Recevez nos reportages chaque semaine! Du vrai journalisme démocratique, indépendant et sans pub. Découvrez le «making-of» de nos reportages, le pourquoi et le comment.
L’actualité à travers le dialogue.Recevez nos reportages chaque semaine! Du vrai journalisme démocratique, indépendant et sans pub. Découvrez le «making-of» de nos reportages, le pourquoi et le comment.
L’actualité à travers le dialogue.Recevez nos reportages chaque semaine! Du vrai journalisme démocratique, indépendant et sans pub. Découvrez le «making-of» de nos reportages, le pourquoi et le comment.
Recevez notre infolettre chaque semaine pour Découvrir le «making-of» de nos reportages!
Un problème est survenu lors de l'envoi.
Contact
6/11/2020

L’accès aux polices d’assurance difficile dans les réserves autochtones

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
Soutenez ce travail
Note de transparence

Qu’on soit député ou simple citoyen, l’accès à une police d’assurance semble être un défi pour une personne autochtone.En 2018, Alexis Wawanoloath a souhaité assurer son auto. Il vivait alors dans une réserve. Lorsqu’il a donné son adresse à l’assureur, l’Industrielle Alliance, on lui aurait répondu : « Ah, c’est dans une réserve ; on n’assure pas. »

Un membre de la communauté atikamekw de Manawan qui a préféré garder l’anonymat explique qu’il paie son assurance auto deux fois plus cher parce qu’il vit dans une réserve.

« Dès que les compagnies d’assurance voient que l’adresse postale est dans une réserve, elles montent leur prix. On a tous le même problème avec ça. On paye très cher nos assurances ; ça me coûte 2 000 $ par année pour un Ford 150. J’ai fait des recherches ; un de mes enfants vit en milieu urbain et, en mettant son adresse, mon assurance me coûtait 1 000 $ de moins. »

Daniel G. Nolett, directeur général de la communauté abénakise d’Odanak, confirme que les assurances sont plus chères pour ceux qui vivent dans une réserve.

« Parfois, on se fait appeler par des compagnies, puis quand on donne le code postal, on se fait répondre : “Oups ! C’est dans une communauté des Premières Nations ; désolé, on ne couvre pas.” Ils ne veulent pas assurer si c’est une communauté des Premières Nations, urbaine ou isolée, parce qu’ils ont peur du vandalisme… Certaines compagnies ne font donc pas de distinction et ne couvrent tout simplement personne dans les réserves. C’est un problème qu’on a signalé à différentes reprises. C’est plus difficile pour certains de trouver une assurance, et les primes sont souvent aussi plus élevées. »

Redlining : le lieu de résidence comme motif de discrimination ?

  1. Wawanoloath, ancien député du Parti québécois, perçoit cela comme étant du redlining,une pratique discriminatoire consistant à refuser ou à limiter les prêts aux populations situées dans des zones géographiques déterminées.

Michel Morin, professeur de droit à l’Université de Montréal, explique que le principe de non-discrimination s’applique aux personnes et non au lieu de résidence. Donc, il est concevable, bien qu’étonnant, que dans certains secteurs il ait pu arriver que des assureurs refusent d’assurer certains biens.En essayant de comprendre les motifs de refus d’octroi d’une assurance auto, le professeur de droit a émis l’hypothèse que le vandalisme potentiellement présent dans certaines communautés pourrait être la cause d’un refus.

« S’il y a eu beaucoup de vandalisme contre des voitures, ça peut être un motif légitime, mais il faut que l’assureur puisse le démontrer si on porte plainte contre lui à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), parce que si le motif réel est que la demande d’assurance provient d’un Autochtone, ce n’est pas acceptable ; c’est discriminatoire. L’assureur doit baser sa décision sur des critères objectifs. Il faut vraiment qu’il y ait des données très, très probantes, et pas simplement des incidents isolés. »

Plainte à la Commission des droits de la personne

À l’époque, Alexis Wawanoloath est étudiant en droit. Il parle de sa situation à l’un de ses professeurs, Daniel Proulx, qui enseigne le droit de la personne. « Ça rentre dans la catégorie de la discrimination illégale. Faites une plainte à la Commission des droits de la personne », lui dit-il. L’étudiant suit la recommandation de son professeur et dépose une plainte à la CDPDJ.Dix mois après le dépôt de la plainte, la Commission propose une médiation à M. Wawanoloath.

Ce dernier demande à ce que la médiation se déroule dans sa réserve. Sa requête est refusée. La médiation a finalement lieu dans les bureaux de la Commission. M. Wawanoloath se rend seul à la médiation, tandis que la vice-présidente de la compagnie d’assurance et son avocat y assistent par vidéoconférence.Bien qu’étudiant en droit, il se sent lésé dans le cadre de la médiation. « C’est très, très inéquitable comme processus, ça ne donne rien, la médiatrice ne connaît rien au racisme systémique », déplore-t-il.

Une procédure douteuse

Alors qu’Alexis Wawanoloath termine le barreau et s’occupe de sa femme enceinte et de ses deux enfants en pleine pandémie, la Commission le menace de fermer son dossier s’il ne communique pas certaines informations sur son assurance actuelle. M. Wawanolaoth ne comprend pas qu’on lui demande des renseignements qui ne concernent pas sa plainte.

