L'ingénieure aérospatiale, Farah Alibay en entrevue à C2 Montréal
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« On a tous une Farah en nous » : la persévérance de Farah Alibay inspire une nouvelle génération de femmes racisées en sciences
23/10/21
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De passage au Québec, l’ingénieure aérospatiale Farah Alibay est sur toutes les plateformes. Aujourd’hui célébrée partout dans la province comme la Québécoise de la NASA qui manœuvre un robot sur Mars, elle inspire des jeunes femmes racisées à suivre ses pas. On s’est entretenue avec elle, avant d’aller à la rencontre des futures Farah du Québec.

Persévérer pour réaliser ses rêves

Le parcours de Farah, qui est d’origine malgache, n’a pas toujours été rose. « Il y a vraiment eu des moments, en grandissant, où je n’étais pas sûre d’être acceptée dans la société », nous confie-t-elle à la conférence C2 Montréal. Déjà, je travaille dans un domaine qui est dominé par des hommes... et en plus il y a la culture et la couleur de peau – ça peut être fatigant. »

Les doutes, les remises en question, le syndrome de l’imposteur et l’échec ont été au rendez-vous. Alors qu’elle est adolescente, une conseillère d’orientation tente de la décourager de se diriger vers le génie. Jeune adulte, elle échoue à tous les cours de sa première session universitaire. Durant ses études, elle effectue plus d’une vingtaine de demandes à la NASA avant de recevoir une offre de stage. Au travail, elle subit le sexisme d’un gestionnaire. Telles de « petites coupures », le sexisme et le racisme marquent son parcours scolaire et professionnel. « Il y a eu des moments où je me suis dit : “Pourquoi est-ce que je poursuis ce rêve-là ?” », nous confie Farah Alibay. Mais son désir d’explorer l’espace la pousse à persévérer.

« Chaque fois qu’on me disait quelque chose que ça ne me tentait pas d’entendre, ce qui m’aidait, c’était de retrouver en moi cette passion. » Aujourd’hui, elle estime avoir eu de la chance de dépasser ses doutes. « J’ai eu de la chance de passer par-dessus ça, et je sais qu’on perd énormément de femmes, énormément de personnes de couleur à cause de ça – parce qu’on n’est pas encouragé, parce qu’on ne trouve pas notre place dans notre domaine. » Farah dit que, lorsqu’elle vivait au Québec, elle a manqué de mentors et de modèles dans lesquels se projeter. « Je regardais Apollo 13, et je remarquais que les gens se ressemblaient tous. Je ne me suis même pas permis de rêver d’aller un jour travailler à la NASA », illustre-t-elle. Aujourd’hui, elle veut utiliser les plateformes qu’on lui offre pour donner aux jeunes femmes ce modèle qu’elle n’a jamais eu.

« Je veux montrer aux gens que tu ne dois pas avoir une certaine apparence pour suivre tes rêves et pouvoir te rendre à un certain endroit. Je veux leur montrer ce que ça prend pour qu’ils puissent suivre leurs rêves. Et, oui, ça m’a obligée à quitter le Québec et à faire quelque chose de grand. Mais mon exemple montre qu’il y a des femmes comme moi dans ces positions et que ça génère un intérêt auprès du public, des médias. Et en plus, on ne les trouve pas seulement dans de tels rôles aux États-Unis et ailleurs dans le monde, mais aussi ici au Québec. Je suis heureuse de pouvoir proposer quelque chose de différent aux jeunes d’aujourd’hui. »

Les Farah du Québec

En février dernier, lorsque le robot Persévérance est arrivé sur la planète Mars, le monde entier a découvert une ingénieure aérospatiale de Joliette. Plusieurs femmes racisées du Québec se sont alors reconnues en elle.

Jenin Islam, étudiante à l'École secondaire Cavelier-de-Lasalle

Étudiante en 5e secondaire, Jenin Islam veut étudier en sciences, mais elle ne sait pas encore dans quel domaine. Comme plusieurs femmes qui souhaitent se diriger vers le domaine des sciences, l’adolescente est allée rencontrer Farah Alibay à l’École de technologie supérieure jeudi soir dernier.

