L'arsenal d'un détenteur de permis d'armes légales. Photo: Pablo Ortiz
Culture G
Que proposent les partis en matière d’armes à feu?
20/9/21
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La question des armes à feu était sur toutes les lèvres des chefs de parti au cours de cette campagne électorale. Que proposent les partis pour un meilleur contrôle de ces armes? On a décortiqué ça pour vous.

Pour mieux comprendre la question, il faut la diviser en deux axes, nous indique Francis Langlois, spécialiste des armes à feu au Canada et aux États-Unis. Il s’agit des armes légales et des armes illégales. « Ce sont deux enjeux qui demandent deux solutions différentes », explique-t-il. D’après lui, le débat public entourant les armes à feu durant les élections a mélangé la violence armée dans les villes et les tueries de masse. Deux problèmes qui demandent différentes solutions, estime M. Langlois.

Armes à feu illégales: que proposent les partis pour contrer ce fléau?

Du côté du Parti vert, rien dans le programme des verts ne mentionne le contrôle des armes à feu. La chef du parti Annamie Paul a cependant mentionné lors du débat des chefs en français qu’il fallait s’attaquer au problème de la prolifération des armes à feu par la racine. « On sait que le trois quart  des armes qui sont utilisées dans les actes criminels ne sont pas attribuables aux armes à feu délivrées avec permis, elles proviennent du marché noir. Alors, c’est le moment de s’attaquer au problème par la racine, de parler des problèmes en amont qui peuvent mener à une telle situation, de logement abordable, d’identité dans notre société. C’est comme ça qu’on s’attaque aux causes d’actes criminels et qu’on évite une surreprésentation des peuples autochtones et la diaspora noire dans notre système de justice criminelle », l’entend-on dire.

La cheffe n’a cependant pas précisé ce que comprenait son plan d’investissement communautaire. En entrevue avec La Converse, le vice-président Francophone du parti, Clément Badra, nous répond qu’il n’a aucune information sur les propositions du parti quant au contrôle à la frontière. Au sujet du  plan sur la prévention communautaire, il cite les mesures sociales proposées par le parti telles que la mise en place d’un revenu de subsistance garanti, l’abolition des frais d’études postsecondaires ainsi qu’une assurance-médicaments universelle et des soins de santé mentale plus accessibles afin de contrer la pauvreté dans les quartiers défavorisés. Questionnée sur les budgets alloués à ces promesses, le candidat de Mont-Royal n’a donné aucun détail. Le Parti vert n’a pas chiffré ses promesses.

Du côté du NPD, sur la question de la contrebande d’armes à feu et du crime organisé, on promet d'octroyer des ressources et des équipements pour endiguer le flux d’armes de poing au pays et de mandater la GRC pour coordonner un programme d’application des lois sur le trafic d’armes à feu. Le parti nous indique vouloir donner plus de pouvoir à l’Agence des services frontaliers du Canada, une promesse non chiffrée. Pour la prévention de la violence armée, le NPD propose de faire en sorte que les municipalités aient accès au financement de projets antigang afin de dissuader les jeunes à risque en bonifiant les programmes du Centre national de prévention du crime.

Le parti indique vouloir s’attaquer à la radicalisation en mettant l’accent sur la prévention de l’extrémisme et de la violence chez les jeunes, notamment en appuyant les initiatives communautaires, une promesse qui n’est pas encore chiffrée. Sans donner de détails, les néo-démocrates dénoncent le manque d’outils visant à prévenir la haine en ligne et promettent de s’y attaquer. « Les pouvoirs du CRTC pourraient d’ailleurs être renforcés pour lutter activement contre ce phénomène nocif » indique par courriel Nina Amrov, l’attachée de presse de Jagmeet Singh, qui n’a pas manqué de critiquer le gouvernement sortant sans répondre à nos questions sur les budgets alloués à ces promesses.

