Avec Une exposition de Marven Clerveau : Visions Hip-Hop QC, présentée du 11 février au 26 mars au Centre Phi, l’artiste multidisciplinaire nous invite à découvrir non seulement ses créations, mais à pénétrer également dans l’univers méconnu de la musique.
Au fil d’un parcours jalonné de 20 portraits grand format de figures du hip-hop québécois, nous sommes transportés par les œuvres d’art mixtes dans l’univers musical et entrepreneurial d’artisans d’ici. L’exposition comporte des installations audiovisuelles, des documents d’archives ainsi que des événements et des ateliers grâce auxquels le public peut se familiariser avec l’art et la musique. « C’est une recherche et une création que vous découvrez avec moi », déclare l’artiste de 26 ans, qui se lance pour la première fois dans un projet d’une telle envergure.
En mode portrait
« Je suis un artiste multidisciplinaire, je fais de tout, j’aime explorer de nouvelles choses », explique l’artiste autodidacte depuis son domicile de Montréal-Nord. Si cette nouvelle série de créations allie techniques de peinture et collage, dans sa pratique artistique, M. Clerveau fait également de la bande dessinée de style manga et travaille présentement sur un livre. Il est aussi un adepte de l’abstraction, qui cite Basquiat comme inspiration. L’artiste a en outre l’habitude de se peindre lui-même, une approche qu’il partage avec Frida Khalo, avec qui il partage une certaine sensibilité. « Il y a un autoportrait qui m’a interpellé », dit-il en décrivant l’œuvre La colonne brisée (1944) de l’artiste mexicaine, dans laquelle on voit une colonne de métal à travers le corps de Frida Khalo. « Je suis un artiste qui vit avec une scoliose. À 12 ans, j’ai eu une grande opération : on m’a mis une tige dans la colonne », explique Marven Clerveau, qui s’est inspiré de l’œuvre pour produire Disphl’Égo, une série autobiographique. Avec Visions Hip-Hop Qc, Marven n’en est pas à ses premiers portraits. « Je dessinais souvent des artistes connus, souvent américains », dit-il en citant ses références musicales et celles de son entourage.
Il travaillait sur des toiles de Tupac, Nas, Biggie, Aaliyah. Un jour, une conversation avec un conseiller artistique l’oriente vers une nouvelle piste. « Il m’a dit : “Pourquoi ne pas faire le portrait des rappeurs du Québec ?” C’est grâce à ce projet que j’ai commencé à suivre ce qui se fait ici », raconte l’artiste. A suivi un travail exhaustif de recherches et de rencontres, dans le cadre d’une démarche d’inclusion, pour représenter chaque artiste, sa réalité et son histoire de façon fidèle. « Il y a aussi les rappeurs qui sont partis, et qui ont été oubliés », rappelle M. Clerveau, qui s’est également entretenu avec des proches de ceux qui nous ont quittés ou qui se sont retirés. Visions Hip-Hop QC est également un hommage à ceux qui sont toujours présents. « Pour ceux qui ont grandi à Montréal, surtout pour les jeunes, je trouvais important de montrer comment le rap a débuté et qui sont les rappeurs que nous avons », dit celui qui souhaitait faire découvrir les artistes d’ici. « C’est plus facile de parler de Tupac et de Biggie. » M. Clerveau fait l’éloge du travail collaboratif, grâce auquel le projet a pu voir le jour. Il cite ainsi les contributions de Vladimir Delva, commissaire invité, de la DJ Gayance, qui signe les trames sonores, et de George Fok, aux archives visuelles. « Je souhaite faire une suite de manière collective, que ce projet ait une continuité », dit l’artiste en ajoutant qu’il a beaucoup d’autres figures du hip-hop à peindre.
Apprendre en communauté
« Le dessin a toujours été ma passion », explique l’artiste autodidacte. Il nous raconte comment, petit, il s’assoyait au salon avec feuilles et crayons pour regarder des dessins animés, qu’il dessinait par la suite. « Ça faisait partie d’un besoin, pour me sentir mieux. J’évoluais dans un environnement où j’éprouvais beaucoup de difficulté », raconte M. Clerveau, qui doit composer avec la dysphasie, un trouble du langage. « J’ai plus entendu parler de mes faiblesses que de mes forces », dit-il de son parcours scolaire. « J’essaie de m’exprimer à travers mon art, de dégager l’émotion. Je ne suis pas quelqu’un pour qui c’est facile de s’exprimer en communiquant directement. Je m’exprime mieux avec mes mains, mes crayons, mes pinceaux », explique-t-il. Cependant, nourri par sa passion, il ne se laisse pas abattre. « Lorsque j’étais à l’école secondaire, je répétais sans cesse que je voulais devenir artiste visuel », se souvient-il. Ses professeurs préféraient qu’il garde les pieds sur terre. « On m’a dit que ce n’était pas un métier, et qu’il n’y en avait pas vraiment à Montréal. » À tel point qu’il a envisagé un jour de s’installer à New York ou Miami pour devenir artiste peintre, lui qui a grandi à Rivière-des-Prairies et à Montréal-Nord. Aujourd'hui, il souhaite plutôt leur montrer le parcours qu’il s’est dessiné pour lui.
