Atlantide Desroches, fondatrice de Solidarité & Partage, au comptoir alimentaire du Centre du Plateau. Photo: Pablo Ortiz
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Des comptoirs contre l’insécurité alimentaire
8/1/22
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Initiative de journalisme local
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C’est d’abord le besoin, puis l’indignation qui a amené Atlantide Desrochers à se pencher sur la question du gaspillage alimentaire. Cinq ans plus tard, à la tête d’un mouvement citoyen devenu un organisme à but non lucratif, la résidante du Plateau Mont-Royal entend porter le combat au-delà de son quartier. Partage et Solidarité recueille quotidiennement des surplus alimentaires afin de les redistribuer chaque semaine dans six (bientôt sept) comptoirs alimentaires. Nous sommes en début d’après-midi et, au milieu d’un local grouillant d’activité, les denrées s’accumulent en vue de la distribution à venir. Il est difficile de croire qu’il ne restera plus rien d’ici quelques heures. C’est pourtant ce que nous raconte la fondatrice, qui nous explique comment a été mise en œuvre cette démarche de partage, dont le succès témoigne de la nécessité.

Mme Desrochers, comment en êtes-vous venue à lancer Partage et solidarité ?

Ce n’était pas du tout prévu dans mon parcours. Je traversais une période difficile, et j’ai vu à quel point les ressources pouvaient manquer. En cherchant des solutions, je me suis rendu compte du gaspillage, découvrant notamment la situation dans les poubelles lorsque je me promenais avec mes enfants. J’ai créé Partage et Solidarité un peu par hasard. La première année, je n’avais pas d’organisme, mais il y avait des commerçants qui me donnaient des produits. J’ai fait un frigo à la maison, le Frigo Plateau. Un an plus tard, j’ai créé le frigo de la Cabane de l’amitié, avec le Centre communautaire de l’amitié. Tranquillement, avec le frigo, c’est devenu de la distribution. J’ai ouvert le premier comptoir en 2018. On en compte maintenant six. Nous distribuons chaque mois 2 000 paniers communautaires, composés de pains, de légumes, de produits végétariens et véganes, qui nourrissent 8 000 personnes. On parle de 41 commerces qui participent, dont des supermarchés. Il s’agit d’une grande première, puisque plusieurs avaient une exclusivité avec d’autres organismes. Entre les donations, ce serait dommage que ces aliments n’aillent nulle part.

Comment opèrent les comptoirs alimentaires Partage et Solidarité ?

Ce sont des comptoirs mobiles. On arrive, et quand on s’en va, il ne reste plus rien de nous. Les gens n’ont qu’à prendre rendez-vous, par Facebook, par courriel ou sur notre site Web – c’est très simple. Ils n’ont qu’à donner leur nom et à indiquer le nombre de personnes à la maison pour qu’on fasse des paniers qui correspondent à la taille de la famille. Ensuite, ils n’ont qu’à se présenter. Dans une banque alimentaire, l’accès est restreint. On demande beaucoup d’informations. Les gens doivent raconter toute leur histoire et présenter leurs impôts de l’année précédente pour avoir quelque chose. On leur demande même parfois comment ils en sont arrivés là. Certains n’osent plus y retourner, ça les met dans des situations atroces. J’ai trouvé que c’était un non-sens total. C’est important de comprendre que tout le monde peut traverser de mauvais moments. Personne n’est à l’abri d’une mésaventure ou de problèmes. Ces comptoirs sont donc là pour tout le monde, que tu traverses une mauvaise passe et que ce soit passager ou que ce soit pour plus longtemps. Toute personne qui estime avoir besoin de nourriture est la bienvenue. Il n’y a pas de questionnaire ou de demande à remplir. On récupère des produits le matin, et on trie et distribue l’après-midi. On est chaque jour dans un endroit différent ; nous partageons des locaux. On arrive, on récupère des denrées dans un quartier et on redonne aux gens du quartier. L’idée est de créer des infrastructures locales, qui soient gérées par les gens du quartier. Les porteurs du projet sont des personnes du quartier qui souhaitent y voir des améliorations. On pourrait le faire dans tous les quartiers si on avait plus de ressources.Il y a 5 employés et 70 bénévoles. Chaque personne qui vient travailler bénévolement avec nous reçoit deux sacs d’épicerie de nourriture qu’elle choisit. Il y en a qui s’occupent du soutien administratif ou qui font du démarchage, notamment auprès des commerçants, et d’autres qui nous aident à trouver des subventions.

