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Samah Aggoun
Vidéo: Ridolphe Aristil
« Les gens ne connaissaient pas les qualités des familles de Montréal-Nord », nous dit Samah Aggoun. Pour la mère de quatre enfants, ce sont elles qui font la beauté et le dynamisme du quartier. Et ici, des familles, il n’en manque pas. « Il y a beaucoup d’avantages à vivre à Montréal-Nord. Il y a un mode de vie », raconte Samah en décrivant la communauté animée, l’esprit d’entraide et la bienveillance du voisinage. C’est pour cela qu’elle se sent chez elle à Montréal-Nord. « On aime la vie, on aime donner, il faut trouver un plan. »
Ce matin, Samah participe à une activité de dépannage alimentaire. Elle n’a pas encore pris un moment pour déjeuner et boire son café, mais sa bonne humeur et son énergie sont contagieuses. Plus tard, avant son rendez-vous à l’hôpital, elle ira déposer deux paniers de fruits et légumes chez des familles sur son chemin. Samah fait partie du comité de mamans de Montréal-Nord. Très active, elle s’implique aussi dans d’autres initiatives de quartier. Mais celle-ci est différente : il ne s’agit pas d’un programme ou d’un organisme, et ses membres ne sont pas des activistes. Les parents du quartier réclament du changement.
« Pourquoi les mamans ? Ce sont souvent les femmes qui sont au-devant », croit Sama. Elles sont aux premières loges des problèmes, mais surtout, elles vont au-devant des solutions.
Une pétition pour l’avenir
Les mères du quartier se sont rassemblées pour rédiger une pétition et la porter à l’Assemblée nationale. Elles demandent plus de ressources et de l’aide pour les jeunes et leurs parents qui ont peu de solutions de rechange à leur disposition. Les récents incidents et le climat actuel, exacerbé par la COVID, affectent particulièrement la population de l’arrondissement. Les résidents, tout comme les organismes qui leur viennent en aide, sont à bout de souffle. Le comité de mamans de Montréal-Nord demande qu’on investisse dans la communauté en prenant soin des jeunes et des familles afin que le quartier puisse s’épanouir.
À l’origine de cette mobilisation, il y a le cri du cœur lancé par une maman à la suite des événements tragiques du 24 juillet 2019, où des coups de feu ont retenti dans une ruelle du quartier, en plein après-midi. Le 25 octobre 2019, Abderrahmane Hadj-Ahmed, un jeune homme de 23 ans, perd la vie dans une ruelle du quartier après avoir été atteint d’une balle. Une trentaine de mamans répondent à l’appel et commencent à se réunir. « Les familles s’inquiètent beaucoup pour l’avenir de leurs jeunes », indique Samah.
À Montréal-Nord, le taux de chômage des jeunes de moins de 30 ans est presque deux fois plus élevé que dans le reste de la province. Les familles à faible revenu qui comptent un enfant de 0 à 5 ans représentent plus de la moitié de la population dans le nord-est de l’arrondissement.
Samah dénonce le manque de services dans le quartier et souhaite voir apparaître des initiatives accessibles et adaptées à l’âge des participants. Elle souhaite également que la voix des parents soit entendue, et que ceux-ci soient consultés et intégrés dans les processus de décision.
« Il faut commencer jeune, et offrir quelque chose aux enfants… Mais aussi à leurs mamans – on est fatiguées, on est épuisées. »La mère de famille, qui s’implique énormément dans la vie de quartier, souhaite sensibiliser les autres aux réalités du quartier.
« Ce qui se passe à Montréal-Nord, on trouve que ce n’est pas juste », dit-elle. Elle a été choquée et surprise d’apprendre que l’arrondissement est l’un des endroits les plus défavorisés au pays. « Tant que c’est comme ça, on a besoin que tous les volets – municipal, provincial, fédéral, citoyen, policier – se rassemblent et travaillent là-dessus pour trouver la solution », ajoute-t-elle. Elle souhaite également que les mots se transforment en mesures concrètes. « Montréal-Nord est devenu un terrain de théories. Je veux un réel changement sur le terrain. »
Et elle croit, justement, que les choses vont finir par changer.
