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Discrimination : comment naviguer dans le système de soins de santé ?
29/5/21
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Initiative de journalisme local
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Les audiences pour l’enquête publique sur la mort de Joyce Echaquan, qui se tenaient au cours des derniers jours, ont permis de dépeindre une réalité que plusieurs vivent dans le système de santé. On ne parle plus de cas isolés : ils sont nombreux à subir de la discrimination de la part du personnel soignant en raison de leur couleur de peau, de leur genre, de leur orientation sexuelle, de leur poids, d’une situation de handicap et bien plus encore.

Les conséquences peuvent être graves et peuvent aller, pour le patient, jusqu’à ne pas se faire traiter convenablement. Lorsqu’on est à risque de subir de la discrimination, comment peut-on se protéger en cherchant à se faire traiter ? On en discute avec des experts et avec ceux qui vivent ce genre de situation.

Avant de se rendre dans un établissement de soins de santé

  • Être accompagné

« On n’est pas toujours la personne la plus apte à se défendre, surtout si on se sent vulnérable, anxieux, fragile ou mal à l’aise », estime Édith Bernier, auteure, consultante et militante contre la grossophobie. Elle croit que le fait d’être accompagné par une personne de confiance peut réduire le risque d’être discriminé si on est susceptible de l’être. La compagnie d’un proche permet d’avoir un témoin et un défenseur en cas d’incident. Malheureusement, les règles sanitaires liées à la Covid-19 peuvent rendre la chose plus difficile.

  • Préparer ses questions

Lorsque cela est possible, Mme Bernier suggère également de dresser la liste des questions à poser au personnel traitant. Elle juge que cela permet d’orienter la discussion, et de revenir au réel sujet de la discussion, c’est-à-dire à la raison de la consultation. « On peut se demander en quoi la solution proposée est la seule, ou la plus efficace, pour le problème qu’on a », avance-t-elle.

  • Connaître ses droits

Les patients peuvent-ils se prévaloir de leurs droits, lesquels sont trop souvent méconnus, dans un établissement hospitalier ? Saviez-vous que vous pouvez refuser des soins ? Interrogé à ce propos, le ministère de la Santé et des Services sociaux avance que, généralement, un formulaire de refus doit être signé et consigné dans le dossier.

Le patient doit également consentir à recevoir des soins. « Même si on a donné son consentement pour quelque chose, même si on a signé, on peut se rétracter à tout moment », explique Ariane Métellus, consultante en périnatalité et en santé sexuelle, reproductive et périnatale. Elle indique que le consentement doit être obtenu pour chaque intervention lorsqu’on se fait soigner à l’hôpital.

« C’est le devoir des professionnels de la santé », souligne la consultante. Un patient peut également demander un deuxième avis, changer de médication ou être transféré dans un autre établissement. Toujours selon le ministère de la Santé, le patient doit en discuter avec l’équipe soignante sur place, car les protocoles et les façons de faire varient selon le service.

« Chaque établissement a ses façons de faire ; le patient pourra y avoir accès et en prendre connaissance en s’adressant aux équipes sur place », affirment les autorités en matière de santé.Malheureusement, agir de façon préventive n’exclut pas la possibilité qu’un incident survienne. « Mireille Ndjomouo est l’exemple de quelqu’un qui a fait connaître ses droits. C’est très révélateur », se désole Ariane Métellus. La mère de famille, dont la mort fait l’objet d’une enquête, n’avait pu être accompagnée pendant la majeure partie de son hospitalisation.

Lors d’une visite

  • Documenter la visite et poser des questions

L’équipe médicale doit inscrire plusieurs choses au dossier du patient. Les règles relatives aux renseignements devant être consignés dans un dossier varient selon l’établissement et les obligations déontologiques du professionnel de la santé. « On doit y écrire ce qui est fait et ce qui est administré, mais aussi ce que le patient refuse, que ce soit un traitement ou une intervention », explique Mme Métellus. La consultante recommande de s’en assurer, en disant par exemple : « Vous me refusez telle chose, je veux que cela soit écrit dans mon dossier. »

Mme Métellus recommande également de poser des questions sur les risques, les avantages, les solutions de rechange, ainsi que sur les risques liés à un traitement, à une intervention ou à un protocole proposé ou imposé.

« Ça fait partie du consentement », juge-t-elle. La consultante conseille en outre aux patients de prendre des notes dans un cahier personnel pour documenter tout ce que l’on vit. Édith Bernier suggère pour sa part d’enregistrer les conversations avec le personnel médical lorsqu’on se sent menacé.

À la suite d’une visite

  • Accéder à son dossier

Le dossier médical d’un patient lui appartient et peut être consulté en tout temps. « C’est important de le faire pour avoir une idée des faits et obtenir d’autres éléments », résume Mme Métellus. Le Carnet santé permet d’accéder à certaines informations en ligne. S’il s’agit d’un dossier médical conservé dans un hôpital ou un CLSC, il est possible d’y avoir accès en faisant une demande aux archives de l’établissement.