Des bénévoles à l'ouvrage en vue de la distribution alimentaire du vendredi.  Photo: Pablo Ortiz

Quelles ont été les répercussions de la COVID-19 sur la distribution alimentaire ?

Je n’ai jamais demandé de justificatif ; j’ai même déjà perdu des financeurs potentiels parce que je ne voulais pas en demander aux gens. Tout ce qu’on a besoin de savoir, c’est si les gens sont là ou non. Avec la COVID-19, c’est devenu acceptable. Ç’a changé la dynamique, le projet est devenu plus légitime. Le gouvernement et les gens ont compris que ça peut arriver à tout le monde, de perdre son travail, d’avoir des soucis financiers, de ne pas réussir à s’en sortir. C’est devenu beaucoup plus visible. Il y a eu une augmentation de la demande, et la réalité est qu’on a créé de nouveaux comptoirs. Et dans chaque comptoir, la demande a explosé. Ma priorité est que les gens mangent toute l’année, mais c’est très difficile en janvier et en février. Après les Fêtes. Il faut y réfléchir beaucoup, ce sont des mois qui sont très durs. Les fruits et légumes sont plus difficiles à obtenir, beaucoup plus difficiles à obtenir l’hiver. Il faut courir plus de commerces. Il faut penser qu’il y a des personnes qui ne peuvent se déplacer aussi facilement, même si elles ont besoin de nourriture. Tant qu’il y a de la neige, les gens ont besoin de beaucoup plus de soutien. On reçoit beaucoup de personnes âgées, de familles. L’atmosphère est plus difficile depuis le début de la pandémie de COVID-19.

Plusieurs initiatives ont témoigné de la difficulté à obtenir des dons des commerçants. Comment faut-il s’y prendre ?

J’ai préparé une consultation publique sur cette question, pour que tout le monde soit conscient de la situation et que les gens et les organismes qui veulent récupérer des denrées sachent qu’il existe des outils. J’ai rédigé un mémoire qui explique tout ce qui peut se faire au Québec et ailleurs. Les commerçants, c’est beaucoup plus compliqué. Ils veulent donner, ils n’aiment pas jeter. Le problème, c’est tout le travail qu’il faut faire autour. Il faut dire qu’on ne leur demande pas un service, on leur en offre un. On récupère leurs invendus, tout ce qui est viable. Pour les magasins, ce sont de grandes économies. Le commerce n’aurait pas à se débarrasser de son excédent commercial aussi souvent. Par exemple, on parle de 20, 25 caisses par jour dans un supermarché qu’on visite. J’insiste sur le fait qu’on ne va pas quémander. On offre un service de récupération et de distribution que le commerçant n’a pas à gérer. Partage et Solidarité est un organisme de charité, et un commerçant peut, s’il le souhaite, recevoir un reçu pour sa donation. Souvent, ce dernier est super occupé et a beaucoup à gérer. Si on ne lui donne pas les outils, qu’on lui dit qu’on sera là, qu’on est ponctuels, qu’on a nos propres caisses, que ça lui fait de la publicité, qu’il fait faire des économies et qu’on lui donne un reçu de charité s’il le souhaite, il va peut-être écouter. Il faut que ça devienne de plus en plus normal. Quand j’ai abordé les commerçants, il y a cinq ans, c’était quand même complexe. Aujourd’hui, il y en a qui m’attendent, donc on a fait un bon bout de chemin. Quand je les ai abordés pour la première fois, je tenais mon bébé dans mes bras. J’étais révoltée. J’ai orienté les caméras pour montrer le contenu des poubelles au public. J’ai pris beaucoup de photos pour les diffuser sur les réseaux sociaux en demandant comment ça se fait qu’on mette ça à la poubelle ? J’ai incité les gens à m’aider, c’est comme ça que ça a fonctionné. Je suis partie du principe que c’est plus normal de donner que de jeter.

