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13/11/2020

Demandeurs d’asile: les embûches des audiences

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Quand on est demandeur d’asile, les difficultés ne s’arrêtent pas une fois arrivé au Canada. Avec la pandémie, ces difficultés semblent s’être exacerbées, bouleversant ainsi le processus d’audience. Linda* a joué son avenir au Québec depuis son salon. La Camerounaise d’origine a passé l’audience de sa demande d’asile au début du mois de novembre, elle était ainsi parmi les premiers à vivre l’audience virtuelle. Son avocate était à son propre domicile, elle était donc seule face à son écran.

« J’ai vu le commissaire [de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR)]. D’autres personnes étaient derrière, mais je n’ai jamais vu leur visage, juste leurs noms. Pendant l’interrogatoire, je ne voyais pas mon avocat, c’était simplement moi et le commissaire. Cela peut être intimidant pour certains. », détaille-t-elle. Avant la pandémie, le demandeur était convoqué avec son avocat dans les locaux de l’impressionnant complexe Guy-Favreau sur le boulevard René-Lévesque.

Après avoir repris en présentiel à la mi-septembre, les tables des locaux parées de plexiglas et les personnes munies d’un masque, les audiences de demande d’asile se déroulent virtuellement depuis octobre 2020. Cette transition numérique peut avoir ses dérives. Frantz André, président du Comité d’action des personnes sans statut, craint en effet que les demandeurs d’asile souffrent de cette distance imposée entre les participants.

« On déshumanise une question humanitaire. Le commissaire ne voit pas le demandeur transpirer de stress, par exemple. », critique-t-il en faisant référence à tous les signaux non verbaux qui n’apparaissent pas dans le cadre d’une caméra. Le militant raconte que les débuts étaient difficiles pour des raisons technologiques : problèmes de connexion ou de son, impossibilité de voir les participants, etc.

Mais quelques semaines plus tard, chacun commence à apprivoiser ce nouveau fonctionnement. Linda explique qu’elle et son avocate ont simulé l’audience pour tester les ordinateurs. « Cela peut être difficile pour une personne qui n’est pas familière avec les ordinateurs », admet-elle, sans compter l’accès à la technologie qui peut être difficile pour certains. Seulement, Linda a largement préféré auditionner par caméra.

« J’ai préféré rester à la maison. Ne pas être à l’immigration, entre quatre murs avec toutes ces personnes, me rassurait beaucoup », explique-t-elle. Devoir se présenter en personne aurait été largement plus stressant pour elle.

Attente précaire prolongée

Linda et son fils sont entrés au Québec en avril 2018 par le chemin Roxham. Dès son arrivée, on lui a fourni une liste d’avocats de l’aide juridique pour l’aider dans sa demande d’asile. Deux ans et sept mois plus tard, en octobre 2020, elle est convoquée pour une audience qui aura lieu quatre semaines plus tard. Le gouvernement fédéral peut prendre jusqu’à trois ans pour étudier une demande et convoquer la personne en audience auprès de la CISR. Cette audience peut déterminer la vie d’un individu. S’il existe la possibilité d’un appel, d’une demande à la Cour fédérale et, en dernier recours, celle de déposer une demande humanitaire, les chances d’obtenir le refuge sont minces si la première décision a été négative. « Le taux d’acceptation en appel est de 5 % et il frôle le zéro auprès de la Cour fédérale. », affirme Frantz André.

Ce n’est justement pas l’audience en elle-même qui a le plus angoissé Linda, mais bien l’incertitude derrière cette interminable attente.

Les délais de traitement étaient déjà longs avant février 2020, mais avec la pandémie, des audiences ont été reportées et de nombreuses activités et procédures ont été ralenties, voire complètement arrêtées. « Moi j’ai eu une réponse directement, mais j’en connais qui ont eu leur audience en janvier ou février et qui n’ont toujours pas de réponse. », raconte Linda.

Une telle attente permet de rester au Québec, de travailler et de s’installer dans un logement, mais elle maintient la personne dans un statut précaire.

« J’étais stressée de ne pas encore avoir passé mon audience. Surtout quand je voyais des personnes arrivées après moi qui la passaient avant. Tu es là, tu fais ta vie, mais tu ne sais pas si tu peux rester », explique-t-elle.

