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15/4/2022

Des femmes trans dénoncent le financement provincial d’un organisme féministe jugé transphobe

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Chaque année, le 8 mars marque la Journée internationale des droits des femmes. Cette journée rend hommage aux rebelles du passé, dont l’audace a permis d’offrir un monde plus juste à celles d’aujourd’hui. Nombreuses sont celles qui poursuivent la lutte, refusant de se reposer sur les droits acquis par leurs prédécesseurs. Claire Duclos, une juriste récemment diplômée de la Faculté de droit de l’Université de Montréal figure parmi ces battantes.

Être trans : entre honte et fierté

Attablée devant un café pendant près de deux heures, Claire énumère les inégalités auxquelles elle, ainsi que de nombreuses femmes trans, se butent quotidiennement. Elle raconte comment, très jeune, elle sentait que son corps ne lui appartenait pas. À l’école primaire, les rôles féminins dans les pièces de théâtre étaient devenus un refuge pour son identité, puis rapidement, un synonyme de honte provoquée par le regard incompréhensif de ses pairs. Face à ces réactions, Claire s’est enfermée dans un cycle pernicieux. Pour être une personne normale, une « bonne personne », il lui a fallu réprimer son malaise, sa peine, son dégoût de soi, s’encastrer dans le moule du sexe biologique.

Elle a suivi cette recette au pied de la lettre jusqu’à son arrivée à l’université, au détriment de sa santé mentale. Dépression et idées suicidaires ont fait surface.C’est en entrant à l’université qu’elle s’est réconciliée avec son identité. « En arrivant au bac, j’ai découvert de nouvelles personnes et une communauté accueillante. En étant confrontée à d’autres perspectives, j’ai commencé à m’accepter, à me libérer de la honte », explique-t-elle, un soupçon de fierté dans la voix.Si Claire se sent accueillie par la communauté LGBTQ+, elle ne peut en dire autant de certains groupes féministes au Québec. Elle estime que les femmes de sa communauté ne sont pas toujours les bienvenues dans ces cercles.

Pour les droits des femmes du Québec fait partie de ces groupes féministes qu’elle montre du doigt. « Ce genre d’organisme ne date pas d’hier, mais ce qui me surprend, c’est qu’il soit subventionné par le gouvernement de la CAQ », dit-elle dans un grand soupir.

Interventions au Salon bleu  

Comme son nom l’indique, Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec) a pour objectif de défendre les droits des femmes de la province. Un rapide coup d’œil à son site Internet permet de conclure qu’il s’agit d’un regroupement féministe : on y lit que les membres luttent pour promouvoir l’égalité hommes-femmes, rassembler les femmes au-delà de leurs différences et combattre la propagande haineuse ainsi que la violence dont sont victimes les femmes. L’organisme compte de 500 à 600 membres de tous les horizons qui prônent un féminisme universaliste.

Le groupe défend notamment la loi 21, jugée « essentielle pour atteindre l’égalité hommes-femmes ». Mais revenons un peu en arrière, en 2020 plus précisément, alors que le gouvernement de la CAQ souhaite déposer un projet de loi afin de protéger certaines personnes contre les thérapies de conversion de genre. Dans le cadre de l’étude de cette initiative législative, PDF Québec présente un mémoire à l’Assemblée nationale. Dans ce document, ses membres laissent entendre que ces traitements pourraient être considérés comme des thérapies non affirmatives de genre qui ne devraient pas être pénalisées par la loi. C'est du moins l'une des lectures qui peuvent être faites de la liste de recommandations qu'on trouve au début du mémoire de l’organisme.

Les interventions de PDF Québec à l’Assemblée nationale ne s’arrêtent pas là. L’un de ses comités, le Groupe de réflexion sur l’identité de genre (GRIG) se manifeste lors de la rédaction du projet de loi 2, visant à réformer le droit de la famille. En novembre 2021, ce projet de loi avait suscité l’indignation de la communauté trans, notamment en raison de l’obligation de subir une opération chirurgicale de réassignation sexuelle avant toute modification de la mention du sexe sur les documents officiels. Or, le GRIG plaide qu’on ne devrait pas permettre de changer la mention du sexe, qu’il y ait eu intervention chirurgicale ou non. « Cela pourrait inciter des personnes à y avoir recours » [à ces opérations], écrit le comité dans le mémoire qu’il soumet au gouvernement en décembre 2021.