Le Bloc Québécois propose une enveloppe de 100 M$ par année aux agences fédérales pour combattre le crime organisé et le trafic d’armes illégales aux frontières. Aucune mention de prévention par le communautaire ne figure dans la plateforme électorale du Bloc Québécois. Questionné à cet effet, le parti indique que les programmes sociaux relèvent d’une compétence provinciale et qu’il souhaite augmenter le transfert canadien aux provinces en matière de programmes sociaux (TCPS) de 6% par année. Ce programme s’attaque à la pauvreté et aux inégalités sociales, et ne cible toutefois pas les jeunes marginalisés.  

Du côté du Parti libéral, le gouvernement sortant a accordé un investissement de 92.9 M$ entre 2018 et 2025 à l'ASFC pour contrer l'entrée illégale d'armes à feu. On propose maintenant un renforcement de la capacité de la GRC et de l’Agence des services frontaliers du Canada, une promesse qui n’est pas chiffrée dans le budget des libéraux. Questionné à cet effet, le Parti libéral n’a pas répondu à nos questions au moment d’écrire ces lignes. Le gouvernement sortant propose des peines maximales plus lourdes pour le trafic et la contrebande d’armes à feu, qui passent de 10 à 14 ans d’emprisonnement. Pour la prévention, on propose 250 M$ de dollars sur cinq ans pour les municipalités et les communautés autochtones pour les jeunes à risque en investissant dans des activités visant à arrêter la propagation des infractions liées à un gang.  

Du côté du Parti conservateur, on propose d’engager 200 agents de la GRC de plus pour lutter contre la contrebande d’armes à feu, de drogue et les gangs de rue. Le Parti conservateur propose aussi des peines plus lourdes pour l'utilisation criminelle d’une arme à feu et d’établir une liste des entités criminelles. On propose aussi de modifier la loi sur les armes à feu pour contrer l’achat d’armes à feu par prête-nom, dans l’éventualité qu’un détenteur de permis d’arme à feu achète légalement une arme et la revende illégalement sur le marché noir. À cet effet, les conservateurs proposent de modifier la Loi sur les armes à feu pour qu’un particulier à trois occasions distinctes pendant une année civile, transfère une arme à feu à des fins financières détienne un permis commercial. Comme il n’y a plus de registre fédéral pour les armes non-restreintes, cette mesure ne s’applique qu’aux propriétaires d’armes restreintes, c'est-à-dire, les armes de poing et les armes courtes.

Le Parti conservateur propose aussi plus de sanctions pour les contrevenants. Il propose de créer une stratégie de sortie des gangs de rue avec le secteur privé pour « permettre aux contrevenants de se libérer d’un cycle de violence et de repartir à zéro à un nouvel endroit, avec un bon emploi et le soutien requis pour quitter une vie de crime »,une promesse qui n’est pas chiffrée. Questionnés à cet effet, les conservateurs n’ont pas répondu à nos questions.

Les armes légales: le contrôle des armes d'assaut

Sur la question des armes légales, les partis en lice proposent des changements sur les armes de poing, les armes d’assaut et les permis.

Que proposent les partis pour contrôler les armes d'assaut?

Le Bloc québécois  demande que le gouvernement fédéral modifie le code criminel pour y ajouter une catégorie « arme d’assaut » qui permettrait de bannir toutes les armes longues semi-automatiques de style militaire. Il souhaite aussi investir 900 M$ pour le rachat d’armes à feu prohibées. « Les Libéraux promettent maintenant eux aussi le rachat obligatoire de certaines armes d'assaut, mais seulement pour les modèles les plus populaires, avec une enveloppe de 800 M$. Le Bloc Québécois souhaite bannir toutes les armes d'assaut, d'où notre montant plus élevé », explique la relationniste du Bloc Québécois, Karine Lafontaine, à La Converse.

Le Parti libéral, s'attaque aux chargeurs à grande capacité en exigeant que les chargeurs d’armes d’épaule pouvant contenir plus de cinq cartouches soient modifiés de façon permanente afin qu’ils ne puissent jamais en contenir plus de cinq. On veut aussi interdire la vente ou le transfert de chargeurs qui pourraient contenir plus de balles que le nombre légal permis, peu importe comment ceux-ci étaient destinés à être utilisés par le fabricant.