Son professeur de robotique lui a conseillé d’assister à un atelier de communication scientifique lors de la conférence pour les filles en STIM. « Mes professeurs et ma famille m’encouragent à aller dans ce domaine ; ce qui me fait peur, c’est la pression. Je ne suis pas bonne en mathématiques, mais la biologie et la programmation m’intéressent », dit-elle à la sortie de l’atelier. Lorsqu’elle voit le parcours de Farah Alibay, l’étudiante de 16 ans réussit à envisager son avenir dans le domaine des STIM avec un peu plus d’assurance. « Je me dis que, si elle peut le faire, moi aussi je vais certainement essayer, et peut-être que j’y arriverai aussi. »

Jade Tremblay Mainville, étudiante en sciences de la nature au Collège de l'Assomption.
Photo: Lela Savic

Jade Tremblay Mainville est étudiante au Collège de l’Assomption en sciences de la nature. « Toute l’histoire de Farah, ça m’a vraiment influencée à persévérer dans le monde de la science, confie-t-elle. J’aimerais amener le monde ailleurs. Contrairement à plusieurs personnes de mon entourage, je ne suis pas nécessairement la meilleure en physique et en chimie, mais je suis tellement passionnée ! » dit-elle avec enthousiasme. Tout comme Farah, Jade a grandi à Joliette. Adoptée à un an et demi, la jeune femme d’origine asiatique se sent interpellée par le parcours de l’ingénieure aérospatiale.

«Mais je ne me vois pas aller aussi loin qu’elle. Parfois, quand je vais au magasin, on me regarde de travers parce que je suis d’origine asiatique. Mais savoir que Farah vient de Joliette comme moi, ça rend les choses plus accessibles », explique l’étudiante de 17 ans.

« On a tous une Farah en nous »

Sadia Hussein, étudiante en génie logiciel à l'ÉTS
Photo: Lela Savic

« C’est un symbole qu’on a tous une Farah en nous », dit avec passion l’étudiante en génie Sadia Hussein après avoir entendu la doctorante parler de son parcours. « On n’a pas tous grandi à Joliette, mais on a juste besoin de persévérer et il n’est pas trop tard. Parce que c’est sûr qu’on peut se dire : “Je ne suis pas allée étudier en Angleterre ou au MIT, mais c’est pas grave. On a tous une Farah en nous, on a juste besoin de vouloir le faire », s’exclame-t-elle. Entendre le message de l’ingénieure aérospatiale la motive. « Comme Farah l’a dit, le pire qui puisse arriver, c’est qu’au final, je ne réussisse pas, mais le mieux qui puisse arriver, c’est que j’accomplisse mon rêve. »

Sadia Hussein est étudiante en génie logiciel à l’ÉTS. Depuis qu’elle a 10 ans, elle rêve d’être ingénieure en logiciel.

Aujourd’hui, elle fait partie des Ingénieuses, un regroupement de femmes en génie. Lors de ses études secondaires et collégiales, on lui a souvent dit qu’elle « n’avait pas le profil d’une ingénieure », car elle est très sociable. Encore aujourd’hui, elle à l’impression que ses collègues et ses professeurs doutent de ses capacités parce qu’elle est une femme. « On a toujours besoin de prouver qu’on est capable, alors que les gars, pour eux, c’est comme si c’était inné », affirme-t-elle.

Aujourd’hui en troisième année de bac, elle se demande si elle a sa place dans ce milieu, si elle est sur le bon chemin. Par ailleurs, les rares femmes qui se retrouvent avec elle en STIM ne lui ressemblent pas, nous confie-t-elle. « Ce sont beaucoup des femmes blanches privilégiées », précise-t-elle avant d’ajouter qu’elle n’a pas le même parcours. « Il y en a qui viennent des écoles privées, et moi je viens de l’école publique.

