les services policiers ont besoin d’une meilleure formation.

Elle souhaite ainsi que la GRC soit formée par les forces policières autochtones, les Peacekeepers. Elle estime également que les corps policiers devraient recevoir plus de formation sur la violence faite aux femmes, la santé mentale et la violence genrée. À son avis, il ne faut pas compter sur les travailleurs sociaux pour épauler les policiers en cas d’intervention, car ceux-ci sont déjà débordés.

Des recommandations à suivre

Mme Sohhisiwin suggère que les corps policiers soient modernisés, quitte à être démantelés et remplacés par de nouvelles cohortes. « Les agents ont besoin de compassion sincère et de ressources, et ils doivent travailler obligatoirement avec les Peacekeepers », propose-t-elle.  

« La SQ a été l’objet d’allégations d’agressions contre des femmes autochtones à Val-d’Or. Il n’y a eu aucune mesure, et les femmes qui ont pris la parole ont été vilipendées », regrette-t-elle. La Commission Viens est issue de ces événements, mais depuis le dépôt de son rapport, en septembre dernier, la communauté attend toujours des mesures de la part des corps policiers, observe Mme  Sohhisiwin.

« On y trouve des recommandations pour la protection de la jeunesse et pour les hôpitaux, mais ni la police ni personne ne les a mises en œuvre. La norme est d’ignorer complètement le problème. » Mme Sohhisiwin suggère à tous de lire le rapport de la Commission Viens et d’adopter les meilleures pratiques afin d’améliorer les relations avec les Autochtones et les personnes de couleur.

Pour aller plus loin

Le comité consultatif sur la réalité policière du Québec tiendra des consultations ciblées à huis clos avec des parties prenantes à partir du mardi 8 septembre.

Les groupes et les citoyens peuvent envoyer leurs mémoires ou leurs commentaires à ccrp@msp.gouv.qc.ca.

La date limite pour leur réception est fixée au 15 octobre 2020. Des audiences publiques auront lieu en décembre. Le rapport du comité consultatif est attendu en mai 2021.

Ressources

  • The Skin We’re In: A Year of Black Resistance and Power, Desmond Cole, Penguin Random House Canada, 2015
  • NoirEs sous surveillance: esclavage, répression et violence au Canada, Robyn Maynard, Mémoire d’encrier, 2017
  • Politique en matière d’interpellation du SPVM
  • Rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR)
  • Rapport de la Commission Viens
L’actualité à travers le dialogue.
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