Des dossiers évidents

Alors que dans bien des cas, il ne serait pas forcément nécessaire de se rendre jusqu’à la cour, selon Stéphanie Valois, avocate spécialisée en immigration. « Toute femme du Soudan ou d’Iran devrait systématiquement avoir l’asile. Certains dossiers sont tellement évidents ! », déclare-t-elle. Certains dossiers sont acceptés d’office s’ils répondent à certains critères.

C’est le cas des demandes de personnes fuyant le Yémen, où la guerre ravage le pays depuis 2016. A contrario, la commission oblige la tenue d’une audience pour une grande série de critères parfois subjectifs, comme le besoin d’approfondir « des questions liées à l’identité du demandeur ». « Cela prendrait plus de courage de la part de la CISR pour accepter plus de dossiers évidents », estime Stéphanie Valois.

La peur du traducteur

Mais au-delà de ces nouveaux enjeux apportés par la crise sanitaire, il en est d’autres qui résistent à la pandémie. Notamment lorsque l’avocat ou le traducteur vient du même pays que le demandeur. « L’avocat qui va le plus t’exploiter est celui qui est de la même origine que toi », fustige Frantz André qui a recensé des fautes graves dans les dossiers des demandeurs qu’il a accompagné. En juillet dernier justement, trois avocats hongrois de Toronto ont été reconnus coupables de négligence systémique dans les dossiers de demandeurs d’asile roms de Hongrie. Le recours collectif a permis d’obtenir 500 000 $CAD de compensation.

Même chose du côté des interprètes. Afin de garantir une communication claire, chaque demandeur d’asile peut être accompagné par un traducteur. Seulement, avec certains dialectes et langues, l’interprète risque de venir du même endroit que le demandeur. « Sachant cela, la personne craint qu’il y ait des fuites ou un jugement de valeur. Par exemple, dans le cas de violences sexuelles, il y aura une énorme barrière à parler de cela devant le traducteur », explique Chantal Ianniciello, avocate spécialisée en immigration.

Plus généralement, les dossiers touchant au genre ou à la sexualité sont régulièrement des cas très sensibles. L’avocate raconte qu’elle a fréquemment à défendre des personnes atteintes de VIH.

« Il y a un refus total de parler de cela devant le traducteur. Parfois, on fait sortir le traducteur et on essaie de parler avec des mots simples ou avec nos mains. D’autant plus que les proches ne savent pas que la personne est atteinte », raconte l’avocate. Si le demandeur craint que l’interprète brise le secret professionnel et dévoile son histoire à leur communauté, cette gêne peut compromettre son audience et donc son statut. En effet, le commissaire n’étant pas sensibilisé à cet enjeu, le malaise peut être mal interprété par celui-ci, des pans cruciaux de l’histoire du demandeur peuvent être omis sans que demandeur ne puisse rectifier .

« Dans une demande d’asile, on juge l’autre »

On retrouve cette subjectivité chez tous les commissaires de la CISR. « On a affaire à des humains, autant avec les commissaires qu’avec les demandeurs. Tout le monde a son bagage. Préjugés et jugements peuvent être un gros problème. », poursuit l’avocate Chantal Ianniciello. L’avocate témoigne qu’il y a parfois une difficulté à comprendre certains enjeux, notamment lorsque l’histoire du demandeur d’asile touche au genre ou aux violences sexuelles.Quelques fois, une histoire qui ne semble pas logique pour le commissaire peut paraître suspicieuse.

« Dans une demande d’asile, on juge l’autre et on s’attend que tu te rappelles à quelle date tu as été battu, combien de fois, combien de temps cela a duré. Mais sur quoi sont basées ces attentes ? Moi qui n’ai jamais été violentée, je me dis que je m’en rappellerais, car c’est important. », explique Chantal Ianniciello. Ces mêmes attentes se sont exprimées lors de l’audience d’une femme qui a vécu énormément de violences. « Au début, c’était une histoire d’agression sexuelle.

Elle est tombée enceinte et ses parents l’ont obligée à se marier. Elle a vécu des années d’enfer total auprès de son agresseur. Pendant toutes ces années, elle a eu 10 enfants et son mari lui a coupé les doigts », raconte l’avocate avec émotion. Si ce dernier acte semble être le plus grave, cette personne ne le percevait pas comme étant le pire dans sa réalité à elle.