En général, les dossiers de patients détenus par un hôpital doivent être conservés durant un minimum de cinq ans après la dernière inscription au dossier.

  • Porter plainte

« La discrimination, c’est contraire à la Charte des droits et libertés de la personne », déclare Me Geoffroy Guilbaut, avocat spécialisé en responsabilité. En cas d’incident discriminatoire, l’avocat suggère de porter plainte auprès de la commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui fera enquête. Il s’agit d’un processus gratuit qui peut être amorcé par un individu ou un organisme au nom d’un plaignant.

Si la Charte protège les individus contre la discrimination liée à l’ethnie, l’âge, l’orientation sexuelle ou la religion, par exemple, le poids et l’apparence n’y sont pas répertoriés, indique Édith Bernier, qui milite pour que cela le soit.  Les patients estimant avoir reçu un service inadéquat ou discriminatoire dans un établissement de santé et de services sociaux peuvent également communiquer avec le commissaire aux plaintes et à la qualité des services de l’établissement. « Les plaintes prises en considération visent à changer les pratiques. Aucune mesure ne sera prise contre le professionnel de la santé visé par la plainte », relève Ariane Métellus, consultante en santé reproductive et sexuelle. Pour porter plainte, il est possible d’obtenir l’aide des centres d’assistance et d’accompagnement aux plaintes (CAAP). La consultante offre également un service d’accompagnement aux plaintes.

« Il y a toute cette éducation à faire autour du processus de plainte », rapporte Mme Métellus, qui considère que le processus peut être difficile et long. « Ce ne sont pas des démarches faciles. Le système est mal adapté, comme pour les personnes qui portent plainte pour des violences à caractère sexuel. C’est la même chose pour les personnes qui ont subi des violences dans le système de santé », croit-elle. Si un soignant a des propos ou des comportements qui causent des préjudices, on peut également s’adresser à l’ordre professionnel du soignant, par exemple le Collège des médecins ou l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec. Les médecins et le personnel infirmier sont régis par leur code de déontologie, et il est possible de porter plainte contre un individu qui y contrevient.

Par exemple, le code de déontologie des médecins précise que ceux-ci doivent s’acquitter de leurs obligations professionnelles avec intégrité, et dans le respect de la dignité. Du côté juridique, un patient peut entamer un recours en responsabilité civile s’il estime qu’un professionnel de la santé a fait une faute qui lui a causé des dommages. Comme le processus de poursuite peut être coûteux et complexe, Me Guilbault recommande aux patients de porter plainte.

  • Partager son histoire

« L’accès aux réseaux, qui n’est pas du ressort légal, est souvent efficace », témoigne Me Geoffroy Guilbault. Ce dernier souligne que s’exprimer sur le web permet de mettre en lumière une situation, et aussi, de témoigner de l’inquiétude d’une communauté, comme on a pu l’observer.  Donner la parole aux gens, c’est ce que souhaite faire Tori Ford, fondatrice de Medical Herstory. La plateforme invite les participants à faire part de leurs perspectives et expériences diverses dans un environnement tenant compte de leurs traumatismes. Pour lutter contre le phénomène, Mme Ford privilégie l’autoreprésentation, en aidant les patients à naviguer dans la sphère médicale.

C’est sa propre expérience dans le système de santé à la suite de problèmes de santé chroniques qui l’a incitée à lancer la plateforme en 2018. « J’ai commencé à entendre parler de tant d’autres personnes qui avaient été confrontées à des situations de sexisme, de racisme et de discrimination fondée sur la capacité physique dans le milieu médical », raconte la fondatrice. Il n’existait à l’époque aucun lieu où témoigner. Me Corinne Jacquet, avocate à la clinique juridique de Saint-Michel, est d’avis qu’il faut davantage parler de ce sujet. « Souvent, les gens subissent du racisme médical et ne savent pas qu’ils le vivent. Ils subissent des expériences traumatisantes ou troublantes, mais ils passent à autre chose, alors qu’ils viennent de vivre une forme de stigmatisation et de racisme systémique », nous dit-elle. Lorsque l’irréparable se produit, le dossier passe au coroner.

« Le mandat du coroner n’est pas de distribuer des blâmes, mais d’empêcher qu’il y ait d’autres situations semblables », souligne Me Geoffroy Guilbault. C’est ainsi que la mort d’Akeem Scott, survenue en 2019, a été qualifiée d’évitable dans le rapport de la coroner Karine Spénard, paru récemment.

Ses proches se demandent si le profilage racial a entraîné une négligence de la part du personnel de l’Hôpital général Juif, où le jeune homme s’était présenté en ambulance. Son meilleur ami l’accompagnait.  

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L’actualité à travers le dialogue.
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