« Mon dossier comporte une plainte de racisme systémique pour des faits que j’ai subis de la part de l’Industrielle Alliance. L’enquête vise donc les actions de cette compagnie à mon égard et à l’égard des Autochtones vivant dans des réserves au Québec, qu’on refuse d’assurer. Je vois mal comment mon dossier d’assurance avec une autre compagnie est pertinent pour faire avancer une telle enquête. »

En ne transmettant pas assez vite ces informations, l’ex-député a vu son dossier de plainte être fermé à la Commission le 25 août 2020, trois mois après qu’on lui eut attribué un enquêteur. Une décision qu’il a jugée hâtive et suspecte. Il s’est alors posé des questions sur l’enquêteur responsable de son dossier à la CDPDJ.

« Ce monsieur avait aussi une entreprise qui offrait des services aux compagnies d’assurance. C’est donc un spécialiste en sinistre qui a traité mon dossier comme un spécialiste en sinistre », déplore-t-il.L’ex-député a alors exigé qu’un enquêteur indépendant s’occupe de son cas. Il a aussi demandé à ce qu’une enquête indépendante soit ouverte sur l’apparence de conflit d’intérêts de l’enquêteur.

Enfin, il a souhaité qu’une introspection soit réalisée sur le racisme systémique au sein de la CDPDJ.

Questionnée à ce sujet, la Commission a déclaré qu’elle n’était pas au courant des activités professionnelles de son enquêteur avant son arrivée à la Commission. Mais elle s’est défendue en affirmant qu’il n’exerçait plus en tant que spécialiste en assurance depuis ce moment. Un nouvel enquêteur a été chargé du dossier de M. Wawanoloath.

À propos de la fermeture de son dossier, la Commission a indiqué à l’ex-député qu’il devait déposer une nouvelle plainte auprès de son instance ou saisir les tribunaux de droit commun pour obtenir réparation.

« La réponse de la Commission, je l’ai trouvée sidérante et irrespectueuse. La Commission devrait traiter les personnes qu’elle est censée défendre avec plus de considération. »En fin de compte, le dossier de plainte initial a été rouvert, et une nouvelle enquêtrice a été chargée du dossier.

La politique de la Commission remise en question

  1. Wawanoloath a procédé à des recherches sur les plaintes déposées à la Commission, et n’en a répertorié que 17 de la part d’Autochtones depuis 2001. Un chiffre qu’il juge être trop peu élevé compte tenu du racisme systémique au Canada.

« Est-ce que vous avez les bonnes approches avec les communautés ? Est-ce que vous avez des employés autochtones qui comprennent la sensibilité de ces communautés ? demande M. Wawanaloath à la Commission. Dix-sept cas en presque 20 ans ! Alors qu’on sait que les Autochtones sont victimes de discrimination ! »

L’ex-député s’indigne aussi de la difficulté de la collaboration avec la Commission

« Il faudrait être assisté d’un avocat pour faire affaire avec la Commission. Il va falloir que je prenne mon dossier et que j’aille le défendre moi-même devant un tribunal de droit commun. J’ai un bac en droit, j’ai déjà été député, mais je suis découragé », déplore-t-il.Au-delà des changements qui ont été apportés au sein de la compagnie d’assurance visée par sa plainte, il demande à la Commission de revoir le traitement des dossiers des Autochtones.

La Commission montrée du doigt par le CRARR

Fo Niemi, co-fondateur du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), suit le dossier de M. Wawanoloath de près. « Il y a de la discrimination dans la vente de polices d’assurance dans les réserves autochtones, et c’est quelque chose qu’on entend depuis longtemps. Mais on ne sait pas à quel point c’est répandu dans le milieu de l’assurance. L’autre question, c’est la manière dont M. Wawanoloath a été traité quand il a déposé sa plainte. »

Le spécialiste de l’accès à l’égalité des minorités au Québec connaît bien la Commission des droits de la personne, puisque le CRARR a souvent affaire à elle. « Il y a des délais assez longs, parfois inexplicables, dans le traitement des plaintes depuis le début de la pandémie. Depuis mars, il y a beaucoup de pression de la part des enquêteurs, qui cherchent à accélérer le traitement des plaintes. On se demande si cette accélération du traitement vise à réaliser les enquêtes avec plus de célérité ou à faire tomber les plaintes pour fermer les dossiers plus complexes. »

Selon Fo Niemi, la Commission manquerait de formation sur le racisme systémique, alors que la raison d’être de l’organisme est de faire enquête sur des situations de discrimination et d’exploitation en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne.Il condamne la Commission qui, selon lui, n’a pas les compétences nécessaires pour traiter des dossiers délicats comme celui de M. Wawanoloath, ce qui est dommageable pour les communautés autochtones. « Avec ce cas-là, la Commission a perdu toute sa crédibilité auprès des communautés autochtones », déplore le co-fondateur du CRARR.La Commission n’a pas voulu répondre à nos questions – elle « ne commente pas publiquement les dossiers de plainte, puisque ceux-ci sont confidentiels ».

Elle a néanmoins tenu à nous préciser que son « travail d’enquête se fait de façon rigoureuse, impartiale et sans conflit d’intérêts ».

Nous avons aussi voulu connaître les politiques de la compagnie d’assurance Industrielle Alliance à l’égard des Autochtones ainsi que ses conditions d’octroi de police d’assurance automobile, notamment dans le cas d’Alexis Wawanoloath.

L’Industrielle Alliance n’a pas répondu à nos questions et a refusé nos demandes d’entrevue. Elle a uniquement déclaré qu’elle avait choisi d’être présente dans certaines régions du Québec et pas dans d’autres.Au delà des changements qu’il voudrait qu’il soit fait dans la compagnie d’assurance litigieuse, M. Wawanoloath demande qu’il y ait des changements qui soient faits à la Commission dans le traitement des dossiers autochtones.

L’actualité à travers le dialogue.
L’actualité à travers le dialogue.