Les apprentis journalistes de l'École Converse rencontrent le rappeur franco-algérien Soolking.
l’École Converse
La liberté de Soolking, le rappeur algérien qui réunit les générations
13/5/22
Journaliste:
Illustrator:
Initiative de journalisme local
COURRIEL
Soutenez ce travail
temps de lecture:
5 Minutes

Fatima Bah, Marc-Elder Piard, Naila Naoui, Ahmed El Moudden, les apprentis journalistes de l'École Converse, rencontrent le rappeur franco-algérien Soolking.

Le 5 mai dernier, le rappeur franco-algérien Soolking, l’un des artistes francophones les plus en vue de sa génération, se produisait à l’Olympia de Montréal. L’artiste, avec ses rythmes de raï, de reggae et de R&B, touche un jeune public de plus en plus important. D’Alger à Montréal, l’influence de Soolking, de son vrai nom Abderraouf Derradji, dépasse les frontières.Cinq heures avant le concert, de jeunes adolescents maghrébins attendent en file dans l’espoir de rencontrer leur idole. Mais que voudraient-ils demander à Soolking ? « C’est quoi le secret du succès ? Comment t’as fait pour en arriver là ? Qui t’a poussé à commencer ? »

« Je fais partie de mon public »

Soolking compte deux albums à son actif, et un troisième, très attendu, paraîtra le 27 mai prochain. Vêtu d’un habit de l’Akatsuki, du manga Naruto, l’artiste nous confie qu’il travaille actuellement sur la publication d’un manga, un genre de bande dessinée japonaise d’où il a tiré son nom de rappeur. Abderraouf Derradji, qui est âgé de 32 ans, est installé en France depuis 2014. Le rappeur n’hésite pas à intégrer son bagage culturel dans son art, une marque d’authenticité à laquelle son public est sensible. « Beaucoup de jeunes aujourd’hui […], qui viennent du pays et qui vont en Europe, aux États-Unis, au Canada, exportent leur bagage musical avec eux. Ça leur permet tout de suite de se démarquer des autres », affirme-t-il. Soolking est l’un des premiers artistes en France à avoir intégré des sonorités maghrébines au rap.  

L’histoire de Liberté

Si Soolking aime parler de succès et d’amour dans ses chansons, il sent parfois le besoin d’aborder des thèmes plus politiques. C’est ce qu’on comprend à l’écoute de la chanson emblématique Guérilla et, plus récemment, de la chanson Liberté.  

Cette pièce est issue d’une collaboration avec le groupe de chanteurs anonymes Ouled El Bahdja. Engagé politiquement, Ouled El Bahdja a fini par incarner la volonté de changement en Algérie. Lorsque le groupe joue à la télévision nationale, le son est parfois coupé pour empêcher le public d’entendre les paroles. Ses membres ne donnent jamais d’entrevue.

Dans sa loge avant son concert, Soolking nous explique la genèse de Liberté.

« J’écoutais un morceau qu’ils avaient fait, qui s’appelait Ultima Verba, et comme par hasard, dans le refrain, ils disent « la liberté ». Je me suis alors dit : en vrai, il faut que je les invite, que je reprenne leur refrain et comme ça, moi, dans les couplets, je peux dire ce que je voulais dire depuis le début », explique l’artiste.

Sortie en mars 2019, Liberté exprime les aspirations transgénérationnelles à un avenir meilleur en Algérie, où la chanson a eu un succès phénoménal. De Montréal à Paris et partout en Algérie, elle a été rapidement adoptée par le peuple algérien et sa diaspora comme hymne des manifestations du Hirak. Pendant plus de trois ans, les Algériens ont manifesté contre le régime en place, poussant à la démission le président Abdelaziz Bouteflika après 20 ans de règne et réclamant un changement du système. C’est dans ce contexte que les chansons de Soolking ont transcendé les générations. Dans ses concerts, on ne trouve pas que des jeunes. Il y a aussi leurs parents qui sont aussi sensibles que leurs enfants aux dénonciations et aux espoirs politiques du rappeur.

Lorsqu’on aborde la question avec lui, Abderraouf Derradji avoue ne pas avoir songé en particulier au Hirak. « Je n’avais pas forcément visé une situation, un moment ou un truc. C’est juste comme ça, on dit que les étoiles se sont alignées. Il y avait des manifestations en Algérie, il y avait des manifestations au Liban, il y avait la réélection en Tunisie, et les ci et les ça. Il y avait les gilets jaunes. À ce moment-là, du coup, comme elle est sortie, elle a eu un gros impact parce qu’il y a beaucoup de gens qui se la sont appropriée par rapport aux événements qui se passaient dans leur pays. » Il continue en ajoutant que certains ont plutôt adopté le morceau en raison de leur soif de liberté. « Il y a d’autres personnes qui l’ont adoptée parce que, déjà, dans leur vie de tous les jours [...] elles avaient besoin de liberté, d’un message de liberté », suggère l'interprète.

Les échecs du succès

Malgré ce qu’elle fait miroiter, la notoriété est parfois difficile à vivre pour le rappeur international, qui craint de perdre son humanité. Que suggère-t-il aux jeunes qui veulent suivre ses pas ? De garder les pieds sur terre et, surtout, d’entreprendre un projet pour de bonnes raisons. « Le côté famous, c’est le mauvais côté de ce métier, confie-t-il. Tu deviens comme un produit marketing, comme un t-shirt. Un t-shirt, tu marches dans la rue, tu peux lui faire : “J’aime bien, mais la couture je n’aime pas trop.” Tu peux le secouer. Mais toi, tu deviens comme un t-shirt. Et il y en a certains, pas tous heureusement, qui oublient que t’es un humain. Donc, faut y aller mollo avec le buzz », ajoute-t-il du même souffle.

Si la gloire est au rendez-vous, le chemin a cependant été parsemé d’obstacles pour le musicien. La star internationale d’aujourd’hui était hier un sans-statut itinérant. Le rappeur s’est rendu en France sans statut pour poursuivre une carrière dans le monde de la musique. Et il y a eu des moments où il s’est retrouvé sans endroit où dormir. Abderraouf, avant de devenir Soolking, dormait dans les rues de France.

Les obstacles ont été formateurs, selon le rappeur. « L’échec, je pense que c’est plus important que le succès dans une carrière. Parce que l’échec, il te fait te remettre en question [...] Ça te fait apprendre », explique-t-il en toute humilité. L’amour que lui vouent ses fans le touche énormément. C’est pourquoi il est toujours prêt à leur offrir des conseils pour qu’ils atteignent leurs objectifs. « Les jeunes qui veulent se lancer dans n’importe quel domaine, la médecine, la musique, le sport, les études, peu importe, je leur dis qu’il faut être déterminé, qu’il faut y croire, ne pas baisser les bras et se donner les moyens aussi. Ce n’est pas  : “On dort à la maison et on se dit : ah, mais moi, de toute façon, je n’ai pas de chance.” Non, il faut se lever. Faut y aller, essayer, tenter, forcer, carrément. Et si ça ne marche pas, au moins, dans ton estime, tu te diras : “J’ai quand même essayé.” »

C’est avec ces messages, qu’on retrouve dans les paroles de ses chansons et au fil de notre rencontre, qu’on comprend pourquoi Soolking inspire les jeunes partout où il passe.  

Pour aller plus loin
L’actualité à travers le dialogue.
L’actualité à travers le dialogue.