Depuis 2019, PDF Québec reçoit un financement annuel du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale « en soutien à [sa] mission globale ». L’organisme a ainsi empoché 119 553 $ au cours de l’année financière 2019-2020. Diane Guilbault, présidente de PDF Québec à l’époque, avait confié dans une entrevue au Devoir qu’il s’agissait « d’une aide financière pour aider [ses membres] à poursuivre [leurs] projets ».Ce financement a été reconduit en 2020 (123 545 $), et le budget annoncé en mars dernier prévoit que 124 780 $ soient versés à l’organisme au cours de cette année.

La fatigue de lutter pour être femme

« Les actions de Pour les droits des femmes du Québec diabolisent les personnes trans aux yeux de la société », estime Céleste Trianon, militante trans et porte-parole du Centre de lutte contre l’oppression des genres. L’activiste pense que les femmes de sa communauté ne seraient pas les bienvenues dans cet organisme.Céleste Trianon juge que ces femmes ont tendance à cacher leurs idées transphobes sous un voile d’arguments féministes. Par exemple, les membres de PDF Québec ont signé quelques lettres ouvertes publiées par La Presse et Le Devoir dans lesquelles elles dépeignent négativement les personnes trans. Dans la lettre « Assimiler genre et sexe ? Tout le monde est concerné », elles mettent en garde les jeunes filles qui décident d’exprimer leur transidentité et dénoncent « les pressions qui s’exercent sur les jeunes pour qu’ils adhèrent à la théorie selon laquelle ils pourraient être “nés dans le mauvais corps” ». D’après Céleste Trianon, qui cite des études, ce discours peut nuire à la santé mentale des personnes trans en propageant de la désinformation et des stéréotypes sur cette communauté. « Grandir avec de la dysphorie de genre, c’est déjà extrêmement aliénant.

On peut se passer du jugement de la société, des insultes et de la violence quotidienne qui s’ajoutent à notre charge mentale. »  À l’âge de 17 ans, Céleste Trianon a participé à la poursuite contre le procureur général du Québec dans le but de faciliter les procédures judiciaires de changement de nom et de sexe pour les Québécois et Québécoises. Le projet de loi 2, rédigé par Simon Jolin-Barrette, avait pour but de répondre à ses demandes, mais « le gouvernement n’a visiblement pas compris les revendications des personnes trans », s’indigne la porte-parole.Aujourd’hui, elle se dit épuisée de devoir continuellement défendre ses droits, qu’elle n’a pas le luxe de tenir pour acquis. « Lorsque le gouvernement a présenté le projet de loi 2, j’ai dû me remettre au boulot pour rédiger un mémoire de 47 pages expliquant qu’il s’agissait du projet de loi le plus transphobe de l’histoire du pays ». À cette occasion, la militante a consacré plus de 30 heures par semaine à la recherche et à la rédaction de ce document, en plus d’être aux études. « J’aimerais pouvoir profiter de la vie et de mes droits comme les personnes cis peuvent se le permettre, sans être constamment sur la défensive à l’annonce d’un nouveau projet de loi », ajoute la militante.

La colère des femmes trans

Le financement de PDF suscite un mélange d’incompréhension et d’inquiétude chez Claire Duclos. « Je ne comprends pas comment un organisme transphobe comme PDF Québec peut recevoir des subventions annuelles d’un gouvernement qui prétend être à l’écoute de la communauté trans », déclare-t-elle sur un ton agacé. « Est-ce que ça veut dire que la CAQ cautionne les positions de PDF Québec ? » demande la juriste.