Le gouvernement sortant propose un durcissement des lois sur les armes d’assaut avec un rachat obligatoire d’armes d'assaut interdites par le décret de mai 2020. Les libérauxt sortant ont interdit 1500 armes d’assaut de style militaire, dont celles utilisées dans la tuerie du collège Dawson et de Polytechnique.  Initialement, le Parti libéral n’avait pas l’intention de rendre obligatoire ce programme de rachat proposé, qui doit entrer en vigueur l’an prochain. S’il est réélu, le Parti libéral propose de durcir les lois en obligeant les propriétaires de ces armes à feu à les revendre au gouvernement plutôt que de les garder.  

Du côté du NPD, le parti promet de « garder les armes d’assaut et les armes de poing hors des rues » avec une définition plus large des armes interdites pour y inclure les nouveaux modèles d'armes d'assaut. On propose un investissement de 500 M$ pour le rachat des armes d'assaut. Concernant les armes de poing, on propose de permettre aux municipalités de les restreindre ou les interdire.

Le Parti vert ne fait pas mention des armes à feu dans son programme. Annamie Paul a cependant mentionné lors du débat des chefs en français qu’elle interdirait toutes les armes de poing et armes d'assaut.

Dans sa plateforme, le Parti conservateur indique vouloir abroger la loi fédérale C-71 sur le renforcement de la législation des armes à feu et le décret de mai 2020 qui abolit 1500 armes de style militaire. Le parti avait voté contre le décret de 2020 et unanimement contre la loi C-71. Durant la campagne électorale, le chef de parti Erin O’Toole a cependant changé son fusil d’épaule et indiqué que son gouvernement maintiendrait les restrictions de la loi C-71 et le décret de 2020, tout en effectuant une révision du système de classification.

Que proposent les partis pour contrôler les armes de poing?

Le NPD propose de remettre le contrôle des armes de poing aux municipalités. Notons que le Parti libéral proposait aussi le relayer la responsabilité aux municipalités dans son projet de loi C-21 avant de corriger le tir vers le provincial dans son programme électoral. Au Québec, les maires de Montréal, Québec, Gatineau, Laval et Longueuil ont exhorté les chefs de parti à ne pas leur imposer la responsabilité du contrôle des armes de poing.  Les libéraux et les bloquistes proposent maintenant tous deux de relayer le contrôle des armes de poing aux provinces. Le gouvernement sortant propose 1 milliard de dollars pour soutenir les provinces et les territoires afin d’interdire les armes de poing.

Plusieurs provinces, telles que l’Ontario, l’Alberta, la Saskatchewan ont indiqué qu’elles ne voulaient pas prendre cette responsabilité. Le gouvernement de la CAQ n’a toutefois pas pris de position claire sur cette mesure. Questionné à cet effet, le cabinet de la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, s’est contenté de nous dire qu’il travaillera avec le gouvernement fédéral en place sur la question et qu’il ne souhaite pas que cette responsabilité incombe aux municipalités et fera valoir les intérêts du Québec.

Le Parti conservateur promet de « s’attaquer à la violence des gangs de rue qui force trop de canadiens à vivre dans la peur » sans jamais faire mention des armes de poing dans sa plateforme électorale. Il s’agit du type d’arme le plus répandu au sein des gangs de rue. On indique cependant qu’on ne souhaite pas harceler les tireurs sportifs et les chasseurs.

Permis et loi sur les armes à feu

Actuellement, les personnes doivent elles-mêmes déclarer si elles ont des antécédents de violence conjugale lors d’une demande d’un permis d’armes à feu. Seuls les libéraux et les conservateurs proposent des changements pour améliorer les lois sur les permis. Les libéraux proposent la vérification des antécédents à vie afin d’empêcher les personnes ayant des antécédents de violence conjugale d’obtenir un permis d’arme à feu. Sur ce point, les conservateurs proposent d’obliger la remise automatique des armes à feu si un individu ayant un permis est accusé d’une infraction contre la personne. En cas d’accusation rejetée, l’arme serait remise au détenteur.