Est-ce que je suis au même niveau qu’elles ? J’ai tellement l’impression de manquer de ressources. Parfois, je me dis que je ne vais jamais y arriver. Je ne vois pas de femmes comme moi », nous raconte l’étudiante de 23 ans. Après avoir entendu Farah parler de ses échecs, de ses doutes et de son parcours, elle a fondu en larmes. « Moi qui ne suis pas ingénieure aérospatiale, qui ne suis rien en ce moment, je suis capable de comprendre ce que Farah a vécu ; ça m’a vraiment touchée. Ça m’a touchée de voir que je ne suis pas seule là-dedans.

Elle a vécu les mêmes problèmes que moi. Elle aussi se sentait seule, elle aussi était membre d’une minorité dans son quartier, dans son école, elle aussi avait des problèmes, de la difficulté, mais elle a persévéré. Ça m’a vraiment marquée et je me suis dit : “Moi aussi, je suis capable.” C’est normal qu’on doute de soi », dit-elle avec émotion.

« Farah, pour moi, c’est quelqu’un qui me ressemble »

Farah Alibay et Zeina Marhan,étudiante en sciences de la nature au Collège Dawson. Photo: Lela Savic

Zeina Mahran est étudiante au Collège Dawson en sciences de la nature. Ça ne fait qu’un an qu’elle s’est découvert une passion pour le génie. Lorsqu’elle partage son ambition à son entourage, on lui demande si elle est certaine de son choix. « Souvent, on ne me croit pas. On me demande si ce ne sont pas mes parents qui me forcent à aller dans ce domaine », rapporte-t-elle.

Elle ajoute qu’au cours de son parcours scolaire, elle n’a pas été encouragée à se diriger vers les domaines scientifiques. « Ce n’était tout simplement pas une possibilité ; on n’a pas détruit mon rêve, mais on ne m’a pas donné cette option-là, qui existait », raconte l’étudiante. Elle estime qu’on encourage en général les filles à aller vers d’autres domaines, notamment la santé, sous prétexte qu’elles aiment prendre soin des autres. Des idées que la jeune femme de 19 ans remet en question.

« On dit souvent aux petits garçons qu’ils vont devenir ingénieurs, on ne le dit jamais aux petites filles, il faut changer ça », s’indigne Zeina Mahran. Mais sans modèles féminins, il est difficile pour elle de s’imaginer ingénieure. « Alors, quand je vois des femmes dans ces positions-là, ça plante une petite graine dans ma tête, ça me dit que c’est une possibilité. Ça me donne espoir et me permet de croire que j’ai une place en génie. » Farah Alibay lui a donné encore plus l’espoir de réaliser son rêve. « Farah, pour moi, c’est quelqu’un qui me ressemble. Même si on n’a pas les mêmes origines, c’est une femme racisée, elle m’inspire. Quand je la vois, ça me donne espoir de me retrouver un jour dans une position comme la sienne », nous confie-t-elle après avoir entendu la conférence de l’ingénieure aérospatiale à G-Change à l'École de technologie supérieure.

Dans la province, à peine 15 % des 65 000 membres de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) sont des femmes, explique la présidente de l’ordre, Kathy Baig. Le taux d'ingénieurs nouvellement inscrites est de 20%. L’OIQ souhaiterait porter le taux de nouvelles ingénieures en à 30% d’ici 2030. Que conseille Farah Alibay à celles qui souhaitent faire des études dans le domaine des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques ? « Il faut savoir c’est quoi ta passion, te concentrer sur ça et oublier les autres voix.

J’en ai plein, des gens qui m’ont dit : “Non, tu ne réussiras pas dans ce domaine où il n’y a pas de place pour toi.” Il faut comprendre que, pour chaque oui, il va y avoir des dizaines de non – il faut se préparer à ça. Mais surtout, il faut que tu trouves ta curiosité et que tu fonces, que tu plonges là-dedans. Tu vas voir, ça vaut tellement la peine de vivre son rêve ! »   Des rêves qui, espérons-le, ne seront pas brisés par l’adversité.

L’actualité à travers le dialogue.
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