Joyce Echaquan est décédée à l’hôpital de Joliette lundi dernier, peu de temps après s’être filmée sur Facebook pour demander de l’aide, alors que les infirmières la couvraient d’insultes racistes. « Joyce ne pouvait dénoncer la situation qu’avec son téléphone, et c’est pour ça qu’on sait ce qui lui est arrivé, mais ça arrive tous les jours et nous n’avons pas toujours les moyens de le filmer », disait Nakuset, la directrice du Foyer pour femmes autochtones de Montréal, mercredi dernier.
La mort de la femme atikamekw pousse plusieurs Autochtones à dénoncer publiquement sur les réseaux sociaux et dans les médias le racisme qu’ils vivent ou ont vécu dans le milieu de la santé.
« Ce n’est pas grave, elle va se rendormir »
Christina Bégin à la vigile pour Joyce Echaquan à Joliette. Photo : APTN
C’est en apprenant l’histoire de Joyce que Christina Bégin a éprouvé la nécessité de parler de son expérience à l’hôpital de Joliette il y a près de 30 ans. En 1992, Christina est enceinte de son garçon. Elle se rend à l’hôpital de Joliette pour y accoucher par césarienne. Durant l’opération, elle se réveille et entend le gynécologue faire plusieurs commentaires racistes sur les Autochtones. « Il disait que les Autochtones étaient tous une gang d’alcooliques », nous a-t-elle confié lors de la vigile tenue pour Joyce Echaquan devant l’hôpital de Joliette. Christina bouge alors la tête pour montrer qu’elle est consciente.
« L’infirmier s’est rendu compte que j’étais réveillée et en a informé le gynécologue, mais il a dit : “Ce n’est pas grave, elle va se rendormir.” Je sais qu’il a dit d’autres choses dégradantes sur moi, mais je ne les ai pas retenues, parce que je me suis rendormie tout de suite après. »
Le lendemain, elle se réveille en pleurs et en parle à l’infirmière, qui ne donne pas suite à cet incident. « Elle n’est même pas venue me consoler », s’est-elle désolée. Sa cousine lui a aussi confié un jour avoir vécu un problème similaire avec le même médecin. « Ça me travaille depuis hier, j’aimerais déposer une plainte. J’espère que ce n’est pas trop tard. »
« On devrait lui injecter un produit toxique »
Georges-Hervé Awashish à l’hôpital de Chicoutimi. Photo : Courtoisie de Shawnok Awashish
Si le drame survenu à Joliette donne le courage à Christina Dubé de dénoncer le passé, d’autres dénoncent leur présent, comme Georges-Hervé Awashish. Ce dernier a été admis à l’hôpital de Chicoutimi la semaine dernière. Il a plusieurs problèmes de santé qui nécessitent des soins spécialisés. C’est donc depuis sa chambre d’hôpital qu’il nous accorde une entrevue téléphonique. Il tient à témoigner de son expérience «pour que ça se sache, ce qui se passe avec les Autochtones», nous souffle-t-il au bout du fil.
Deux jours après la mort de Joyce Echaquan, l’homme atikamekw d’Obedjiwan dit avoir entendu le personnel infirmier de l’hôpital de Chicoutimi proférer des menaces de mort contre lui. Dans la nuit de mercredi à jeudi, vers 3 h du matin, il se lève pour aller à la toilette. Lorsqu’il revient dans sa chambre, au quatrième étage, il entend le personnel discuter dans le corridor.
« Ils parlaient de Manawan, de M. Echaquan, et puis ça riait », affirme-t-il. Bouleversé, M. Awashish ne dit pas un mot dans sa chambre, qui est proche du bureau des infirmiers. Il s’assoit dans son fauteuil roulant. « Après ça, j’ai entendu une des infirmières dire : “On en a un, on en a un indien icitte, couché dans la chambre.” Et puis un autre dire : “On devrait lui injecter un produit toxique, pis son problème va être réglé, il va souffrir pareil.” Après ça, ils sont partis à rire. Ça riait dans le corridor », raconte-t-il. Figé, Georges-Hervé Awashish n’a rien dit.
Après avoir retrouvé son sang-froid, il a téléphoné à son fils et lui a payé un taxi pour qu’il vienne le chercher. « Il m’a appelé dans la nuit pour que j’aille le chercher, il ne voulait pas me dire au téléphone ce qui s’était passé », raconte Shawnok Awashish. « Il était traumatisé. Après avoir entendu les menaces de mort, il n’arrivait plus à se coucher dans sa chambre », poursuit-il.
Quelques heures plus tard, M. Awashish a quitté l’hôpital avec son fils. Une infirmière qui aurait entendu les propos de ses collègues a essayé de les retenir, affirment Georges-Hervé et Shawnok. À la suite de cet incident, Georges-Hervé est demeuré chez sa sœur, Louisette, à La Baie, à côté de Chicoutimi. Il ne voulait pas retourner à l’hôpital. Mais ses problèmes de santé l’obligent à effectuer un suivi médical.
« La police est venue me chercher chez ma sœur pour m’amener à l’hôpital samedi », affirme-t-il. Il est maintenant au deuxième étage de l’hôpital, où son médecin lui aurait assuré que personne du quatrième étage ne viendra le harceler. Mais M. Awashish est loin d’être rassuré : il craint pour sa vie. « Je n’arrive pas à dormir, je ne suis pas à l’aise ici, j’entends leurs voix à eux dans ma tête. Je dois prendre des pilules pour l’anxiété », confie l’homme de 53 ans, qui dit avoir peur de subir le même sort que Joyce Echaquan. « C’est ma vie qui est en jeu, je vis beaucoup d’anxiété. C’est vraiment décevant ce qui se passe, je trouve ça ben décevant. »
Dans un courriel envoyé à La Converse, le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Saguenay–Lac-Saint-Jean a confirmé qu’une enquête a été ouverte jeudi dernier à la suite des événements allégués.
« Nous en sommes à colliger l’information et à valider les faits. Si une telle situation devait s’avérer véridique, il est clair pour notre établissement qu’il s’agit d’un événement choquant et inacceptable », a précisé Amélie Gourde du service des communications et des affaires gouvernementales. Interrogé à savoir si le personnel dénoncé par M. Awashish est encore en poste, le CIUSSS du Saguenay–Lac-Saint-Jean a indiqué qu’aucune mesure ne serait prise avant le dépôt du rapport d’enquête et qu’il s’agit toujours à ce stade d’allégations. L’équipe du médecin de M. Awashish, Mathieu Leblanc, nous a dirigé vers les relations médias de l’établissement médical, qui a refusé que nous réalisions une entrevue avec lui. De son côté, Georges-Hervé dit attendre de sortir de l’hôpital où il a reçu des menaces de mort.
Ressources
Une pétition en ligne demande l’application des recommandations 74, 75 et 76 de la commission Viens.
À peine 4 appels à l’action, sur les 142 qui sont recommandés dans le rapport final de la commission Viens, ont été totalement réalisés depuis le dépôt du rapport l’an dernier. Trente-trois de ces appels à l’action portent sur les services de santé et les services sociaux.