À la suggestion d’un accompagnateur scolaire, le jeune artiste s’inscrit à des ateliers d’arts visuels. Tout change pour le jeune Marven, qui s’initie à la peinture, explore d’autres avenues artistiques et prend part à des expositions collectives. « Au début, j’ai beaucoup été catégorisé comme personne vivant en situation de handicap. Je voulais explorer et être comme tout le monde », dit-il. Il devient par la suite membre de Diversité artistique Montréal (DAM), une organisation qui accompagne les artistes immigrants et racisés dans leur cheminement professionnel. « Dès que j’ai rencontré ces artistes et l’organisme, j’ai réalisé qu’à Montréal, il y a beaucoup de projets en arts visuels, plein de choses intéressantes à faire. C’est difficile de ne pas les trouver », affirme-t-il. Grâce au mentorat, il a bénéficié de conseils d’artistes plus expérimentés, comme le sculpteur Bismark Villacrés, l’artiste multidisciplinaire Moridja Kitenge Banza et le peintre Chlag.
« Ça m’a permis de rencontrer des gens qui ont la même passion et de savoir à quoi ressemble le monde de l’art visuel », dit l’artiste.Par ricochet, c’est également grâce au DAM que germe l’idée de Visions Hip-Hop Qc. En 2020, sur sa lancée de portraits, M. Clerveau s’associe à Vladimir Delva, artiste hip-hop, historien et auteur du livre Le boss du Québec, qui retrace les origines du hip-hop québécois. Leur collaboration se renforce, et M. Delva, qui se produit également en tant qu’artiste sous le nom de Kapois Lamort, agit à titre de commissaire de l’exposition présentée au Centre Phi. « Ç’a permis au projet d’être plus solide, et d’intégrer sa vision. Quand on travaille à deux, on a le meilleur résultat possible », déclare M. Clerveau.
Marven Clerveau a reçu une bourse Vivacité du Conseil des arts et des lettres du Québec pour développer son projet. Pour se mettre à l’œuvre, il a cherché un studio où il pourrait travailler près de chez lui, mais sans succès. « C’est difficile de trouver un studio à Montréal-Nord. Pourtant, il y a plein d’artistes. À la bibliothèque Henri-Bourassa, qui n’est pas loin de chez moi, il y a souvent des expositions », rappelle-t-il.
Avec l’assistance qu’il obtient pour ses recherches, il se résout à louer un espace à Hochelaga-Maisonneuve. Le trajet lui prend une heure en transport en commun. Il garde cependant un bon souvenir du studio partagé avec trois autres artistes. Il compte renouveler l’expérience, peut-être dans le cadre d’un autre projet, et peut-être chez lui, à Montréal-Nord, cette fois.
L’heure est aux célébrations pour l’artiste. Son exposition marque en effet un tournant dans sa carrière. Avec la musique, il aborde un domaine qui lui est moins familier. « L’une des raisons pour lesquelles je voulais aller vers le milieu du hip-hop, c’était aussi pour explorer. J’ai souvent fait de l’art qui parlait de mon histoire, de dysphasie et de scoliose ; je voulais aller vers des sujets que j’aime et j’apprécie, voir autour de moi ce qui se passe dans le monde, à Montréal », dit-il. S’il s’inspire de ce qui lui ressemble, Marven Clerveau a aussi tout pour inspirer ceux qui lui ressemblent. Voilà d’ailleurs ce qu’il leur dirait : « Il faut avoir plus confiance en soi, ne pas trop écouter son ego. Quand on a un objectif, il faut y penser de manière positive. »
Au fil du parcours, il vaut mieux y aller par essais et erreurs. « Dans la vie, il y a des hauts et des bas, il faut y aller avec le plan B si le plan A ne fonctionne pas, conseille-t-il. Il y a plein d’options, il faut croire en soi et y aller avec cœur si c’est quelque chose qu’on apprécie vraiment. Il faut foncer. »
Une exposition de Marven Clerveau : Visions Hip-Hop QC, présentée du 11 février au 26 mars au Centre Phi. Gratuit.