Sur la santé mentale, les libéraux proposent une loi « drapeau rouge » permettant la confiscation immédiate des armes à feu si une personne représente une menace pour elle-même ou pour les autres. Le Parti conservateur propose plutôt d’autoriser un professionnel de la santé à informer le contrôleur des armes à feu s’il traite une personne pour maladie mentale et qu’il y a des motifs raisonnables de croire que la possession d’une arme à feu peut représenter un danger pour autrui ou pour elle-même.

Les conservateurs en ajoutent pour protéger les titulaires de permis « pour assurer qu'une expiration administrative ne puisse entraîner la portée d’accusations criminelles ou la saisie des armes à feu légales possédées par un détenteur ». On propose aussi de rendre illégal l’acquisition de nouvelles armes ou munitions avant le renouvellement d’un permis expiré.


Les mesures de contrôle des armes à feu peuvent-elles sécuriser la population?



Une arme de poing.

Photo: Pablo Ortiz


Cet été, de nombreuses fusillades ont eu lieu dans les quartiers de Montréal, de Laval  et dans les environs de la métropole. Des coups de feu en plein jour tirés en plein jour et des balles perdues qui troublent le sentiment de quiétude des citoyens. Pour quelques centaines de dollars et sans permis, les jeunes peuvent se procurer des armes rapidement et facilement. Comment se retrouvent-elles entre leurs mains?

La criminalité dans les grandes villes

Dans la majorité des cas, ce sont des armes illégales qui passent par la frontière canado-américaine par le crime organisé. « Avec une des plus longues frontières non fortifiées au monde, il y a des trous partout où le trafic est possible », nous explique l’enquêteur retraité de la Sûreté du Québec, Paul Laurier. « Les armes se trouvent très et trop facilement, et la vente d’armes est lucrative », indique l’ancien enquêteur qui a travaillé sur le crime organisé et le terrorisme. « Si les policiers du Québec enlevaient toutes les armes à feu, je vous garantis que dans un mois, les armes seront revenues ». Il lie cette éventualité à la proximité du marché des États-Unis et l’existence de canaux entre les deux pays gérés par le crime organisé.

D’après Francis Langlois,chercheur spécialiste des armes à feu au Canada et aux États-Unis à la chaire Raoul-Dandurand, le marché américain est trop gros et les lois sur les armes à feu sont faibles. « C’est extrêmement difficile de contrer cela et l'offre est pratiquement illimitée aux États-Unis. Mais c’est vraiment là-bas qu’on trouve les armes. C’est notre voisin le problème», analyse-t-il.

Le spécialiste estime cependant que le contrôle de la frontière ne changera rien à la violence dans les grandes villes si on n'investit pas en amont dans la prévention de la violence. L’ex-enquêteur Paul Laurier abonde dans le même sens. « Ce n'est pas la réglementation des armes à feu qui va régler le problème. Ça prend des gens pour aller voir les jeunes et pour briser le phénomène », dit-il. « Si on transforme les conditions socio-économiques des quartiers les plus affectés par ces violences, ça va faire en sorte que les jeunes pourront trouver une différente avenue ». « Les armes rendent cette violence plus mortelle, plus dangereuse. Elles n’augmentent pas nécessairement les taux de criminalité, elles décuplent la possibilité de se faire tuer », ajoute Francis Langlois.


Une transformation de l’industrie

La culture des armes à feu témoigne de la transformation qui s’est opérée dans l’industrie. « À partir des années 80, on s’est retrouvé avec une des armes de style militaire, policière, des armes semi-automatiques », indique Francis Langlois. Ces armes n'étaient pas sur le marché avant. « Il y également la diffusion de l’image l’arme pour assurer sa masculinité, pour se protéger. C’est un discours qui est perpétré par l’industrie, et ce discours crée une culture des armes à feu qui est plus agressive », croit le chercheur

On retrouve maintenant sur le marché des des pistolets semi-automatiques dans lesquels on peut mettre 10, 15 ou 20 munitions. Les fusils d'assaut peuvent contenir jusqu’à 100 balles. M. Langlois indique que la tuerie de la Polytechnique n’aurait pas pu être possible sans une arme qui pouvait contenir 30 projectiles. « Il y a toute une discipline de tir rapide, c’est nouveau. Ça s'est développé dans les années 1990 et 2000. On vend non seulement des armes, mais toute une culture.  »