Il y a plusieurs comptoirs sur le Plateau. Se fait-on une fausse idée de l’arrondissement ?

Le Plateau, ce n’est pas uniquement ce qu’on pense. Par exemple, j’habite en coop familiale, sur une rue très appréciée du Plateau, où il y a des maisons très spacieuses. Mes enfants vont dans la même école que des enfants de familles aisées, avec aussi d’autres qui vivent dans des HLM. On le voit, ce sont des vies différentes. Comme c’est une école dans un quartier riche, il n’y a pas de subvention pour les collations, par exemple. Les camps de jour sont le double du prix des camps des autres quartiers. Comme j’ai trois enfants, ça m’aurait coûté plus que ce que je gagnais en une semaine, alors je les amenais au travail avec moi. C’est la réalité de plein de gens.La pauvreté sur le Plateau est dure à vivre. On parle aussi de commerces qui sont très dispendieux, donc c’est difficile d’être pauvre sur le Plateau – tout est cher autour. On souhaite quand même aller à l’extérieur du quartier. Il y a un comptoir dans Centre-Sud, ce qui est un premier pas. J’ai essayé d’autres quartiers, mais ça n’a pas fonctionné, je n’ai pas trouvé de locaux. En mars, j’ouvre un nouveau comptoir dans Côte-des-Neiges.

De quoi Partage et Solidarité a-t-il le plus besoin dans l’immédiat ?

Sur le plan du matériel, c’est difficile. On est passés de deux à six comptoirs en un an et demi, et on n’a qu’un seul camion pour 15 tonnes de nourriture. C’est serré. On a toujours besoin de bénévoles, mais avant toute chose, on a besoin que les commerçants donnent. Ils jouent un rôle essentiel. Les gens qui ont les moyens peuvent faire un don financier. Cela nous permet de payer nos employés et de faire rouler le camion. Le soutien sur les réseaux sociaux est aussi très important pour nous.

Les bénévoles s'affairent à empaqueter la nourriture pour en faire des paniers qui seront distribués.  
Photo : Pablo Ortiz

La distribution alimentaire se fait sur rendez-vous :

  • le lundi au Centre communautaire LGBTQ+, au 2075, rue Plessis, bureau 110 ;
  • le mardi à l’Espace Temps-Libre, au 5605, avenue de Gaspé, bureau 106 ;
  • le mercredi à la Maison des jeunes du Plateau, au 5046, rue Cartier ;
  • le vendredi au Centre du Plateau, au 2275, boul. Saint-Joseph Est ;
  • le samedi à la Maison de l’amitié, au 120, rue Duluth Est ;
  • et le dimanche à l’Association récréative Milton-Parc, au 3590, rue Jeanne-Mance (Les Galeries du Parc).

Pour aller plus loin :

  • Atlantide Desrochers a déposé une pétition de plus de 15 000 signatures auprès de la Ville de Montréal. Cette initiative a mené à une consultation publique le 3 décembre 2020. En avril dernier, la commission sur l’environnement a présenté ses recommandations officielles (21). Celles-ci évoquent notamment l’interdiction du saccage dès 2022 et l’obligation de conclure une entente de récupération pour tous les commerçants d’ici 2025.
  • À la suite d’une autre consultation publique, la Ville de Montréal propose dans le Plan de gestion des matières résiduelles 2020-2025 de réduire de 50 % le gaspillage alimentaire d’ici 2025.
  • Mme Desroches a déposé une pétition contre le gaspillage alimentaire à l’Assemblée nationale en 2019 avec le soutien de Ruba Ghazal, députée de Mercier.
L’actualité à travers le dialogue.
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