Étant en position d’autorité, les commissaires portent la lourde responsabilité de décider de l’avenir de personnes installées depuis plusieurs années au Québec. Ils doivent se baser sur l’histoire rédigée par le demandeur, sur les preuves fournies et sur ses réponses données le jour de l’audience. Seulement, ces preuves peuvent parfois être difficiles à fournir, ce qui peut coûter l’asile à une personne. C’est le cas d’une connaissance de Linda, qui s’est vue refuser l’asile, car le commissaire n’a pas cru qu’il venait bien de Mauritanie. « La commission a établi qu’elle venait du Sénégal et non de la Mauritanie. Ils ont rejeté sa demande et ses deux appels. Il lui reste juste la demande humanitaire. », raconte-t-elle.

« Ils doivent juger du bien-fondé d’une demande sur un feeling ou leurs émotions. C’est aléatoire. », scande-t-il. Chaque décision étant discrétionnaire, Frantz André trouve anormal qu’aucun contrôle n’existe pour contrôler cette pratique. D’autant plus que les commissaires du CISR ne reçoivent pas de formation spécifique. « N’importe qui peut être commissaire. Il faut juste avoir occupé un poste de direction. Mais quand on n’est pas avocat et qu’on ne sait pas lire des documents juridiques, cela peut causer des erreurs. », s’exclame-t-il.

Former les commissaires

Pour les avocates Stéphanie Valois et Chantal Ianniciello, la formation des commissaires devrait être élargie. Leur responsabilité vis-à-vis de la vie d’une autre personne, mais aussi la nécessité de la questionner sur des sujets difficiles, voire des traumatismes comporte trop d’enjeux pour négliger leur formation. « Comprendre le point de vue de l’autre n’est pas facile. Il faudrait leur apprendre à mieux comprendre l’humain pour améliorer le jugement. », déclare Chantal Ianniciello en référence aux jugements sur les violences sexuelles notamment.  

En octobre dernier, la CISR annonçait avoir mis sur pied une équipe spéciale responsable des demandes d’asile fondées sur le genre (ESDAG). 24 experts ont été réunis pour réfléchir à ces enjeux et être formés durant quatre semaines. Leur travail a commencer à la fin du mois d’octobre.À l’instar de la question du genre, celle de la race semble aussi avoir été prise au sérieux par la CISR, à la suite des derniers mouvements de Black Lives Matter.

Si bien qu’une réflexion est en cours pour savoir ce qu’il faudrait faire pour être plus sensible à la réalité des minorités, au point de vue de l’autre. Une démarche plus que bienvenue selon Chantal Ianniciello et Stéphanie Valois : « Nous sommes blanches. Comment pouvons-nous parler pour les personnes noires ? », se questionnent-elles. Nous avons demandé à la commission de réagir à ces diverses initiatives, mais nous n’avons pas encore obtenu de réponse.

Pour les avocates, si ces réflexions ne sont pas liées à la pandémie, cette dernière a certainement permis d’améliorer la tolérance de tout un chacun : « tout le monde a vu ce que c’était de vivre de gros changements », déclarent-elles. Une réalisation collective de bon augure pour les demandeurs d’asile, qui seront peut-être mieux compris et pour lesquels chacun aura plus d’empathie.*Par respect pour son anonymat, ce prénom a été changé

Ressources et informations pour en savoir plus

Il existe un Bureau d’aide juridique spécialisé en droit de l’immigration situé au 425 boul. de Maisonneuve. Ce site recense les bureaux existants dans les autres villes du Québec.L’agence des Nations Unies pour les réfugiés a mis à disposition une aide en ligne.

De même que la CISR, qui a créé une trousse accessible en 12 langues.

Les agents du gouvernement dirigent normalement les demandeurs d’asile vers le PRAIDA, un programme d’accueil, une fois qu’ils ont atteint le Québec. D’autres organismes existent pour accueillir et intégrer les nouveaux arrivants.

À Montréal : la Maisonnée, Action réfugiés Montréal, l’Accueil aux immigrants de l’est de Montréal, etc.

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