Les armes de poing: « la patate chaude du fédéral »

« Dans les rues, les tueries, ça ne se passe pas avec des armes longues. Oui, ces dernières causent du dommage, mais le danger c’est des armes de poing », affirme Paul Laurier. Faisant écho à l’ancien enquêteur, le chercheur Francis avance également que ces armes de poing illégales, qui entrent en possession des gangs de rues, proviennent des États-Unis. Le spécialiste dit ne pas comprendre l’emphase sur le contrôle des armes de poing dans le débat public, puisque la majeure partie de celles-ci proviennent du trafic d’armes illégales. D’après, lui ce n’est donc pas un contrôle légal qui va venir régler le problème de fond. Certaines armes de poing qu’on retrouve dans la rue sont cependant domestiques: elles sont volées du marché légal ou vendues à des individus non-détenteurs de permis par des propriétaires de permis légal. Nathalie Provost, porte-parole de l’organisme PolySeSouvient, nous indique que le nombre d’armes de poing détenues par des propriétaires légaux a doublé dans les dix dernières années. D’après Statistique Canada, on compte maintenant près d’un million d’armes de poing sur le marché légal.

Plusieurs partis fédéraux se sont prononcés sur le contrôle des armes de poing, en le reléguant aux municipalités ou aux provinces. Francis Langlois et Nathalie Provost croient tous deux qu’un contrôle national est nécessaire et ces mesures ne sont pas efficaces sans un tel contrôle. « Même si on interdit des armes légales sur le territoire de la ville de Montréal, ça n'empêche pas les armes d'entrer et de sortir des villes », croit M. Langlois. Il cite le tireur de la tuerie de 2018 sur la rue Danforth, à Toronto, qui s’était procuré son arme de poing de façon illégale à Toronto. L’arme en question était vendue légalement en Saskatchewan.

Fusillades et armes d'assaut

« Quand on réglemente les armes légales, c’est surtout pour limiter les tueries de masse », croit le chercheur. D’après lui, l'objectif du contrôle des armes de style militaire comme des armes d’assaut, qui ont une puissance de feu très grande, est lié à la sécurité du public en termes de suicides et d'utilisation accidentelles et de tueries de masse. La plupart des armes utilisées dans le type de tragédie visant les masses ont été achetées de manière légale: c’est notamment le cas des armes utilisées à la mosquée de Québec et au Collège Dawson. « Ce sont armes qui sont prisées par des tueurs de masse. C’est pour ça que les gouvernements et les organisations cherchent à augmenter le contrôle sur les armes à feu. Ce sont des armes idéales pour les militaires ou les policiers, mais elles ne sont pas faites pour être utilisées par des civils », estime-t-il.

Depuis la destruction du registre canadien des armes à feu en 2012 par le gouvernement Harper, le Canada n’a pas de données précises sur le nombre d’armes non-restreintes (c'est-à-dire des fusils de chasse et des armes longues) qui circulent au pays. Il est ainsi très difficile de savoir combien d’armes possède un propriétaire de permis d’armes à feu non-restreintes. Le gouvernement canadien a donc perdu la trace de nombreux fusils de chasse et d’armes d’assaut qui ont été achetés. Si dans les faits, le programme de rachat obligatoire proposé par le Parti Libéral est intéressant, il sera difficile de l'appliquer, précise le chercheur.

Comme en témoigne, Charles, un propriétaire d’un permis d’armes à feu non-restreintes, qui fait du tir sportif. Il possède 11 armes à feu, dont 3 armes d'assaut. Aucune de ses armes est sur le décret de 2020. Le jeune homme a plusieurs amis qui possèdent également des armes à feu légales. Il raconte que le programme de rachat obligatoire mentionné dans le décret de mai 2020, fait objet de « running gag » dans la communauté des armes à feu. «Si on ne sait pas combien de personnes possèdent ce type d’armes, il y a un échappatoire évident. Qui ira dire au gouvernement qu’il en possède ?», demande-t-il.