« Je suis en colère, je suis furieuse, je suis… tous les mots qui décrivent la rage », vitupère Céleste Trianon. « J’envoie de l’argent au gouvernement, je paye mes impôts et je refuse que mon argent aboutisse dans les poches d’un organisme dont l’objectif est de restreindre mes droits ! » ajoute-t-elle. Au nom de leur communauté, ces femmes lancent un cri du cœur : elles exigent que le gouvernement cesse immédiatement d’utiliser des fonds publics pour financer PDF Québec. À leurs voix s’ajoute celle de la députée libérale Jennifer Maccarone. Mme Maccarone, qui est la porte-parole des dossiers LGBTQ+ au sein du caucus libéral, trouve également ce financement « inacceptable et injustifiable ». « En chambre, j’ai demandé que le gouvernement justifie ce financement, mais je n’ai obtenu aucune réponse de sa part », dénonce-t-elle.En réponse à ses préoccupations, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale maintient que « la mission de l’organisme n’est pas remise en question ».

D’après celui-ci, PDF Québec remplit tous les critères d’admissibilité du volet Promotion des droits du Programme de soutien financier aux orientations gouvernementales en action communautaire et en action bénévole. Le ministère a également fait part de « la volonté gouvernementale d’accepter l’expression ouverte de divers points de vue provenant des organismes de défense collective des droits, sans que cela soit perçu comme indésirable et sans que cela interfère dans le soutien financier ». Le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale n’a fait aucun commentaire sur les prises de position de PDF Québec.

Un double discours

« La semaine dernière encore, le gouvernement appuyait une motion visant à dénoncer la discrimination basée sur l’identité de genre », souligne la co-porte-parole de Québec solidaire (QS) Manon Massé.

Dans cette motion déposée par son parti, le gouvernement s’engage à reconnaître « l’importance de financer les ressources communautaires trans, lesquelles contribuent à protéger les droits des communautés de la pluralité de genre ». Selon la députée solidaire, qui est également chargée des dossiers LGBTQ+ dans son parti, « il faudrait que les bottines finissent par suivre les babines et que ça se reflète dans le financement gouvernemental ». Elle espère « que le gouvernement agira concrètement pour les soutenir et lutter contre tout discours transphobe ». Plusieurs organismes qui défendent les intérêts des personnes trans sont présentement sous-financés, dont TransEstrie, qui risque de devoir fermer ses portes bientôt.

TransEstrie offre une panoplie de services aux personnes trans vivant en région, où ces centres communautaires se font rares. Sur la page d’accueil de l’organisme, on pouvait lire le message suivant : « À cause du manque de ressources, nous fermerons nos services le 1er avril. » Grâce à une campagne de sociofinancement et une aide financière de 20 000 $ octroyée par le ministère de Simon Jolin-Barrette, l’organisation pourra poursuivre ses activités au-delà de cette date, au grand bonheur de la communauté trans. En tout, 35 000 $ ont été amassés.

Séré Beauchesne Lévesque, fondateur de TransEstrie, se réjouit de cette aide gouvernementale qui permettra au centre communautaire de survivre quelques mois de plus. « On va pouvoir continuer à payer notre local, qui sert également de refuge aux personnes trans en Estrie à la recherche de conseils ou même d’un toit, précise le porte-parole. Cet argent nous permettra également de payer les traitements et les procédures de changement de nom de notre clientèle moins bien nantie. » Pour Séré Beauchesne Lévesque, le financement de PDF Québec est de la transphobie institutionnelle : « Pour les organismes LGBTQ+, c’est très difficile d’obtenir du financement de l’État parce que les programmes en place ne cadrent pas avec les activités et la mission de ceux-ci. »

« Si le gouvernement souhaite encourager les organismes qui défendent réellement les droits des Québécoises, je peux lui conseiller de nombreux organismes qui desservent la communauté trans et qui sont en manque criant d’argent, suggère Céleste Trianon. Au moins, j’aurais la conscience tranquille en sachant que mon argent sert ma communauté. »

PDF Québec n’avait toujours pas répondu à nos demandes d’entrevue au moment de publier ces lignes.

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