Pour un quartier à leur image
Sonia réside dans le quartier depuis 30 ans. « J’y ai grandi », raconte-t-elle. Elle a vécu ailleurs, mais elle revient toujours à ses premières amours. « Si j’ai une médaille, un jour, ce sera parce que je participe à la vie de quartier », dit-elle en riant. C’est la camaraderie qui la retient. Si la résidante s’inquiète de la violence, elle craint également la stigmatisation et les stéréotypes. « Il faut arrêter de mettre des étiquettes à tout le monde », implore la mère de 47 ans. Elle souhaite également que la perception qu’on a du quartier change.
« J’ai le sentiment que, lorsqu’un événement survient à Montréal-Nord, les médias dépeignent les choses comme étant pires qu’elles ne le sont », déclare-t-elle. Louisa, qui demeure à Montréal-Nord depuis plus de 20 ans, abonde dans le même sens. « Quand quelque chose arrive ici, les journaux en font leurs choux gras, même si ce n’est pas des situations qui sont propres au quartier », déplore-t-elle. La résidante voit plutôt en Montréal-Nord un quartier multiculturel, vivant et diversifié où les communautés se côtoient. « Il y a une couleur spéciale, une couleur particulière, à Montréal-Nord. Il fait bon y vivre », dit-elle. Elle aimerait que les choses positives soient autant soulignées que le reste.
« C’est un quartier comme les autres. Oui, il y a des défis, comme l’exclusion, la précarité, le chômage. Aidez-nous à améliorer les choses, lance-t-elle. C’est ce que je veux qu’on change. »Louisa défend Montréal-Nord corps et âme partout où elle va. L’image qu’on donne de l’arrondissement la blesse profondément, et elle espère qu’il n’en sera pas toujours ainsi.
Lorsque ses enfants étaient plus jeunes, certains des parents de leurs amis refusaient que leurs enfants aillent passer du temps à Montréal-Nord. « Ils disaient que c’était dangereux », s’offusque-t-elle. Des livreurs ont aussi exprimé des réticences à l’idée de se rendre dans le quartier.
« On est presque obligés de se cacher. Les jeunes qui cherchent du travail, ils ne disent pas qu’ils viennent de Montréal-Nord. » Le quartier est jeune et dynamique. « Il faut réinvestir ici, aider les jeunes. Il faut avoir confiance en eux, ne pas les laisser croire qu’ils n’ont pas d’avenir. » Elle appuie le comité de mamans de Montréal-Nord.
« C’est surtout les femmes qui se mobilisent, parce qu’elles sont au cœur du quotidien. Elles n’osent pas souvent parler, mais elles ont des choses à dire. » Sylvie, une maman de Montréal-NordDehors, sur le trottoir, alors que le soleil de Mars réchauffe l’air, Sylvie vient de signer la pétition. Sur la rue Lapierre, l’ambiance est à la fête pour la distribution de produits menstruels écologiques gratuits, une façon de souligner la Journée internationale des droits des femmes.
« C’est sûr que je donne mon nom pour des projets comme ceux-là, qui ont de l’impact », déclare Sylvie. Elle vit à Montréal-Nord depuis 24 ans, soit l’âge de l’aîné de ses enfants. « On cherche souvent à me faire déménager, mais j’aime trop mon quartier », dit la dame. « Je ne m’en irai pas. Il y a tant de ressources qui peuvent nous aider lorsqu’on est mal pris, on sait vers où se tourner, il y a des organismes auxquels je n’aurais jamais eu accès ailleurs. » Ce qu’elle aime le plus observer dans son quartier ?
« Les choses que l’on change. »
Les citoyens ont jusqu’au 21 mars pour signer la pétition du comité des mamans de Montréal-Nord.