« Ce que décret permet, c'est que ça met fin au commerce de ces armes au Canada. Ainsi, il n’ya plus d’avenue pour l’utilisation légitime de celles-cis puisqu’on a plus le droit de les transporter, de les échanger, de les posséder et de les utiliser. Ce n’est pas pas parfait, mais si l’on veut éliminer ces armes du marché, c’est une bonne mesure. » explique le spécialiste. C’est que sans registre des armes à feu non-restreintes, il est difficile de légiférer, explique Francis Langlois. « C’était ce qu’il y avait de mieux, on l’a détruit et il ne reviendra pas. Ça a coûté trop cher » déclare Nathalie Provost au sujet du registre des armes à feu. La porte-parole de l’organisme PolySeSouvient estime qu’aucun parti ne va assez loin pour contrôler les armes d’assaut par peur  de perdre des votes s’ils proposent des mesures trop sévères sur les armes légales.

PolySeSouvient s’indigne de l’argument des conservateurs qui ne veulent pas «blâmer » les propriétaires d’armes qui suivent les règles avec des trop de restrictions sur les armes légales. « Ça donne l’impression que Trudeau harcèle les honnêtes propriétaires, alors qu”il ne souhaite que retirer des armes trop puissantes. On a rien contre les gentils propriétaires, on ne leur enlève pas la capacité de tirer, on leur retire  des modèles » indique la survivante de la tuerie de Polytechnique. Elle s’indigne du fait que la puissance de feu d’un citoyen peut être plus élevée que la puissance de feu d’un policier.

Madame Provost estime que le gouvernement devrait interdire toutes les armes d'assaut et qu’elles n’ont pas leur place dans les mains des citoyens. « Dans tous les pays, où il y a un contrôle plus serré des armes à feu, il y a moins de mortalité liées à ces armes. Je ne dis pas que cela va régler tout le problème des armes illégales, on n’est pas naïf » fait-elle valoir.  Elle dresse une comparaison entre les véhicules. «Réalisez-vous qu’on contrôle moins une arme à feu qu’une voiture? Les voitures sont enregistrées, tous nos gouvernements savent qui a combien de voitures, combien il en a. Ce n’est pas le cas des armes à feu », illustre-t-elle. Le registre fournissait les renseignements aux forces de l'ordre pour agir.


Un permis trop facile à obtenir?

« Ce n’est pas difficile d’avoir un permis d’armes à feu, mais c’est très bureaucratique », nous explique Charles, qui a obtenu son permis en six mois. Après avoir suivi un Cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu, il passe un examen la journée même. « Essentiellement, il ne faut pas pointer l’arme sur l’instructeur et démontrer une compétence minimale sur le maniement des armes », dit-il d’un ton moqueur.

Quelques semaines plus tard. Il reçoit son attestation et peut remplir une demande de permis de possession d’armes à feu sur le site web de la GRC. Après quelques mois, Charles reçoit un permis d’armes à feu non-restreintes,  lui permettant d’acheter des armes longues et des fusils de chasse. Pas d’examen psychologique, pas besoin de justifier pourquoi il demande un permis d’armes à feu. « Pas besoin d’indiquer que c’est pour le sport », opine-t-il. « Il y a des questions sur antécédents criminels et violents, mais il n’y a aucune question dans le formulaire sur les idéologies extrémistes et pour la santé mentale, c’est une autodéclaration » note le jeune homme.

Le formulaire demande deux références qui valident la capacité du demandeur à obtenir un permis de possession et d’acquisition d’armes à feu « dans l'intérêt de la sécurité du demandeur ou de toute autre personne ». Charles aimerait que plus de mesures soient prises pour s’assurer que les personnes qui souhaitent obtenir un permis d’armes à feu soient saines d’esprit. Il estime que le débat n’aborde pas assez cet aspect. « On peut toujours rendre le permis plus difficile à obtenir, mais il faut investir les ressources pour vraiment faire les vérifications », convient le chercheur Francis Langlois.


L’actualité à travers le dialogue.
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